Texte intégral
MATTHIEU BELLIARD
Votre invitée, Sonia, c'est la ministre des Outre-mer, Annick GIRARDIN qui revient tout juste de Mayotte le 101ème département français.
SONIA MABROUK
Bonjour Annick GIRARDIN.
ANNICK GIRARDIN
Bonjour.
SONIA MABROUK
De retour donc d'un département soumis à une très forte pression migratoire avec 48% des étrangers à moitié clandestins au sein de sa population. Mayotte est un département français …
ANNICK GIRARDIN
Oui, bien sûr !
SONIA MABROUK
Mais oublié, délaissé ?
ANNICK GIRARDIN
Mayotte est un département français qui a été trop longtemps oublié ; c'est pour ça que le gouvernement s'est mobilisé, c'est pour ça qu'on a signé un contrat de convergence et de transformation pour les 4 années à venir. Avec les fonds européens, on est sur un montant de 2 milliards d'accompagnement pour les quatre ans qui viennent, un vrai espoir enfin à Mayotte. Mais la question effectivement de l'immigration reste prégnante et il fallait apporter une réponse de bon niveau. Le président de la République publique a voulu une opération forte, civilo-militaire ; c'est ce que je viens d'aller présenter à Mayotte.
SONIA MABROUK
Mais votre plan de lutte contre l'immigration clandestine sans surprise a été immédiatement dénoncé par Marine LE PEN, la présidente du Rassemblement national fustige l'indigence, Annick GIRARDIN, de votre dispositif qui témoigne, selon elle, selon elle, de l'indifférence d'Emmanuel MACRON à l'égard de ces départements, de nos départements.
ANNICK GIRARDIN
Ecoutez, Marine LE PEN fait des déclarations sans bien connaître les choses, je pense que effectivement, elle peut peut-être prendre quelques cours dans l'école de sa nièce puisqu'elle devrait savoir que, grâce au sénateur THANI, nous avons adapté la question du droit du sol à Mayotte, peut-être les auditeurs ne le savent pas, que les Français ne le savent pas suffisamment mais une parlementaire devrait le savoir. A Mayotte pour avoir effectivement, pour être Français, il faut être né à Mayotte bien sûr mais il faut être né de parents qui sont en situation régulière depuis au moins trois mois. Donc cette idée de femmes qui viennent accoucher pour le droit du sol à Mayotte, eh bien, ce n'est pas le cas.
SONIA MABROUK
Mais Annick GIRARDIN, Mayotte reste quand même la première maternité de France, 70% des femmes qui accouchent sont clandestines. Ça, c'est une réalité, un fait.
ANNICK GIRARDIN
Vous, moi ou madame Marine LE PEN si elle devait accoucher aux Comores, eh bien, je peux vous dire qu'on prendrait le kwassa-kwassa pour aller accoucher à Mayotte parce que les Comores, c'est l'un des plus pauvres pays du monde et les conditions sanitaires sont catastrophiques. C'est faux de penser qu'on vient à Mayotte que pour le droit du sol. Vous savez quand je suis devenue ministre, j'avais dit avec le président de la République : on n'a pas de tabou. Et sur la question du droit du sol parce qu'il faut répondre aux spécificités d'outre-mer, on peut en parler. C'est aujourd'hui une très grande avancée pour Mayotte. Mais il faut aussi qu'on travaille avec les Comores pour que les kwassa-kwassa ne partent pas.
SONIA MABROUK
Mais madame la ministre, on n'est pas en train de condamner ces femmes évidemment, on peut comprendre mais lorsque les Mahorais vous disent – et j'imagine qu'ils vous l'ont dit, ceux que vous avez rencontrés sur place – « on ne se sent plus chez nous, on ne se sent plus chez nous », est-ce que vous les comprenez ? Je suis sûre que vous avez entendu cette phrase, on l'entend dans nos reportages.
ANNICK GIRARDIN
Mais tout à fait.
SONIA MABROUK
Qu'est-ce que vous leur répondez ?
ANNICK GIRARDIN
L'objectif du gouvernement, c'est de rendre Mayotte …
SONIA MABROUK
Qu'est-ce qu'un représentant du gouvernement leur répond ?
ANNICK GIRARDIN
C'est de rendre Mayotte aux Mahorais mais je ne peux le faire …
SONIA MABROUK
Ca, c'est des belles paroles !
ANNICK GIRARDIN
Non, je le fais et je le fais avec eux. Je le fais parce que je mets aujourd'hui en place un plan de développement qui permettra à Mayotte de décoller économiquement ; je le fais parce qu'on signe un accord avec les Comores pour leur demander de prendre leurs responsabilités mais en contrepartie et donc de faire en sorte de lutter avec nous contre l'immigration clandestine mais en contrepartie, on apporte 150 millions pour régler les questions notamment sanitaires et de développement des Comores. Ensuite, il n'y a jamais eu un plan aussi important en moyens humains et en moyens matériels en mer comme à terre pour lutter contre l'immigration clandestine, mais pourquoi j'ai besoin des Mahoraises et des Mahorais et de tous les résidents de Mayotte ? C'est qu'il y a aussi à Mayotte, comme partout, des gens qui exploitent cette pauvreté et donc nous luttons aussi en même temps en mettant des moyens judiciaires contre … et bien sûr, tout ce qui est emplois …
SONIA MABROUK
Annick GIRARDIN, vous …
ANNICK GIRARDIN
…illégaux, hébergements illégaux ou logements illégaux et il faut le faire tous ensemble.
SONIA MABROUK
C'est un plan contre l'explosion de l'immigration.
ANNICK GIRARDIN
Eh bien, allez à Mayotte et cherchez des critiques, à part madame LE PEN qui a besoin d'avoir effectivement son lot de voix !
SONIA MABROUK
C'est un plan contre l'explosion de l'immigration, il y a aussi l'insécurité galopante, l'absence d'eau courante pour un habitant sur 3, un habitant sur 3 ! On est vraiment encore en France, la France, 5e ou 6e puissance mondiale ? !
ANNICK GIRARDIN
Mais tout à fait. Quand j'ai dit, moi, dans l'hémicycle que ça fait 30 ans qu'on avait oublié Mayotte, eh bien, je peux vous dire que depuis deux ans, je n'oublie pas Mayotte, j'en suis à mon cinquième déplacement dans des conditions quelquefois difficiles mais je dois être aux côtés des Mahoraises et des Mahorais …
SONIA MABROUK
Vous avez été bousculée …Un petit peu …
ANNICK GIRARDIN
Oui, c'est comme ça.
SONIA MABROUK
Oui, secouée qu'on vous raconte certaines choses.
ANNICK GIRARDIN
Oui mais si vous vivez à Mayotte, vous seriez aussi très fâchée et donc cette colère je la comprends mais cette colère, j'y réponds.
SONIA MABROUK
Vous savez, on peut ne pas vivre à Mayotte et comprendre évidemment ce qu'ils vivent, c'est la France !
ANNICK GIRARDIN
Oui, tout à fait et c'est ça qui est bien aussi dans ce type d'émission, c'est qu'on puisse parler à tous les Français de tous les territoires d'outre-mer. La France, elle est monde et ça c'est important de le rappeler.
SONIA MABROUK
C'est pour ça qu'on a insisté pour que vous soyez là ce matin.
ANNICK GIRARDIN
Tout à fait, merci et juste de dire que c'est la première fois depuis deux ans que je sens sur le territoire un espoir. L'Etat a mis un plan signé avec le département, avec les élus. Les associations sont motivées, les entreprises ont envie d'avancer, c'est la première fois qu'on entrevoit une possibilité de développer Mayotte …
SONIA MABROUK
Annick GIRARDIN, on va juger ça à l'épreuve des faits.
ANNICK GIRARDIN
…parce que tous les autres ont dit : on n'y pourra rien.
SONIA MABROUK
La Guyane maintenant, la Guyane qui a été dans l'actualité ces derniers jours puisque la forêt amazonienne s'étend aussi sur la Guyane. Comment les Guyanais ont réagi et réagissent encore à ces immenses feux en ce moment ?
ANNICK GIRARDIN
Vous savez, les Guyanais sont très préoccupés par ces sujets, d'abord leur voisin, c'est l'Amazonie, partagent effectivement cette forêt, la France, je le rappelle, je l'ai rappelé au président brésilien et elle est partie prenante de cette question, comme d'ailleurs ça ne devrait pas se limiter aux pays qui ont cette forêt ou qui gèrent cette forêt amazonienne ou qui ont le devoir de le faire, nous devons tous pouvoir le faire avec les Guyanais, notamment les élus de Guyane ou la plus grande partie des élus de Guyane, nous avons fait des propositions très rapidement, il faut effectivement qu'il y ait ce fonds international qui s'est créé, il faut parce que nous avons des crédits Interreg, c'est-à-dire de bons voisinages entre la Guyane et les voisins, nos voisins, et nous avons des projets à porter et ça, c'est important.
SONIA MABROUK
On comprend mais lorsque Emmanuel MACRON a dénoncé avec raison, ça nous concerne tous, la destruction de l'Amazonie brésilienne mais dans le même temps et pour notre Amazonie, la France attribue des centaines, des centaines de milliers d'hectares aux multinationales minières qui grignotent, qui mitent la forêt guyanaise, vous le savez !
ANNICK GIRARDIN
Alors, ça, c'est un peu facile …
SONIA MABROUK
On est un peu schizophrène !
ANNICK GIRARDIN
…là aussi de …
SONIA MABROUK
C'est une question.
ANNICK GIRARDIN
…de loin de dire les choses. Vous savez, moi, ça ne vous a pas échappé, j'étais secrétaire d'Etat au Développement et à la Francophonie et j'ai préparé la COP21, j'étais la voix de tous les Etats insulaires et l'idée, c'était effectivement d'entendre leurs préoccupations et je vous rappelle que leur demande était 1,5 degré d'augmentation et le rapport du GIEC nous dit l'inverse. L'urgence climatique, moi, je la connais depuis très, très longtemps et je me bats pour et je suis très fière et très heureuse de voir des Français, des jeunes notamment …
SONIA MABROUK
Vous ne répondez pas à ma question.
ANNICK GIRARDIN
Mais je vais y répondre.
SONIA MABROUK
Mais ce n'est pas grave !
ANNICK GIRARDIN
Je vais y répondre, pourquoi ? Parce que c'est une question de modèle économique, nous avons un mandat …
SONIA MABROUK
Vous assumez …
ANNICK GIRARDIN
Non, non, nous avons la Guyane qui est aussi un territoire en grande difficulté économique, qui vit sur une économie qui s'appelle l'orpaillage et il faut pouvoir effectivement changer ce modèle économique. La question qu'on doit se poser et moi, je porte déjà ça avec les Guyanais et notamment avec le président de Guyane, c'est : est-ce qu'à un moment donné, on ne peut pas payer pour sauvegarder ? Est-ce que la Guyane ne peut pas avoir des revenus, des ressources qui lui permettent de sauvegarder – je parle de la Guyane mais de tous les pays – l'Amazonie ? Est-ce que on ne peut pas faire la même chose avec le lagon de Mayotte puisqu'on a besoin à la fois des océans et des forêts ? C'est cette vraie réflexion, c'est ce qu'il faut porter au niveau européen, c'est ce qu'il faut porter au niveau international et là, on fera en sorte effectivement de lutter là aussi contre l'exploitation trop importante de l'Amazonie.
SONIA MABROUK
Annick GIRARDIN puisque vous parlez …Bien sûr, puisque vous parlez de modèle, on parle beaucoup en ce moment du CETA, l'accord de libre-échange entre l'UE et le Canada, qui suscite beaucoup d'inquiétude. Dans notre journal de 8h, on apprend qu'il y a une partie de notre territoire qui le teste déjà si je puis dire, cet accord, c'est l'archipel que vous connaissez bien de Saint-Pierre-et-Miquelon, proche du Canada, votre circonscription. Alors, ils mangent canadien depuis longtemps ?
ANNICK GIRARDIN
Alors nous, on mange canadien depuis très longtemps puisque Saint-Pierre-et-Miquelon, et quand je parlais de la France monde ou de l'archipel France, comme l'a intitulé le président de la République, eh bien, il est aussi en Amérique du Nord, nous avons des relations économiques avec nos voisins. Nous mangeons effectivement …
SONIA MABROUK
Donc vous avez les problèmes de de règles, de traçabilité de la viande … ?
ANNICK GIRARDIN
Et on a connu l'évolution au Canada …
SONIA MABROUK
Donc il y a des problèmes !
ANNICK GIRARDIN
Parce qu'on a mangé un certain nombre de choses où on n'était pas très satisfait ni pour notre santé …
SONIA MABROUK
Sur l'origine de la viande ?
ANNICK GIRARDIN
…ni pour la qualité mais nous évoluons et les Canadiens aussi et cet accord, il garde les mêmes conditions sanitaires et il a aussi des conditions aussi climatiques très fortes. La problématique du CETA à Saint-Pierre-et-Miquelon est complètement différente ; Saint-Pierre-et-Miquelon n'est pas un territoire européen. Nous sommes des Européens vivant sur un territoire non européen parce que nous avons notre propre fiscalité, nous avons donc le choix de mettre nos barrières …
SONIA MABROUK
Et nous sommes préservés si je puis dire …
ANNICK GIRARDIN
Oh, non, pas préservés parce que si la difficulté …
SONIA MABROUK
Pour ceux qui contestent le CETA, oui …
ANNICK GIRARDIN
Si les produits canadiens qui seraient envoyés en métropole devaient être …ou on aurait une démonstration qu'ils ne seraient pas à la hauteur des règles européennes, ce serait pareil pour le Canada, ce n'est pas une question de barrières douanières mais le Canada, vous savez, ce n'est pas le Canada d'avant, ce n'est pas …
SONIA MABROUK
Je ne sais pas, je ne sais pas ! Vous dites que les règles de traçabilité ne sont pas les mêmes qu'en France aujourd'hui !
ANNICK GIRARDIN
Le Canada … et a signé la COP21, ce qui était quand même là tout un changement de logique et nous avons un Canada qui se veut comme la France un défenseur de l'environnement !
SONIA MABROUK
Là encore, on va juger sur les faits. On va conclure …
ANNICK GIRARDIN
N'oubliez les faits depuis deux ans notamment en outre-mer !
SONIA MABROUK
…Annick GIRARDIN, un mot, c'est important la rentrée scolaire la rentrée scolaire Guyane, Mayotte, il y a d'énormes difficultés pour accueillir les élèves dès 3 ans. Le ministre de l'Education se veut rassurant, les paroles et dans les faits, les élus dénoncent le manque de moyens avec souvent, je veux le dire, 3 salles pour 700 habitants, une démographie galopante !
ANNICK GIRARDIN
Oui, vous venez de finir par une démographie galopante. Vous savez qu'à Mayotte, tous les jours, on construit des écoles et des classes ou du moins on tente de les construire parce que ça prend un peu de temps quand même mais on sait très bien que la démographie continue, d'où la lutte contre l'immigration clandestine qui est effectivement le cas …qui est une des problématiques pour Mayotte, comme pour la Guyane avec des véritables réponses.
SONIA MABROUK
C'est un long chemin et un défi pour cette rentrée en tout cas pour vous !
ANNICK GIRARDIN
C'est un long chemin mais nous avons commencé et d'autres n'avaient jamais commencé !
SONIA MABROUK
On l'a bien compris. Merci Annick GIRARDIN, ministre des Outremer, c'est important d'en parler évidemment. Merci d'avoir été notre invitée ce matin sur Europe 1.
source : Service d'information du Gouvernement, le 13 septembre 2019