Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur la politique industrielle du Gouvernement : ni défensive, ni offensive.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Dans un second temps, nous procéderons à une séquence de questions-réponses.
(…)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour ce débat sur la politique industrielle du Gouvernement et suis heureuse que nous puissions passer plusieurs heures sur ce sujet décisif. J'ai reconnu dans vos interventions des préoccupations auxquelles je vais volontiers apporter des réponses.
Afin de mettre les choses en perspective, laissez-moi vous rappeler d'où nous venons ainsi que les premiers résultats que nous avons engrangés.
Certains d'entre vous l'ont dit, cela fait quarante ans que le pays se désindustrialise.
M. Olivier Marleix. Plutôt sept.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Nous n'allons pas chercher des responsables : je ne fais que ce constat, qui a d'ailleurs été répété par les uns et par les autres et qui est assez largement partagé.
Depuis les années 2000, la France s'est également désindustrialisée : en vingt ans, nous avons perdu 1 million d'emplois industriels et les parts de marché de nos entreprises se sont, à l'international comme en France, érodées. Depuis vingt ans, nous avons perdu en compétitivité, essentiellement à cause d'un coût du travail bien supérieur à celui des autres pays européens.
M. Jean-Paul Dufrègne. Le SMIC est un peu trop élevé, peut-être ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Je parle ici des pays qui ont un modèle social et environnemental comparable au nôtre : je parle de l'Allemagne, je parle de l'Italie, je parle de la Suède, je parle du Danemark, ou même de la Suisse, qui, si elle ne fait pas partie de l'Union européenne, dispose également d'une industrie très solide.
La conséquence d'une telle évolution ? Nos grands groupes ont installé leurs sites de production hors du pays, en laissant parfois les activités à haute valeur ajoutée comme le design des produits et la recherche et développement en France, grâce au crédit impôt recherche et à nos politiques d'innovation.
M. Éric Coquerel. Seulement grâce à eux ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. En revanche, nos PME et ETI, qui sont restés sur notre territoire, ont perdu des parts de marché et de l'activité du fait de leur perte de compétitivité non seulement vis-à-vis de l'Allemagne mais encore, pour ne citer que ces exemples, vis-à-vis de l'Italie, de l'Espagne ou de la Suisse.
Je ne nous compare en outre pas à des pays émergents qui n'ont pas le même modèle social, ni, bien évidemment, les mêmes exigences environnementales.
Notre appareil productif s'est donc appauvri. Les investisseurs se sont désintéressés de la France, non seulement parce que nous étions moins compétitifs, mais également parce que nos réglementations paraissaient plus complexes, particulièrement parce que notre marché du travail était perçu comme rigide et notre fiscalité particulièrement défavorable en comparaison, là encore, de celle de nos voisins européens.
M. Sébastien Jumel. Belle approche libérale !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Que se passe-il depuis 2017 ? La France est sortie de ce cercle vicieux, et la reprise industrielle est sensible.
Quelques chiffres s'agissant des emplois : entre 2001 et 2008, 75 000 emplois industriels étaient détruits chaque année. Je vous épargne la période 2008-2010, qui correspond à une crise : 130 000 emplois industriels ont été détruits chaque année, il s'est effectivement agi d'une saignée. Entre 2010 et 2017, 28 000 emplois industriels ont été détruits chaque année. Depuis, nous sommes en croissance.
M. Sébastien Jumel. Tout va bien madame la marquise.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. L'emploi industriel s'est donc redressé : plus d'usines ont ouvert qu'ont fermé, et la France a été deux années de suite la première destination pour les investissements étrangers industriels en Europe, ce qui correspond à un bond de 30 %. De grandes entreprises ont investi, comme Toyota, à hauteur de 300 millions d'euros à Maubeuge, ou encore AstraZeneca et General Mills, qui ont également investi plusieurs dizaines, voire centaines de millions en France.
M. Jean-Paul Dufrègne. L'on parle des entreprises en difficulté : je veux redire à ce sujet qu'il existe des services de Bercy qui agissent dans l'ombre pour faire en sorte que 90 % des sites soient sauvés, trois emplois sur quatre. Telles sont les statistiques réelles.
M. Philippe Berta. Eh oui.
M. Jean-Paul Dufrègne. Vous avez mentionné, pour ne prendre que cet exemple, Fonderie du Poitou : je m'y suis rendue à plusieurs reprises, et je crois que l'ensemble des élus locaux comme des organisations syndicales ont salué le projet de reprise qui a été confirmé vendredi dernier.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. La France attire les investisseurs et les industriels, et en particulier les industriels innovants : c'est la preuve que notre politique industrielle produit des résultats.
Alors bien sûr, et vous avez totalement raison sur ce point, cette reprise est fragile. Le combat visant à faire à nouveau de la France une puissance industrielle et exportatrice, dans le respect de notre modèle social et de transition écologique et énergétique, reste à mener.
Pour ce faire, nous avons d'abord décidé de changer de méthode : il faut que les politiques ne soient pas imposées d'en haut, sans concertation avec les territoires et avec les industriels. Nous proposons au contraire une politique industrielle par filière et par territoire.
Par filière, cela correspond au grand travail partenarial entre le Gouvernement, les industriels et, je veux le souligner, les organisations syndicales que nous avons lancé avec le Conseil national de l'industrie.
Dix-huit filières sont ainsi aujourd'hui labellisées, et quinze ont contractualisé sur des projets très concrets d'innovation et d'accélération de la croissance des PME, d'exportation ou de montée en compétences : c'est, monsieur Potier, une première réponse à cette question sur la façon dont on accompagne la transition des compétences. Un groupe spécifique a ainsi, et ce n'est pas une surprise, été créé dans le secteur automobile sur le diesel.
Par territoire, nous proposons une solution agile : l'initiative Territoires d'industrie, qui permet d'accompagner 136 territoires. Vous avez été plusieurs à demander où nous en étions.
Premier élément de réponse : ce sont aujourd'hui les régions qui pilotent cette politique, et nous les accompagnons. Par ailleurs, un certain nombre d'établissements publics de coopération intercommunale se sont alliés avec des industriels afin de bâtir des projets. On peut le constater dans les territoires : un certain nombre de projets sont en train d'être montés. Nous comptons aujourd'hui à peu près une dizaine d'accords signés, et nous nous apprêtons à en signer encore trois d'un coup.
Ces territoires pilotes proposent aujourd'hui, pour ne citer que ces éléments factuels, des projets très concrets en vue d'attirer de nouvelles activités, d'améliorer les compétences et de répondre aux besoins de recrutement que vous avez mentionnés, et de défendre des programmes d'innovation.
L'objectif est de rassembler tous les ingrédients de la compétitivité : formation, innovation, immobilier d'entreprise, investissement, très haut débit. Surtout, il est d'apporter une solution sur-mesure à tous ces territoires. Ceux qui parmi vous représentent ces territoires d'industrie savent que certaines des solutions qui leur seront proposées ne seront pas adaptées au voisin, parce que l'un a une façade littorale, l'autre une histoire industrielle profonde mais un besoin de relance, et l'autre encore, comme du côté de General Electric et de Belfort, un besoin de transformation et de diversification.
Nous sommes en train de relever les différents défis auxquels nous faisons face.
Le premier défi, vous l'avez compris, est celui de la compétitivité, et d'abord, vous l'avez dit, celui de la compétitivité-coût. Pour y faire face, nous avons transformé le CICE en baisse de charges pérenne. C'est important car comme vous le savez, le CICE était traité en bas de compte de résultat et n'intervenait pas toujours dans les prises de décision d'investissement. Transformé en baisse de cotisations sociales, il est immédiatement pris en compte et donc anticipé par les entreprises.
Nous baissons l'impôt sur les sociétés, avec l'objectif d'atteindre la moyenne européenne : il s'agit d'envoyer un signal aux investisseurs étrangers sans tomber dans le dumping fiscal. Nous avons également fait converger notre fiscalité du capital avec la moyenne européenne, afin que nos entreprises investissent davantage dans l'innovation.
M. Sébastien Jumel. Ça ne ruisselle pas, mais ils font comme si.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Nous allons en outre lever, grâce à la loi PACTE, certains d'entre vous l'ont mentionné, une série d'obstacles financiers, administratifs et culturels qui empêchaient nos entreprises de croître.
M. Sébastien Jumel. Les riches vous remercient.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Un chiffre prouve la force de ces blocages français : nous ne comptons que 960 ETI industriels ! Neuf cent soixante ETI industriels indépendants alors qu'il y en aurait plus de 4 000 en Allemagne !
Le rétablissement de notre compétitivité passe aussi, vous l'avez mentionné, par la modernisation de notre appareil de production. Aujourd'hui, nous constatons un retard considérable en termes de numérisation et de robotisation. Nous nous numérisons et nous nous robotisons trop lentement. Un chiffre est marquant : on compte en France 19 robots pour 1 000 salariés, contre 20 en Italie et 34 en Allemagne.
M. Sébastien Jumel. Il y en en au moins 300 dans la majorité. (Sourires.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. C'est pour cela que le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures visant à accompagner les PME dans leur numérisation : je réponds ainsi à une question de Mme Pinel. Nous avons lancé un plan pour l'industrie du futur doté de 500 millions d'euros, au travers d'un suramortissement sur deux ans des investissements en matière de numérisation et de robotisation ainsi qu'au travers – c'est essentiel – de l'accompagnement individuel de 10 000 PME vers l'industrie du futur.
Il ne s'agit en effet pas simplement d'investir dans le robot, mais de savoir ce que l'on veut faire et comment l'on veut transformer sa production : l'industrie du futur, l'industrie 4.0 nous donne aujourd'hui un levier inédit en vue de relocaliser la production en France. Elle nous permet de retrouver de la compétitivité-coût et surtout de l'agilité, de la capacité à innover et à répondre rapidement aux clients.
L'une des forces de l'économie française réside dans l'innovation, due notamment à nos ingénieurs. Elle est très fortement valorisée par ceux qui se comparent à nous et qui considèrent nos ingénieurs comme étant parmi les meilleurs au monde.
Nous avons besoin de financer et d'accompagner nos PME pour qu'elles adaptent leur production aux nouvelles réalités économiques : accompagner et financer sont en effet deux éléments essentiels.
Et puis, M. Potier l'a dit, ce levier de compétitivité hors coût comprend également l'accès à un certain nombre de matières premières : c'est une priorité du Conseil national de l'industrie, qui a mandaté une mission spécifique sur l'accès aux métaux rares – qui ne sont pas vraiment rares, mais surtout difficiles à extraire à des coûts acceptables.
Vous savez qu'une réforme du code minier est prévue, qui répondrait partiellement à cette question. Le groupe Eramet, dont l'État est actionnaire, est également mandaté pour travailler sur une plus grande souveraineté en matière d'accès à un certain nombre de métaux. Ce travail ne se limite pas aux seules questions du nickel : il va plus loins et traite notamment du cobalt et du tungstène.
M. Sébastien Jumel. Et la Montagne d'or ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Cela n'a rien à voir.
Le deuxième défi est celui de l'innovation. Innover, c'est la condition de la compétitivité : c'est un grand principe de notre politique économique qui guide toutes nos actions.
Si, face aux programmes d'investissements massifs dans la recherche et le développement menés par la Chine, l'Inde ou les États-Unis, nous n'investissons pas massivement, au plan français comme au plan européen, dans les nouvelles technologies, notre industrie sera distancée.
C'est pourquoi nous avons sanctuarisé le crédit d'impôt recherche : 6 à 7 milliards d'euros par an serviront à faire des ingénieurs français les ingénieurs les plus compétitifs d'Europe. Il faudra évidemment être attentifs aux éventuelles dérives, mais à ce stade cet outil n'est pas remis en cause.
C'est pourquoi chaque filière du Conseil national de l'industrie se saisit d'un projet ambitieux en matière d'innovation, car c'est en innovant que nous répondrons aux grands défis d'aujourd'hui : la transition énergétique et écologique, et la transition numérique.
Quelques exemples : l'industrie navale travaille sur une propulsion moins coûteuse en énergie et à l'empreinte environnementale moins importante, et la filière chimie et matériaux mène des recherches sur la décarbonation de ses procédés chimiques.
Chaque contrat de filière concentre ses efforts de recherche et développement sur un ou deux projets structurants : vous avez, monsieur Berta, cité le projet de bioproduction dans le contrat stratégique de filière de la santé. Je vous annonce à ce sujet que le dernier Conseil national de l'innovation a décidé de faire de cette question des bioproductions un sujet de défi de rupture : il sera donc spécifiquement financé dans le cadre du fonds d'innovation industriel.
Nous avons créé un fonds d'innovation de rupture qui a vocation à être doté de 10 milliards d'euros. Le rendement annuel de ce fonds, de 250 millions d'euros, financera les défis industriels de demain : l'intelligence artificielle, le stockage de l'énergie à haute densité, la cybersécurité et, donc, la bioproduction.
Notre stratégie d'innovation…
M. Régis Juanico. Et de privatisation !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Je ne crois pas que les privatisations concernent des sociétés industrielles, monsieur le député – mais je ne voudrais pas m'avancer, car ce n'est pas moi qui suis chargée de ce dossier.
M. Régis Juanico. ADP, ce n'est pas une société industrielle ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Notre stratégie d'innovation, disais-je, est offensive, mais innover sans se défendre n'a pas lieu d'être. Vous êtes plusieurs à l'avoir souligné : il faut protéger nos technologies. C'est pourquoi nous avons fait évoluer le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France, avec votre appui, dans le cadre du projet de loi PACTE. Les sanctions ont été renforcées et les secteurs stratégiques sont mieux protégés. La formulation adoptée permet d'avoir une approche plus large de la question. En outre, à notre instigation, l'Union européenne a adopté une directive en vue de mieux contrôler les investissements étrangers en Europe. Nous sommes désormais mieux armés pour protéger nos entreprises technologiques. Là encore, il s'agit d'un enjeu majeur.
Le troisième défi, ce sont les compétences. On peut multiplier les grands discours volontaristes, le grand frein au développement industriel aujourd'hui, c'est la difficulté que les entreprises ont à recruter : 50 000 emplois industriels, immédiatement disponibles, ne trouvent pas de candidats. Si les compétences existaient, on pourrait recruter jusqu'à 100 000, voire 200 000 personnes en sus des 250 000 qui vont compenser les départs à la retraite dans les années qui viennent.
Ce besoin en compétences se ressent à tous les niveaux : ingénieurs, post-doctorants, mais aussi chaudronniers, soudeurs, opérateurs qualifiés, techniciens spécialisés, électrotechniciens, spécialistes de la maintenance. Il faut que nos usines aient accès à ces compétences aussi vite que possible. Il faut en outre anticiper l'évolution des compétences afin de les adapter à la transition écologique et énergétique. J'ai déjà parlé du diesel : cela soulève aussi des questions en matière de transformation des compétences.
C'est pourquoi, dès les premières semaines du quinquennat, Muriel Pénicaud a engagé une réforme de la formation professionnelle qui vise à confier aux entreprises et aux branches le soin de définir leurs besoins en compétences, et de mettre ensuite en place les formations dont elles ont besoin. Nous consacrerons au total 15 milliards d'euros au plan d'investissement dans les compétences, qui sont décisives pour notre économie. C'est un effort qu'aucun autre gouvernement n'avait fait.
Les compétences se développant sur le long terme, il fallait s'y attaquer dès le départ. C'est ce que nous avons fait. Nous continuerons dans cette voie dans les mois à venir. Cette dimension est d'ailleurs présente dans tous les projets Territoires d'industrie.
Relever le défi des compétences suppose d'attirer les jeunes vers l'industrie. Il n'y aura pas de reconquête industrielle économique sans une reconquête culturelle de l'industrie. Je veux m'adresser ici tout particulièrement aux jeunes gens qui se trouvent dans les tribunes. L'industrie a en effet gardé une image du passé, avec des usines qui crachent de la fumée, des conditions de travail pénibles et des métiers peu valorisés et peu rémunérés, alors qu'elle recouvre des métiers d'avenir, qui paient plus que les métiers de service, et des secteurs prêts à embaucher. Pour changer l'image de l'industrie, nous avons voulu faire de 2019 la grande année de l'industrie. Toute l'année, nous parlerons d'industrie dans toutes les villes de France, notamment dans les agglomérations de taille moyenne. Tel est le sens de la semaine de l'industrie, qui a accueilli 800 000 visiteurs cette année, contre 350 000 l'année dernière, et qui a donné à M. Jumel l'occasion de présenter, dans la cour de Matignon, le nouveau modèle de l'Alpine à de nombreux lycéens et collégiens.
M. Sébastien Jumel. C'est vrai.
Mme Anne-Laure Cattelot. Ah, c'est du joli ! (Sourires.)
M. Sébastien Jumel. J'en ai été fier.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Tel est aussi le sens du French Fab Tour : passer dans soixante villes moyennes pour entrer en contact avec les collégiens et les lycéens afin de nourrir leur imaginaire avant qu'ils ne choisissent leur orientation, pour rencontrer les étudiants au moment où ceux-ci s'orientent définitivement et qu'ils ont besoin de se représenter concrètement ce que sont les métiers de l'industrie, et pour faciliter les contacts entre les demandeurs d'emploi et les entreprises qui recrutent. J'étais la semaine dernière, à Brest : en une seule journée, 4 000 contacts avec des demandeurs d'emploi ont été établis. C'est dire s'il est possible d'agir !
Quatrième défi : mettre au service de l'industrie l'ensemble de nos politiques publiques. Nous sommes tous des acteurs potentiels en la matière.
Cela concerne les infrastructures : si nous voulons que l'industrie s'implante dans tous les territoires français, il faut donner à tous les mêmes atouts, en matière d'accessibilité.
Cela concerne la couverture des réseaux. Le plan France Très haut débit permettra d'apporter à tous un haut débit de qualité avant la fin 2020 et le très haut débit avant la fin 2022. Le New Deal Mobile vise à ce que 99,5 % de la population bénéficie d'une 4G de qualité d'ici à 2022. La couverture ne s'arrêtera d'ailleurs pas à la 4G : nous avons défini une feuille de route ambitieuse pour la 5G, tout en tenant compte des spécificités de cette technologie et de ses enjeux en termes de santé. L'objectif est d'accompagner les industries sur l'ensemble du territoire national. Chaque grande zone industrielle doit pouvoir bénéficier de cet atout afin de pouvoir augmenter encore sa compétitivité.
Enfin, le cinquième défi – que vous avez tous ou presque mentionné – a trait à l'Europe.
La France dispose d'atouts majeurs : de grandes entreprises, de grandes universités, d'excellentes infrastructures, mais, soyons lucides, face à la Chine, aux États-Unis ou à l'Inde, notre industrie ne fera pas le poids. Nous devons nous unir, au plan européen, pour développer les technologies clés de demain.
Pour ce faire, nous menons plusieurs actions. En premier lieu, nous avons défini huit chaînes de valeur stratégiques. Deux font d'ores et déjà l'objet d'une action spécifique : la nanoélectronique, que nous soutenons à hauteur de 700 millions d'euros ; et les batteries des véhicules électriques, qui font l'objet d'une concertation au plan européen, notamment avec l'Allemagne – d'autres pays devant se joindre à nous. Nous souhaitons faire de même avec d'autres chaînes spécifiques, comme l'intelligence artificielle ou le stockage de l'hydrogène, parce que nous estimons que dans ces secteurs-là, nous ne pouvons pas prendre de retard, et que nous devons au contraire leur accorder des aides d'État, comme le font déjà les États-Unis ou la Chine – pour ne citer que ces deux grands pays.
Nous devons aussi réviser notre politique de la concurrence. Si les règles en vigueur furent longtemps efficaces, elles sont désormais datées et ne sont plus adaptées à la réalité des marchés.
M. Sébastien Jumel. Il faut changer les traités !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Elles nous empêchent notamment de faire émerger des entreprises industrielles européennes capables de rivaliser avec leurs concurrentes chinoises ou américaines. Il faut avoir en tête que la spécificité de la France est de disposer de grands groupes, alors qu'en Allemagne, il y a surtout des entreprises de taille intermédiaire et, en Italie, au Portugal et en Espagne, des PME. Le risque, c'est donc que ces pays perçoivent les entreprises françaises comme des prédateurs. Or notre propos n'est pas du tout celui-là ; ce que nous voulons, c'est créer une dynamique européenne qui nous permette de nous défendre face à des prédateurs extérieurs et d'apprécier la concurrence en tenant compte du fait que le marché n'est plus seulement européen, mais qu'il est mondial et fluctuant, chaque appel d'offres pouvant remettre en question la répartition des différentes parts de marché. Il faut s'y préparer. Le cas de Siemens Alstom en est une bonne illustration. Une compétition pour des trains s'est déroulée au Royaume-Uni au moment même où la Commission européenne instruisait le dossier. Or cinq concurrents étaient encore en lice pour le dernier round : cela montre bien que le marché sur lequel interviennent Alstom et Siemens reste quand même très concurrentiel.
Nous devons adopter la même approche en matière de politique commerciale, de marchés publics, de transports et d'énergie. L'industrie doit être le fil rouge de nos politiques européennes, y compris en matière écologique. À chaque fois, nous devons nous poser les questions suivantes : quel est l'impact de cette politique sur notre tissu industriel ? Pourquoi retenir cette option ?
Enfin, j'en suis d'accord, monsieur Marleix, nous devons sanctionner les tax rulings et le dumping fiscal – qui n'est jamais qu'une forme d'aide d'État. Il faut aller plus loin en matière d'harmonisation sociale et fiscale. C'est un des aspects de notre programme pour l'Europe. Tel est le sens de la déclaration des Amis de l'industrie du 18 décembre dernier. Nous continuons à avancer avec nos partenaires allemands – mais pas qu'eux – pour conforter un capitalisme européen soucieux du partage de la valeur avec les salariés et mener à bien la transition écologique et énergétique. Avoir un peu d'avance en ce domaine est aussi une façon d'être plus compétitifs que les autres.
En définitive, nous ne manquons ni d'ambition ni de réalisme. Nous savons d'où nous venons, le chemin qui nous reste à parcourir et les défis décisifs pour notre industrie. C'est en relevant chacun de ces défis que nous consoliderons notre croissance, que nous atteindrons d'ici à 2025 les objectifs en matière d'emploi fixés par le Président de la République…
M. Sébastien Jumel. Ouh là !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. …et que nous garantirons notre souveraineté dans les années à venir. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. Nous en venons aux questions. Je rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. François-Michel Lambert.
M. François-Michel Lambert. Les annonces faites par le Président de la République, jeudi dernier, ont déçu. Nombreux sont ceux qui ont déploré leur faiblesse, notamment en matière de transition énergétique et écologique. Si – je le répète – nous ne doutons pas de la volonté, nous attendons les actes. L'urgence écologique appelle des réponses ambitieuses, des mesures de rupture, et ne saurait se contenter de la création d'un conseil de défense écologique ou d'un conseil de participation citoyenne. Le temps de l'action résolue doit venir.
En matière fiscale, j'ai ainsi proposé d'instituer un « ISF écologique », c'est-à-dire un ISF entièrement fléché vers le budget de la transition énergétique, afin de donner aux territoires des moyens d'action, de créer des richesses locales et, ce faisant, de répondre au recul du Gouvernement sur le sujet. (M. Dominique Potier applaudit.)
La transition écologique aura évidemment des répercussions cruciales en matière industrielle et de création d'emplois. La réduction des gaz à effet de serre, la réduction de l'impact environnemental de nos industries, les démarches d'économie circulaire sont autant de défis dont l'État doit se saisir pour accompagner nos entreprises industrielles.
En avril 2016, Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, affirmait devant le Conseil national de l'industrie, à l'occasion du lancement des Engagements pour la croissance verte : « On ne peut plus produire en France aujourd'hui comme on le faisait hier ». Trois ans plus tard, où en sommes-nous ? Quand on voit à quel point les Pays-Bas ont transformé leur industrie grâce à cette dynamique et à leur engagement en faveur de la croissance verte et de l'économie circulaire, on peut s'inquiéter de l'immobilisme français !
J'aurais aussi pu vous parler, madame la secrétaire d'État, de la stratégie France Logistique 2025, présentée en mars 2016 par le même Emmanuel Macron : on promettait alors à notre économie une performance de 20 à 60 milliards d'euros. Tout cela semble aujourd'hui à l'arrêt.
Voici donc ma question : quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre afin de pleinement se saisir de la transition écologique et d'aider nos industries dans cette voie ? Les propositions que je viens d'évoquer font-elles partie des pistes à l'étude ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LT.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Monsieur le député, il me semble au contraire que la création d'un conseil de défense écologique est une mesure forte. Peu nombreux sont les conseils qui se tiennent au niveau de la Présidence de la République ; cela signifie que l'on place la transition écologique au même niveau que le terrorisme et la protection du territoire. Je pense que cela suffit à démontrer l'importance de cette mesure.
S'agissant de la transformation de notre appareil productif, je redis que chaque contrat stratégique de filière comporte des objectifs en matière de transition écologique et énergétique. Cela peut concerner l'innovation ou, de manière transversale, les groupes de travail sur la transition énergétique, au sein desquels les filières travaillent de concert. Pour prendre ce seul exemple, si l'on veut économiser l'énergie, il faut alléger les matériaux : cela suppose que le secteur de la chimie travaille avec le secteur ferroviaire, automobile ou aéronautique. J'en profite pour signaler, puisque le sujet des plastiques revient souvent dans les discussions, que l'approche que nous privilégions dans le cadre du Conseil national de l'industrie et des contrats stratégiques de filières est d'aller un peu plus loin dans l'analyse que « le composite, c'est bien, le plastique, c'est mal » et d'examiner dans le détail la réalité de l'empreinte environnementale de chacun des processus de production en vue de les transformer.
D'autre part, la mission sur la compétitivité de la chaîne logistique en France, confiée à Patrick Daher et Éric Hémar, va bientôt rendre ses conclusions, ce qui va nous permettre de prendre des décisions qui s'inscriront dans le droit fil de la stratégie France Logistique 2025 que vous mentionniez.
Enfin, je souligne que le gouvernement français a fait avancer plusieurs dossiers au niveau européen. Ainsi, la directive sur les plastiques à usage unique n'aurait pas existé si la France n'avait pas agi en ce sens. De même, et en dépit des commentaires qui ont été faits dans cet hémicycle, nous sommes aujourd'hui l'un des pays les plus avancés en matière de produits phytosanitaires. Je vous donne rendez-vous pour l'examen du projet de loi sur l'économie circulaire, qui offrira un bon cas d'application de la façon dont on peut lier industrie et écologie.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Zumkeller.
M. Michel Zumkeller. Madame la secrétaire d'État, je vous ai écoutée avec attention. Je crois que nous sommes tous à peu près d'accord sur les défis que vous nous avez présentés ; le problème, c'est que tout cela est très théorique.
Pour ma part, je vous parlerai d'un territoire : le Territoire de Belfort. C'est là que se trouve le siège d'Alstom. Eh bien, je vous garantis que sur ce territoire, vos belles théories sont mises à mal.
M. Sébastien Jumel. Oh que oui !
M. Michel Zumkeller. Laissez-moi vous rappeler les faits – je parle sous le contrôle d'Olivier Marleix, qui a présidé une commission d'enquête sur le sujet. Quand Alstom a été vendu à General Electric, un accord, garanti par l'État et, en particulier, par un ministre de l'économie du nom d'Emmanuel Macron – ce qui explique que, les promesses d'hier n'ayant pas été tenues, on a du mal à croire que les promesses d'aujourd'hui le seront –, prévoyait la création de 1 000 emplois. Or, en fait de 1 000, ce sont 25 emplois qui ont été créés – et encore, en les piquant chez les équipementiers, ce qui fait qu'en réalité, aucun emploi n'a été créé. Bien au contraire, on est aujourd'hui sous le coup d'un plan social prévoyant la suppression de 800 emplois. Au total, cela fait donc 1 800 emplois en moins par rapport aux engagements initiaux : vous imaginez ce que l'on peut ressentir dans le Territoire de Belfort !
Les annonces traînent, et l'on a un peu l'impression que les élections européennes, après lesquelles elles interviendront sans doute, y sont pour beaucoup.
J'aimerais donc que vous nous rassuriez, madame la secrétaire d'État. Une partie de la réponse à la question posée par mon collègue Ian Boucard il y a quelques semaines n'a pas laissé de nous étonner : General Electric, aviez-vous dit, consacrera 50 millions d'euros à la réindustrialisation du Territoire de Belfort. C'est totalement faux : cette somme correspond à l'amende que le groupe doit payer pour n'avoir pas respecté l'accord ! Qu'il daigne donc mettre un peu plus d'argent, et l'on verra.
Vous avez appelé les collectivités à investir dans certains territoires ; mais, dans le Territoire de Belfort, General Electric est locataire de ses les locaux, lesquels appartiennent à une SEM – société d'économie mixte. Les collectivités ont donc mobilisé tous les moyens, locaux et investissements, pour la réussite de l'activité. Le Territoire de Belfort a également consenti des efforts pour la formation et la recherche, avec une spécialisation dans l'hydrogène. Malgré tout cela, nous ne voyons rien venir. J'aimerais donc pouvoir rassurer un peu les habitants de ce département, et au-delà.
Nous avons un peu de mal, vous disais-je, à croire aux paroles données. En mai 2015, Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, s'était rendu dans l'usine d'Alstom. « Belfort », avait-il déclaré, « a un avenir industriel. […] Vous pouvez compter sur moi ». Nous sommes prêts à le croire, mais reconnaissez qu'à ce jour, nous n'avons que très peu de motifs de le faire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, GDR et FI. – M. Olivier Marleix applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. L'accord qui a été signé par General Electric prévoyait en effet, monsieur le député, un certain nombre de choses : des investissements, le maintien de centres de décision en France et la création d'emplois ou, à défaut, l'abondement d'un fonds à hauteur de 50 millions d'euros pour nous permettre de les créer nous-mêmes. Qu'en est-il ?
General Electric a investi, dans Alstom, plus de 1 milliard d'euros sur l'ensemble du territoire français. Il a maintenu les emplois et, en juin 2017, présentait même un solde de 500 emplois créés. Il est ensuite revenu en arrière, pour une raison assez simple : le marché des turbines électriques, qui représentait 50 % de son chiffre d'affaires, s'est effondré sur l'ensemble de ses plateformes internationales.
M. Jean-Paul Dufrègne. Il n'a pas de stratégie !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Le groupe a donc réduit les emplois ailleurs et les a maintenus en France, si bien que le solde, au 31 décembre 2018, s'établit à 25 emplois créés.
Ce chiffre étant inférieur aux 1 000 emplois annoncés, nous avons demandé au groupe le versement de 50 millions d'euros. Cette somme ne correspond nullement à une amende qui serait due pour infraction au code pénal, au code civil ou à un code administratif : elle doit abonder un fonds qui financera ce qui n'a pas été obtenu, à savoir l'industrialisation de territoires – et pas seulement Belfort – où General Electric est implanté.
Ce fonds de 50 millions est en cours de création, et M. Guy Maugis, industriel très compétent et expérimenté du secteur automobile, vient d'être nommé pour le piloter. M. Maugis passera en revue tous les projets de diversification industrielle auxquels nous travaillons ; l'un d'eux, par exemple, concerne l'aéronautique, mais d'autres pistes sont possibles. C'est de cette façon que nous abordons le sujet.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric Coquerel. Je poursuivrai dans la lignée de l'excellente question de Michel Zumkeller. En avril 2014, l'entreprise Alstom annonçait la vente de ses activités liées à l'énergie à l'entreprise américaine General Electric, opération dans laquelle la responsabilité d'Emmanuel Macron a été très forte.
Alstom, c'est un concentré de tout ce que l'industrie française sait faire de mieux : les TGV, la construction électrique, l'énergie maritime ou encore les turbines, qui fournissaient 60 % du marché mondial. En avril 2014, c'est donc la fabrication des turbines qui, faut-il le rappeler, équipent nos centrales nucléaires et notre porte-avion qui est passée sous contrôle d'une entreprise américaine. Ce jour-là, une partie de notre souveraineté nous a été confisquée au profit d'une multinationale étrangère.
On nous avait pourtant assuré, à l'époque, que cette opération de reprise n'aurait aucune incidence. Or la réalité est là : depuis qu'Alstom a été dépecée, l'entreprise a du mal à survivre et de nombreux chantiers d'éoliennes en mer sont mis en péril.
Là où le français Alstom était un leader mondial, General Electric a taillé allègrement dans sa filiale hydraulique qui produit des parcs éoliens en mer, si bien qu'aujourd'hui, trois parcs sont en danger, à Courseulles-sur-Mer, à Saint-Nazaire et à Fécamp, précisément parce qu'il n'y a plus de fabricant français d'éoliennes en mer. Comment pouvez-vous admettre que la France, qui possède le deuxième territoire maritime du monde, accuse un tel retard dans l'implantation de parcs éolien offshore ?
On a également évoqué les problèmes pour l'emploi, avec un risque de 700 départs par rupture conventionnelle collective dans différentes entités en début d'année, notamment à Belfort. Votre gouvernement doit réagir : il faut recréer une filière industrielle de pointe en France ; il le faut pour des raisons industrielles et de souveraineté, et pour la transition écologique.
Ma question, madame la secrétaire d'État, est donc simple : comment comptez-vous faire pour qu'un fabricant français de matériel stratégiquement indispensable à notre souveraineté et à la transition écologique voie à nouveau le jour ?
M. Sébastien Jumel. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Votre question en comporte en réalité plusieurs, monsieur le député. Tout d'abord, je veux le rappeler, Alstom n'a pas été dépecé : en France, dans sa partie énergétique, l'entreprise a même plutôt été consolidée. Je le répète : 1 milliard d'euros ont été investis, 3 000 personnes ont été recrutées – ce qui a compensé les départs et permis le maintien des savoir-faire –, et quatre filiales sur cinq, dans le secteur des énergies nouvelles, ont leur siège en France, ce qui représente une part substantielle des 36 milliards d'euros du chiffre d'affaires de General Electric.
Alstom, chacun en convenait en 2014, avait une taille sous-critique : on avait même évoqué, à l'époque, une consolidation avec Siemens, preuve que l'histoire se répète. Tout le monde, sur ces bancs, était en tout cas d'accord pour dire qu'Alstom n'avait pas la taille critique suffisante par rapport à ses grands concurrents internationaux : il faut, sur ce point, remettre l'église au milieu du village.
M. Guillaume Kasbarian. Tout à fait !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. S'agissant des projets d'éoliennes en mer, le problème tient plutôt à des recours contentieux, qui n'ont rien à voir avec General Electric. Lorsque ces contentieux seront réglés – car nous sommes dans un État de droit –, ces projets verront le jour, comme l'a confirmé le Président de la République. La fabrication doit être assurée sur le littoral français : on évoque Le Havre ou Saint-Nazaire, plusieurs options sont sur la table.
M. Éric Coquerel. Ce n'est pas ce que dit General Electric !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. C'est ce qu'il nous dit, monsieur le député.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.
M. Jean-Paul Dufrègne. Les États membres de l'Union européenne se sont mis d'accord pour imposer aux constructeurs automobiles une réduction de 40 % des émissions de CO2, et ce d'ici à 2030. Cet objectif est louable pour la transition écologique, mais il suscite de grandes inquiétudes. C'est le cas notamment chez les salariés de l'usine PSA Sept-Fons dans l'Allier, qui fabrique des carters-cylindres pour moteurs diesel. Ces salariés craignent pour leur emploi et ne voient pas de mesures concrètes accompagnant la transformation de la filière.
Cela fait des mois que l'industrie automobile, constructeurs et syndicats, tire la sonnette d'alarme pour dire que cet objectif est irréaliste car il nécessite une restructuration massive de la filière en un laps de temps trop court, mais aussi pour dire que cette restructuration ne se fera pas sans casse pour l'emploi. Aujourd'hui, l'accélération vers l'électrique crée surtout des emplois en Asie, où la quasi-totalité des batteries sont fabriquées : c'est là toute la difficulté de cette transition programmée.
Oui, la novation industrielle au XXIe siècle doit être écologique, et toutes les innovations technologiques qui permettent de réduire les pollutions et le prélèvement de ressources naturelles doivent être encouragées. Mais, pour cela, nous avons besoin de vraies politiques publiques, qui s'installent dans la durée, qui soient volontaristes et coordonnées, tant au niveau national qu'international. Il faut une politique industrielle défensive pour protéger les savoir-faire et les emplois de nos fleurons, et offensive pour répondre aux enjeux actuels et à venir.
À défaut d'une politique industrielle défensive et offensive, quelles réponses claires apportez-vous aux défis de l'industrie française ? (Applaudissements bsur les bancs des groupes GDR, FI et SOC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Je me concentrerai, monsieur le député, sur votre première question, qui concerne le diesel : à la seconde, j'ai précédemment répondu pendant vingt minutes ; je vous épargnerai donc de longues répétitions.
S'agissant de la transition écologique, l'enjeu est donc de réduire les émissions carbone de 37,5 %. Vous avez raison, cet objectif est ambitieux. De fait, on ne peut sauver la planète en luttant contre un réchauffement climatique sur la réalité duquel chacun, dans votre assemblée, est sans doute convaincu, sans se fixer des objectifs ambitieux pour ce faire. Ces objectifs passent par une convergence collective.
Pour réduire les émissions de CO2, il existe plusieurs solutions. La première est le développement des voitures électriques, mais aussi hybrides, ou de plus petites cylindrées, ou encore des voitures à hydrogène. Le diesel, comme vous le savez, émet aussi moins de CO2 que l'essence. C'est la combinaison de ces différentes solutions qui doit permettre d'atteindre l'objectif annoncé.
Notre travail, en ce domaine, suit deux orientations. La première concerne les projections que l'on peut faire sur le remplacement des vieilles motorisations, dont l'impact environnemental massif est avéré, qu'il s'agisse de l'émission de particules fines, de CO2 ou d'oxydes d'azote – NOx. En supprimant les motorisations à l'origine de ces émissions, vous faites beaucoup pour limiter ces dernières : c'est tout l'enjeu de la prime à la conversion.
D'autre part, il faut accompagner les nouvelles productions et la transformation économique qu'elles engagent : je pense par exemple à la production d'une génération intermédiaire de modèles thermiques, plus légers, avant une conversion totale vers des moteurs non émetteurs de CO2.
M. Sébastien Jumel. Ça n'a rien à voir !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Pour accompagner cette évolution, la direction générale des entreprises suit vingt-trois sites – j'en ai parlé au sujet du diesel –, qui représentent 10 000 emplois. Nous travaillons à des reconversions, notamment via un fonds diesel qui finance des investissements de diversification, celle-ci pouvant concerner le secteur de l'automobile mais aussi d'autres secteurs, comme en témoigne ce que nous faisons pour Bosch, à Rodez.
L'enjeu dont nous parlons représente une échéance de dix ou vingt ans, nous en sommes bien d'accord ; mais nous sommes fortement mobilisés.
Mme la présidente. La parole est à M. Régis Juanico.
M. Régis Juanico. Le 27 mars dernier je vous ai interrogée ici même, madame la secrétaire d'État, sur la liquidation judiciaire de l'une des dix plus grosses imprimeries de notre pays, l'entreprise stéphanoise Loire Offset Titoulet, pour vous demander d'améliorer significativement le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et de sortir dignement de ce gâchis industriel et humain, dont 133 ex-salariés subissent très directement les conséquences. Ces derniers se battent courageusement et occupent toujours leur entreprise.
Il y a un mois, j'évoquais devant vous les doutes des organisations syndicales en ce qui concerne la recherche effective de repreneurs potentiels par les dirigeants de l'entreprise. À cet égard, la récente publication du rapport du cabinet d'expertise mandaté par le comité d'entreprise est lourde de sens. Au-delà des mesures de reclassement externe, qualifiées d'« a minima » et de « décalées » par rapport à la réalité des besoin des salariés, le cabinet APEX conclut à « une liquidation judiciaire qui interroge sur son déroulement ».
APEX évoque un plan de sortie du redressement judiciaire ambitieux mais irréalisable. Deux leviers devaient être actionnés pour pérenniser l'entreprise : la recherche d'un partenaire susceptible d'en prendre le contrôle ; des efforts assidus sur les aspects commerciaux.
S'agissant d'un éventuel partenaire, les démarches de la direction, toujours selon APEX, semblent relever d'actes plus formels que réels, compte tenu de la faiblesse des moyens engagés à cette fin. On peut même parler d'une volonté manifeste des dirigeants de ne pas ouvrir le capital.
Sur les aspects commerciaux, le bilan, à la fin de 2018, montre que les engagements pris devant le tribunal il y a un an n'ont pas été tenus, faute d'une action commerciale suffisamment renforcée dans un secteur concurrentiel et difficile.
La situation dans laquelle s'est retrouvée l'entreprise semble donc aussi découler d'un défaut de gestion et de prise de décision dans la sortie du redressement.
Ma question, madame la secrétaire d'État, est donc triple : quelle compensation des AGS – assurance garantie des salaires – pourrait-elle être apportée aux salariés qui ont subi cet immense préjudice ? Quand la direction interministérielle aux restructurations d'entreprise pourra-t-elle recevoir les représentants des salariés, comme vous vous y êtes engagée ? Comment, enfin, l'État entend-il se positionner dans la demande de clarification des responsabilités des dirigeants de Loire Offset Titoulet, sachant que le mandataire demande la désignation d'un expert pour examiner la comptabilité de l'entreprise et des autres sociétés des dirigeants, et que les syndicats et le CSE – comité économique et social –engagent également les procédures judiciaires appropriées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Je ne reviendrai pas, monsieur le député, sur la responsabilité : sur cette question, vous paraissez avoir, avec le rapport du cabinet APEX, des éléments dont je ne dispose pas ; surtout, ce sujet relève de la justice, puisque, si j'ai bien compris, des procédures sont en cours, dans lesquelles le Gouvernement n'a pas à interférer.
Quant au délégué interministériel aux restructurations d'entreprises, il s'inscrit dans un continuum administratif : les DIRRECTE – directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi – et les CRP – commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises – suivent les dossiers sur les territoires et interagissent avec le CIRI – comité interministériel de restructuration industrielle – et le délégué interministériel aux restructurations d'entreprises. À cette date, le préfet a reçu les organisations syndicales et le DIRRECTE a suivi de très près ce dossier. Le délégué interministériel les recevra également si elles formulent la demande, ce qui n'est pas encore le cas.
Ce n'est donc pas parce que le dossier est traité par le préfet qu'il n'est pas connu et suivi par l'ensemble du continuum administratif.
Enfin, vous savez que les services de l'État ont été très réactifs, puisqu'une cellule d'appui à la sécurisation professionnelle a été mise en place, ce qui permet à un opérateur privé de placement d'intervenir selon différentes modalités auprès des salariés pour les informer et leur fournir un appui psychologique – chacun sait que c'est la première étape : le dossier Arjowiggins a été tristement évoqué tout à l'heure –, ainsi qu'un appui administratif pour les aider à chercher des formations et les accompagner sur la définition de leur projet professionnel, ce qui leur permettra de rebondir.
Ce dispositif d'appui, qui n'est pas automatique, permet d'aiguiller un maximum de salariés vers le contrat de sécurisation professionnelle, qui prévoit l'accompagnement des salariés sur douze à quinze mois. Il leur permet de bénéficier d'une allocation égale à 75 % de leur ancien salaire brut, ce qui fait quelque 95 % de leur salaire net, d'un accompagnement renforcé par Pôle emploi, de formations et de différentes primes.
Tout l'enjeu, aujourd'hui, est de faire en sorte que des salariés, victimes ou non d'une mauvaise gestion – il ne m'appartient pas de la qualifier – bénéficient d'un rebond professionnel. Il est de notre responsabilité de les accompagner.
Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Causse.
M. Lionel Causse. Lors de son discours au Conseil national de l'industrie, le Premier ministre avait dessiné trois enjeux majeurs : l'Europe, l'innovation et les territoires. Que ce soit en matière d'innovation ou de développement des territoires, la politique industrielle devra forcément avoir une dimension européenne. Ce n'est qu'en s'unissant que nous pourrons développer des filières compétitives et innovantes, comme le montrent les initiatives sur les batteries ou l'intelligence artificielle.
En matière de développement territorial, la dimension européenne est également centrale. On le voit très bien dans mon département des Landes, où deux des principaux sites industriels du port de Tarnos sont gérés par des groupes européens. Sans l'accompagnement depuis de nombreuses années de l'État et des collectivités territoriales, ces sites n'auraient jamais vu le jour. On remarque aussi facilement que la majorité des exportations de nos industries se fait au sein de l'Union européenne. Surtout, de nombreux projets industriels dans les territoires bénéficient de financements européens.
Il nous faut donc une politique industrielle ni offensive ni défensive vis-à-vis de nos partenaires européens, car c'est ensemble que nous serons en mesure de protéger et de développer nos industries.
Nous devons nous unir et nous protéger, comme le font les Américains et les Chinois. L'Europe a commis des erreurs par le passé. L'exemple du secteur photovoltaïque, que vous avez évoqué, madame la secrétaire d'État, doit servir de leçon. Nous avons empêché les États d'accompagner le développement de groupes industriels européens, alors que nous acceptions d'importer massivement des produits chinois subventionnés.
À l'heure où nous nous apprêtons à désigner nos représentants au Parlement européen, comment l'Europe peut-elle nous permettre de protéger nos industries et de conquérir de nouveaux marchés ? Comment envisagez-vous la dimension européenne dans la politique industrielle de la France ? Quelles seront vos actions pour avancer vers une politique industrielle européenne convergente ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. S'agissant de la manière dont l'Europe peut protéger nos industries, je reprendrai les éléments que j'ai déjà évoqués. Il convient tout d'abord de faire de l'industrie le fil rouge de nos politiques européennes, notamment en matière commerciale : l'accès au marché européen étant un bien précieux, il doit faire l'objet de contreparties. Lorsqu'un pays ferme ses marchés publics, il n'est pas illégitime que l'Europe fasse de même ; inversement, lorsque nous concluons avec le Japon un traité de libre-échange et que ce pays ouvre ses marchés publics, ce qui est une grande nouveauté, la réciprocité doit être de mise. Le premier travail en matière de politique commerciale doit donc viser à assurer un niveau d'équivalence ou de level playing field avec les États qui n'appartiennent pas à l'Union européenne.
La politique de la concurrence est le deuxième levier : je l'ai déjà longuement évoqué. Le troisième est la politique de l'innovation. Nous devons nous autoriser à accompagner des chaînes de valeurs stratégiques, pour permettre des investissements massifs dans des innovations de rupture que chaque État membre de l'Union ne pourrait pas financer individuellement et qui sont les gisements des futurs emplois industriels – nous avons déjà évoqué les batteries dans le secteur de l'automobile, les puces dans le secteur de la nanoélectronique ou l'intelligence artificielle : huit chaînes de valeurs stratégiques ont été repérées.
La dimension européenne de la politique industrielle française consiste également à prévoir une clause européenne dans les marchés publics : j'invite les collectivités locales à s'emparer de cette possibilité. Nous avons la capacité, aujourd'hui, de faire de nos marchés publics un levier stratégique d'accès à des commandes pour des PME et des entreprises produisant dans l'Union européenne.
Tels sont les éléments que je peux rapidement évoquer pour répondre à votre question.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Kasbarian.
M. Guillaume Kasbarian. Nous sommes réunis aujourd'hui pour débattre de la politique industrielle du Gouvernement, qui ne serait, selon certains membres de l'opposition, ni offensive, ni défensive. La désindustrialisation de la France n'est pourtant pas nouvelle. En 2000, l'industrie créait 16,9 % de la richesse nationale ; en 2017, ce n'était plus que 12,5 %.
Longtemps, la politique industrielle a consisté à éteindre les incendies dans une logique de court terme. Un ministre se rendait sur un site industriel en difficulté, jurait la main sur le coeur que jamais son gouvernement ne laisserait tomber les salariés…
M. Jean-Paul Dufrègne. Macron l'a fait lorsqu'il était ministre !
M. Guillaume Kasbarian. Sur la partie défensive, la loi PACTE renforce la procédure de contrôle des investissements étrangers en France, avec un véritable pouvoir contraignant vis-à-vis de certains investisseurs étrangers. C'est une politique d'équilibre, entre attractivité de la France pour ceux qui choisissent d'investir chez nous, et protection de nos fleurons et technologies stratégiques.
…, annonçait en grande pompe des subventions, des aides, une entrée au capital ou une nationalisation, sans rien résoudre des problèmes économiques de l'entreprise dans la concurrence mondiale ! Résultat très fréquent : dépôt de bilan quelques mois plus tard et gaspillage de l'argent public. Telle est la politique industrielle colbertiste, défendue hier et, semble-t-il, encore aujourd'hui par certaines oppositions, mais qui n'a pourtant jamais fonctionné.
Notre majorité et notre gouvernement ont, au contraire, une politique industrielle à la fois offensive et défensive, comme l'a justement rappelé ma collègue Anne-Laure Cattelot et comme vous l'avez également rappelé, madame la secrétaire d'État. Elle fonctionne et l'industrie crée de nouveau des emplois.
Ces nouveaux outils s'accompagnent d'un devoir de transparence de l'exécutif vis-à-vis de l'Assemblée, comme Olivier Marleix et moi-même le préconisions.
Nous avons obtenu qu'un rapport annuel soit remis aux parlementaires sur le contrôle des investissements étrangers en France. En attendant le premier rapport, pouvez-vous nous indiquer les chiffres de 2018 sur le volume d'investissements étrangers en France contrôlés par votre ministère ? Dans quelle mesure ce contrôle est-il efficace ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Je donnerai quelques chiffres : en 2018, 184 opérations d'investissements étrangers ont été enregistrées, indépendamment de leur recevabilité, par la direction générale du trésor, dans le cadre de la procédure IEF – investissements étrangers en France –, contre 137 en 2017, 134 en 2016, 128 en 2015 et 105 en 2014 : nous assistons donc à une augmentation constante des contrôles. Environ 15 % des investissements directs étrangers réalisés en France sont donc traités dans le cadre du contrôle des IEF.
Le pourcentage de ces investissements originaires de l'Union européenne soumis à la réglementation et contrôlés à ce titre est globalement stable sur la période 2014-2018 : il se situe autour de 50 %. Les principaux investisseurs européens sont le Royaume-Uni et l'Allemagne. Hors Union européenne, les principaux investisseurs sont les États-Unis, le Canada, la Suisse et le Japon. Quant au nombre des demandes reçues au titre des IEF en provenance d'investisseurs chinois, il est globalement stable depuis 2015 : son niveau est bien en-deçà de celui des quatre principaux pays que j'ai évoqués.
Je tiens également à ajouter que 45 % des demandes traitées concernent des secteurs couverts par le décret du 14 mai 2014 – elles visent donc des opérations d'investissements dans les domaines de l'énergie, des transports, des télécommunications, de l'eau et de la santé publique ; 35 % des demandes concernent les secteurs liés à la défense nationale ; le reste est partagé entre les secteurs visés par le décret de 2014 et la défense.
Quant aux investissements directs français à l'étranger, ils sont largement repartis à la hausse en 2018, ce qui signifie que nous sommes également conquérants : 61 milliards d'euros d'investissements ont été réalisés par la France à l'étranger sur les trois premiers trimestres, contre 50 milliards l'année précédente, ce qui témoigne de l'amélioration du climat des affaires en France : celle-ci permet aux entreprises d'accélérer leur internationalisation. Il convient de regarder le sujet des deux côtés.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Nous avons déjà évoqué le manque de constance de la politique fiscale du Gouvernement vis-à-vis des entreprises. Je pense notamment aux allers-retours sur le taux d'imposition des sociétés, avec un renoncement en rase campagne, à l'occasion du projet de loi relatif aux GAFA. Vous renoncez à appliquer aux entreprises réalisant plus de 500 millions de chiffre d'affaires l'objectif de réduction que vous aviez envisagé d'atteindre, pour maintenir ce taux à 33 %.
De même, le Président de la République nous a annoncé, lors de sa conférence de presse-fleuve, la semaine dernière, une réduction des niches fiscales dont bénéficient les entreprises. Pouvez-vous nous préciser les niches qui sont visées ? J'imagine que ce ne sont pas celles qui bénéficient au mécénat culturel et patrimonial, à l'heure où nous faisons appel à la générosité des entreprises pour reconstruire Notre-Dame de Paris. J'imagine qu'il ne s'agit pas non plus du crédit impôt recherche, dont nous avons besoin. Ce débat intéresse tous les Français.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Je tiens à rappeler les mesures que le Gouvernement a prises en matière de fiscalité des entreprises, en raison de leur impact, puisqu'elles ont permis le rebond de notre croissance, de l'investissement et de l'emploi productifs, ces deux dernières années.
La baisse de l'impôt sur les sociétés est confirmée : le taux sera bien abaissé à 25 % en 2022, conformément à l'engagement du Président de la République, même si la trajectoire a été légèrement modifiée. Comme vous le savez, il n'y a eu aucun trahison. Du reste, ni le MEDEF – Mouvement des entreprises de France – ni l'AFEP – Association française des entreprises privées – ni d'autres représentants des entreprises ne se sont particulièrement inquiétés : ce qui les intéresse, c'est l'impôt qui concerne la part supérieure au résultat opérationnel, qui est beaucoup plus difficile à appréhender en cas d'aléas de conjoncture.
Vous avez évoqué l'annonce, par le Président de la République, d'une baisse de 5 milliards de l'IRPP – impôt sur le revenu des personnes physiques –, laquelle touchera plus de de 2 millions d'entreprises. Certes, il s'agit essentiellement de commerces et d'entreprises artisanales, plutôt que d'entreprises industrielles. Cette baisse massive d'impôt concernera toutefois des entreprises qui sont au régime des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux, comme vous le savez aussi bien que moi.
Quant au financement de ces mesures, il reposera tout d'abord sur la baisse des dépenses publiques. Ce n'est pas parce que l'objectif de 120 000 suppressions d'emplois publics n'est plus intangible, que le nombre de ces emplois ne diminuera pas. Nous y travaillons dans chaque administration, pour rendre l'État plus efficace tout en maintenant sa présence dans les territoires – objectif qui laisse des marges. Le financement reposera également sur le « travailler plus », qui est une autre façon d'équilibrer les comptes publics. Une revue des niches fiscales procurera une troisième source de financement : elle sera opérée en concertation avec les entreprises concernées. Tel est le changement de méthode annoncé par le Président de la République : nous travaillons en concertation avec les entreprises et leurs représentants.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Madame la secrétaire d'État, avec tout le respect que j'ai pour vous, permettez-moi de vous dire que vous auriez dû être ministre de la pêche, car vous êtes très forte pour noyer le poisson. Va pour une chambre de citoyens tirés au sort, mais, jusqu'à présent, le peuple français est représenté par des représentants élus à l'Assemblée nationale et si le Président de la République veut ouvrir un débat sur la réduction des impôts pour les entreprises françaises, il ne serait pas inconvenant que ce débat ait lieu aussi avec la représentation nationale.
J'en viens à ma seconde question. Vous ne m'avez pas répondu non plus tout à l'heure à propos du projet de directive qui a récemment fait l'objet d'un accord entre le Conseil de l'Union européenne, la Commission européenne et le Parlement européen, autorisant désormais les États membres à brandir un feu rouge, c'est-à-dire à s'opposer à la délocalisation transfrontalière du siège social d'une entreprise ou d'un établissement. Il s'agit d'une évolution majeure par rapport à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Les termes de la directive ne sont pas encore très précis : on nous dit en effet que la mesure s'appliquerait à des opérations jugées abusives ou frauduleuses, visant à contourner les impôts ou les droits nationaux des travailleurs et qui ne se justifieraient pas commercialement ou stratégiquement.
Le sujet est important. Dans mon département, par exemple, l'entreprise finlandaise Konecranes, qui réalise 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires et qui se porte très bien, a décidé, à seule fin d'améliorer les dividendes versés à ses actionnaires, qu'il vaudrait finalement mieux réduire le nombre de sites de production et a donc rayé d'un trait de plume un site qui emploie 150 salariés. De tels comportements sont aujourd'hui tout à fait inadmissibles et font détester l'Europe lorsque c'est elle qui laisse faire cela du fait de la libre circulation des capitaux.
Madame la secrétaire d'État, quelle position le gouvernement français a-t-il fait entendre dans l'élaboration de cette directive ? Dans quels termes et selon quel calendrier entendez-vous la transposer en droit interne ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Je tiens d'abord à rappeler que le Gouvernement est engagé dans la lutte contre toute forme de montage et d'optimisation fiscale, et cela à deux titres. D'abord, parce que ces pratiques ont un impact direct sur nos finances publiques – en règle générale, en effet, la France est plutôt mieux-disante en termes d'impact fiscal et c'est donc plutôt à l'impôt de notre pays que l'on cherche à échapper. Ensuite, et de manière plus générale, elles induisent, comme vous le relevez, des conséquences sociales inadmissibles, qui ne correspondent pas à notre vision d'un capitalisme ancré dans l'économie de marché, mais respectueux des salariés et des parties prenantes.
Une directive qui viserait à donner des leviers pratiques et efficaces permettant d'éviter que l'on échappe à l'impôt sans qu'il faille pour autant prendre des décisions brutales va dans le sens que nous souhaitons, en termes tant principiels qu'opérationnels. Pour les raisons que je mentionnais, en effet, il est rare qu'une entreprise veuille installer un site en France pour échapper à l'impôt. (Sourires.)
Je ne vois donc aucune raison qui nous empêcherait de continuer à soutenir une telle directive, sachant que nous touchons au terme des travaux de la Commission européenne et que, comme vous le savez, le Parlement européen a terminé les siens, de telle sorte que plusieurs textes pourraient ainsi rester en souffrance.
Par ailleurs, et en tout état de cause, nous serons soucieux de transposer cette mesure dans des délais adéquats lorsqu'elle sera définitivement adoptée.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Lagleize.
M. Jean-Luc Lagleize. Le débat qui nous rassemble ce soir est plus qu'opportun. Il arrive à moins d'un mois des élections européennes qui se dérouleront dans notre pays le dimanche 26 mai.
L'industrie de notre vieux continent demeure un secteur économique considérable, qui représente 52 millions d'emplois et 50 % des exportations de l'Union européenne. Toutefois, nous ne pouvons pas nous contenter de ces chiffres, qui masquent certaines réalités. Au contraire, nous devons saisir l'opportunité du renouvellement politique de nos institutions européennes pour transformer en profondeur la politique industrielle de notre union. Nous devons accélérer son adaptation aux changements structurels auxquels nous faisons face. Ces évolutions sont nombreuses et pressantes : transformations technologiques et numériques, concurrence internationale accrue, émergence de nouveaux standards et nécessité de protéger nos standards sociaux et environnementaux. La prospérité économique de l'Europe dépendra de sa force, de sa base industrielle et de notre capacité commune à relever ces défis.
Cependant, nous avons pu observer ces derniers temps l'obsolescence de certaines règles européennes, comme celles qui concernent la concurrence. Nous ne pouvons accepter la décision de la Commission européenne de refuser la fusion entre Alstom et Siemens. Le prétexte que ce rapprochement nuirait à la concurrence dans le secteur ferroviaire au sein du marché intérieur de l'Union européenne ne tient pas, car la concurrence est aujourd'hui mondiale.
Élu à Toulouse, je ne peux m'empêcher de comparer cette situation à celle du consortium européen Airbus, fleuron de notre industrie aéronautique et spatiale européenne, lequel prospère précisément grâce à l'union de la quasi-totalité des constructeurs européens. Nous devons donc réformer certaines règles pour encourager l'émergence de champions industriels européens capables d'affronter le marché mondial et de faire face aux géants chinois et américains. Airbus, créé à la fin des années 1960, pourrait-il voir le jour aujourd'hui ?
Madame la secrétaire d'État, quelles mesures le gouvernement compte-t-il proposer à Bruxelles dans les prochains mois pour défendre et promouvoir notre industrie européenne ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Monsieur le député, je vous remercie pour cette question qui me permet de revenir sur les différentes têtes de chapitres de notre programme pour l'industrie européenne.
En matière de droit de la concurrence, certaines évolutions doivent en effet permettre de disposer de règles moins obsolètes. La première de ces évolutions consiste à tenir compte du vrai marché sur lequel exercent les différents acteurs dont nous cherchons à calculer les parts de marché. Il est rare que ce marché soit uniquement centré sur l'Europe : il est très souvent international, voire pleinement mondial. C'est là un premier élément, qui permet de remettre en perspective la réalité de la concurrence et de montrer que les consommateurs ne seraient pas pénalisés par le rapprochement de deux groupes européens. Il y aurait en effet un paradoxe à permettre à un acteur européen de se consolider avec un acteur américain ou chinois au motif qu'on ne prendrait pas en compte ces marchés-là, et à interdire un rapprochement entre deux acteurs européens.
Deuxième élément : il faut apprécier le marché en dynamique, c'est-à-dire anticiper l'évolution possible des parts de marché du fait d'appels d'offres futurs. Cette démarche est assez éclairante pour le marché du ferroviaire, où des marchés d'importance sont signés tous les six mois, voire tous les douze ou dix-huit mois, de telle sorte qu'un seul marché peut faire basculer la pondération des parts de marché. D'autre part, on peut constater sur le marché lui-même la vitalité de la concurrence. C'est le cas du Royaume-Uni, que j'ai évoqué, où l'on comptait sept candidats au démarrage de l'appel d'offres et cinq sur la short list finale : il y a une réelle concurrence pour proposer des trains au Royaume-Uni.
Troisième élément : on peut adopter des mesures de traitement, consistant à ce qu'une entreprise abandonne une partie de son activité à d'autres pour rééquilibrer ses parts de marché, mais aussi des mesures de comportement : si on constate, au fil des années, que le comportement d'une entreprise prive le consommateur de l'avantage d'un marché concurrentiel, on bloquera certaines opérations pour l'avenir. Cette démarche, plus souple et plus fluide, permet de s'adapter à la réalité de l'évolution du marché.
Quatrième élément, enfin : la concentration et l'application des règles de concurrence ne doivent pas seulement être considérées à l'aune de leur impact sur les consommateurs, mais également sur les clients et sur l'emploi, ou d'autres considérations plus transversales. C'est là un point que nous souhaitons promouvoir.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle.
M. Jean Lassalle. Le 22 novembre dernier, M. le Premier ministre, Édouard Philippe, a retenu 124 territoires d'industrie, dotés de 1 milliard d'euros de financement et d'une gestion démocratisée et décentralisée.
Le secteur Lacq-Pau-Tarbes bénéfice de contrats avec l'État, les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, le pôle métropolitain Pays de Béarn et la communauté d'agglomération Tarbes-Lourdes-Pyrénées. Les communautés de communes de Pays de Nay et de la Haute-Bigorre y sont associées. Voilà cinq mois que ce processus a commencé : madame la secrétaire d'État, pouvez-vous déjà nous donner quelques éléments sur l'évolution de cet important projet ?
Au demeurant, ce secteur n'est pas le seul de cette région qui possède un passé industriel très fort, car c'est aussi le cas de la région d'Oloron et de bien d'autres.
Il ne me semble pas que nous ayons pris la mesure du désastre économique auquel nous avons tous plus ou moins participé au cours des trente dernières années. La France a en effet perdu 500 000 entreprises dans les années 2000 et nous ne nous en sommes jamais relevés. Ces entreprises ont été délocalisées ou ont fait entrer dans leur capital des fonds de pension américains, puis koweïtiens et bien d'autres : nous les avons bel et bien perdues, et parmi elles de nombreuses PME – je pense notamment au Nord et à l'Est de la France, que j'ai eu l'honneur de visiter lors de mon tour de France. C'est terrible !
Pourquoi ne pas nous lancer dans un seul projet où nous ne concurrencerions personne : le nouveau projet de l'énergie de demain – l'énergie solaire, par exemple, ou l'énergie des marées ? La France peut le faire. N'attendons pas les acteurs du monde entier : allons-y ! Nous n'avons plus un sou devant nous, alors que nous faisons face à des problèmes sociaux partout.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État. Monsieur le député, vous évoquez le contrat Territoire d'industrie Lacq-Pau-Tarbes, signé le 25 mars dernier et qui présente la caractéristique d'associer deux régions. Il fait partie de la trentaine de territoires pilotes que nous avons accompagnés dans le cadre de la démarche Territoire d'industrie et qui nous ont fait remonter 300 fiches-actions, qui se répartissent entre des projets d'attractivité – comment attirer de nouvelles activités dans les territoires en question ? –, d'innovation et de simplification – car la simplification administrative est aussi un enjeu –, ainsi que des projets axés autour des compétences.
Ces projets sont développés dans le contrat Territoire d'industrie que vous évoquez, avec pour arrière-pensée, lorsqu'il est question d'innovation et d'attractivité, les enjeux de la transition écologique et énergétique. D'autres avant vous avaient souligné que Lacq avait un passé qui portait à se concentrer sur de nouvelles formes d'énergie – je ne connais pas par coeur tous les contrats Territoire d'industrie et ne voudrais pas dire de bêtises, mais il me semble qu'il y a dans votre territoire un projet relatif à l'hydrogène.
Ces fiches vont maintenant être mises en oeuvre et le contrat pourra être complété par d'autres fiches-actions au fil du temps et en fonction des besoins qui remonteront.
Je le redis : le contrat Territoire d'industrie est un instrument qui a vocation à être simple, agile et fluide, à réunir l'ensemble des parties prenantes autour de la table et à permettre de recréer de l'emploi industriel grâce à une approche qui part du terrain. Petit à petit, en créant des cercles vertueux, plus vous ferez venir d'activités, et plus vous inciterez d'autres activités à s'implanter. Plus vous créerez une zone où s'implantent de nouvelles compétences, plus il sera facile d'en attirer de nouvelles. C'est là tout l'enjeu que nous voyons derrière ce dispositif.
Mme la présidente. Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 30 avril 2019