Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, à RMC le 6 mars 2019, sur l'attaque de surveillants de prison par un détenu radicalisé, les terroristes islamistes et le retour de jihadistes en France.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Nicole BELLOUBET.

NICOLE BELLOUBET
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci d'être avec nous, vous êtes la ministre de la Justice. Deux surveillants violemment attaqués hier à coups de couteau par un prisonnier et sa compagne, à la prison de Condé-sur-Sarthe. Comment un détenu, condamné à 30 ans de prison pour un crime sordide, converti à l'islam en prison, radicalisé, recondamné pour apologie du terrorisme, pouvait passer des week-ends avec sa compagne, dans des unités de vie familiale ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, d'abord il faut savoir que ce détenu qui a été comme vous le disiez condamné pour un crime de droit commun, puisqu'il avait séquestré et assassiné une personne, il a donc été condamné pour 30 années de prison, de réclusion, donc c'est du droit commun. Il était dans l'une des prisons les plus sécuritaires de France…

APOLLINE DE MALHERBE
Condé-sur-Sarthe.

NICOLE BELLOUBET
Condé-sur-Sarthe, avec Vendin-le-Vieil, sont les deux prisons les plus sécuritaires. Donc il était vraiment traité dans un établissement qui prend en charge des profils lourds. Lorsque vous avez un détenu de droit commun, qui est condamné sur un temps très long, ces personnes-là ont la possibilité de rencontrer, à intervalles réguliers, certaines personnes, évidemment, de leur famille.

APOLLINE DE MALHERBE
Sauf qu'entre temps, je vous demande pardon, il a été recondamné, il a été condamné pour apologie du terrorisme.

NICOLE BELLOUBET
Il a été condamné pour un an de prison, un an pour apologie de terrorisme. Ce que constataient les surveillants pénitentiaires, et son comportement en détention, révélait quelqu'un qui certes était radicalisé, qui certes faisait la prière, mais ce n'était pas, apparemment, apparemment quelqu'un qui avait un comportement violent. Et donc c'est la raison pour laquelle…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais je vous demande pardon, quand un prisonnier demande aux autres prisonniers, comme il l'a fait, de rejouer la scène du Bataclan, comme si c'était une scène sympathique…

NICOLE BELLOUBET
Ça, c'est la raison pour laquelle il a été condamné à un an de prison. Depuis, il était incarcéré, il était je crois à Strasbourg à l'époque, depuis il a été incarcéré dans cet établissement extrêmement sécuritaire.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc tout va bien.

NICOLE BELLOUBET
Non…

APOLLINE DE MALHERBE
Tout est normal.

NICOLE BELLOUBET
Non, je n'ai pas dit que tout allait bien madame de MALHERBE, je trouve au contraire que nous avons vécu un événement qui est un événement à la fois, il est le produit d'une lâcheté incroyable, et c'est une attaque terroriste, et d'autre part, nous avons évidemment, et c'est ce que j'ai fait, demandé qu'une inspection ait lieu, pour mesurer à quel endroit il y a des choses qui nous ont échappées. Je m'interroge notamment, sur le fait que sa compagne ait pu entrer en détention et qu'elle n'ait pas fait l'objet d'une fouille.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous l'avez dit hier, le couteau en céramique qui est donc l'arme du crime, aurait pu être amené par sa compagne, elle était entièrement voilée, elle a dit être enceinte, elle n'a donc pas été fouillée. Comment c'est possible ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, il faut savoir que toutes les personnes qui rentrent en détention, passent sous un portique métallique…

APOLLINE DE MALHERBE
Qui ne détecte pas ce genre de…

NICOLE BELLOUBET
Qui ne détecte pas ce genre d'objet. Si ce portique sonne, les personnes doivent enlever les objets métalliques, jusqu'à ce que le portique ne sonne plus. S'il continue à sonner, les personnes peuvent faire l'objet d'une fouille. Si elles ne souhaitent pas faire l'objet d'une fouille, elles ne rentrent pas en détention.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais ça va changer ça.

NICOLE BELLOUBET
Là, la question…

APOLLINE DE MALHERBE
Ou vous allez laisser ça comme ça ?

NICOLE BELLOUBET
Mais non madame, mais non. Comment pouvez-vous penser que je vais laisser ça comme ça ? Si j'ai demandé une inspection, c'est précisément pour voir à chaque moment où sont les failles de notre système, et pour prendre les mesures qui s'imposent. Il ne me semble pas pensable, il ne me semble pas pensable que l'on puisse entrer en détention avec des objets qui ne puissent pas être détectés.

APOLLINE DE MALHERBE
Il y aura donc fouille systématique ?

NICOLE BELLOUBET
Je ne peux pas le dire là, je vais attendre que l'Inspection me rende son travail.

APOLLINE DE MALHERBE
Avez-vous les moyens d'imposer la fouille systématique ?

NICOLE BELLOUBET
Je vous le dis…

APOLLINE DE MALHERBE
Les moyens légaux, les moyens en termes de principe.

NICOLE BELLOUBET
Je vous le dis à l'instant, on peut parfaitement exiger qu'il y ait une fouille, et si la personne s'y refuse, elle ne rentre pas en prison. Ce n'est pas contraignant, on peut parfaitement l'exiger, mais il faut expertiser ce problème-là.

APOLLINE DE MALHERBE
Je vous repose la question, malgré tout, de l'unité de vie familiale, vous disiez, à partir du moment où officiellement c'est un détenu de droit commun, il y a droit, là encore, vous pouvez comprendre la stupeur lorsque l'on découvre que face à la fermeté ambiante vis-à-vis des radicalisés, on se rende compte de la réalité de la vie en prison pour un radicalisé.

NICOLE BELLOUBET
La réalité de la vie en prison pour un radicalisé qui a été évalué comme tel, puisque je vous le rappelle, nous avons en détention actuellement 500 terroristes islamistes et 1 200 détenus radicalisé. Ces personnes-là font l'objet d'une évaluation, nous avons commencé ce dispositif l'année dernière, nous avons quasiment terminé l'évaluation des détenus radicalisés, ça c'est une nouveauté. Lorsque j'entendais certains responsables syndicaux dire que nous n'avons rien fait, ce n'est pas exact. Nous évaluons les détenus radicalisés, et nous... maintenant nous allons commencer à évaluer…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais visiblement, pas suffisamment.

NICOLE BELLOUBET
Parce que nous avons commencé l'année dernière, nous sommes en quelque sorte dans une période intermédiaire, et l'ensemble des détenus radicalisés, les 1 200 vont faire l'objet d'une évaluation et d'un placement qui sera adapté.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais on va dire les choses franchement, Nicole BELLOUBET, est-ce que vous n'avez pas sous-estimé le problème de la radicalisation en France, dans les prisons ?

NICOLE BELLOUBET
Je n'ai pas le sentiment que nous l'ayons sous-estimé, nous le prenons à bras-le-corps, manifestement il y a encore des failles, et je suis là pour y remédier, mais nous ne l'avons pas sous-estimé, puisque les mesures que je viens d'évoquer devant vous, c'est-à-dire la radicalisation, le placement dans des quartiers étanches qui ont été créés depuis l'année dernière, les équipements…

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'on sait déradicaliser ?

NICOLE BELLOUBET
Je crois qu'il y a, parmi les personnes qui gèrent les détenus radicalisés, dans les quartiers de prévention de la radicalisation, il y a des expériences qui sont très positives, et c'est cela que nous comptons déployer. Mais…

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce vous avez les moyens de faire face…

NICOLE BELLOUBET
Pardonnez-moi, il n'y a pas que des processus de désengagement de la violence, nous avons aussi la capacité de mettre des personnes à l'isolement.

APOLLINE DE MALHERBE
Nicole BELLOUBET, est-ce que vous avez les moyens de faire face et d'accueillir les djihadistes de retour ?

NICOLE BELLOUBET
Il n'est pas question de ça.

APOLLINE DE MALHERBE
Malgré tout, vous pensez bien qu'on puisse faire le rapprochement, on se dit, s'il n'y a plus de sécurité dans les prisons, comment pouvez-vous faire face ?

NICOLE BELLOUBET
S'il n'y a plus de ?

APOLLINE DE MALHERBE
De sécurité au sein même des prisons.

NICOLE BELLOUBET
Non, pardonnez-moi, mais je ne peux pas vous laisser dire ça. On a eu hier cette lâche attaque terroriste et là, ça, ça n'est pas acceptable, ça nous a tous bouleversés, mais je ne peux pas vous laisser dire qu'il n'y a pas de sécurité dans les prisons. A Vendin-le-Vieil il y a une vraie sécurité, à Condé il y a une vraie sécurité. S'il y a des choses à améliorer, nous allons les améliorer, les prendre en charge.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous pouvez faire face à l'accueil des djihadistes de retour ?

NICOLE BELLOUBET
Deux réponses. D'abord il n'est pas question d'accueillir les personnes qui sont de retour de Syrie, hormis des personnes qui reviendraient, au cas par cas, comme c'est déjà le cas depuis quelque temps, et qui sont accueillis, et qui sont suivis, traité par le renseignement pénitentiaire, par les mesures que j'ai évoquées tout à l'heure, il n'est pas question d'une autre politique pour la France.

APOLLINE DE MALHERBE
Les surveillants de prison sont en mouvement social aujourd'hui, certains demandent notamment de pouvoir avoir des tasers. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette idée ?

NICOLE BELLOUBET
Jusqu'à présent, nous avons progressé dans l'armement des équipes de surveillance pénitentiaire, par exemple lorsqu'une personne est conduite à l'hôpital, les surveillants qui l'accompagnent sont armés. Par exemple lorsqu'il y a des rondes autour des établissements pénitentiaires, ils sont armés.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'il faut aller plus loin ?

NICOLE BELLOUBET
La question qui se pose, c'est de savoir si on peut armer des gens à l'intérieur d'un établissement fermé, c'est une question à laquelle jusqu'à présent j'ai apporté une réponse négative, considérant que cela pouvait se retourner contre les surveillants eux-mêmes, c'est une question dont on peut parler évidemment.

APOLLINE DE MALHERBE
Et vous êtes davantage ouverte aujourd'hui sur cette question-là et sur une réponse éventuellement positive.

NICOLE BELLOUBET
Je suis ouverte à la réflexion, en prenant tous les éléments de la réflexion. Merci beaucoup Nicole BELLOUBET d'avoir été sur RMC ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 mars 2019