Interview de Mme Elisabeth Borne, ministre des transports, à Radio Classique le 19 juin 2019, sur le projet de loi d'orientation sur les mobilités et la cohabitation des modes de transports alternatifs à la voiture.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

GUILLAUME DURAND
Nous sommes en direct avec la ministre des Transports Elisabeth BORNE.

-Jingle-

GUILLAUME DURAND
D'abord bienvenue, quelques secondes après l'intervention de Guillaume TABARD et celle de tout à l'heure de Roberto ALAGNA que vous avez beaucoup appréciée. La loi qui vous concerne directement a été votée donc hier à l'Assemblée, il s'agit de la loi LOM, on va en parler, elle qui concerne les mobilités. Mais d'abord cette affaire d'ADP. Que pensez-vous de ces alliances que Guillaume TABARD qualifiait de surprenantes et que d'autres trouvent totalement curieuses ?

ELISABETH BORNE
Oui, eh bien je pense que c'est vraiment une démarche assez politicienne, on voit bien que ceux qui se retrouvent dans ce cette démarche pour appeler à un référendum ne partagent rien, donc c'est un…

GUILLAUME DURAND
On peut considérer qu'ils se retrouvent ensemble au nom de, au fond des intérêts nationaux, parce que c'est ça quand même le discours qui est tenu, y compris par les élus républicains qui se retrouvent avec des Insoumis par exemple.

ELISABETH BORNE
Eh bien je pense que personne ne peut ignorer des garanties qui ont été données sur la privatisation d'ADP, le contrôle qui restera de l'Etat, sur toutes les fonctions régaliennes, sur le contrôle des frontières, le fait qu'il s'agit d'une concession. Donc voilà, je pense que c'était un jeu un peu tactique politicien et, enfin, il l'évoquait, les électeurs ne s'y sont pas trompés non plus. A un moment donné, quand on n'a pas un projet clair, ce n'est pas comme ça non plus qu'on on attire des électeurs.

GUILLAUME DURAND
Alors, question concernant justement votre loi qui va passer par le Sénat, mais qui a été votée à l'Assemblée. Il y a beaucoup de sujets de fond, et puis il y a un sujet évidemment qui défraie la chronique et qui est intégré dans la loi, c'est l'affaire des trottinettes. Vous allez me dire, c'est peut-être minoritaire par rapport au travail que vous avez mené depuis le début, mais c'est devenu la préoccupation de beaucoup de gens, notamment à Paris, car il y a eu un accident mortel, il y a de plus en plus de troubles. Qu'y-a-il exactement dans la loi qui va permettre au fond à tout le monde de gérer cette affaire de trottinettes qui est en train d'exploser et qui effectivement est très difficile à gérer ?

ELISABETH BORNE
Alors peut-être, cette loi elle a été votée largement par le Sénat, et hier par l'Assemblée nationale, moi je m'en réjouis parce que c'est de façon générale une loi qui vise à revoir complètement notre politique des transports, pour des transports plus facile, moins coûteux et plus propres.

GUILLAUME DURAND
On va y revenir.

ELISABETH BORNE
En effet, on veut aussi traiter ce sujet des trottinettes qui prolifèrent dans les grandes villes, à Paris mais aussi à Bordeaux ou à Lyon, donc on va avancer sur plusieurs axes. Le premier c'est d'abord le Code de la route, il faut adapter le Code de la route pour prendre en compte ces nouveaux engins, et donc on va interdire les trottinettes sur les trottoirs, les trottoirs c'est fait pour les piétons, tout le monde doit pouvoir y circuler en toute sécurité.

GUILLAUME DURAND
Madame BORNE, vous avez vu comme moi, les trottinettes sur les trottoirs, il y en a énormément.

ELISABETH BORNE
Alors, il y en a qui circulent…

GUILLAUME DURAND
Il y en a plus sur les trottoirs que dans les rues.

ELISABETH BORNE
Il y en a qui circulent sur les trottoirs, donc ça c'est interdit, 135 € d'amende, donc c'est les nouvelles règles du Code de la route. On va aussi brider ces trottinettes, s'assurer qu'elles ne vont pas au-delà de 20 km/h. Donc c'est toute une série de mesures sur le Code de la route. Et le deuxième axe c'est de permettre aux villes d'interdire le stationnement anarchique de ces trottinettes sur les trottoirs, donc les villes pourront délimiter des zones dans lesquelles on doit stationner les trottinettes…

GUILLAUME DURAND
Mais est-ce que vous avez l'impression qu'un texte, fut-il voté par les parlementaires, va suffire justement à modifier un comportement ?

ELISABETH BORNE
Je pense que pour les…

GUILLAUME DURAND
Y compris s'il y a la menace d'amende.

ELISABETH BORNE
Enfin, pour les opérateurs, je pense que c'est très simple de se conformer à ce que demanderont les villes…

GUILLAUME DURAND
Autrement on les interdit.

ELISABETH BORNE
De toute façon, autrement elles seront interdites. Mais voyez, a priori, de dire : vous ne pouvez pas rendre votre trottinette en dehors des zones qui ont été délimitées à cet effet, je pense que c'est très simple, c'est une adaptation très simple pour les opérateurs de trottinettes. Donc je pense que c'est dommage aujourd'hui de voir que ce qui pourrait être une nouvelle façon de se déplacer, assez écologique finalement, puisque ça n'émet pas de gaz à effet de serre, ces trottinettes, devient finalement un motif d'exaspération pour beaucoup de ceux qui se déplacent dans les villes, et donc je pense que c'est important qu'on pose des règles pour que ce développement se fasse dans de bonnes conditions.

GUILLAUME DURAND
Alors, dans le droit fil de ce qui s'est passé pendant plusieurs mois, les Gilets jaunes à Paris, il y a le fameux forfait de mobilité durable, le transport, c'est-à-dire la possibilité pour les gens qui sont des salariés d'obtenir donc une certaine somme forfaitaire pour pouvoir effectivement se déplacer, la somme avancée ou la somme dont on parle de c'est 400 €. Le problème c'est que, à la fois c'est une proposition effectivement qui est dans la loi, et en même temps ce n'est pas obligatoire, ce que regrettent pas mal d'ONG.

ELISABETH BORNE
Alors, ce qui est obligatoire, c'est que ça devienne un sujet de discussion dans les entreprises, ça devient un thème de négociations obligatoire dans les entreprises, et moi je suis convaincue que les employeurs peuvent faire beaucoup pour améliorer les déplacements domicile-travail des salariés. Ça peut être d'adapter des horaires, de permettre à deux personnes qui habitent à proximité, de venir ensemble, en covoiturage, ça peut être de développer le télétravail, et puis aussi d'accompagner financièrement les salariés qui en ont besoin. Donc cette discussion, cette négociation dans l'entreprise, sera obligatoire. On a décidé de se donner 18 mois pour regarder comment ces accords se mettent en place dans les entreprises, et donc le cas échéant, si ça se passe mal, on y reviendra.

GUILLAUME DURAND
Ça pourrait devenir obligatoire, c'est-à-dire ce qui pour l'instant est suggéré, pourrait devenir obligatoire.

ELISABETH BORNE
Ce que nous dit le MEDEF par exemple, c'est de nous dire : regardez la prime de fin d'année, ça a été formidable, c'était facultatif, ça a très bien marché, laissez-nous avancer sur un dispositif facultatif, on va évaluer dans 18 mois comment ça se passe.

GUILLAUME DURAND
Globalement, sur le plan philosophique, vous savez que l'un des grands reproches qui a été fait notamment par Nicolas HULOT au président de la République et par beaucoup de gens d'ailleurs, les écologistes, c'est au fond de ne pas avoir de politique qui soit vraiment écologique. Certains comme Nicolas HULOT donc considérant qu'il fallait complètement changer de système. Dans cette loi justement, qu'est-ce qui est marqué du sceau de l'écologie et qu'est-ce qui prend ses distances par rapport à des positions plus fondamentales ou fondamentalistes que fondamentales, qui sont celles de Nicolas HULOT ?

ELISABETH BORNE
Enfin, je pense qu'on va tout à fait dans le sens que plaidait Nicolas HULOT, par exemple dans la loi on inscrit l'arrêt des ventes des véhicules qui consomment des gaz…des énergies fossiles pardon, à l'horizon 2040.

GUILLAUME DURAND
C'est loin.

ELISABETH BORNE
On a déjà un objectif en 2030, de baisse de 37,5 % des émissions de gaz à effet de serre. Quand vous discutez avec des constructeurs, ils pensent que c'est très ambitieux et que ça va changer de fait les voitures d'ici 2030. Et je pense que c'est important d'avoir une trajectoire qui est, qui donne un cap et qui donne des étapes réalistes, et c'est ce qu'on fait au travers de cette loi. Et puis vous savez on a aussi d'autres axes comme nos investissements, on réoriente notre politique d'investissement pour des transports du quotidien, trois quarts des investissements sont dans le transport ferroviaire. Par exemple moi j'ai l'objectif de développer des véritables RER autour des grandes villes, y compris en régions, et de passer de 500 000 voyageurs chaque jour dans les trains, les TER, à un million d'ici 2030. Tout ça c'est autant de moins de personnes qui seront dans les galères des embouteillages tous les matins, et qui pourront avoir une offre de trains renforcée. On a aussi l'objectif de multiplier par trois la part du vélo. Le vélo, vous savez, c'était 10 % dans les années 70, aujourd'hui c'est 3 %. C'est un mode de transport peu coûteux, facile, écologique, et bon en plus pour la santé. On encourage très fortement le covoiturage, quand vous êtes à deux dans une voiture, eh bien c'est deux fois moins de gaz à effet de serre par personne.

GUILLAUME DURAND
Oui mais vous connaissez les reproches des écologistes, et ça ne veut pas dire de ma part que je suis leur porte-parole, mais les écologistes considèrent qu'on ne va pas assez vite, et de l'autre côté vous avez les automobiles qui disent qu'il y en a marre, on est toujours les dindons de la farce, ils parlent de l'embolie qui règne à Paris actuellement avec les travaux, alors ce n'est pas forcément, ce n'est même pas du tout de votre ressort. On a l'impression qu'on est coincé entre deux logiques, c'est-à-dire la logique des fondamentalistes de l'écologie qui voudraient qu'on change totalement de systèmes, et puis la logique des gens qui ont l'impression qu'ils sont totalement brimés dans leurs comportements individuels.

ELISABETH BORNE
C'est pour ça qu'on essaie de trouver un chemin et un équilibre entre ceux qui nous disent « allez plus vite », et par exemple, voyez, certains ont proposé de dire : l'arrêt des véhicules qui consomment des énergies fossiles ça pourrait être 2030. Moi je pense qu'on ne peut pas changer d'horizon tous les quatre matins. Vous voyez, les constructeurs automobiles ils sont très concernés par ces transitions importantes. Quand Nicolas HULOT était ministre, à l'été 2017 on a annoncé ce cap d'arrêt des ventes des véhicules à énergie fossile en 2040, on tient ce cap, on ne peut pas changer tous les quatre matins. Et voilà. Je pense qu'en effet, certains nous disent « vous allez trop vite », et d'autres « pas assez vite », eh bien peut-être que ça veut dire qu'on a trouvé le bon équilibre.

GUILLAUME DURAND
Sur un sujet qui ne vous concerne pas directement, qui est l'assurance chômage, avec les décrets, voici ce que disait il y a quelques instants, Elisabeth BORNE, merci d'être en direct avec nous, Laurent BERGER le patron de la CFDT. Le moins qu'on puisse dire c'est qu'il ne décolère pas.

LAURENT BERGER
L'objectif il est double. Le premier, c'est une logique budgétaire. Qu'il y ait une recherche d'économies budgétaires, pourquoi pas, que ce soit le seul dogme quand on fait une réforme sociale, ce n'est pas acceptable. Le deuxième sous-jacent, et qui est assez présent dans la société et je voudrais le dénoncer, et je sais bien que je ne suis pas dans un courant majoritaire aujourd'hui en disant ça, mais c'est un peu ce sentiment quand même que quand on est au chômage, c'est quand même qu'on l'a un peu cherché.

GUILLAUME DURAND
Voilà donc pour les propos de Laurent BERGER, et nous sommes dans un contexte de sortie de l'affaire des Gilets jaunes, même si elle n'est pas définitivement et totalement terminée, elle n'a pas été effacée, ce contexte il n'a pas été effacés par les élections européennes. Il y a votre loi qui est une certaine forme de réponse, il y a l'assurance chômage qui est la politique du gouvernement et aussi la réponse qui est celle de Laurent BERGER. Vous lui diriez quoi ce matin ?

ELISABETH BORNE
Enfin, je pense que l'objectif c'est de sortir du chômage de masse qui mine notre pays depuis des années. Et il faut quand même regarder qu'autour de nous, nos voisins européens en sont sortis. Donc il faut quand même qu'on se pose aussi des questions et qu'on trouve aussi un chemin pour sortir du chômage de masse.

GUILLAUME DURAND
Quand il dit : « logique comptable et chasse aux chômeurs déclarés » ?

ELISABETH BORNE
Enfin, il y a des mesures importantes dans ce qui a été annoncé hier, notamment pour mettre fin au recours abusif aux contrats courts. Je pense qu'on peut tous se retrouver sur cet objectif…

GUILLAUME DURAND
Oui mais, alors, de ce côté-là c'est le patronat qui n'est pas content.

ELISABETH BORNE
Oui, eh bien voilà, je pense que ce n'est jamais des choses qui font l'unanimité, mais on voit bien que c'est aussi équilibré, c'est à la fois mettre fin au recours abusif aux contrats courts, avec un système de bonus-malus pour encourager les entreprises qui font attention à ne par renouveler des CDD, faire appel toujours aux mêmes, avec des périodes hachées d'activités, et puis il y a aussi, enfin ce qui est qui est porté par le gouvernement depuis le début du quinquennat, de dire qu'il faut que le travail paie toujours plus que le chômage. Et aujourd'hui, vous savez que pour 20 % des gens qui sont au chômage, c'est plus intéressant financièrement d'être au chômage que de travailler. Donc on doit aussi quand même s'interroger sur cette situation et donc on propose de mettre fin à cette situation. Et puis il y a enfin, pour les revenus les plus élevés, une dégressivité, parce qu'on constate qu'on est sur des catégories dans lesquelles on est quasiment au plein-emploi, et que plus les revenus sont élevés, plus la durée de chômage est élevée. Donc il y a quelque chose qui ne va pas bien non plus, et je pense qu'on doit bouger ces curseurs, pour que ce soit vraiment, à la fois aller vers le plein-emploi ; on voit qu'on a aujourd'hui des emplois non pourvus et il faut qu'on puisse effectivement baisser notre taux de chômage, et puis lutter contre la précarité, et c'est ce qu'on fait avec le système de bonus-malus.

GUILLAUME DURAND
Elisabeth BORNE, la ministre des Transports était l'invitée politique de la matinale. On en parlé évidemment de la loi LOM, celle sur les mobilités, et donc de la conversation ou des conversations politiques qui tournent autour des décrets concernant l'assurance chômage qui va être modifiée. Merci, bonne journée à vous.

ELISABETH BORNE
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 juin 2019