Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, à Sud Radio le 10 avril 2019, sur le Grand débat national, la réforme de la Justice, la liberté de manifester et les violences conjugales.

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Média : Emission La Tribune Le Point Sud Radio - Sud Radio

Texte intégral

PATRICK ROGER
Bonjour Nicole BELLOUBET.

NICOLE BELLOUBET
Bonjour.

PATRICK ROGER
La fin du Grand débat, ça y est, on y arrive, mais alors l'opposition par la voie de Christian JACOB hier, Eric CIOTTI l'a redit aussi ce matin, l'opposition demande de nouvelles élections, qu'est-ce que vous leur répondez ?

NICOLE BELLOUBET
Je leur réponds qu'il y a eu des élections il y a deux ans, que la majorité actuelle et le gouvernement actuel sont le résultat de ces élections et je ne vois pas du tout pourquoi il faudrait maintenant organiser de nouvelles élections. Nous avons retravaillé avec ce Grand débat finalement les attentes des Français, le président de la République s'exprimera à la suite de ce Grand débat pour dire qu'elles sont les orientations sur lesquelles nous allons travailler, je ne vois pas du tout pourquoi il faudrait de nouvelles élections maintenant.

PATRICK ROGER
De la proportionnelle par exemple…

NICOLE BELLOUBET
Ça peut faire partie…

PATRICK ROGER
S'il y avait des législatives, mais là ça veut dire qu'il y aurait dissolution de l'Assemblée nationale.

NICOLE BELLOUBET
Oui enfin vous savez les prochaines élections législatives logiquement ont lieu dans trois ans, donc il est tout à fait logique de pouvoir s'interroger maintenant sur une évolution du mode de scrutin. D'ailleurs c'était une évolution qui a été proposée par le gouvernement qui est actuellement déposée, c'est un texte de loi qui au moment où nous parlons, est déposé en lien avec la révision constitutionnelle, vous savez qu'au mois de juillet dernier, on avait lancé une révision constitutionnelle, il y avait également des lois électorales qui notamment réformaient le mode de scrutin…

PATRICK ROGER
Merci les gilets jaunes, ils ont accéléré un peu le mouvement, c'est ça Nicole BELLOUBET ?

NICOLE BELLOUBET
Accélérer, je ne sais pas, mais en tout cas ils ont permis d'organiser ce Grand débat, c'est certain. J'entendais ce que disait votre collègue, qui disait qu'il se sentait finalement méprisé par le gouvernement, ce n'est pas le cas, les gilets jaunes ce sont des Français qui ont émis un certain nombre, soit de critiques, soit de demandes et ce sont des choses sur lesquelles nous travaillons.

PATRICK ROGER
Est-ce que le mot gilet jaune est tabou au gouvernement ?

NICOLE BELLOUBET
Non, pas du tout.

PATRICK ROGER
Parce qu'on a vu lors de la restitution avant-hier, Edouard PHILIPPE n'en avait pas parlé, hier il l'a évoqué un peu à l'Assemblée nationale.

NICOLE BELLOUBET
Non, le mot n'est pas tabou, ce qui est tabou, ce sont les violences qui sont commises à l'occasion de manifestations prétendument organisées par des gilets jaunes. Mais on distingue, on a toujours clairement distingué les deux.

PATRICK ROGER
Vous dites que donc c'est en réflexion et sur la démocratie participative bien sûr aussi y compris, hier cette initiative justement d'un référendum d'initiative partagée contre la privation des Aéroports de Paris, elle peut tenir la route cette initiative ou pas, sachant qu'il faut 4,5 millions de citoyens ?

NICOLE BELLOUBET
Je dirais… vous m'interrogez sur deux choses différentes, la demande qui résulte du Grand débat national d'une montée en puissance de la démocratie participative, je trouve qu'on ne peut pas ne pas répondre à cette demande. Elle est réelle, elle est présente partout et donc je crois qu'il faut, je ne crois pas, je suis sûre, il faut absolument répondre à cette demande d'une part. D'autre part vous m'interrogez sur le référendum d'initiative partagée, c'est une disposition qui existe dans notre constitution. Donc après tout il appartient à ceux qui le souhaitent de la faire vivre, mais, mais, je crois aussi très important de dire qu'actuellement le Parlement est en train de délibérer sur ces dispositions et vous le savez dans notre constitution, on peut mettre en place un référendum d'initiative partagée, sauf si c'est sur une loi qui a été adoptée. Donc nous verrons bien comment les choses s'enchaînent.

PATRICK ROGER
Donc alors du coup ce n'est pas… donc c'est anticonstitutionnel ?

NICOLE BELLOUBET
Je n'ai pas dit que c'était anticonstitutionnel, je dis qu'il ne faut pas confondre démocratie participative et démocratie représentative. Il est important de vivifier la démocratie représentative par des éléments où les citoyens s'expriment, mais on ne mélange pas les deux. Donc là le Parlement est en train de travailler sur ce texte.

PATRICK ROGER
Les référendums, c'est une bonne chose quand même dans la démocratie ou pas ?

NICOLE BELLOUBET
C'est un outil extrêmement intéressant, parce qu'il permet de dire des choses, mais vous le savez, c'est un outil sur lequel il faut être prudent parce qu'il entraîne parfois des réactions de passion là où je crois l'exercice démocratique exige la raison.

PATRICK ROGER
Oui. Dans les conclusions du Grand débat, on voit qu'il y a une forme de contradiction, baisse des impôts d'un côté et puis davantage de services publics. En clair c'est ce que vous avez essayé de faire aussi avec votre réforme de la justice.

NICOLE BELLOUBET
Attendez, attendez, moi je ne dis pas les choses exactement comme ça, juste d'un mot.

PATRICK ROGER
Oui dites-moi.

NICOLE BELLOUBET
Juste d'un mot, demande de service public, oui, de proximité, oui avec même des personnes qui aident les citoyens à aller vers ces services publics, ça c'est très clair. Baisse des impôts, cela transparaît, c'est vrai, mais c'est aussi une demande de justice fiscale qui est entendue, enfin en tout cas quand on lit les occurrences du Grand débat et justice fiscale, c'est évidemment la baisse des impôts, mais c'est aussi vraiment de l'équité dans…

PATRICK ROGER
C'est difficile de s'y retrouver quand même.

NICOLE BELLOUBET
Non, je ne crois pas.

PATRICK ROGER
Vous ne croyez pas, regardez ce que vous avez fait sur la réforme de la justice par exemple, des services de proximité, les tribunaux d'instance, pourquoi ils disparaissent ?

NICOLE BELLOUBET
Non, ils ne disparaissent pas, au contraire.

PATRICK ROGER
Ils vont être… ah bon ?

NICOLE BELLOUBET
Non, non, absolument pas.

PATRICK ROGER
Ce n'est pas ce que disent les magistrats précisément.

NICOLE BELLOUBET
Non, ce n'est pas vrai, les magistrats ne disent pas ça, d'abord je ne pense pas, on a pu le dire, certains avocats ont pu le dire, ce n'est pas exact.

PATRICK ROGER
Non, non mais il faut leur répondre très précisément, très clairement.

NICOLE BELLOUBET
Tous les tribunaux qui existent aujourd'hui en France restent, tous, les tribunaux d'instance s'appelleront tribunaux de proximité, mais en dehors de cette dénomination qui évolue pour être finalement plus conforme à ce que vivent les gens, tous les tribunaux d'instance restent. Les contentieux du quotidien continueront à y être jugés, les questions de tutelle, de baux d'habitation.

PATRICK ROGER
Pas toujours, sur les divorces par exemple, ça va être simplifié.

NICOLE BELLOUBET
Oui, simplifié, ne veut pas dire ne pas être jugé.

PATRICK ROGER
Non mais ça ne passera pas forcément par un juge puisque ça peut passer aussi par un notaire.

NICOLE BELLOUBET
C'est déjà le cas monsieur, aujourd'hui si vous divorcez…

PATRICK ROGER
Oui, consentement mutuel.

NICOLE BELLOUBET
Si vous divorcez par consentement mutuel d'avec votre femme, il n'y a pas de difficulté, vous ne passez pas par le juge. Ce que nous disons demain, c'est que là où vous mettez presque 30 mois pour obtenir un divorce contentieux, vous ne mettrez plus qu'un an. Et donc nous divisons par deux la durée du divorce, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de juge, il y aura toujours un juge du divorce et un juge qui sera là pour prendre en compte les mesures provisoires pour les enfants.

PATRICK ROGER
En tout cas ça va permettre une simplification et peut-être aussi des économies, c'est ce qui est voulu ?

NICOLE BELLOUBET
Ce n'est pas du tout ce qui est voulu.

PATRICK ROGER
Ah bon, vous allez augmenter les dépenses alors ?

NICOLE BELLOUBET
D'ailleurs, non je ne vais pas augmenter les dépenses, j'ai un budget en augmentation pour la justice et c'est heureux, un budget qui augmente de 25 % en 5 ans, ce qui est tout de même important, c'est un des services publics essentiels.

PATRICK ROGER
Il faut continuer alors Nicole BELLOUBET, visiblement la pédagogie auprès des magistrats et des avocats, parce que ce n'est pas ce qui ressort, mais vous le savez en fait, toujours sur le terrain. Est-ce qu'il y a un risque de dérive du pouvoir qui pourrait prendre le pas avec cet exemple, les préfets sur l'autorité judiciaire, on l'a vu avec cette histoire évidement d'interdiction de manifester. C'est vous qui aviez prévenu le président de la République que ça pouvait très bien être retoqué par le conseil constitutionnel, qu'il fallait vérifier ?

NICOLE BELLOUBET
Non, je ne l'avais pas prévenu, mais le juge constitutionnel qui est le garant des libertés a évidemment toute l'attitude pour s'exprimer, pour juger un texte. Il l'a fait là en annulant cette disposition la mesure d'interdiction administrative de manifester. Je crois vraiment que ce qui importe, c'est de protéger la liberté de manifester, c'est ce que nous avons voulu dire, mais pour protéger cette liberté de manifester il faut évidemment en interdire les dérives violentes, c'est ce qui a été voulu et c'est ce que porte le gouvernement. Quant à votre observation sur le fait que les préfets prennent le pas sur les juges, en aucun cas. Dans la question des gilets jaunes, la manière dont les dérives ont été traitées, c'est évidemment malgré la masse de gardes à vue qui ont eu lieu et qui a entraîné une activité extrêmement importante pour les tribunaux et les magistrats, eh bien les magistrats, je crois, ont rendu des décisions tout à fait adaptées aux différentes infractions.

PATRICK ROGER
Oui. Nicole BELLOUBET, un mot aussi parce que c'est important sur la violence faite aux femmes. Il y a encore eu cette actualité avec une femme morte par balle dans le Var, tuée par son mari en début de semaine.

NICOLE BELLOUBET
Absolument.

PATRICK ROGER
Vous avez rencontré hier Muriel ROBIN, pourquoi, pour mobiliser en fait de nouveau, quelles mesures ?

NICOLE BELLOUBET
Muriel ROBIN est très engagée sur cette question, il me semblait important d'avoir un dialogue avec elle et avec les personnes qui travaillent avec elle, pour voir si dans l'écriture des textes tel que nous les pensons, les praticiens pouvaient avoir un regard un tout petit peu différent qui nous conduit à appuyer l'action volontariste que nous conduisons sur ce sujet. Avec Marlène SCHIAPPA, on a eu l'occasion de faire adopter un certain nombre de textes, mais les personnes que j'ai rencontrées hier m'ont dit à quel point il était important d'être extrêmement pragmatique et donc vraiment de donner tous les outils aux magistrats pour permettre de lutter contre ces violences ?

PATRICK ROGER
C'est quoi notamment contraindre les maris violents à l'éloignement ?

NICOLE BELLOUBET
Par exemple.

PATRICK ROGER
Quand il y a des signalements parce que ce n'est pas toujours suivi des faits évidement.

NICOLE BELLOUBET
L'important, c'est que nous mettions en place des mesures provisoires qui protègent les femmes et donc c'est ce que nous faisons, nous allons le démultiplier en adoptant de nouveaux outils techniques qui permettent de déclencher des alarmes. Par exemple nous allons expérimenter sur le ressort d'un tribunal des nouveaux outils techniques qui permettent lorsqu'un conjoint violent s'approche de la femme, de déclencher des alarmes et que ça lui est interdit évidement de s'approcher, de déclencher des alarmes. Il faut trouver tous les systèmes pour protéger les femmes, c'est essentiel.

PATRICK ROGER
Merci Nicole BELLOUBET, ministre de la Justice d'avoir répondu à nos questions ce matin.

NICOLE BELLOUBET
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 avril 2019