Texte intégral
PIERRE DE VILNO
C'est l'interview politique d'Audrey CRESPO-MARA. Vous recevez ce matin la Ministre du Travail Muriel PENICAUD.
AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Bonjour.
AUDREY CRESPO-MARA
A l'issue du séminaire gouvernemental, le Premier ministre a déclaré que l'objectif du gouvernement, c'était le retour au plein emploi. Alors ce retour au plein emploi, c'est la promesse que tous les Français auront un emploi d'ici à la fin du quinquennat ?
MURIEL PENICAUD
Pendant longtemps, on a cru qu'en France, parce qu'on a eu un chômage de masse pendant trente ans, que le chômage était une fatalité. Et on s'était habitués à 9, 10 %, on a même dépassé les 10 % de chômage de masse. Ce qu'on veut dire d'abord, c'est qu'il n'y a pas de fatalité au chômage. Et d'ailleurs, depuis deux ans, on est passé de 9,7 à 8,8 % de chômage. C'est encore énorme, c'est encore beaucoup trop. On progresse. On a toujours l'ambition déjà en 2022… On veut arriver autour de 7 %, ce qui est déjà une ambition énorme. Mais ce qu'on dit, c'est qu'il ne faudra pas s'arrêter là. Il y a des pays qui font mieux encore et que tant qu'on a des possibilités de croissance mais aussi de création de nouveaux services, de nouvelles réponses à des besoins, on peut aller plus loin et aller au plein emploi.
AUDREY CRESPO-MARA
Le plein emploi, c'est quoi exactement ? C'est un taux de chômage de combien ?
MURIEL PENICAUD
Le plein emploi, il n'y a pas une définition technique extrêmement précise, mais ça veut dire qu'on ne voudra pas s'arrêter au 7 % et qu'on pense qu'au-delà, pour les années qui suivent, il faudra aller plus loin.
AUDREY CRESPO-MARA
Quand vous avez été nommée ministre du Travail donc en 2017, le taux de chômage était, vous l'avez dit, à 9,7 %. Il est à 8,8 %, ça fait 0,9 % de baisse sur deux ans. Estimez-vous que la baisse du chômage aurait dépassé les 1 % si les gilets jaunes n'avaient pas perturbé le fonctionnement de l'économie ?
MURIEL PENICAUD
Non, je ne crois pas que c'est de cet ordre-là. Par contre, il n'y a pas que l'effet court terme. L'effet court terme, c'est quand même qu'il y a en décembre, en janvier, en février, il y a des commerçants qui ont risqué… quelques-uns qui ont fait faillite. Qu'il a fallu faire beaucoup de chômage partiel, c'est-à-dire que mon ministère paye une partie des salaires importants de gens qui étaient menacés dans leur emploi. Donc ça, c'est un effet dommageable. Moi, je crains plus l'effet psychologique. On ne pourra pas créer de l'emploi s'il n'y a pas de la confiance. Et pour la confiance, il y a un moment donné il faut aussi que le calme revienne. L'intérêt général, c'est quand même l'emploi.
AUDREY CRESPO-MARA
Ce n'est pas pour demain, le calme, en tout cas.
MURIEL PENICAUD
Chacun veut vivre dignement de son travail et pour ça, il y a un moment donné il faut parler de travail et arrêter de parler des black-blocs.
AUDREY CRESPO-MARA
C'est demain manifestement.
MURIEL PENICAUD
Oui, bien sûr.
AUDREY CRESPO-MARA
Muriel PENICAUD, hier le Premier ministre a annoncé que la réforme de l'assurance-chômage serait présentée en juin, c'est-à-dire après les élections européennes. C'est parce que vous vous apprêtez à prendre des décisions impopulaires comme réduire les allocations chômage ?
MURIEL PENICAUD
On a… Non. Non et non. D'abord, lorsque les partenaires sociaux ont finalement conclu négativement en disant : on n'aboutit pas à notre négociation, la loi prévoit que l'Etat du coup prend les décisions par décret. Mais nous n'avons pas voulu, je n'ai pas voulu, prendre la décision le lendemain. Ils avaient quand même travaillé quatre mois, donc il y avait aussi beaucoup de choses à dire, et donc on a pris le temps de la concertation. On va les revoir dans les semaines qui viennent sur les solutions. Là, on a parlé surtout du diagnostic. Et donc comme prévu, d'ici l'été, on sortira le décret mais on prend le temps de le faire bien.
AUDREY CRESPO-MARA
Alors deux points très concrets pour nos auditeurs. En février, le Premier ministre annonçait la réduction des indemnités chômage pour les cadres, les plus hauts revenus. Vous en parlez ce matin dans Les Echos. Ce sera l'une des mesures ?
MURIEL PENICAUD
Alors pour qu'il n'y ait pas de confusion : le sujet, ce n'est pas l'indemnisation des cadres ; et en plus, on ne vise aucune catégorie en particulier de salariés. Par contre, c'est vrai que tout le monde n'est pas égal devant le chômage et que sur les hauts revenus, on est au plein emploi. Pour le coup même, on est… Quasiment il n'y a plus de chômage sauf pour les seniors.
AUDREY CRESPO-MARA
Combien ?
MURIEL PENICAUD
Aujourd'hui on est, sur les plus hauts revenus, on est à 3,8 % de chômage. Quand même, c'est un chiffre extraordinaire et on n'arrête pas de créer des emplois de haut niveau. Et alors, je vais donner un exemple : quelqu'un qui gagnait 8 500 euros quand il travaillait, donc une indemnité de 5 000 euros aujourd'hui, mais plus il y a une indemnité élevée et plus on s'aperçoit que pour le chômage des hauts revenus, la durée augmente. Par exemple pour ce cas précis, c'est 575 jours en moyenne. C'est-à-dire qu'il y a un moment donné, il faut aussi que tout le monde prenne ses responsabilités : les employeurs mais aussi les hauts revenus. Et donc, ça fait partie des mesures, des cinq mesures que nous prendrons.
AUDREY CRESPO-MARA
Alors pour justifier cette décision, le Premier ministre précise que les allocations chômage des cadres en France sont trois fois supérieures à la moyenne européenne. Ça prouve que l'Europe tire les règles sociales vers le bas en fait.
MURIEL PENICAUD
Non. Ça veut dire qu'en France, on a eu… Comme on a eu un chômage de masse pendant longtemps, y compris les cadres étaient très touchés, donc c'était normal qu'il y avait règles d'indemnisation qui étaient plus généreuses parce qu'on avait beaucoup de chômage des cadre…
AUDREY CRESPO-MARA
Oui mais là on dit... donc il faut baisser chez nous.
MURIEL PENICAUD
Non. Non, ce qu'on dit c'est que tout le monde n'est pas égal et quand vous n'avez aucun diplôme ou aucune qualification, c'est 18 % de taux de chômage. Donc le système d'assurance-chômage qui est un système où tout le monde met au pot mais qui bénéficie à ceux qui en ont le plus besoin, il doit bénéficier en priorité à ceux qui en ont le plus besoin. Et pour les très hauts revenus, il est normal qu'ils contribuent un peu donc on reverra cet aspect-là. Mais c'est vraiment pour les très hauts revenus.
AUDREY CRESPO-MARA
Muriel PENICAUD, vous instaurerez aussi un bonus-malus face aux contrats courts.
MURIEL PENICAUD
Oui. Je l'ai souvent dit et ça me paraît très important. Un de nos problèmes sur le marché du travail, c'est qu'on a dérivé en France et qu'aujourd'hui neuf embauches sur dix, c'est des contrats mais très courts. Huit CDD sur dix, ils ont un mois ou moins. Il y en a même un sur trois, c'est un jour ou moins. La précarisation complète d'une grande partie des gens, c'est vraiment pour moi un problème social et un problème économique. Comment voulez-vous qu'on se projette dans la vie, qu'on trouve un logement, qu'on puisse faire des projets si on est embauché au jour le jour où à la semaine la semaine ? On en a trop. Il y a trop d'emploi qui n'est pas justifié économiquement et en plus, c'est l'ancienne dirigeante qui parle, je pense que ce n'est pas bien en management. Comment voulez-vous avoir la qualité, la sécurité au travail, avec des personnes qui entrent et sortent ? Donc le bonus-malus, ça va inciter les bons comportements. C'est-à-dire que les entreprises dans le même secteur qui recourent beaucoup plus à l'emploi durable paieront moins de cotisations d'assurance-chômage. Et celles qui, au contraire, ont un recours excessif aux contrats courts en paieront plus.
AUDREY CRESPO-MARA
Hier le Premier ministre a dit donc que la réforme de l'assurance-chômage serait promulguée par décret pendant l'été.
MURIEL PENICAUD
Oui.
AUDREY CRESPO-MARA
Vous venez de le répéter. Or en 2017, vous aviez déjà réformé le code du travail par ordonnance. Finalement, il est où le changement de méthode ?
MURIEL PENICAUD
Non, on a… Encore une fois, c'est technique. Il y a des sujets qui relèvent de la loi et d'autres qui ne relèvent pas de la loi et la loi avait prévu queue ça se faisait par décret. Donc si vous voulez, moi je fais la même concertation. Les ordonnances, j'aurais pu ne pas faire de concertation, on a fait 300 heures. Donc pour moi, il n'y a pas de sujet. Quel que soit le véhicule, il faut discuter, discuter, trouver les meilleures solutions le plus possible convergentes.
AUDREY CRESPO-MARA
Muriel PENICAUD, les organisations patronales que vous connaissez bien, elles sont furieuses que pour financer le la baisse de l'impôt sur le revenu, vous piochiez dans les niches fiscales des entreprises. Vous vous êtes parlé depuis les annonces du président ?
MURIEL PENICAUD
Alors moi, je crois que tout le monde doit… Tout le monde veut que le pays l'aide mais c'est bien aussi que tout le monde aide le pays c'est-à-dire la collectivité.
AUDREY CRESPO-MARA
Les entreprises n'aident pas assez ? Les patrons n'aident pas assez ?
MURIEL PENICAUD
Les entreprises, on a fait le pari sur la création d'emploi par la création d'activité. Donc depuis deux ans, il y a eu les ordonnances travail, il y a eu la loi PACTE, la baisse de l'impôt sur les sociétés. On a fait beaucoup de choses pour permettre aux entreprises d'investir plus, de créer de l'emploi. Et elles le font puisqu'on voit plus d'investissements et on a créé près de 500 000 emplois nets depuis deux ans ce dont je me réjouis puisque ça fait reculer le chômage. Mais il y a un moment donné aussi, il faut que tout le monde contribue et sur les niches fiscales, qui ne sont pas… Là qui ne sont pas dommageables à la croissance, eh bien c'est normal que les entreprises fassent un effort aussi, comme je leur demande de faire un effort sur l'égalité homme-femme.
AUDREY CRESPO-MARA
Voilà, on y vient Muriel PENICAUD. Vous avez signé hier le décret…
MURIEL PENICAUD
Voilà un beau décret.
AUDREY CRESPO-MARA
Le décret pour l'égalité salariale femme-homme. On va y arriver un jour. Vous avez fait un nouveau pointage. Le pourcentage d'entreprises en alerte rouge vous surprend-t-il ?
MURIEL PENICAUD
Alors d'abord, on a aujourd'hui 1 048, plus de 1 000 entreprises qui ont publié leur index. Je rappelle que ce sont les entreprises de plus de 1 000 salariés et que celles de plus de 250, ça sera au mois de septembre, et celles au-dessus de 50 salariés ça sera le 1er mars l'année prochaine. Donc tout le monde va être largement concerné et aujourd'hui, dans les mille premières qui ont publié, il y en a eu 3 % qui ont une super note : 99 % sur 100. Il y en quand même 97 % qui ont encore des progrès à faire mais il y en a 16 % qui sont ce que j'appelle en alerte rouge. Là il y a vraiment une situation qui est franchement d'urgence.
AUDREY CRESPO-MARA
Il y a une grosse différence de salaire entre les hommes et les femmes.
MURIEL PENICAUD
Une grosse différence de salaire à travail égal ou des grosses différences dans les chances de promotion et de rémunération. Enfin, en général un peu tout. Pour avoir une mauvaise note, c'est que vraiment on n'a pas traité le sujet. Et donc là, le décret permet… Il complète ce qu'on a déjà fait et il installe l'index de mesures durablement qui doit être publié. Et puis, pour j'allais dire la fin du peloton, oui il y aura des sanctions, donc le décret prévoit les modalités de ces sanctions.
AUDREY CRESPO-MARA
Qu'est-ce qui se passe pour ces entreprises ? Vous allez envoyer des mises en demeure ? Comment ça se passe ?
MURIEL PENICAUD
Pour ces entreprises, d'abord mes services les contactent toutes individuellement en leur disant : on vous rappelle qu'il y a une obligation. Vous n'avez pas soit publié votre index, soit vous êtes en alerte rouge, donc vous devez agir immédiatement. Et au bout d'un mois, si elles n'ont pas agi, on peut mettre en demeure.
AUDREY CRESPO-MARA
Et donc ce sera fait dans un mois.
MURIEL PENICAUD
Ce sera fait sauf si les entreprises bougent dans l'intervalle. Il y en a déjà beaucoup qui ont appelé et qui, je suis sûre, vont bouger immédiatement.
AUDREY CRESPO-MARA
Merci Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Merci.
PIERRE DE VILNO
Muriel PENICAUD, peut-être une dernière minute parce que ça vient de tomber. Bruno LE MAIRE vise une baisse de 180 à 350 euros par an et par ménage en ce qui concerne l'impôt sur le revenu. C'est un bon signal ?
MURIEL PENICAUD
C'est un engagement du président. Il l'a dit la semaine dernière. On est tous conscient que depuis vingt ans, le niveau d'imposition des classes populaires et moyennes, et notamment les classes moyennes, a beaucoup augmenté, donc on tiendra les engagements du président de la République.
PIERRE DE VILNO
Merci Madame la ministre, merci Audrey CRESPO-MARA. Pardon de m'être immiscé dans votre interview.
AUDREY CRESPO-MARA
Pas de souci, aucun problème.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 mai 2019