Texte intégral
MATTHIEU BELLIARD
Votre invitée ce matin Sonia MABROUK, c'est la ministre de la Justice Nicole BELLOUBET.
SONIA MABROUK
Bonjour Nicole BELLOUBET.
NICOLE BELLOUBET
Bonjour Madame.
SONIA MABROUK
L'enquête pour assassinat et tentative d'assassinat se poursuit, après l'attaque au couteau de Villeurbanne, le Parquet national antiterroriste n'a pas été saisi. Est-ce à dire que la piste terroriste est définitivement exclue ou alors, il est possible à tout moment que l'enquête soit requalifiée ?
NICOLE BELLOUBET
Alors d'abord, je voudrais juste dire à quel point je suis extrêmement touchée de ce qui est arrivé aux victimes. Pour répondre ensuite à vos questions, évidemment on pourrait imaginer que le Parquet national antiterroriste se saisisse à tout moment, c'est son rôle, il est donc toujours et en permanence mobilisé. Il ne semble pas mais évidemment, ma position n'est pas définitive et je n'ai pas à avoir de position-là, mais il ne semble pas qu'il s'agisse d'une enquête… enfin d'un meurtre de nature terroriste.
SONIA MABROUK
Nicole BELLOUBET, l'expertise psychiatrique de l'agresseur a révélé un fort état psychotique avec consommation de stupéfiants. La piste – vous l'avez dit – du déséquilibré est privilégiée puisque celle du terrorisme est pour l'instant écartée, mais de manière générale Madame la ministre, la piste psychiatrique n'écarte pas d'emblée la piste terroriste. Etre déséquilibré n'exclut pas d'agir avec une motivation, une idéologie ?
NICOLE BELLOUBET
Non, bien sûr mais là… enfin de ce que j'ai entendu des propos du procureur de la République, manifestement nous avons affaire à une personne qui a des problèmes psychiatriques lourds. Je ne suis pas du tout sûre que cela relève de problématiques terroristes. Et je crois que c'est évidemment… il ne faut pas écarter cette piste, comme je le disais à l'instant, mais je ne crois pas que ce soit celle qui soit privilégiée en ce moment.
SONIA MABROUK
Mais vous restez prudente malgré tout, on l'entend ce matin. Quelle que soit la qualification de l'enquête, est-ce qu'il faut Nicole BELLOUBET, est-ce que vous demandez des sanctions exemplaires ?
NICOLE BELLOUBET
Je ne sais pas si vous me parlez du terrorisme ou en général, mais les sanctions prononcées par la justice française sont justes, équilibrées et exemplaires. Si vous voulez, je pense que les sanctions exemplaires, quand nous avons une personne qui a des problèmes psychiatriques comme cela semble être le cas, je ne suis pas sûre que cette personne-là regarde avant d'accomplir son geste terrible, je ne suis pas sûre qu'il regarde la hauteur des sanctions qui sont prononcées. Par ailleurs sur les sanctions qui sont prononcées par la justice française, elles sont à la fois adaptées à la nature de l'infraction, à l'auteur et également elles sont sévères lorsqu'elles doivent l'être. Si elles ne l'étaient pas, alors comment se fait-il que nous aurions plus de 70.000 détenus en France, que nous avons un taux d'incarcération pour 100.000 habitants qui est beaucoup plus élevé qu'un certain nombre de pays d'Europe, donc la justice française prononce des sanctions exemplaires.
SONIA MABROUK
Que répondez-vous à ce procès (j'allais dire) permanent en laxisme judiciaire que vous fait notamment le Rassemblement national et cette fois-ci encore ?
NICOLE BELLOUBET
Je vous réponds ce que je viens de vous dire à l'instant, c'est-à-dire que s'il y avait laxisme, nous n'aurions pas autant de détenus. Et encore, le nombre de détenus n'est qu'une indication parmi d'autres, mais un taux d'incarcération qui est beaucoup plus élevé que dans d'autres pays et beaucoup plus élevé que la moyenne européenne. Donc on voit bien que la justice française n'est pas une justice laxiste. Et d'ailleurs de mon point de vue, la justice n'a pas à être laxiste ou pas laxiste, elle a à être juste, c'est-à-dire adaptée à l'infraction commise et à l'auteur.
SONIA MABROUK
L'agresseur afghan…
NICOLE BELLOUBET
Et le seul but de la justice, c'est évidemment de protéger la société ; et puis d'assurer la réinsertion des personnes qui ont à accompli leur peine.
SONIA MABROUK
Justement Nicole BELLOUBET, parlons de protection. L'agresseur, l'assaillant afghan est un demandeur d'asile, cela braque de nouveau les projecteurs sur notre politique migratoire. Marine LE PEN dénonce (je cite) la naïveté et le laxisme encore une fois, mais cette fois-ci de notre politique migratoire qui menace gravement la sécurité des Français.
NICOLE BELLOUBET
Madame LE PEN (je trouve) fait une exploitation qui est assez éhontée d'une situation qui a été commise par quelqu'un qui a un problème psychiatrique. Et je pense que c'est vraiment totalement déplacé de faire les rapprochements qu'elle fait. Pour autant, nous avons en France un principe constitutionnel qui est un principe d'accueil des demandeurs d'asile, lorsque – et c'est le préambule de notre Constitution qui le dit – lorsqu'un homme est persécuté en raison de son action en faveur de la liberté, il a droit d'asile sur les territoires de la République. C'est quelque chose que nous devons respecter, car cela fonde la nature même de ce que nous sommes. Pour autant – et là je crois que c'est une difficulté que nous avons avec cette personne afghane – je crois que nous mettons beaucoup trop de temps à répondre aux demandes d'asile. C'est pourquoi le gouvernement est mobilisé pour que la réponse soit claire…
SONIA MABROUK
C'est important…
NICOLE BELLOUBET
Et une fois que la réponse a été donnée… c'est important parce que soit…
SONIA MABROUK
C'est important ce que vous dites Nicole BELLOUBET, vous reconnaissez ces délais en matière d'étude des dossiers d'asile trop longs, les reconductions des déboutés trop longs…
NICOLE BELLOUBET
Oui, ils sont trop longs ! Ils sont trop longs et nous sommes mobilisés avec l'ensemble du gouvernement et mon collègue CASTANER, nous sommes mobilisés pour réduire cette durée d'étude des demandes d'asile. Parce que la personne qui demande l'asile a besoin de savoir ce qui va lui être répondu. Si l'asile est accordé, alors elle doit rentrer dans un processus de prise en charge au niveau national ; si l'asile est refusé il faut alors qu'elle reparte dans son pays.
SONIA MABROUK
Nicole BELLOUBET, est-ce qu'il ne faut pas un grand débat sur ce sujet pour expliquer pourquoi ça dysfonctionne sur le plan européen, Schengen, Dublin, il y a des trous dans la raquette, il y a des inquiétudes au sein de la population.
NICOLE BELLOUBET
J'y suis tout à fait favorable, j'y suis tout à fait favorable…
SONIA MABROUK
Ah ! Donc vous nous indiquez que ce grand débat va être lancé !
NICOLE BELLOUBET
Non, je vous indique que je suis favorable à la tenue…
SONIA MABROUK
Si la ministre de la Justice y est favorable…
NICOLE BELLOUBET
De ce grand débat…
SONIA MABROUK
C'est un bon pas !
NICOLE BELLOUBET
Et je vous indique également que le président de la République avait évoqué ce sujet-là au moment du grand débat national, il avait dit qu'un grand débat aurait lieu. Et donc je crois qu'il est important que nous puissions dire à nos concitoyens, à la fois quels sont les principes sur lesquels nous devons vraiment être dans le respect de ce qui fonde notre identité, mais en même temps notre rigueur à à la fois aller plus vite et une fois la décision prise à l'exécuter plus rapidement.
SONIA MABROUK
Dans l'actualité, ce sera demain, le Grenelle des violences conjugales, contre le fléau des violences faites aux femmes, 100 féminicides depuis le début de l'année. Ce matin sur Europe 1 au micro de Matthieu BELLIARD, un témoignage poignant qui ne peut laisser personne indifférent. Laura 31 ans, 5 ans de calvaire, menacée violentée. Et Madame la ministre, lorsqu'elle est allée voir (Laura) le policier pour la plainte, savez-vous ce qu'il lui a dit ? Il lui a dit « ça ne sert à rien Madame, la justice ne fera rien. Pourquoi, elle n'avait pas de traces de coups visibles, donc la justice ne pouvait rien faire pour elle.
NICOLE BELLOUBET
Je crois que ce temps-là est révolu, en tout cas je suis arc-boutée sur la volonté que ce temps-là soit révolu. Toute plainte, toute plainte doit être accueillie, acceptée, accompagnée par les policiers et elle doit être suivie, traitée, travaillée par la justice avec les associations qui travaillent à nos côtés. J'étais vendredi à Lyon, où le parquet général et les parquets du ressort de la cour d'appel font une action vraiment extrêmement dynamique dans ce domaine-là, dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Il me semble que le coeur de notre action, au-delà de quelques évolutions législatives qui sont sans doute nécessaires, au-delà d'améliorations du point de vue financier, le coeur de notre action c'est de travailler ensemble, de coopérer, de coordonner. Aujourd'hui entre la police et la justice, il me semble que les choses ne sont pas parfaites, au sein de la justice…
SONIA MABROUK
C'est un doux euphémisme !
NICOLE BELLOUBET
Tout ne va pas pour le mieux…
SONIA MABROUK
Nicole BELLOUBET qu'il vous semble que ce ne soit pas parfait !
NICOLE BELLOUBET
Oui mais… oui, c'est parce qu'il y a des situations où effectivement, la plainte déposée au commissariat arrive très rapidement sur le bureau du procureur de la République. Mais dans d'autres cas ce n'est pas le cas et donc ça, ça n'est pas acceptable. Mais je balaye aussi dans ma cour à moi, c'est-à-dire au sein du ministère de la Justice, entre les procureurs et les juges aux affaires familiales il faut améliorer les relations, pour qu'une situation ne fasse pas l'objet d'un traitement par l'un et par l'autre, mais pas d'un traitement coordonné. C'est souvent cela que l'on remarque. Et puis nous devons également améliorer la coordination avec les associations, si vous voulez il faut que lorsqu'une femme a déposé plainte, elle soit prise en charge immédiatement par l'ensemble des acteurs, c'est possible. Je le vois faire à Lyon…
SONIA MABROUK
Il le faut, il le faut, il y a la volonté, il y a les paroles…
NICOLE BELLOUBET
Il le faut, il le faut absolument.
SONIA MABROUK
On va passer aux actes et on suivra cela notamment avec vous, ce sera le Grenelle des violences demain. Merci Nicole BELLOUBET, merci d'avoir répondu en exclusivité aux questions d'Europe 1 ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 septembre 2019