Interview de M. Cédric O, secrétaire d'Etat au numérique, à Radio Classique le 6 mai 2019, sur l'économie numérique.

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Intervenant(s) : 
  • Cédric O - Secrétaire d'Etat au numérique

Média : Radio Classique

Texte intégral

DIMITRI PAVLENKO
Mon invité ce matin, le secrétaire d'Etat chargé du Numérique, Cédric O. Bonjour.

CEDRIC O
Bonjour.

DIMITRI PAVLENKO
Vous êtes entré au gouvernement le 31 mars dernier à l'occasion du départ de Mounir MAHJOUBI. C'est votre première radio. Merci d'être avec nous ce matin.

CEDRIC O
Merci de me recevoir.

DIMITRI PAVLENKO
Quelques éléments de CV auparavant, avant d'être au gouvernement, vous étiez conseiller conjoint du président de la République et du Premier ministre, depuis 2017. Pour résumer, je peux dire que depuis le départ, depuis l'arrivée d'Emmanuel MACRON au pouvoir, la politique numérique du gouvernement, clairement, c'est vous, tout le monde vous connaît dans le monde de la French Tech, et même au-delà de nos frontières. Par exemple, vous avez co-organisé l'an dernier le premier sommet Tech For Good, qui revient cette année. Cédric O, pour commencer d'abord, votre mission en tant que secrétaire d'État au Numérique, en quoi cela consiste ?

CEDRIC O
Alors, il y a beaucoup de choses qui tournent autour du numérique. Ce qu'on voit aujourd'hui, c'est que le numérique vient percuter l'ensemble de nos organisations, l'ensemble de nos sociétés, notre vie quotidienne, et donc basiquement, je pense que la mission du secrétaire d'Etat au Numérique, c'est de donner à nos concitoyens, à la France et aux Français, la capacité de dompter cette nouvelle révolution, c'est le cas dans l'économie avec l'économie des start-up, c'est le cas dans les territoires, parce que, ce qu'on voit dans le grand débat national, c'est qu'à chaque fois que le numérique est évoqué, c'est souvent comme syndrome d'abandon des territoires, et puis, c'est le cas lorsqu'on parle des grandes plates-formes pour faire en sorte que l'Etat de droit qui règne en dehors d'Internet puisse également être respecté sur Internet ; c'est des sujets qui ne sont pas totalement connectés, mais on voit à chaque fois que l'idée, c'est : il y a une grande transformation, le numérique, ça crée beaucoup d'incertitudes, beaucoup d'opportunités aussi, et il faut se mettre en position d'être acteur de cette grande transformation et ne pas la subir.

DIMITRI PAVLENKO
Enjeu démocratique, service public, French Tech, si je peux résumer un peu le triptyque, je vais me concentrer avec vous sur la French Tech ce matin, si vous voulez bien, Cédric O, d'ailleurs, la French Tech qui fait de belles performances, on a des chiffres vendredi sur les levées de fonds depuis le début l'année, en trois mois, 1,2 milliard levé, c'est presque le double par rapport à la même période l'an dernier, avec cette levée de fonds massive, au-dessus de 50 millions d'euros, les deux plus importantes, on en a parlé sur cette antenne, c'était MANOMANO, plateforme qui vend des… enfin, c'est une sorte de CASTORAMA en ligne, si je puis dire…

CEDRIC O
Exactement…

DIMITRI PAVLENKO
Et puis, DOCTOLIB. C'est quand même très encourageant, on à ce chiffre de 4,7 milliards anticipés, de levée de fonds cette année, Cédric O, est-ce que le gouvernement peut s'attribuer une part du succès, si je puis dire, de cet écosystème ?

CEDRIC O
Alors, je pense, d'abord, il faut dire pourquoi c'est important. Il y a un chiffre que je cite souvent, qui est que dans les dernières années, aux Etats-Unis, on estime que c'est entre un emploi sur trois et un emploi sur deux qui ont été créés qui sont liés directement ou indirectement au secteur de la technologie, donc on voit quel est l'enjeu, le but, ce n'est pas de dire, de se gargariser de tel ou tel chiffre, c'est que la dynamique de ces start-up, la dynamique de cette économie, ce sont nos emplois, et nos emplois d'ailleurs de demain et d'aujourd'hui, donc c'est une excellente nouvelle, c'est d'abord dû à cette nouvelle génération d'entrepreneurs, vous avez cité DOCTOLIB, MANOMANO, on peut citer WYND, DATAIKU, SHIFT TECHNOLOGY, CONTENT SQUARE, toutes ces nouvelles entreprises. Donc c'est d'abord dû à eux, et puis, c'est aussi, dans une humeur globale de l'économie française, qui est plutôt bonne de ce côté-là, et c'est lié, je pense aussi, à un certain nombre de réformes du gouvernement, la réforme de la fiscalité du capital, la réforme du marché du travail. Certaines actions plus spécifiques, comme le plan intelligence artificielle, qui a été présenté l'année dernière, ou encore, ce qu'on fait autour des visas et de l'immigration des talents, qui permettent de venir irriguer toute cette économie.

DIMITRI PAVLENKO
Quels sont d'après vous les secteurs prioritaires pour la Tech française, parce que, évidemment sur la question du e-commerce, on a quand même des entreprises qui se portent très bien, mais si on prend les grandes plates-formes, on voit qu'on est quand même d'ores et déjà battu par les Américains, bon, tout espoir n'est pas perdu tout de même. Quels sont les secteurs sur lesquels, vous, vous souhaiteriez qu'on mette l'accent ?

CEDRIC O
Alors je pense qu'il faut agir de deux manières, d'abord, il y a une question d'écosystème global, on parle vraiment d'un écosystème, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas de grand soir de la French Tech, c'est-à-dire, on voit que les choses accélèrent, elles accélèrent très vite, vous l'avez cité, on était à 3,5 milliards d'euros investis dans les start-up de la French Tech l'année dernière, on devrait tourner autour de 5, peut-être un peu moins de 5 cette année, donc c'est une très bonne chose, ce qu'il faut faire, c'est qu'il faut continuer à déverrouiller toutes les petites choses qui font que les start-up eux pourront se développer, il y a des choses très transverses, je pense notamment à la question du recrutement, aujourd'hui, c'est le goulet d'étranglement numéro un dans le secteur, d'ailleurs, c'est un sujet qui est à la fois européen, mondial, donc il faut créer les conditions, et c'est-ce qu'on fera avec Muriel PENICAUD pour que les start-up puissent embaucher…

DIMITRI PAVLENKO
Donc là, c'est une question de formation initiale, formation professionnelle…

CEDRIC O
Question de formation initiale, formation continue, etc. Aujourd'hui, il faut savoir que c'est 80.000 personnes qui manquent en France, il y a 80.000 postes à pourvoir, c'est 900.000 en Europe. Donc on voit, et puis, ça va continuer à se développer, donc on voit l'enjeu. Ensuite, et donc, il faut faire en sorte que si demain un entrepreneur, une entrepreneuse veut se lancer, elle puisse réussir, et c'est elle qui sera d'abord la clé de la réussite. La deuxième chose quand on pense stratégiquement, c'est de se dire, quels sont les secteurs dans lesquels la France, par son passé, par la structure de son économie, peut, a une chance de jouer un rôle plus important que dans les autres. Il y a… alors, on peut en citer plusieurs, je pense que, d'abord, l'intelligence artificielle liée à l'école française, à la fois de mathématiques et de sciences de l'informatique, est un secteur dans lequel on peut jouer un rôle important, on le voit quand vous regardez tous les GAFA ou toutes les grandes entreprises du numérique, à chaque fois que vous avez un patron de l'intelligence artificielle, un patron de la recherche en intelligence artificielle, c'est un Français…

DIMITRI PAVLENKO
Eh bien oui, et c'est dramatique, parce qu'il devrait être en France, alors, il est aux Etats-Unis, et si on prend sur le plan purement financier, parce que là, aussi, il y a quand même quelque chose, la Chine, le plan sur l'IA, c'est 25 milliards d'euros, 25 milliards de dollars, pardonnez-moi, mais, on est sur des masses financières qu'on ne pourra pas atteindre chez nous.

CEDRIC O
Alors, il y a plusieurs choses dans ce que vous dites, d'abord, au niveau des masses financières, il faut comparer Europe, Etats-Unis, Chine, aujourd'hui, c'est vrai que l'Europe, en 2016, c'était 10 % des montants investis par nos deux autres partenaires, je pense qu'avec l'effort à la fois du gouvernement français, et puis, de l'Europe, on va doucement grignoter notre retard, mais c'est sûr qu'il faut continuer à accélérer. Mais le fait même qu'on ait ces Français qui soient les patrons de la recherche ou les patrons de l'intelligence artificielle dans les grandes entreprises du numérique, c'est une excellente nouvelle, ça veut dire qu'il faut se mettre en condition, pour, soit, les garder ici, soit, les faire revenir, et puis qu'avec eux, reviennent d'autres chercheurs. C'est basiquement la philosophie de ce que le président de la République a présenté l'année dernières sur l'intelligence artificielle, et ça marche, on a vu que l'année dernière, que ce soit GOOGLE, FACEBOOK, DEEPMIND, FUJITSU ont tous décidé d'ouvrir un laboratoire d'intelligence artificielle en France. Je reviens à ce que vous me demandiez tout à l'heure, quels sont les secteurs dans lesquels on peut espérer prendre de l'avance, c'est sûr que dans le B2C, comme on dit, notamment dans l'intelligence artificielle, les Américains et les Chinois ont pris une longueur d'avance, et ça prendra du temps à combler ; il y a certains secteurs, comme la santé en premier lieu, l'énergie, les mobilités, la cybersécurité, où en raison de la structure de l'économie française, de notre passé, dans la santé, parce que par exemple, nos bases de données sont centralisées, deux des cinq plus grandes bases de données mondiales dans la santé sont françaises. Et donc, dans les secteurs plutôt B2B, comme on dit, on a la possibilité de créer des leaders mondiaux, pour ça, il faut se mettre en condition de le faire.

DIMITRI PAVLENKO
Cédric, on ne va pas avoir le temps d'aborder les questions de financement, il y a une question que je voudrais aborder avec vous qui me paraît très importante, c'est ce concept sait même de Tech For Good, Tech au service de l'humain, et non l'inverse, c'est un peu la French Touch dans le domaine du numérique, si je puis dire, alors, j'ai du mal à comprendre exactement ce que c'est, est-ce que vous, Tech For Good, c'est votre credo, est-ce que la Tech, elle n'est pas surtout là pour faire de l'argent et pour faire des emplois, on dit que vous voulez remanier d'abord ce Next40, qui est un héritage que vous a laissé Mounir MAHJOUBI, cet indice qui concentre 40 pépites de la Tech française, sur des critères qui mêlent à la fois croissance, potentiel de croissance et impact environnemental, sociétal, positif, est-ce que ça, c'est votre philosophie ça ?

CEDRIC O
Alors, moi, ce que j'ai souhaité, c'était recentrer le Next40, quand on dit Next40, on entend Next CAC40, c'est-à-dire…

DIMITRI PAVLENKO
L'antichambre du CAC40…

CEDRIC O
L'antichambre du CAC40. Et j'ai voulu qu'on se recentre sur cette première philosophique, qui est de dire : les entreprises du Next40, ce sont, entre guillemets, les futures entreprises du CAC40, ça, c'est la première chose, recentrage. Et la deuxième chose, c'est que j'ai voulu des critères objectifs, c'est qu'il ne me semblait pas sain que l'Etat choisisse telle ou telle entreprise, ne serait-ce que parce qu'elles ont des concurrents, des investisseurs, et que je ne voulais pas les mettre en difficulté si on devait référencer ou déréférencer telle ou telle entreprise, ça, c'est la première chose. 1°) : recentrons-nous sur le Next40, sur la question de la performance. La deuxième chose c'est que ça ne veut pas dire que le sujet Tech For Good n'est pas important, au contraire, d'abord, je pense qu'au sein du Next40, qui sera choisi sur critères objectifs, on peut choisir telle ou telle entreprise qui se distingue particulièrement, et ensuite, je pense que cette question du Tech For Good, des entreprises qui s'engagent, des entreprises qui vont être plus socialement responsables, qui vont faire quelque chose pour l'égalité femmes/hommes est un critère d'attraction, d'attractivité même du modèle français et européen de la Tech. Mais je n'ai pas voulu mélanger d'un côté les critères de performances liés au Next40, et de l'autre côté, ce que nous pourrons faire sur Tech For Good.

DIMITRI PAVLENKO
Clarification bienvenue. Merci Cédric O, secrétaire d'Etat chargé du Numérique avec nous ce matin sur Radio Classique. Merci à vous.

CEDRIC O
Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 mai 2019