Texte intégral
GILLES BOULEAU
Bonsoir Monsieur le Premier ministre.
EDOUARD PHILIPPE
Bonsoir.
GILLES BOULEAU
Et merci d'avoir accepté notre invitation et de répondre à nos questions. Alors on vient de le voir à l'instant, la RATP va être, la grève va être très suivie demain à la RATP contre votre réforme, lundi des corporations aussi différentes que les pilotes de ligne, on l'a dit, les avocats, les infirmières, les clercs de notaire descendront dans la rue. Le 21 septembre ce sera au tour de Force Ouvrière, trois jours plus tard la CGT appelle à une grande grève à la SNCF et début octobre ce seront les policiers. Que leur dites-vous ? Vous leur dites n'ayez pas peur, vous allez tous gagner à cette réforme ?
EDOUARD PHILIPPE
Je leur dis que nous voulons réformer profondément le système de retraite pour le rendre plus juste, plus solide, plus transparent et pour rétablir la confiance de nos concitoyens dans ce qui est au coeur de notre pacte social, au coeur de la confiance qui nous unit. Dans votre reportage tout à l'heure il y avait un jeune homme qui disait “Moi la retraite je crois que c'est utopique.” Il ne parlait pas de la réforme que nous proposons, il parlait du système actuel. Il y a beaucoup de jeunes aujourd'hui qui se disent “Ma réforme elle ne va pas être garantie.” Il y a un problème de confiance qui mine à mon avis la société, un problème de défiance aussi parce que beaucoup de gens se disent les règles qui s'appliquent à moi pour ma retraite elles ne s'appliquent pas à d'autres et au fond les avantages des autres se font à mon détriment. Parce que c'est vrai, c'est ainsi, le système tel qu'il existe aujourd'hui comporte des différences que les Français ont du mal à comprendre. J'en prends un exemple, une différence et un exemple, le chauffeur de bus du Havre, Bordeaux ou de Metz ou d'où vous voulez, il a parfois exactement le même travail que le chauffeur de bus de la RATP, dans les mêmes conditions, en tout cas avec des contraintes approchantes et il a un régime de retraite qui n'a rien à voir. Est-ce que, est-ce qu'on ne peut pas essayer — alors qu'il n'y a pas d'urgence — essayer de refonder totalement un système pour faire en sorte qu'il soit universel, pour faire en sorte qu'il soit solidaire, pour faire en sorte qu'il continue à fonctionner par répartition, c'est-à-dire que les actifs d'aujourd'hui payent les retraites des retraités d'aujourd'hui ? On peut faire ce système, ça pose beaucoup de questions mais on peut le régler. Moi je suis ouvert à la discussion avec les organisations syndicales, patronales, on va prendre le temps mais on peut le faire en réglant un par un tous les problèmes.
GILLES BOULEAU
Il y a une question centrale, je vous ai écouté, regardé ce matin attentivement, j'ai écouté le président de la République, Jean-Paul DELEVOYE le haut-commissaire aux retraites, et j'ai le sentiment pour parler au nom des Français de ne pas avoir vraiment compris quand les Français vont-ils pouvoir réellement, pas théoriquement, réellement prendre leur retraite de plein droit : 62, 63, 64 ans ? Ce n'est pas très clair.
EDOUARD PHILIPPE
Mais Monsieur BOULEAU, aujourd'hui il y a 42 régimes de retraites différents
GILLES BOULEAU
Oui mais vous nous dites que la réforme c'est pour clarifier les enjeux c'est pour ça que je me permets de vous poser cette question
EDOUARD PHILIPPE
Attendez attendez, mais vous avez raison, la question que vous posez les Français se la posent. Je dis simplement que dans les 42 régimes actuels de retraite il est parfois bien difficile de savoir à quel âge on va pouvoir partir à la retraite. Je prends un exemple, dans le régime général qui concerne 80 % des Français, il y a un régime sur 42 régimes qui concerne 80 % des Français, l'âge légal de départ c'est 62 ans, on peut partir à 62 ans. L'âge réel, l'âge moyen de départ c'est 63 ans et demi. Et il y a 200 000 femmes qui partent chaque année à la retraite à 67 ans parce qu'elles ont des carrières hachées et que si elles partent avant elles subissent une décote. Aujourd'hui c'est très délicat pour nos concitoyens de savoir quand ils vont partir à la retraite, demain avec un système par points la valeur du point sera fixée et ce sera beaucoup plus simple pour eux de déterminer le moment où ils veulent partir.
GILLES BOULEAU
Juste un point de clarification. Cette histoire d'âge-pivot, de 64 ans qui était voulue par Jean-Paul DELEVOYE ça y est c'est effacé, on oublie, ça n'existe plus ?
EDOUARD PHILIPPE
J'ai essayé d'expliquer ce matin dans un discours qui était technique mais que j'ai espéré clair, et je voudrais le redire ici sur ce plateau, que quoi qu'il arrive il faut dire la vérité aux Français. Compte tenu des évolutions démographiques, compte tenu du rapport entre le nombre d'actifs qui payent les retraites et le nombre de retraités qui touchent les pensions, nous allons travailler plus longtemps. Nous travaillons déjà un peu plus longtemps, l'âge moyen de départ à la retraite est de 63 ans et demi en France là où il aurait pu être de 62 ans compte tenu de l'âge légal. Nous allons travailler un peu plus longtemps, ça va se faire progressivement mais nous devons le faire. Que ce soit dans un système par durée de cotisation ou dans un système par âge pivot ou d'équilibre, de toutes façons nous allons travailler un peu plus longtemps et nous allons devoir mettre en place les instruments qui permettent de prendre en compte non pas les postures ou les principes mais la réalité. Permettez-moi Monsieur BOULEAU, je suis certain que ceux qui nous écoutent et qui nous regardent ont clairement en tête ce sujet, nous devons conserver un système qui permette de prendre en compte les carrières longues, ceux qui commencent à travailler à 17 ans ne sont pas dans la même situation au moment du départ à la retraite que ceux qui commencent à travailler à 25 ans. Il faut et il faudra continuer à prendre cette réalité en compte.
GILLES BOULEAU
Encore une question très simple, très terre à terre, rien absolument rien ne se passe avant 2025 ? Vous appuyez sur le bouton, vous ou votre successeur vous n'appuyez pas sur le bouton avant 2025 ?
EDOUARD PHILIPPE
Non non, beaucoup de choses se passent d'ici 2025
GILLES BOULEAU
Non mais pas de mise en place concrète de la réforme ?
EDOUARD PHILIPPE
Nous travaillons, nous écrivons le projet de loi.
GILLES BOULEAU
Voilà mais
EDOUARD PHILIPPE
Avec les partenaires sociaux, avec l'ensemble de ceux qui sont concernés nous écrivons le projet de loi. Le projet de loi il doit définir ce que sera le système demain. Et puis ensuite nous allons devoir travailler, et ce sera un travail considérable mais je veux le faire en confiance avec les organisations syndicales, sur comment est-ce qu'on fait passer les 42 systèmes actuels vers ce système de demain. Le système doit commencer à fonctionner le 1er janvier 2025. Et vous avez très bien dit dans les reportages que vous avez diffusés que les Français qui sont à la retraite ne verront pas de différence, ils continueront à être régis par les anciens systèmes ; ceux qui sont nés avant 1963 ne verront pas non plus la différence car ils ne sont pas concernés ; ceux qui sont nés en 1964 — vous allez dire ouais d'accord — mais en 64 qu'est-ce qui se passe ? Celui qui est né en 1964 et qui doit cotiser disons aujourd'hui 42 ans pour partir à la retraite, celui-là aura la totalité de ses droits acquis en 2025, 41ème de 42 années de cotisation sur ses droits acquis et simplement une année dans le nouveau système. Pardon parce que ces éléments sont techniques mais il faut les dire parce que les Français se posent des questions. Ce que je veux dire c'est que nous avons du temps. Nous avons du temps, parce que nous n'agissons pas sous l'empire de l'urgence financière. Nous prenons le temps de discuter, de construire, de trouver des solutions adaptées à chaque situation, de rassurer les Français pour faire en sorte que le système futur plus juste, plus solide que nous allons construire puisse durer pendant très longtemps et être totalement transparent et accepté par les Français.
GILLES BOULEAU
Question très courte qui peut-être amène une réponse courte : le candidat Emmanuel MACRON en 2017 avait dit “C'est fini, si je suis élu président il n'y aura plus de régimes spéciaux”. EDF, SNCF, RATP ça nous concerne aujourd'hui. C'est pour quand la fin des régimes spéciaux ?
EDOUARD PHILIPPE
La réforme, la réforme que nous voulons mettre en oeuvre c'est 2025 un système universel. Un système universel c'est un système dans lequel il n'y a plus de régimes spéciaux. Alors il peut toujours, on peut toujours prendre en compte des situations qui peuvent être des situations particulières, j'évoquais tout à l'heure la pénibilité, j'ai évoqué les carrières longues, on pourrait évoquer la pénibilité, elle est déjà prise en compte aujourd'hui dans le système actuel, elle a vocation évidemment à être prise en compte dans le système futur. Mais l'objectif c'est bien de créer un système universel dans lequel chaque euro cotisé par chaque Français produit le même effet ce qui est un élément de justice extrêmement important, ce qui permet aussi pour beaucoup de Français — c'est la réalité du monde du travail dans laquelle nous vivons — de passer d'un métier à l'autre, d'un statut à l'autre sans subir les aléas au moment de sa retraite.
GILLES BOULEAU
Est-ce que j'exagère ou est-ce que je trahi votre pensée si je vous dis que cette réforme produira ses pleins effets dans au mieux, certains économistes disent, une peut-être même deux générations ? C'est-à-dire que la page sera blanche dans 40 ou 45 ans, ou pas ?
EDOUARD PHILIPPE
Alors ça, non vous allez un peu trop loin puisque nous voulons commencer à mettre en oeuvre la mécanique le 1er janvier 2025 et que nous avons prévu des périodes de transition pouvant aller jusqu'à 15 ans en fonction des différents systèmes. Donc ça veut dire 2040. On n'est pas dans 45 ans, 2040 on est bon... Mais c'est parfaitement normal et il faut tout à fait l'assumer. Quand on a mis en place en 1945 le nouveau système de retraite il a produit ses effets progressivement, c'est bien naturel. Si nous voulions faire différemment Monsieur BOULEAU nous serions obligés de dire à un instant T, demain ou 2023, 2025 je ne sais pas, tout explose et on ne tient plus compte des droits acquis et on ne fait pas des transitions douces qui permettent justement de trouver des solutions. Ce serait beaucoup plus explosif et ce serait souvent beaucoup plus injuste. Ben moi je veux garantir le fait que cette réforme va vers plus de justice, vers plus de solidité du système, vers plus de transparence et de confiance dans le système et pour ça il faut prendre du temps et on va le prendre.
GILLES BOULEAU
Alors Monsieur le premier, restez encore un instant avec nous, les hasards de l'actualité font que le quatrième personnage de l'Etat, le Président de l'Assemblée nationale Richard FERRAND a été mis en examen la nuit dernière. Il est soupçonné de prise illégale d'intérêts dans l'affaire immobilière dite des Mutuelles de Bretagne. Je vous demanderai votre réaction dans un instant mais tout de suite le détail avec Noé GANDILLOT.
[Reportage]
GILLES BOULEAU
Richard Ferrand quatrième personnage de l'État président de l'Assemblée nationale mise en examen. Est-ce qu'il peut rester à ce poste exposé et un poste qui se doit d'être parfaitement irréprochable?
EDOUARD PHILIPPE
Je le crois oui. Mais pour le Premier ministre que je suis - qui dirige l'action du gouvernement qui est un des responsables de l'exécutif - s'exprimer sur une décision de justice est impossible. Et s'exprimer sur le fonctionnement des assemblées est impossible, pas parce que je n'ai pas envie d'en parler
GILLES BOULEAU
Mais ma question était été purement politique. Ce n'était pas Est-il coupable ou innocent ? C'est peut-il rester président de l'Assemblée Nationale?
EDOUARD PHILIPPE
Je le crois oui. Encore une fois j'ai beaucoup de... Je n'ai pas le droit de m'exprimer sur la décision de justice pour des raisons liées à la séparation des pouvoirs. Et je ne peux pas entrer dans le fonctionnement institutionnel et politique de l'Assemblée Nationale ou même du Sénat. Donc, je crois qu'il le peut. Je crois qu'il peut continuer à assurer la présidence de l'Assemblée Nationale dans de bonnes conditions. Et puisque vous me posez la question, permettez-moi de dire - non pas en tant que Premier ministre au président de l'Assemblée Nationale mais en tant que Édouard PHILIPPE à Richard Ferrand - l'amitié qui est réelle, que je lui porte, le soutien qui est total et la confiance que j'ai dans sa capacité à faire valoir son innocence lorsqu'il pourra le faire devant un tribunal. Je vais reprendre les mots de. M. MÉLENCHON. Ce n'est pas forcément mon habitude mais Jean-Luc MÉLENCHON a raison de rappeler que la présomption d'innocence dans une démocratie, ça existe. Quand j'ai commencé ma vie professionnelle, en tant que magistrat, j'ai ensuite été avocat, ces mots ne sont pas des mots vides de sens. Si nous voulons préserver - pas simplement pour tel ou tel élu - pour l'ensemble de nos concitoyens un système d'état de droit, il faut reconnaître la présomption d'innocence. Elle vaut pour Richard Ferrand ni plus ni moins que pour n'importe quel autre citoyen.
GILLES BOULEAU
Merci beaucoup Monsieur le Premier ministre d'avoir répondu à nos questions.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 septembre 2019