Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, à Europe 1 le 19 mars 2019, sur les réponses de la Justice face aux manifestations violentes des "Gilets jaunes".

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Média : Europe 1

Texte intégral

NIKOS ALIAGAS
L'interview politique avec Audrey CRESPO-MARA, qui reçoit aujourd'hui la garde des Sceaux.

AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour Nicole BELLOUBET.

NICOLE BELLOUBET
Bonjour.

AUDREY CRESPO-MARA
Hier, vous étiez aux côtés du ministre de l'Intérieur et du Premier ministre, quand il a fait ses annonces après le chaos de samedi. Donc, Christophe CASTANER n'aurait rien à se reprocher, et le préfet de police a été limogé, parce que tout est de sa faute. C'est ça ?

NICOLE BELLOUBET
Je ne crois pas que l'on puisse dire exactement les choses comme ça. Le gouvernement est évidemment responsable, de manière globale. Ce qui a été dit ici par le message du Premier ministre, c'est qu'il y avait une doctrine qui avait été mise en place par le gouvernement entre le 1er et le 8 décembre, et qu'il y a eu des dysfonctionnements dans l'application de cette doctrine.

AUDREY CRESPO-MARA
Et le préfet était le fusible idéal.

NICOLE BELLOUBET
Ce n'est pas ce que je dis. Je vous dis simplement qu'il y a eu des dysfonctionnements…

AUDREY CRESPO-MARA
Mais c'est comme cela que c'est vécu, en tout cas.

NICOLE BELLOUBET
... et cela a été traduit par évidemment des conséquences en termes perte de personne.

AUDREY CRESPO-MARA
Quand il y a des dysfonctionnements, c'est à cause du préfet de police ou de ministres qui donnent les consignes ?

NICOLE BELLOUBET
C'est ce que je vous ai dit : il y avait des consignes claires, politiques, qui avaient été données par le ministre entre le 1er et le 8 décembre, c'est-à-dire au fond après les incidents gravissimes de l'Arc de Triomphe, et que dans l'application de cette doctrine, ce qui ne relève pas du ministre…

AUDREY CRESPO-MARA
Mais de la préfecture.

NICOLE BELLOUBET
... manifestement, il y a eu des dysfonctionnements.

AUDREY CRESPO-MARA
Donc d'autres têtes pourraient tomber.

NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, ça ce sera au ministre de l'Intérieur, je ne suis pas ministre de l'Intérieur.

AUDREY CRESPO-MARA
Samedi, Nicole BELLOUBET, il y a eu quelques 340 interpellations, et dès hier, des comparutions immédiates…

NICOLE BELLOUBET
Absolument.

AUDREY CRESPO-MARA
Combien, avec quels profils et quelles condamnations ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, il y a eu une soixantaine de comparutions immédiates qui ont eu lieu hier. Il y en aura également d'autres aujourd'hui. Hier, les comparutions immédiates portaient je dirais sur les cas les moins lourds, puisque c'était celles qui faisaient suite aux interpellations du début de la journée du samedi, et donc on avait des profils qui étaient, pas parmi les plus lourds, ce sera aujourd'hui que nous saurons les profils les plus lourds.

AUDREY CRESPO-MARA
C'est-à-dire, quels profils ?

NICOLE BELLOUBET
Eh bien c'est-à-dire des gens qui ont été vraiment des casseurs, et donc dans les sanctions qui ont été prononcées par les juges hier, je ne les ai pas toutes là, mais il y a manifestement eu de la prison ferme, et je crois d'ailleurs que les procureurs ont fait des réquisitions extrêmement sévères.

AUDREY CRESPO-MARA
Et donc il y en aura encore aujourd'hui.

NICOLE BELLOUBET
Bien sûr, et on pourra faire un bilan dès ce soir ou demain matin.

AUDREY CRESPO-MARA
En 4 mois, quelques 9 000 personnes ont été interpellées…

NICOLE BELLOUBET
Oui, on a à peu près 8 500 personnes qui ont été vues par la justice. Il y a eu évidemment des jugements derrière qui pour certains ont été sévères.

AUDREY CRESPO-MARA
Combien de condamnations et quels types de condamnations là encore, sur les 4 mois ?

NICOLE BELLOUBET
Globalement, si vous voulez, on a à peu près 1 800 jugements qui ont eu lieu au moment où je vous parle. Sur ces 1 800 jugements, à peu près 40 % de peines de prison ont été prononcées, ce qui est tout de même important.

AUDREY CRESPO-MARA
Ferme ou avec sursis.

NICOLE BELLOUBET
Voilà. 60 % qui en revanche ont fait l'objet d'un sursis, et 40 % de peines de prison ferme, et 60 % qui ont fait l'objet d'un sursis. Il faut savoir également que nous avons à peu près autant de jugements à venir, c'est-à-dire à peu près 1 800 jugements qui restent à avoir lieu, et puis en plus de cela, il y a eu des peines qui ne sont pas des peines de prison, à peu près 1 800 également…

AUDREY CRESPO-MARA
Travaux d'intérêt général et compagnie, c'est ça.

NICOLE BELLOUBET
Voilà, donc on ne peut pas dire, comme je l'entends parfois, que la justice est laxiste. Elle est juste et adaptée.

AUDREY CRESPO-MARA
Alors justement, c'est ce que nous disait encore ce matin David LE BARS, du syndicat des commissaires de police.

DAVID LE BARS
Les policiers, souvent, ont l'impression que la justice n'est pas assez sévère par rapport aux gens qu'on interpelle.

AUDREY CRESPO-MARA
Voilà, il était l'invité d'Europe 1 ce matin.

NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, moi je crois, d'abord globalement, quand on regarde le nombre de prisonniers qu'on a en France, on ne peut pas dire que la justice soit laxiste, globalement, et sur les événements des Gilets jaunes, je crois vraiment que tant les procureurs, qui requièrent des peines sévères, que les magistrats qui dans leur indépendance, énoncent ces peines, je crois choisissent des sanctions qui sont adaptées. Il faut bien voir que parmi les personnes qui sont interpellées, nous n'avons parfois pas les profils les plus lourds, les casseurs les plus lourds, et dans ces profils qui sont interpellés, souvent ce sont des premières fois, et donc vous devez forcément adapter la peine. Je ne justifie pas le laxisme, j'explique ce qui fonde l'Etat de droit, c'est-à-dire l'adaptation des sanctions à une situation donnée.

AUDREY CRESPO-MARA
En février, Eric DROUET était au tribunal pour avoir organisé des manifestations sans autorisation, alors que la loi prévoit jusqu'à 6 mois de prison et 7 500 € d'amende, le procureur a requis un mois avec sursis et 500 € d'amende. C'est du laxisme ?

NICOLE BELLOUBET
Non, ce n'est pas du laxisme. Monsieur DROUET, dont je rappelle qu'il n'avait pas de casier judiciaire, monsieur DROUET répond ainsi aux infractions qui lui ont été reprochées. Je rappelle qu'il y aura un second jugement, monsieur DROUET doit à nouveau être jugé pour d'autres faits, le 5 juin. Donc au total je pense qu'il sera jugé pour les infractions qu'il a commises.

AUDREY CRESPO-MARA
En tout cas ça ne lui fait…

NICOLE BELLOUBET
En tout cas jusqu'à présent.

AUDREY CRESPO-MARA
Ça ne lui fait ni chaud ni froid à Eric DROUET, puisqu'il a lancé un appel pour bloquer aujourd'hui des raffineries partout en France.

NICOLE BELLOUBET
Ça ne me semble pas acceptable. Ça ne me semble pas acceptable, je crois là que lorsqu'il y a incitation à violence, sur Internet, il peut y avoir des sanctions, enfin, c'est les magistrats qui décident, je le redis clairement, mais il me semble qu'on ne peut pas laisser les choses aller de cette manière.

AUDREY CRESPO-MARA
Le Premier ministre a reparlé de l'utilisation de l'article 40…

NICOLE BELLOUBET
Absolument.

AUDREY CRESPO-MARA
De procédure pénale, c'est la possibilité de dénoncer ceux qui encouragent les violences.

NICOLE BELLOUBET
Exactement.

AUDREY CRESPO-MARA
Sera-t-il utilisé, donc, à l'encontre d'Eric DROUET, de Maxime NICOLLE et que risquent-ils ?

NICOLE BELLOUBET
Il sera utilisé à l'égard de tous ceux qui incitent à des actions violentes. Les magistrats jugeront de ce qui doit en advenir, mais le Premier ministre a été très clair : on ne peut pas laisser de telles incitations à la violence, impunément se dérouler sur Internet.

AUDREY CRESPO-MARA
Nicole BELLOUBET, avez-vous les conclusions des premières enquêtes de l'IGPN, la police des polices, saisie par la justice de 174 affaires de violences policières présumées, 83 des 140 investigations concernent des tirs de LBD.

NICOLE BELLOUBET
Oui, Non, nous n'avons pas encore les conclusions de ces enquêtes…

AUDREY CRESPO-MARA
Toujours pas de conclusions ?

NICOLE BELLOUBET
Toujours pas les conclusions.

AUDREY CRESPO-MARA
Et les premières datent d'il y a 4 mois.

NICOLE BELLOUBET
Oui, mais nous n'avons toujours pas les conclusions.

AUDREY CRESPO-MARA
Mais vous comprenez aussi le reproche qui peut être fait, c'est-à-dire quand il s'agit de policiers, ça prend du temps, on n'a jamais les réponses, on n'a jamais les conclusions.

NICOLE BELLOUBET
Non, mais il en va de même, quand je vous ai dit tout à l'heure madame CRESPO-MARA, que nous avions encore 1 800 jugements qui étaient en attente, c'est tout simplement parce qu'il y a aussi des enquêtes.

AUDREY CRESPO-MARA
Mais vous m'avez donné des jugements de comparutions immédiate, des résultats déjà sur certaines enquêtes, là, il n'y en a pas, manifestement.

NICOLE BELLOUBET
Mais, bien sûr, parce que quand on a les éléments de preuves qui sont immédiats, qui sont facilement utilisables, eh bien on peut déclencher une comparution immédiate. Dans d'autres cas, quand il y a une enquête qui est nécessaire, il faut prendre le temps…

AUDREY CRESPO-MARA
Sur des manifestants éborgnés, c'est plus long.

NICOLE BELLOUBET
... sur des manifestants comme sur des policiers. Pardon ?

AUDREY CRESPO-MARA
Sur des manifestants éborgnés, ça prend plus de temps ? Le constat est clair et rapide, non ?

NICOLE BELLOUBET
Mais non, non non, le constat n'est pas clair, n'est pas rapide, il faut savoir dans quelles circonstances, dans quel contexte est-ce que ça s'est déroulé.

AUDREY CRESPO-MARA
Donc toujours pas de conclusions concernant les policiers.

NICOLE BELLOUBET
Pas à ce stade.

AUDREY CRESPO-MARA
Nicole BELLOUBET, le RAID est intervenu hier à la prison de Condé-sur-Sarthe pour interpeller cinq détenus soupçonnés d'être liés à l'agression de deux gardiens. Pourquoi appeler la police pour interpeller des individus qui sont déjà en prison ?

NICOLE BELLOUBET
Eh bien tout simplement parce que l'établissement de Condé-sur-Sarthe, qui a subi un véritable choc avec le l'attentat à l'égard de ses deux surveillants, n'a pas aujourd'hui repris son fonctionnement normal, d'une part, et d'autre part, il va falloir évidemment que ce fonctionnement revienne, et d'autre part, parce qu'il nous a semblé qu'il y avait sans doute un risque potentiel, c'est la raison pour laquelle on a demandé l'appui du RAID.

AUDREY CRESPO-MARA
Les policiers, les gardiens de prison demandent à être plus armés, demandent notamment avoir un pistolet électrique, notamment. Est-ce que vous allez les armer davantage ?

NICOLE BELLOUBET
Certains, toutes les organisations syndicales ne sont pas d'accord sur cet armement, parce que quand vous êtes en milieu clos, il faut bien voir qu'une telle arme pourrait se retourner contre les surveillants eux-mêmes. Mais je me suis engagée envers les organisations syndicales, à ce que l'on ait un groupe de travail, pour voir dans quelles conditions est-ce que cet armement pourrait avoir lieu. Juste un mot pour dire que d'ores et déjà, dans certaines situations les surveillants pénitentiaire sont armés.

AUDREY CRESPO-MARA
Et donc le conflit est toujours en cours en tout cas, puisqu'à Condé-sur-Sarthe le mouvement…

NICOLE BELLOUBET
A Condé-sur-Sarthe nous avons un établissement qui évidemment a subi ce choc et qui est perturbé, ailleurs les choses se passent plutôt correctement.

AUDREY CRESPO-MARA
Et concernant cette attaque de Condé-sur-Sarthe, et ces cinq interpellations hier, il s'agit de détenus radicalisés qui ont encouragé le passage à l'acte ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, écoutez, il y a une enquête qui est en cours, donc il m'est très difficile de vous dire exactement ce qu'il y a dans l'enquête. J'ai bien vu ce matin qu'il y avait eu une violation du secret de l'enquête dans l'un des journaux du matin, mais moi je ne souhaite pas aller au-delà. Ce que j'ai demandé pour que l'enquête puisse se dérouler normalement, c'est que les écoutes du renseignement pénitentiaire soient livrées à l'autorité judiciaire.

AUDREY CRESPO-MARA
Parce qu'on peut lire effectivement dans Le Parisien que des conversations entre détenus ont été enregistrées, qu'elles annonçaient l'attaque mais qu'elles n'ont pas été écoutées à temps.

NICOLE BELLOUBET
Alors, le renseignement pénitentiaire n'écoute jamais en direct toutes les écoutes qui sont faites. Matériellement c'est impossible, il y a toujours un délai de traitement, mais vous le savez, j'ai aussi demandé une inspection de la justice pour voir s'il y avait eu des dysfonctionnements dans le traitement de ces informations.

AUDREY CRESPO-MARA
Et c'est en cours.

NICOLE BELLOUBET
C'est en cours, ça va être très rapide, là je peux vous le dire, c'est dans 15 jours à peu près maintenant.

AUDREY CRESPO-MARA
Merci Nicole BELLOUBET.

NICOLE BELLOUBET
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 mars 2019