Texte intégral
YVES CALVI
Dans trois mois jour pour jour, vous serez sûrement dans les derniers préparatifs de votre soirée du réveillon de Noël, mais dès aujourd'hui le gouvernement lance une bataille contre les jouets genrés qui continuent la diffusion de stéréotypes. Les industriels et les distributeurs sont invités à signer une charte pour une représentation mixte des jouets. Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Yves CALVI.
YVES CALVI
Vous êtes secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, c'est vous qui êtes à la manoeuvre pour cette charte, concrètement qu'est-ce qui vous conduit à demander aux industriels et aux distributeurs aujourd'hui de s'engager pour cette charte ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors en fait on part d'un constat, c'est qu'il y a très peu de femmes dans l'industrie, ça peut vous sembler très éloigné, mais en fait on s'aperçoit et c'est tout le travail qu'a fait le Conseil de la mixité et l'égalité professionnelle dans l'industrie, que lorsqu'on remonte à l'origine des causes de ce peu de femmes dans l'industrie, c'est que les femmes, les petites filles ne se projettent pas dans la technique, dans la technologie, dans les figures d'ingénieurs et ça commence très tôt avec les jouets.
YVES CALVI
Là ce que vous décrivez, c'est en effet une réalité sociologique, on peut l'observer, mais est-ce qu'il existe un vrai problème avec les jouets pour enfants selon vous ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, il existe un problème avec les jouets pour enfants, il n'y a qu'à voir la façon dont on vous accueille dans un magasin de jouets lorsque vous voulez faire un cadeau à votre petite nièce ou votre petit neveu, la première question, c'est est-ce que c'est pour une petite fille ou pour un petit garçon ? Ce n'est pas, est-ce qu'il aime jouer dehors ? Est-ce qu'il aime faire des jeux de construction ? Est-ce qu'il aime s'occuper d'un petit ? Ce n'est juste pas le sujet. Il y a les jouets pour les filles qui sont en règle générale très roses, qui sont en règle générale très autour des tâches domestiques. Il y a les jouets pour garçons qui sont en général autour de la construction, de la projection dans l'espace et à l'extérieur et autour de la science et de la technique.
YVES CALVI
Et vous nous dites que c'est un handicap, pour… alors pour les petites filles notamment afin de se projeter dans leur avenir professionnel et tout simplement de leur vie de femmes, enfin.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement et ça se mesure, c'est-à-dire que les petites filles tout au long de leurs études ont plutôt des meilleures notes en mathématiques et en physique que les petits garçons, mais lorsqu'elles arrivent au bac et qu'elles doivent faire leur choix, lorsqu'elles sont vraiment très bonnes en matière scientifique, allez, elles vont faire éventuellement médecine, mais vous perdez complètement la statistique que vous aviez auparavant. Et même l'accès en première… enfin dans les matières, dans les filières scientifiques est réduit par rapport aux notes qu'elles ont.
YVES CALVI
Alors on a compris votre engagement et la motivation, mais je vais vous faire écouter la réaction d'une auditrice de RTL qui nous a appelée ce matin à ce propos.
MARIE-HELENE, AUDITRICE
Tous les jours, tous les jours, j'ouvre la radio, il y a toujours une polémique, ils veulent toujours changer les choses. Il y a des rayons de jouets séparés, ça m'arrange bien, pour les catalogues de jouets pour les garçons, pour les filles, ça m'arrange bien. Ma fille, je l'habille en rose, je ne vais pas lui mettre une cote de camionneur pour faire plaisir à certaines personnes. Elle s'habille, elle met des jeans maintenant, elle a un garçon, elle l'habille comme un garçon et puis voilà, les gens veulent changer les choses, pourquoi, pourquoi ?
YVES CALVI
Alors cette auditrice, elle vous dit, ce n'est pas grave, ma fille va très bien, elle a joué avec des poupées et puis après quand elle a voulu passer à la cote de camionneurs, elle peut le faire si elle en a envie, que lui répondez-vous ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est à la fois très vrai et en même temps, c'est un système très insidieux. Si vous regardez dans d'autres pays, l'Estonie, la Lituanie, dans ces pays-là vous vous apercevez que les filles accèdent beaucoup plus aux matières scientifiques et aux carrières scientifiques parce qu'il y a aussi une approche et socialement parce que les jouets et tout ce qui est qui attrait à la technique est valorisé pour l'ensemble des garçons et des filles.
YVES CALVI
Et on a besoin de passer par une charte pour faire progresser les choses, Agnès PANNIER-RUNACHER ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui parce que c'est une façon en fait de visibiliser le sujet, la charte n'est qu'un début et oblige finalement chacun a à se poser la question de, mais au fond est-ce que je ne suis pas pris par un biais cognitif, est-ce que je n'ai pas tendance à vouloir forcément donner un jouet de fille entre guillemets ou de garçon, alors que, moi j'ai des garçons et des filles, donc…
YVES CALVI
Ce qui veut dire qu'il n'y aura pas de sanction parce que, je veux dire si du coup enfin voilà, on pourrait le prendre à l'envers aussi, dire oh, là, là, vous allez encore nous coller des sanctions partout, mais je veux dire, s'il n'y a pas de sanctions j'allais dire, qu'elle est la portée de l'engagement ? Ceux qui sont sensibles à ces questions, ils ont déjà fait leur révolution, j'ai envie de dire dans leur tête, les autres…
AGNES PANNIER-RUNACHER
En fait vous vous apercevez que ces vingt dernières années, les jouets sont devenus de plus en plus genrés, donc on est dans une évolution…
YVES CALVI
Ah oui.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, on est dans une évolution à contre-courant, ça c'est la première chose à savoir.
YVES CALVI
C'est intéressant.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Dont c'est un vrai sujet quand même, sociétal, profond…
YVES CALVI
Pardonnez-moi, je vous interromps, mais que dans les puzzles genrés garçons, on a plus de pièces de complexité que dans ceux qui sont genrés filles ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est des choses effectivement qu'on observe chez certains fabricants, donc je veux dire ce qu'il y a derrière est extrêmement insidieux et c'est pour ça qu'il faut lutter contre cela. Ensuite ce sont des engagements volontaires, mais c'est des engagements volontaires que l'on suit et vous savez comme moi que ce qui compte quand même pour une marque, c'est la réputation. Donc le fait de dire l'engagement n'est pas tenu a finalement plus d'influence que de dire vous allez payer une amende de 15000 euros, parce que 15000 euros pour un grand fabricant de jouets ou pour un grand distributeur, ce n'est pas si grave. En revanche être soumis au regard et finalement visibiliser le fait que dans la conception des jouets, dans la publicité qui en est faite, il y a clairement un biais pour remettre les filles à leur place et favoriser les petits garçons vers des carrières scientifiques et des carrières qui sont mieux rémunérées. Je veux dire, c'est y compris un enjeu de compétitivité pour notre économie, à un moment où l'industrie peine à recruter, vous vous privez de la moitié du vivier potentiel, donc c'est absurde.
YVES CALVI
Il va falloir changer aussi la mentalité de ceux qui vous accueillent dans les magasins.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement, c'est un des points de la charte d'ailleurs, c'est de dire, de les former, d'abord il faut les former à ces biais et ces biais, on ne les connaît que quand on nous les met sous les yeux, donc il y a une prise de conscience qui était nécessaire. Je pense qu'on a tous eu ce réflexe de dire c'est pour une petite fille de 8 ans, qu'est-ce que vous auriez à me proposer dans le magasin de jouets ? Donc le fait de se dire, oui c'est vrai, on pourrait proposer autrement les jouets, on pourrait se poser la question autrement, au fond ce qui est important c'est le potentiel de chaque enfant et ce qu'il aime. Et un nourrisson dans les bras d'un petit garçon et un mécano dans les bras d'une petite fille, c'est tout aussi bien, l'important c'est que ça leur place.
YVES CALVI
Je reviens à la question soulevée par Marie-Hélène qui dit finalement, on crée des tensions inutiles, le rose et le bleu, on tire un trait dessus pour les petits garçons et les petites filles ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois qu'on peut faire mieux que ça, que le rose et le bleu, parce que là encore, on est dans un, comment dire, on fixe un univers. Après je reconnais que Marie-Hélène a raison dans le sens où moi ma fille s'est habillé beaucoup en rose à un certain âge, je ne m'y suis pas du tout opposée et puis à un moment elle a décidé que le rose c'était vraiment has-been et donc j'ai trouvé que voilà, elle passait les étapes normalement. Mais je pense que ce qui est important au-delà du rose et du bleu, c'est l'accès à un univers qui vous rouvre le champ des possibles, une petite fille, elle a envie d'être docteur pas d'avoir l'uniforme ou le déguisement de l'infirmière, une petite fille, elle n'a peut-être pas envie d'être la princesse, elle a peut-être envie d'être le chevalier ou la chevalière, je ne sais pas et d'aller au combat et pas d'être cantonnée dans le château à accueillir ses copines pour boire le thé. Donc c'est ça, c'est cet univers-là, offrons leurs, aux enfants, la possibilité d'avoir des univers beaucoup plus riches et pas stigmatisant et surtout aidons les derrière à se projeter dans des carrières scientifiques. Aujourd'hui vous avez 10 % femmes qui codent, 10 %, ça fait 90 % d'hommes qui font des algorithmes de demain.
YVES CALVI
La princesse a aussi envie de faire, un : des algorithmes, deux : d'être médecin. Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER, je rappelle que vous êtes secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances et que vous veniez nous présenter cette charte contre les jouets genrés qui continuent la diffusion des stéréotypes. Bonne journée à vous.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Merci beaucoup. Bonne journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er octobre 2019