Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à Radio Classique le 5 mars 2019, sur l'entreprise Renault, la politique économique au niveau européen et la taxation des géants de l'internet.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

RENAUD BLANC
Nous sommes en ligne avec Bruno LE MAIRE, le ministre de l'Economie et des Finances. Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE, MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES
Bonjour.

RENAUD BLANC
On va bien sûr parler de votre plan pour taxer les géants du numérique que vous présentez demain en conseil des ministres, de la tribune d'Emmanuel MACRON publiée dans 28 pays. Mais l'actualité de cette nuit, c'est au Japon : la mise en liberté sous caution de Carlos GHOSN, l'ancien PDG de NISSAN et RENAULT. Elle devrait, et on va rester prudent, elle devrait intervenir dans les heures qui viennent. Carlos GHOSN en prison depuis plus de 100 jours, votre réaction Bruno LE MAIRE ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne commente pas les décisions de justice. Carlos GHOSN est engagé dans une procédure judiciaire. Ce qui moi m'importe comme ministre de l'Economie, c'est que RENAULT se porte bien, c'est que l'alliance soit consolidée et le nouveau président de l'Alliance, Jean-Dominique SENARD, s'est engagée là-dedans, le nouveau président de RENAULT. Il est allé au Japon et a discuté avec nos partenaires japonais. Ma responsabilité, c'est de faire en sorte que l'Alliance soit consolidée et que RENAULT, qui est un des fleurons industriels français, se porte bien. Et aujourd'hui nous sommes dans la bonne direction. C'est l'essentiel à mes yeux.

RENAUD BLANC
Voilà. Carlos GHOSN présumé bien sûr innocent. On parle souvent d'un soutien du bout des lèvres du gouvernement face à Carlos GHOSN. Qu'est-ce que vous répondez Bruno LE MAIRE ?

BRUNO LE MAIRE
Je réponds que nous avons appliqué pendant toute cette affaire deux principes très simples : celui de la présomption d'innocence et celui de veiller sur les intérêts d'une des grandes entreprises françaises qui est RENAULT. A un moment donné, j'ai toujours dit que si Carlos GHOSN devait être durablement empêché, il fallait le remplacer à la tête de RENAULT, c'est ce que nous avons fait. Il y a un principe qui est la présomption d'innocence. Nous l'avons appliqué tout au long de cette période. C'est ce qui m'a amené à ne jamais commenter la procédure judiciaire. Je ne la commente pas plus ce matin. Je ne commenterai aucun des rebondissements judiciaires. Il y a une présomption d'innocence, il y a une justice qui est à l'oeuvre. Ma responsabilité de ministre de l'Economie n'est pas de faire des commentaires de justice, c'est de m'assurer que RENAULT se porte bien et que l'Alliance soit consolidée.

RENAUD BLANC
Mais vous connaissez Carlos GHOSN. Humainement, c'est plutôt une bonne nouvelle que cet homme puisse retrouver une certaine liberté sous caution encore une fois.

BRUNO LE MAIRE
Mais l'aspect humain, bien entendu. Bien entendu que le fait qu'il puisse retrouver la liberté, qu'il puisse se défendre mieux, tout le monde ne peut qu'être satisfait du point de vue humain, mais ce n'est pas le sujet. Aujourd'hui le sujet, c'est l'avenir de RENAULT et la consolidation de cette entreprise.

RENAUD BLANC
Alors on passe à la tribune d'Emmanuel MACRON publiée dans 28 pays d'Europe, Bruno LE MAIRE, « pour une renaissance européenne ». Le chef de l'Etat se prononce pour une préférence européenne. En fait, vous ne voulez plus revivre la fusion avortée SIEMENS-ALSTOM en quelque sorte.

BRUNO LE MAIRE
Ce que je veux revivre surtout, c'est une Europe, et le président de la République le dit parfaitement dans cette tribune, c'est une Europe qui soit capable de défendre ses intérêts. Capable de défendre ses intérêts économiques en utilisant des armes qui sont celles de la Chine ou des Etats-Unis. Et je pense que cette tribune, elle place la campagne européenne au bon niveau des enjeux qui sont ceux du XXIème siècle pour l'Europe. Est-ce que face à la Chine et face aux Etats-Unis nous voulons une Europe qui affirme son identité et qui défend ses intérêts ? En matière industrielle, on s'est privé par exemple pendant des années de toute idée d'être publique en disant : c'est absolument inacceptable d'avoir des aides publiques pour développer des filières industrielles. Bien, il n'est pas envisageable d'avoir des aides publiques pour aider au démarrage de filières industrielles. C'est ce que nous faisons aujourd'hui avec Peter ALTMAIER sur les filières de la batterie, mon homologue allemand, et c'est ce qui peut être fait dans d'autres filières. Il n'est pas inenvisageable de dire : « Ce produit a été réalisé en Allemagne, en France, en Italie ou en Pologne. On doit le préférer, même s'il est légèrement plus cher, à un produit qui a été réalisé en dehors des frontières européennes. » C'est ce que le Président de la République appelle la préférence européenne et j'y suis évidemment favorable parce que ça permet de défendre nos intérêts, nos emplois et nos industries. Il n'est pas inenvisageable de dire : « Le droit de la concurrence doit être révisé parce qu'il faut que nous puissions réaliser des champions industriels de la taille de ceux qui existent aux Etats-Unis et en Chine. » C'est ça les enjeux qui sont devant nous et je trouve que la tribune du Président de la République a l'immense mérite de rappeler que dans quelques semaines, c'est ce que nous allons décider avec les élections européennes. Qu'est-ce que nous voulons être comme continent au XXIème siècle.

RENAUD BLANC
Alors Emmanuel MACRON souhaite une supervision européenne des plateformes Internet, ce qui nous amène à votre plan pour taxer les géants du numérique. Sur cette question des GAFA, la France est plutôt isolée en Europe.

BRUNO LE MAIRE
Non. Parce qu'on va vous répondre tout simplement non. Il y a 23 Etats sur 27 qui soutiennent la proposition européenne. La France a lancé il y a maintenant près de deux ans l'idée d'une taxation des géants du numérique. Vous auriez pu faire cette remarque il y a deux ans mais aujourd'hui c'est faux. Aujourd'hui, vous avez 23 Etats sur 27 qui soutiennent cette idée. Alors les décisions fiscales se prennent à l'unanimité, donc quatre Etats peuvent bloquer une décision européenne. C'est le cas de l'Irlande, de la Suède, du Danemark et de la Finlande. Mais l'immense majorité des Etats européens sont aujourd'hui favorables à cette taxation numérique et certains la mettent aussi en place au niveau national comme nous. C'est le cas de la Grande-Bretagne, c'est le cas de l'Italie, de l'Espagne ou de l'Autriche.

RENAUD BLANC
Concrètement Bruno LE MAIRE, concrètement qui va payer la taxe que vous souhaitez mettre en place ?

BRUNO LE MAIRE
Tous ceux qui ont un chiffre d'affaires supérieur à 750 millions d'euros au niveau mondial et 25 millions d'euros au niveau national. C'est-à-dire que ce sont les plus grandes entreprises du numérique qui vont payer, celles qui aujourd'hui, je le rappelle, payent 14 points d'impôts en moins que n'importe quelle entreprise, n'importe quelle PME française. C'est une injustice inacceptable. Ces 14 point, ce n'est pas moi qui les mets sur la table, c'est la Commission européenne qui a évalué que le niveau moyen de taxation des géants du numérique était 14 points inférieur à celui des autres entreprises européennes. C'est injuste et, en plus, c'est totalement inefficace si on veut arriver à financer correctement demain nos écoles, nos crèches, nos hôpitaux. Il n'y a pas d'unanimité européenne, bien nous allons avancer au niveau national. Ce sera la proposition du projet de loi que je présenterai demain en conseil des ministres pour dire : la France s'engage, la France veut une décision juste et efficace des géants du numérique. Elle le fait au niveau national européen mais nous n'abandonnons pas le combat européen et nous n'abandonnons pas le combat mondial. Lorsque nous serons avec mes homologues ministres des Finances dans quelques jours, je proposerai que nous ayons une position européenne commune à défendre au sein de l'OCDE pour qu'il y ait très rapidement une taxation internationale des géants du numérique.

RENAUD BLANC
Bruno LE MAIRE, une dernière question, il nous reste quelques secondes. FORD, vous réclamez 20 millions d'euros. Vous attendiez une réponse de la part de FORD. Où en est-on ?

BRUNO LE MAIRE
Nous avançons et j'ai bon espoir d'avoir une réponse positive de FORD. J'ai dit que FORD devait payer. FORD paiera pour son départ. FORD a refusé d'avoir une reprise par PUNCH, l'entreprise qui fabrique des boîtes de vitesses et qui aurait pu maintenir l'activité industrielle sur le site. FORD doit maintenant payer ce qu'elle doit aux salariés, au site et au territoire.

RENAUD BLANC
Merci Bruno LE MAIRE d'avoir choisi Radio Classique ce matin pour vous exprimer.

BRUNO LE MAIRE
Merci à vous.

RENAUD BLANC
Bruno LE MAIRE, le ministre de l'Economie et des Finances.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 mars 2019