Interview de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à Europe 1 le 25 septembre 2019, sur la politique de l'immigration.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Bonsoir, Amélie de Montchalin.

R - Bonsoir.

Q - Alors, le président de la République, ce matin, sur Europe 1 s'est exprimé sur l'immigration, il a déplié sa vision, ce qu'il souhaite sur ce sujet pour la France et alors il a dit par exemple qu'il faut que notre pays soit moins attractif pour les candidats à l'exil. La question est simple : que peut faire le gouvernement pour cela ? Faut-il, par exemple, réformer un dispositif qui s'appelle la PUMa, c'est la prestation universelle maladie qui permet aux demandeurs d'asile de bénéficier de soins dès qu'ils déposent leur demande d'asile. Est-ce qu'il faut réformer ce dispositif ?

R - Alors, je trouve déjà très bien qu'on puisse poser les faits et avoir sur ces sujets un débat de réalité et pas un débat de fantasme. L'honneur de la France, c'est dans sa constitution, c'est d'accorder le droit d'asile et de protéger ceux qui fuient la guerre et la persécution et c'est pour cela qu'on a ce mécanisme, la fameuse PUMa, la protection universelle maladie, pour que quand une famille quitte un territoire où ils sont en guerre, eh bien, quand ils arrivent en France on puisse les soigner. Le problème aujourd'hui, c'est qu'on a des trafiquants, des passeurs qui ont trouvé des filières où ils gagnent beaucoup d'argent sur le dos de la misère et sur le dos surtout de personnes qui sont en difficulté médicale et qui viennent de pays qui sont dits sûrs, des pays européens.

Q - Géorgie, Albanie. On sait que les demandes venant de ces pays européens ont explosé sur les six derniers mois, sur l'année qui vient de s'écouler. Pour vous, ce sont des filières délinquantes qui organisent une sorte de fraude à la sécurité sociale française ?

R - Il y a surtout qu'elles font payer cher, c'est-à-dire que ce sont des gens malades, qui viennent de pays démocratiques, de pays membres du Conseil de l'Europe. Ce sont des pays avec qui on échange sur beaucoup de sujets parce que l'Europe à un moment donné a libéralisé les visas parce que justement c'était des pays démocratiques qui se développaient. Certains ont organisé, ont mis en place des charters, il y a tout un système qui s'est mis en oeuvre, et nous, la France, parce qu'on tient absolument à ce droit d'asile pour ceux qui sont persécutés, pour ceux qui fuient la guerre, il faut que nous fassions également des actes pour que ceux qui dévoient ce système arrêtent de le faire.

Q - Alors, par exemple, que pouvez-vous faire pour contrer ces activités illégales ?

R - Aujourd'hui, ce qu'on fait, c'est qu'on évalue. Donc, on essaie de comprendre, le nombre de personnes, comment c'est organisé. Qu'est-ce qu'on pourrait faire pour revenir à une situation où on fait le meilleur de ce qu'on peut faire collectivement sur l'emploi, sur le logement, sur la santé mais aussi sur l'éducation des enfants pour ceux qui ont le droit et surtout pour qui on a le devoir de les accueillir.

Q - Amélie de Montchalin, vous dites il est temps d'évaluer. L'évaluation, vous la connaissez, le nombre de demandeurs d'asile en provenance de Géorgie et d'Albanie a explosé et c'est plus de 90% de personnes qui sont déboutées de l'asile, à qui on ne donne pas, finalement, l'asile. Donc vous savez bien le nombre de ces personnes qui arrivent ici avec la volonté d'être soignées.

R - Et c'est pour cela qu'il faut une action française et européenne. Ce qu'on va faire, dans les prochains jours, c'est déjà de poser les faits. Ce soir, on a un débat...

Q - Les faits sont posés, Amélie de Montchalin. Quelles seront les actions ? Quels seront les actes du gouvernement ?

R - Au niveau européen, il y a un sujet sur Schengen, il y a un sujet ensuite sur la demande d'asile en Europe et c'est ce qu'on appelle le règlement Dublin. Comment on peut se coordonner, pourquoi dans les autres pays ces phénomènes n'arrivent pas, comment ils se sont organisés pour que cela n'arrive pas ? Est-ce que cela dépend des hôpitaux ? Est-ce que cela dépend des systèmes de visas ? Est-ce que cela dépend de nos contrôles aux frontières ? Il faut qu'on pose ces choses très précisément.

Q - Mais par exemple la prestation universelle maladie aujourd'hui un demandeur d'asile la touche au jour 1. Dès qu'il dépose sa demande d'asile, il en bénéficie. Est-ce qu'on ne pourrait pas imaginer un délai de trois mois par exemple ?

R - C'est des choses qu'on peut imaginer.

Q - Vous y réfléchissez aussi au gouvernement ?

R - On réfléchit à beaucoup de choses. On réfléchit aussi à faire en sorte que nous n'organisions pas des charters de personnes malades au départ de ces pays qui viennent soi-disant faire du tourisme alors qu'ils ne sont pas médicalement dans des conditions pour le faire. C'est bien qu'il y a quelque chose à faire avec les pays d'origine.

Q - Avec les autorités géorgiennes ou albanaises.

R - Et donc, ce que vous voyez, c'est que souvent l'immigration, depuis 40 ans, cela a fait les choux gras de la famille Le Pen, cela a fait les choux gras des extrêmes, et au fond, les démocrates, soit ils avaient peur d'en parler, soit ils en parlaient beaucoup mais ne faisaient pas grand-chose. Là où je trouve que c'est sain pour notre pays que nous ayons ce débat, c'est que nous allons pouvoir en parler non seulement sur les aspects que les Français connaissent, en tout cas ce qu'ils entendent, c'est la partie des chiffres, des reconduites à la frontière, ce dont s'occupe Christophe Castaner. Mais j'aimerais que l'on parle aussi de ce que l'on fait pour l'intégration, parce que les demandeurs d'asile quand on leur offre le statut de réfugié, c'est notre honneur également de leur permettre de vivre dans notre pays, de s'y intégrer, d'y apprendre la langue, de trouver un travail, de trouver un logement, de scolariser leurs enfants, qu'ils puissent réellement trouver leur place dans notre pays. Vous savez, pendant des décennies, au moment de la convention de Genève en 1950, la France s'est énormément enrichie de ces personnes qui sont venues sur notre territoire.

Q - Le président de la République, ce matin, a dit : d'accord pour accueillir, mais pas tout le monde parce que si on accueille trop de monde on ne peut pas accueillir bien. C'est ce que vous dites à l'instant. Et donc, quand vous parlez de cette intégration, cela ne peut fonctionner que si l'on réussit les reconduites à la frontière de ceux qui ne sont pas sur le territoire de manière légale et le président a reconnu un échec là-dessus. Que peut faire le gouvernement pour qu'enfin, lorsqu'une obligation de quitter le territoire français est prononcée dans le cadre de la loi, elle soit appliquée ?

R - Là, on a besoin de l'Europe. On a besoin de l'Europe parce qu'il y a beaucoup de ces personnes qui sont passées dans un autre pays avant. Et donc, aujourd'hui on a un système où il faut dans le cadre de ce règlement, si quelqu'un est arrivé de manière illégale en Italie puis est arrivé en France, il faut qu'on le renvoie en Italie pour qu'ensuite l'Italie le renvoie dans son pays. Est-ce que cela marche ? Non, parce que c'est très compliqué. On a un autre problème, c'est ce qu'on appelle les accords de réadmission. On a, avec Frontex, créé un système de garde-côtes européen. On a des bateaux, on a des hommes, on a des avions et on a des choses pour faire cela de manière humaine, pour que chacun puisse être traité comme une personne. Sauf que, si on ne peut pas donner des papiers pour que ces personnes rejoignent leur pays, ce que l'on appelle un laissez-passer consulaire, on peut organiser tout ce qu'on veut, cela ne marche pas.

Q - Là, vous parlez des pays d'origine. On n'est pas sur l'Italie, on est sur le Mali, le Burkina. Par exemple, le Mali, l'année dernière, est-ce que vous savez combien de laissez-passer consulaires il a octroyé ?

R - Non, je ne connais pas tous les chiffres pour tous les pays...

Q - Huit, huit.

R - C'est bien pour cela qu'on a besoin de l'Europe.

Q - Comment vous faites pour obtenir d'un pays comme le Mali qu'il octroie davantage de laissez-passer consulaires ?

R - C'est aujourd'hui une priorité assumée d'Ursula von der Leyen avec la Commission européenne, c'est une priorité de notre diplomate européen en chef qui va être, si le Parlement le confirme, Josep Borrell. Parce que vous imaginez bien que si les vingt-sept pays européens débarquent demain au Mali et leur dit : on voudrait avoir un traité de réadmission pour que les personnes que l'on ne peut pas accueillir dans notre pays retournent au Mali. Le Mali, cela fait beaucoup de négociations à faire, cela ne va pas aller très vite. Donc que l'Union européenne négocie un traité de réadmission avec le Mali. On peut avoir ensuite avec ce pays également un soutien à son système d'état civil et surtout beaucoup d'aide au développement. Il faut que l'on puisse traiter des causes profondes de la migration, pourquoi les gens partent. Tout ce que je viens de vous dire ça montre que c'est un sujet européen, c'est un sujet bien sûr français, c'est un sujet qui concerne tous les domaines de l'Etat. Cela concerne notre aide publique au développement, ça concerne le logement, l'emploi, bien entendu la santé mais aussi l'éducation et plus largement notre intégration. Je pense que sur ce débat ce qui me plaît politiquement, c'est que nous allons pouvoir depuis 40 ans créer quelque chose de nouveau, c'est-à-dire nous en parler, comme des gens responsables, sans faire de polémique, sans faire de l'hystérie, sans se dire que c'est formidable ou que rien ne fonctionne. Vous savez, la méthode "En Marche", c'est poser un diagnostic, être lucide dans le diagnostic, se demander ce qu'on veut faire précisément et trouver les bons outils. Je pense que sur ce sujet-là, comme sur beaucoup d'autres, il faut qu'on le fasse bien.

Q - La méthode "En Marche", là, nous sommes sur un sujet régalien, on veut que le président de la République dise ce qu'il considère être bon pour la France. Les diagnostics, cela prend beaucoup de temps.

R - Oui, mais on veut le faire avec les Français, parce que trop souvent le sujet migratoire a été abordé par des outils. Une fois on parlait des reconduites, une fois on parlait des centres de rétention, une fois on parlait des procédures d'entrée, une autre fois des visas. Mais le problème, c'est où est la cohérence de tout cela ? Quand vous êtes une personne, vous avez une vie entière, et il faut aussi être clair : l'Europe a à faire beaucoup mieux et beaucoup plus dans sa relation au reste du monde, avec l'Afrique et avec l'intégralité des pays, et en notre propre sein, entre nous, Européens.

Q - Amélie de Montchalin, secrétaire d'Etat aux affaires européennes. Merci d'avoir accepté mon invitation.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 septembre 2019