Texte intégral
ELIZABETH MARTICHOUX
Bonjour Cédric O.
CÉDRIC O
Bonjour Elizabeth MARTICHOUX.
ELIZABETH MARTICHOUX
On va parler de la haine en ligne. Est-ce qu'elle continue de prospérer, est-ce que c'est mesuré d'ailleurs ?
CEDRIC O
Alors, elle continue de prospérer et elle se développe même, il y a des études qui disent qu'elle a augmenté en un an de près de 30 %, donc c'est considérable, après honnêtement, on n'a pas besoin d'étude, je pense que vous, mois, chacun de nos auditeurs, il suffit de se rendre quelques minutes sur Twitter ou sur Facebook pour constater qu'on y voit proliférer insultes de racistes, homophobes, antisémites, injures, menaces de mort, etc, etc, et donc c'est un sujet que chacun peut expérimenter au jour le jour malheureusement.
ELIZABETH MARTICHOUX
La question que je vous pose ce matin, et on va aller dans le détail, mais pourquoi faut-il d'abord une loi, il y a une loi qui arrive en séance à l'Assemblée nationale la semaine prochaine pour tenter justement d'éradiquer – autant faire ce peut – ces torrents d'insultes et de haine qui se déversent sur les réseaux sociaux. Faire une nouvelle loi ! Il n'y en avait pas assez, on ne pouvait pas faire autrement, par exemple, demander aux opérateurs, ou aux grandes plates-formes de faire le ménage toutes seules ?
CEDRIC O
Alors, il faut faire trois choses pour régler la haine en ligne, la première, c'est de punir les auteurs, donc ça, pas besoin de la loi, il y a un certain nombre de choses qui existent, c'est d'abord de l'organisation de la justice, et c'est des éléments sur lesquels Nicole BELLOUBET a fait des annonces, et on va avancer. La deuxième chose pour laquelle il y a besoin d'une loi, et c'est ce sur quoi se concentre la loi proposée par la députée Laetitia AVIA, c'est de fixer des obligations de responsabilité aux grands réseaux sociaux, de dire que comme ils concentrent jusqu'à 40 millions de Français aujourd'hui sur Facebook, donc c'est beaucoup, et qu'on y voit une viralité qu'on ne voit nulle part ailleurs, il faut faire en sorte que quand il y a des contenus dangereux ou illicites qu'ils soient retirés, et nous, ce qu'on va dire, c'est qu'ils doivent se mettre en position de les retirer en moins de 24 heures, et pour ça, il n'existait pas de base juridique, et c'est celle qu'on crée.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et alors moi, j'ai une question de béotien, pardon, béotienne, qui décidera que le contenu signalé par vous, par moi, qui le voyons, qui nous sentons insultés sur un réseau social, qui décidera que c'est illégal, qui validera l'illégalité de ce contenu ?
CEDRIC O
Alors, aujourd'hui, la manière dont ça va se passer, c'est qu'il y a des contenus qui sont noirs ou blancs, certaines insultes caractérisées, on le saura. Sur certains contenus qui sont gris, c'est-à-dire donc qui nécessitent interprétation, on fera en sorte de mettre en place un groupe de travail entre les plateformes, la justice, l'administration, qui donnera chaque mois, chaque trimestre, je ne sais pas, des indications pour aider…
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, vous me permettez qu'on précise, parce que, par exemple, un contenu gris, on peut le comprendre, on a eu un débat cet hiver là-dessus en France, il y a effectivement des subtilités entre un propos antisémite et un propos antisioniste, dans les clips de rap, on peut se sentir personnellement, quand on est femme, totalement insultée par les propos sexistes, alors que c'est la liberté du créateur, etc, etc, ça, c'est quand même assez subtil, est-ce que c'est un modérateur de Facebook ou un algorithme qui peut juger de ça ?
CEDRIC O
Non, il y a un principe de base, c'est que ce n'est pas aux réseaux sociaux de décider ce qui est légal ou pas légal, les seuls qui peuvent décider, in fine, c'est la justice, seulement, la justice, parfois, elle met un peu de temps à passer et à décider. Donc ce qu'on va faire, ce qu'on va mettre en place, c'est une instance qui permettra dans le dialogue entre la société civile, l'administration et les plateformes de donner des indications chaque mois en disant : voilà, qu'est-ce que vous avez vu comme principaux problèmes le mois dernier, et on vous donne des indications, tel type de contenu, on estime que c'est plutôt illicite et il faut l'enlever…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous voulez dire qu'il y aura la suppression en 24 heures, et ensuite, il y aura une instance qui examinera la pertinence de la suppression ?
CEDRIC O
Je pense que le premier sujet, c'est que pour 90 % des contenus, c'est assez facile de dire s'ils sont licites ou illicites, il y a un certain nombre de contenus…
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, mais il y a des questions de principe aussi qui se posent par rapport à ça…
CEDRIC O
Bien sûr, mais il y a aussi une question de protection, c'est-à-dire que si on s'abrite à chaque fois derrière le sujet de « c'est plus compliqué », alors, on ne retire quasiment rien, donc il y a une question d'efficacité, et la première chose, c'est de protéger les Français, ensuite, on comprend bien qu'il faut protéger aussi la liberté d'expression, et que seule la justice peut le faire, donc il y a une jurisprudence à construire, et c'est ce qu'on veut faire. Dans l'attente, pour faire en sorte que les réseaux sociaux puissent gérer les choses dans le bon temps, dans le bon temps, c'est-à-dire qu'on ne va pas attendre 6 mois que la justice passe, alors, on donnera des indications, le CSA, probablement, dira : tel contenu, à partir de ce groupe de travail, on estime qu'il faut plutôt le retirer ou pas, ça pourra être déjugé par la justice, mais ça permettra de gérer les choses au fil de l'eau.
ELIZABETH MARTICHOUX
D'accord. Donc si vous me permettez, je reprends la chronologie de ce qui pourrait être mis en place à partir du moment où la loi serait votée et le décret publié, une obligation, une pression sur les opérateurs pour qu'en 24 heures, ils retirent un propos injurieux, haineux, etc.
CEDRIC O
Exactement, qu'ils se dotent les moyens de le faire…
ELIZABETH MARTICHOUX
Voilà, sinon, sous menace de sanctions financières lourdes, je crois que vous avez…
CEDRIC O
Exactement, jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires…
ELIZABETH MARTICHOUX
4 % du chiffre d'affaires, ce n'est pas mal.
CEDRIC O
C'est beaucoup.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et ensuite, le CSA peut-être, sans doute, aura, pourra être saisi de…
CEDRIC O
On leur dit : vous devez vous donner les moyens de retirer les contenus problématiques en 24h. On vous donne des indications au fil de l'eau pour le faire, et pour vous aider à le faire, parce que ce n'est pas à vous de le faire, et puis, si jamais vous avez un... si jamais quelqu'un estime que ça a été injustement fait, il peut se retourner devant la justice et in fine, c'est toujours la justice qui doit statuer.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et in fine, vous tentez de rassurer les juges, parce que c'est vrai qu'il y en a beaucoup qui y voient encore un caractère répressif, encore de la répression dans un domaine, la liberté d'expression, qui – c'est vrai – est compliqué.
CEDRIC O
Ce qui est sûr, c'est qu'il faut trouver la ligne de crête entre liberté d'expression et protection, mais aujourd'hui, il faut régler le problème, et juste pour vous donner une idée des volumes que ça concerne, prenons la vidéo de Christchurch, Christchurch, c'est la mosquée dans laquelle il y a eu 50 personnes qui ont été tuées en direct, il y a quelques mois, en Nouvelle-Zélande. Dans les 24 heures qui ont suivi la diffusion en ligne de la vidéo, Facebook a retiré 1.500.000 copies de la vidéo, ça veut dire qu'il y a 1.500.000 fois la vidéo d'une tuerie en direct qui a été repostée sur les réseaux sociaux, ce qu'on doit faire, et l'obligation de résultat qu'a l'Etat, c'est de protéger ses citoyens en ligne comme hors ligne, donc il faut adresser le problème, il faut adresser le problème en trouvant la ligne de crête entre liberté d'expression et protection, mais on a quand même une obligation de résultat sur la protection.
ELIZABETH MARTICHOUX
Une petite question un peu connexe, ce sont les modérateurs donc qui dans un premier temps, ou sinon des algorithmes, mais ça peut être aussi des opérateurs des plateformes qui vont procéder à cette suppression des contenus qui sont signalés…
CEDRIC O
Oui, dans un premier temps, ce sont des algorithmes, mais dans un second temps... quand c'est évident, les algorithmes enlèvent les contenus, et quand il y a un doute, c'est un opérateur qui intervient.
ELIZABETH MARTICHOUX
Il y a eu des reportages absolument édifiants sur la façon dont travaillent les modérateurs par exemple à Facebook aux Etats-Unis, des rythmes de travail épouvantables, 8.000 messages à scanner, ils ont 30 secondes par post pour réagir, une exposition permanente à ces contenus qui sont absolument épouvantables, certains en deviennent conspirationnistes, ça ne vous trouble pas, il n'y a pas un moyen... enfin, vous en avez parlé par exemple, je sais que vous avez vu le numéro 2 de Facebook, il n'y a pas longtemps, ce n'est quand même pas un sujet majeur, ça aussi ?
CEDRIC O
Alors, on en a parlé, il y a eu chez certains de vos confrères des reportages sur le centre de modération qui s'occupe des contenus européens où, je ne pense pas que les conditions de travail soient aussi problématiques que celle que vous évoquez aux Etats-Unis, notamment le centre de Barcelone, et d'ailleurs, ce sont des métiers qui ne sont pas si mal payés par ailleurs. Donc c'est assez ambivalent…
ELIZABETH MARTICHOUX
Ah bon, c'est-à-dire, qu'est-ce que vous appelez « pas si mal payés » ?
CEDRIC O
Eh bien, de l'ordre, de mémoire, mais ça reste à vérifier, je crois que c'était de l'ordre de 25 à 30.000 euros pour des gens qui sortaient à peine d'études…
ELIZABETH MARTICHOUX
Par an ?
CÉDRIC O
Par an, oui. Donc, c'est quand même des salaires assez confortables, ça pose des sujets effectivement de stress post-traumatique des contenus violents auxquels vous êtes exposé, mais quelque part, c'est une nécessité si on veut faire en sorte qu'il y ait un humain dans la boucle, c'est qu'il faut bien que quelqu'un le regarde, il faut accompagner, il faut vérifier les conditions de travail de ces personnes, mais il faut qu'il y ait un humain dans la boucle, c'est nécessaire pour protéger la liberté d'expression.
ELIZABETH MARTICHOUX
Cédric O, il nous reste quelques instants seulement, je voudrais dire un mot de la fracture numérique, on en a beaucoup parlé à l'occasion de la crise des gilets jaunes, parce qu'elle participe de la fracture territoriale, c'est vrai qu'on n'est pas égaux devant la possibilité d'avoir une conversation correcte au portable ou d'avoir une liaison Internet. Il y a encore combien de zones blanches en France ?
CEDRIC O
Alors, le nombre des zones blanches, je ne saurai pas vous dire, je sais vous dire qu'il y a treize millions de personnes qui n'utilisent quasiment pas Internet aujourd'hui, c'est-à-dire un Français sur cinq.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous en êtes où de la promesse du haut débit partout ?
CEDRIC O
On pense qu'on va le tenir à horizon 2020-2022, c'est-à-dire que d'ici 2022, chaque Français aura accès à une bonne connexion, c'est-ce qu'on a fait avec le deal avec les opérateurs et le plan très haut débit et ça se déploie bien.
ELIZABETH MARTICHOUX
Parce que c'est vrai qu'Emmanuel MACRON, après son élection, avait fixé un objectif intermédiaire pour 2020, n'importe quel citoyen devrait avoir accès au moins au haut débit, c'est un mirage a récemment dit l'UFC Que Choisir, c'est une promesse qui ne sera pas tenue.
CEDRIC O
Nous, on pense qu'on tiendra les engagements qui ont été pris, je me permets quand même de dire une chose, c'est qu'il ne suffit pas d'avoir Internet, parce que le problème aujourd'hui, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui ont Internet mais qui ne savent pas s'en servir ou sont très mal à l'aise avec le sujet, et donc, il y a un sujet à la fois de formation de ces personnes, et également de leur donner accès, pour celles qu'on ne pourra pas former, à quelqu'un qui les accompagnera à côté de chez eux, et c'est l'ensemble de ce qu'on fait sur les usages et la formation des Français à Internet.
ELIZABETH MARTICHOUX
Les Français vous connaissent peu, Cédric O, vous étiez auparavant conseiller à l'Elysée, plutôt dans l'ombre, là, maintenant vous êtes monté au gouvernement, vous étiez dans l'équipe des Strauss-Kahniens comme on dit, vous connaissez donc bien le coeur de la macronie, d'abord, vous êtes tenté par les municipales l'année prochaine ?
CEDRIC O
Non, aucunement, aucunement.
ELIZABETH MARTICHOUX
Non ?
CEDRIC O
Non, je pense que, moi, je viens d'être nommé ministre…
ELIZABETH MARTICHOUX
Le contact avec les électeurs, l'épreuve de l'élection…
CEDRIC O
Ça n'a absolument rien à voir avec ça. J'ai été nommé ministre il y a trois ans, le secrétaire d'Etat…
ELIZABETH MARTICHOUX
Ministre ?
CEDRIC O
Trois mois, pardon…
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça passe vite…
CEDRIC O
Il y a trois mois, pardon. Non, je me déplace énormément, je suis allé dans les Ardennes, donc je cherche le contact avec les Français, je pense que j'ai une mission extrêmement importante, le numérique, c'est aujourd'hui partout tout le temps dans nos vies, je me suis concentré sur ça et je n'ai pas d'ambitions municipales.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et Emmanuel MACRON, il doit s'impliquer dans les municipales ? Enfin, on a vu hier que c'était déjà fait à Marseille, mais est-ce que c'est important, est-ce que vous souhaitez que le président soit assez présent ?
CEDRIC O
Eh bien, il jugera ce qu'il doit faire, ce n'est pas à moi de décider à sa place.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et votre souhait ?
CEDRIC O
Il garde un oeil attentif sur la désignation, c'est certain.
ELIZABETH MARTICHOUX
Comme ces choses-là sont dites. Merci Cédric O d'avoir été ce matin sur RTL.
CEDRIC O
Merci beaucoup…
YVES CALVI
40 millions de Français sur Facebook, l'Etat doit aussi protéger ses citoyens en ligne vient de nous dire le secrétaire d'Etat au Numérique.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 juin 2019