Texte intégral
Chers amis,
Je vous remercie d'être venu des quatre coins du monde pour participer à cette conférence sur le financement du développement. Je crois que c'est le signal très clair de l'importance que nous accordons tous à cette question pour l'avenir de la planète, que ce soit les ministres des Finances, les ministres de l'Economie, les Gouverneurs de banques centrales, les représentants d'organisations internationales, en particulier la Banque mondiale, le FMI, l'OCDE et les autres organisations non gouvernementales.
Je veux vous remercier pour votre participation et vos propositions.
Au-delà des conclusions que nous avons tirées, je crois que ce sont les décisions qui feront la différence : les décisions que nous pourrons prendre sur la base des conclusions de nos travaux lors des réunions du G20 à Fukuoka et à Osaka, comme aux réunions du G7 à Chantilly et à Biarritz ou au FMI et à la Banque mondiale. Je crois qu'il est essentiel de décider de règles communes pour financer le développement mondial et établir des critères sur la transparence des financements et la qualité des infrastructures, des critères qui soient applicables, reconnaissables par tous et opposables à chacun.
Je tire de cette journée de débats une observation particulière. Il est nécessaire de refonder le capitalisme mondial. Nous voyons bien aujourd'hui que la croissance mondiale ralentit, que les inégalités entre les nations et au sein des nations se sont renforcées. Cela pose à la fois un problème moral, un problème économique et un problème politique. Cette prise de conscience mondiale des limites du capitalisme amène certains à proposer des solutions qui me paraissent dépassées.
Certains voudraient revenir au protectionnisme, au repli sur soi, au nationalisme. Je suis convaincu que cette solution est une impasse et que les nationalismes conduiront à l'appauvrissement de la planète toute entière. Certains voudraient, au contraire, essayer de rafistoler le capitalisme en demandant de dépenser toujours plus d'argent public. Je ne crois pas non plus à cette solution parce qu'elle mènera justement à cet endettement privé et public que nous voulons combattre.
Je crois, à l'inverse, que nous devons inventer un nouveau capitalisme qui soit plus juste, plus efficace et surtout soutenable sur le long terme parce qu'il ne conduira pas à l'épuisement des ressources de la planète, qui sont notre premier bien commun. Ce sont les idées que nous défendons avec le président de la République dans le cadre de la présidence française du G7.
La première grande priorité que nous proposons pour cette refondation du capitalisme c'est la justice, et notamment la justice fiscale. Il faut que la fiscalité du XXIème siècle soit plus juste et plus efficace.
Cela suppose de traiter la question très sensible de la fiscalité du numérique. Nous y travaillons tous ici autour de cette table. Les États européens sont très avancés dans ce domaine. L'OCDE a fait un travail remarquable que je tiens à souligner. Il est essentiel maintenant que, sur la base de ces travaux de l'OCDE, nous parvenions d'ici à la fin de l'année 2019 à la définition d'une fiscalité juste et efficace des activités numériques. La seule solution valable en matière de fiscalité du numérique est une solution multilatérale adoptée au niveau de l'OCDE.
Une fiscalité plus juste pour le XXIème siècle, c'est aussi la mise en place d'une taxation minimale pour l'impôt sur les sociétés.
Certains États autour de cette table ont déjà adopté une taxation minimale à l'impôt sur les sociétés. C'est le cas en particulier des États-Unis qui ont un dispositif de taxation minimale. Il est essentiel que, dans le cadre du G7 Finances, nous parvenions à un accord sur cette taxation minimale à l'impôt chez les sociétés.
C'est la première priorité de la présidence française du G7 Finances.
Nous ne voulons plus d'évasion fiscale. Nous ne voulons plus de contournement fiscal. Nous ne voulons plus de multinationales qui arrivent à placer leurs bénéfices dans des États où l'imposition sur les sociétés est extrêmement faible. Une fois encore, il ne semble pas que ce soit une proposition si révolutionnaire que cela quand on regarde certains États, dont les États-Unis, ont déjà adopté des dispositions similaires.
Il nous semble donc essentiel que nous parvenions à un accord sur ce sujet. Je le redis, c'est la priorité française pour la présidence du G7 Finances et je me réjouis qu'avec l'Allemagne, nous ayons déjà une proposition commune à formuler sur ce sujet.
La deuxième priorité, c'est de mettre fin à une concentration capitalistique excessive de certaines entreprises et à leur pouvoir potentiel de domination politique et économique.
Les États défendent l'intérêt général. Les entreprises défendent leur intérêt particulier. Il est donc légitime que les États continuent à conserver, en matière de fiscalité et d'économie, le pouvoir de rétablir la défense de l'intérêt général. Sans quoi, c'est la souveraineté des nations qui pourra demain être menacée par des intérêts privés. Par ailleurs, cette concentration capitalistique excessive crée des inégalités qui ne sont pas soutenables sur le long terme à l'échelle de la planète.
La troisième priorité, c'est de réduire les inégalités au sein des pays développés.
Il faut s'attaquer aux excès du capitalisme : les écarts de rémunération aberrants, les bonus exceptionnels qui ne sont pas reliés à des performances économiques, tout cela doit être mieux encadré. Il ne s'agit pas de remettre en cause ni la performance, ni la compétition, qui sont saines. Il s'agit simplement d'éviter des excès qui délégitiment et dévalorisent l'activité économique et qui nourrissent - mesurons-le bien, des colères et des violences dont la France a fait l'expérience encore récemment.
Mais je ne crois pas que la France soit une exception parmi les pays développés. Avoir plus de justice et remédier aux excès du capitalisme, c'est éviter que la violence appelle toujours plus de violence et que les excès nourrissent les insatisfactions au sein des pays développés. Pour cela, nous devons nous doter d'instruments pour faire la transparence sur les inégalités et trouver des moyens de les réduire. Nous avons par exemple en France adopté un rapport d'équité sur le salaire médian des plus grandes entreprises en France. Ce genre de dispositif pourrait parfaitement être généralisé à d'autres pays développés au niveau du G7 ou au niveau du G20.
La quatrième priorité, c'est évidemment d'avoir une vision de long terme.
Tous ceux ici qui ont des enfants de 15, 16, 18 ou 20 ans, savent que la politique ne les intéresse plus beaucoup. Mais il y a une chose qui les passionne : c'est l'environnement et la question climatique. C'est le combat des générations qui viennent. C'est leur combat. Et c'est un combat légitime et nécessaire.
Je crois que c'est de notre responsabilité à tous d'entendre les revendications, les appels des générations qui viennent, qui veulent une planète plus sûre, qui veulent une planète qui préserve davantage son environnement, ses ressources et qui se dote des moyens de préserver sur le long terme notre planète.
Quand on est ministre des Finances, on a beaucoup de leviers entre les mains. Vous avez tous ici autour de cette table beaucoup de leviers entre les mains. Mieux vaut définir ensemble des leviers raisonnables que de laisser les colères conduire à des leviers qui seraient déraisonnables.
Prenez l'exemple de la finance verte : c'est un levier raisonnable.
Rien ne nous empêche de définir des indicateurs pour savoir où les banques, où les grands investisseurs et les sociétés d'assurances placent les capitaux et les économies qui leur ont été confiées par les épargnants. Ensuite, chaque épargnant, en fonction de cet indicateur objectif, sera libre de choisir sa banque, libre de choisir sa compagnie d'assurance en disant "moi je préfère telle banque parce qu'elle finance les énergies renouvelables et qu'elle respecte le développement durable de la planète". C'est un système responsable et vertueux que j'appelle de mes voeux. Plus nous aurons le courage d'avancer vers des solutions nouvelles, vertueuses, responsables, plus nous éviterons que les colères ou les inquiétudes des générations qui viennent ne nous emportent.
Nous avons tous ici une parcelle de pouvoir. Nous devons l'exercer de manière responsable en faisant des propositions et en prenant des décisions.
De ce point de vue-là, je voudrais me réjouir que vous soyez venus aussi nombreux aujourd'hui. Le sujet que nous avons traité est un sujet extrêmement sensible. Ça a été parfaitement rappelé par Christine Lagarde, par David Malpass, par l'ensemble des ministres qui sont intervenus. Oui, il y a un besoin criant de construire des infrastructures dans les pays en développement. Ces pays ont besoin de routes, de chemins de fer, de ports, d'aéroports qui soient plus performants. Mais, en même temps, il faut que les financements de ces infrastructures soient vertueux.
Nous avons tous ici autour de cette table un intérêt économique à investir dans ces pays. Mieux vaut que les règles soient les mêmes pour tous. Cela permettra de garantir la stabilité entre les nations qui investissent. Cela permettra de garantir la sécurité et la modernité des infrastructures qui sont construites et cela permettra, en troisième lieu, de respecter la souveraineté des États parce qu'ils ne se seront pas trop endettés. Ils se seront endettés à la mesure de leurs moyens pour garantir leur développement durable.
Le seul fait que vous soyez venus aujourd'hui aussi nombreux, qu'aucun État n'ait refusé de participer, que tous aient apporté leur pierre à l'édifice, montre que nous sommes dans la bonne direction. Cela montre que les discussions multilatérales ont de beaux jours devant elles et qu'elles doivent maintenant conduire à des décisions fortes et responsables.
Merci à tous et très bonne fin de journée à Paris.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 10 mai 2019