Texte intégral
Bonjour à tous.
Je suis très heureux de venir vous présenter ce matin le projet de loi relatif à la taxation des grandes entreprises du numérique, que je présenterai dans quelques instants en Conseil des ministres.
Vous le savez tous, nous sommes à un moment de transformation historique de nos économies. Nous vivons des bouleversements technologiques qui ont fait disparaître l'économie du XXe siècle et fait apparaître une économie du XXIe siècle, fondée sur la valeur des données, à laquelle nous ne sommes pas encore adaptés, notamment du point de vue de la fiscalité.
Cette économie est évidemment pleine de promesses : des gains de productivité, de la transparence pour protéger les consommateurs, des innovations de rupture qui vont apporter plus de prospérité, plus de facilité dans la vie quotidienne, plus de croissance pour nos entreprises et pour nos Etats.
Et cette économie a vu apparaître des géants du numérique qui ont changé nos modes de vie et nos manières de consommer. Ces géants ont créé des dizaines de milliers d'emplois, ils ont créé de la croissance, de la valeur pour les économies mondiales. Le signe le plus évident de cette valeur, c'est leur capitalisation boursière qui atteint plusieurs centaines de milliards de dollars, soit le même niveau que la richesse de nombreux États de la planète.
Jamais nous ne reprocherons aux géants du numérique leur succès. Et je reste convaincu que nous devons lever tous les obstacles nationaux et européens pour nous permettre de créer nos propres champions de niveau mondial. Il faut notamment lever les obstacles financiers. C'est l'objectif du projet de loi qui est en cours d'examen à l'Assemblée nationale sur la croissance et la transformation des entreprises, qui simplifie et facilite le financement de nos entreprises, pour qu'elles se financent en fonds propres. C'est l'objectif des débats que nous avons ouverts sur le développement du capital-risque à l'échelle européenne et sur le développement d'un marché unique des capitaux, qui est absolument essentiel pour permettre aux entreprises européennes d'atteindre la taille mondiale. Je reste donc totalement déterminé à lever tous les obstacles financiers pour permettre à l'économie européenne d'atteindre la taille de l'économie chinoise ou de l'économie américaine dans le domaine du digital.
Mais nous devons aussi agir contre les effets pervers du développement de ces géants du numérique. Un cadre réglementaire et fiscal leur a permis de croître sans aucune limite et sans aucun contrôle. Et le président de la République vient de le rappeler dans le texte qu'il a adressé aux citoyens européens : il est temps maintenant de définir ce cadre réglementaire qui fixe des limites aux pratiques de ces géants du numérique. Certaines de ces entreprises ont déjoué les règles de la concurrence, se retrouvent dans une position dominante et pratiquent des comportements illégaux. Elles se sont également affranchies de payer toute contribution au service public étranger dont elles bénéficient ici en France ou à l'étranger.
Nous avons commencé à répondre à ces abus aussi bien au niveau national avec la DGCCRF qu'au niveau européen avec la Commission européenne. Je crois que ces sanctions prouvent que nous sommes en train de créer les règles de l'économie du XXIe siècle. Nous ne faisons que commencer, il faut poursuivre une fois encore, c'est le sens du message adressé par le président de la République.
Aujourd'hui, nous franchissons une nouvelle étape et nous voulons avec cette taxation des géants du numérique inventer la fiscalité du XXIe siècle, car c'est bien le défi qui est devant nous. Et le projet de loi que je vais déposer ce matin en Conseil des ministres n'est que la première étape dans la définition de cette fiscalité du XXIe siècle sur laquelle tout le monde s'entend à dire qu'il est temps maintenant de nous retrousser les manches, de nous y mettre et d'avancer concrètement.
C'est d'abord une question de justice. Personne ne peut accepter que les plus grandes entreprises du numérique au monde payent 14 points d'impôt de moins que les autres entreprises en Europe et ailleurs. Et ces 14 points, dont je vois que certains les contestent, sont une analyse de la Commission européenne. Ce sont les chiffres de la Commission européenne.
C'est aussi une question de justice pour nos concitoyens. Je rappelle que ces géants du numérique utilisent nos données personnelles, utilisent vos données personnelles, font des bénéfices considérables grâce aux millions ou milliards de données qu'ils utilisent, dégagent des bénéfices importants et les rapatrient ensuite ailleurs sans payer leur juste part d'impôt sur vos propres données, nos propres données de consommateurs.
Enfin, c'est une question d'efficacité pour nos finances publiques. Si nous voulons continuer à financer nos services publics, nos crèches, nos hôpitaux, nos écoles, nos collèges, il faut taxer la valeur là où elle se crée. Toujours plus de marge et toujours moins de taxes, c'est tout simplement impossible. Cela ne mène nulle part et cela nous empêchera d'avoir un système fiscal qui soit efficace.
C'est pourquoi nous créons cette taxation des plus grandes entreprises numériques au niveau national.
Cette taxe est simple, ciblée, efficace.
Elle est simple puisqu'elle aura un taux unique : 3 % sur le chiffre d'affaires numérique réalisé en France. C'est exactement la même base que le projet que nous portons à l'échelle de l'Union européenne.
Elle est ciblée puisqu'elle ne touchera que les plus grandes entreprises du numérique avec 2 seuils cumulatifs : 750 millions d'euros de chiffre d'affaires sur les activités numériques dans le monde et 25 millions d'euros de chiffre d'affaires réalisé en France. L'objectif de ces seuils est très clair : nous ne voulons pas freiner l'innovation de nos start-up ni freiner la digitalisation de nos PME.
Cette taxe nationale visera les 3 types d'activités numériques qui génèrent le plus de valeur.
Le premier type d'activité, c'est la publicité ciblée en ligne. Ce sont des prestations qui permettent à des annonceurs de placer un message publicitaire ou un lien commercial sur une page internet en fonction des données individuelles de chacun des consommateurs. Cela permet donc à la publicité d'avoir la plus grande efficacité en visant spécifiquement les modes de consommation du consommateur.
La deuxième activité qui sera touchée, c'est la vente de données à des fins publicitaires.
Enfin la troisième activité, c'est la mise en relation des internautes par les plateformes, car la création de valeur sur ces plateformes résulte de données qui sont apportées par les utilisateurs. Plus il y a d'utilisateurs qui offrent des prestations diverses, plus la valeur de marché de la plateforme est importante.
En revanche, je tiens à bien faire la différence entre cette taxation de la mise en relation des internautes par les plateformes et la mise en ligne d'un certain nombre de produits qui, elle, ne sera pas touchée. Si une entreprise comme Darty met par exemple des machines à laver ou des téléviseurs sur son site Internet, cette utilisation d'une place de marché ne sera pas taxée puisque ce sont les propres biens de l'entreprise et ses propres produits. Lorsqu'Amazon met sur son site des produits qui lui appartiennent, là aussi il n'y a pas de taxation. Par contre, si cette entreprise facilite une transaction en mettant en relation un vendeur et un acheteur, là, la transaction sera taxée.
Enfin cette taxation sera efficace puisque la taxe atteindra rapidement les 500 millions d'euros de rendement et que nous pouvons prévoir une augmentation rapide de son rendement avec le développement de l'activité digitale.
Cette taxe nationale ne limite absolument pas notre volonté d'atteindre une solution internationale car j'ai bien conscience que redéfinir les règles fiscales ne peut se faire qu'à l'échelle internationale, qui est la seule échelle pertinente.
Je constate cependant que depuis 2 ans, la France a fait bouger les lignes. Sans la mobilisation de la France sur la taxation du numérique, la taxation du numérique à l'échelle internationale en serait au point mort. S'il y a eu autant de progrès enregistrés depuis maintenant 2 ans, c'est que la France s'est mobilisée.
La France s'est mobilisée au niveau européen. Il y a 2 ans, quand nous avons proposé cette taxation du numérique, nous étions seuls. Trois mois plus tard, en juillet 2017, nous avons écrit une lettre conjointe avec l'Allemagne, avec la Grande-Bretagne, avec l'Italie et avec l'Espagne. Au Conseil informel de Tallinn, nous avons ensuite réussi à convaincre 19 États. La Commission européenne sur la base de cette demande des 19 Etats a déposé un projet de directive. Puis d'autres Etats nous ont rejoints.
Au bout du compte, à l'heure où je vous parle, 18 mois plus tard, ce sont 23 Etats sur 27 en Europe qui soutiennent la taxation des activités numériques. 23, ce n'est pas 27. Ce n'est donc pas l'unanimité, qui est requise pour obtenir une taxation du numérique à l'échelle européenne. Je ne m'attends donc pas à un accord au prochain Conseil des ministres des Finances, le 12 mars à Bruxelles.
J'en tire deux conclusions.
La première, c'est qu'il faut poursuivre cette mobilisation européenne. L'Irlande, la Suède, le Danemark et la Finlande ne doivent pas empêcher les 23 autres Etats de l'Union européenne d'avancer. Et je proposerai la semaine prochaine à tous mes partenaires européens de définir une position européenne conjointe à défendre à l'OCDE. Pour que, si nous n'arrivons pas au niveau européen à avoir cette taxation digitale, nous puissions l'avoir d'ici la fin de l'année 2019 à l'échelle de l'OCDE.
La deuxième conclusion que j'en tire, c'est qu'il est temps de passer à la majorité qualifiée pour adopter les décisions en matière fiscale. Car s'il y avait la règle de la majorité qualifiée sur les décisions fiscales en Europe, l'Europe aurait déjà décidé au lieu de discuter. Et je préfère une Europe qui décide à une Europe qui discute.
Nous devons maintenant avancer au niveau de l'OCDE. Et il y a de ce point de vue-là un changement majeur depuis la semaine dernière. Le secrétaire américain au Trésor en visite à Paris a dit publiquement que les Etats-Unis soutenaient désormais l'adoption d'une taxation sur les activités digitales au niveau de l'OCDE. C'est un changement majeur. Et lors de mon récent déplacement à Dublin, l'Irlande a également annoncé que si elle n'était pas prête à adopter la directive européenne maintenant, elle souhaitait travailler avec nous à cette solution sur la taxation du digital au niveau de l'OCDE. Il y a donc beaucoup de verrous qui sont désormais levés et qui ouvrent la voie à une accélération des travaux au niveau de l'OCDE. Et je le redis : cette accélération des travaux, nous la devons à la France et à sa détermination à faire avancer le sujet.
Voilà les quelques éléments que je voulais vous présenter aujourd'hui.
Je vais vous dire pour terminer quelques convictions.
La première : c'est toujours lorsque la France montre sa volonté que les lignes bougent et que les choses avancent. J'entends les critiques des uns ou des autres sur la taxation nationale. Mais cette taxation française a fait bouger les lignes, elle a ouvert une voie. Et par ailleurs, cette taxation nationale a vocation à être remplacée le moment venu par une taxation internationale, car cela reste notre objectif avec le président de la République : obtenir un accord international à l'OCDE sur la taxation du digital.
Ma deuxième conviction c'est que le combat pour la fiscalité du XXIe siècle ne fait que commencer. Ce combat considérable repose sur deux questions très simples. D'abord : où se crée la valeur et comment la taxer ? C'est tout le sujet de la fiscalité du digital sur laquelle la France avance avec d'autres pays européens et veut accélérer les travaux au niveau de l'OCDE. La deuxième question fondamentale qui préoccupe nombre de nos compatriotes, c'est : comment éviter le dumping fiscal ? Comment éviter cette course vers le moins disant fiscal qui ne mènera nulle part, sinon à l'appauvrissement de toutes nos nations, l'incapacité à financer des services publics et l'incapacité à financer la solidarité. Car derrière ces questions fiscales, il y a ce choix entre compétition toujours plus forte au niveau européen ou solidarité. Eh bien, je préfère la solidarité et comme vous le savez, nous plaçons avec le président de la République, la définition d'un taux minimal pour l'impôt sur les sociétés comme la première des priorités du G7 Finance. Là encore, c'est une bonne nouvelle que de savoir que les Etats-Unis pour la première fois la semaine dernière ont annoncé leur soutien à cette idée d'impôt minimal sur les sociétés. C'est là encore une étape supplémentaire et un pas en avant supplémentaire vers cette fiscalité du XXIe siècle qui est devenue désormais impérativement nécessaire.
Je vous remercie.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 13 mars 2019