Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Nous venons d'achever la réunion des ministres des affaires étrangères du G7, dans le cadre très inspirant des villes de Dinard et de Saint-Malo. Je voudrais, puisque le maire de Dinard et son équipe est là, puisque Madame la Préfète de région vous êtes là, vous remercier, vous-même Madame la Préfète, et les élus, le maire de Dinard, le maire de Saint-Malo par votre intermédiaire, de l'accueil chaleureux que vous nous avez réservé. Je le fais en mon nom personnel. Il fallait que la Bretagne soit à la hauteur, elle l'a été. Et je le fais aussi au nom de mes collègues qui ont été très sensibles à cet accueil. Vous avez même réussi à faire en sorte que le deuxième jour il fasse un temps superbe. Le premier jour j'avais dit, reprenant une formule coutumière ici, "G7 pluvieux, G7 heureux". Je crois que cela a été le cas. En tout cas l'objectif de cette rencontre était de prendre des engagements concrets et opérationnels sur les priorités que nous avions établies, à la demande du président de la République : "lutter contre les inégalités, réduire les menaces, et renforcer la démocratie".
Cet objectif a été atteint. Toutes les sessions de travail ont abouti à une déclaration : sur le comportement des Etats dans le cyberespace, sur la prévention des violences sexuelles dans les conflits, sur la prévention des trafics bénéficiant aux groupes terroristes au Sahel. Vous avez déjà reçu notre déclaration commune sur la Libye hier. Enfin, nous venons d'agréer un communiqué final assez important que vous devez d'ores et déjà avoir, qui est complet et qui reflète nos vues sur les principaux dossiers des crises internationales. Vous savez que le président de la République a fait de la lutte contre les inégalités l'objectif principal de notre présidence du G7, parce que l'aggravation de toutes les inégalités mondiales ou sociétales est l'une des principales causes de la violence et de la durée des conflits actuels. C'est également le principal obstacle au traitement concerté des grands enjeux de paix et de sécurité collective. Nous avons consacré hier soir une session de travail relative au rôle et aux droits des femmes dans les environnements de conflits. Elle s'est conclue par l'adoption d'une feuille de route ambitieuse sur la lutte contre les violences sexuelles, prévoyant un soutien des Etats du G7 au fonds créé par le Dr Mukwege, prix Nobel de la paix, et permettant aussi la création d'un mécanisme d'alerte précoce en cas d'usage du viol comme arme de guerre.
S'agissant par ailleurs des principales mesures sécuritaires, nos échanges ont porté sur la lutte contre le terrorisme, et en particulier ses liens avec la criminalité organisée. Nous avons adopté une déclaration commune visant à lutter contre les trafics illicites, en particulier les trafics de drogues, d'armes, et la traite des êtres humains au Sahel, ensemble de trafics qui profitent aux groupes terroristes.
Les Etats du G7 ont également pris l'engagement de renforcer leur soutien aux opérations africaines de paix. C'était en partie la réunion d'hier soir - et à cet égard, je voudrais remercier le président de la Commission de l'Union africaine, M. Moussa Faki, d'être venu spécialement hier soir à Saint-Malo pour exposer le point de vue de l'Union africaine et nous faire part de sa riche expérience. Nous avons abordé à cette occasion les difficultés et les besoins de la Force du G5 Sahel.
Nous avons évoqué ensemble les moyens de renforcer la démocratie face aux conséquences de la révolution numérique et au développement des pratiques d'ingérence, aussi bien à sept que dans le cadre de l'Union européenne comme on l'a vu lors du dernier Conseil européen. Nous devons prouver que nous sommes capables de prévenir les tentatives d'ingérences, d'endiguer les obstructions à la liberté de la presse, et capables de réguler efficacement les manipulations de l'information, sans renoncer aux principes qui nous définissent.
C'est notamment le sens de l'initiative Information et démocratie, que nous avons lancée en partenariat avec Reporters sans frontières. J'ai eu l'occasion de présenter cette initiative à mes partenaires. Les Etats soutiens de cette initiative signeront un acte de partenariat en marge du sommet de Biarritz. C'est également le sens, c'est la même démarche qui a été initiée par Chrystia Freeland et Jeremy Hunt hier à Dinard, l'initiative "Media freedom", parrainée par Amal Clooney. Nous avons décidé de donner une forte impulsion dans ce domaine et de "jumeler" d'une certaine manière les initiatives pour leur donner plus de force. Cela se traduira par un grand forum en Grande-Bretagne au début du mois de juillet.
Nous avons également adopté une déclaration visant à favoriser le comportement des Etats dans le cyberespace, qui ne peut être une zone de non-droit. Cette déclaration crée un mécanisme d'autoévaluation et de partage de bonnes pratiques, pour que le cyberespace soit un environnement ouvert, libre, stable et sécurisé.
Voilà ce que je voulais vous dire au nom du G7 et en ma qualité de président.
Je voudrais compléter mon propos au titre de la France pour vous dire qu'il y a un très long communiqué, très positif, très complet. Il n'empêche que ce communiqué identifie quelques divergences de vues, même si sur l'essentiel nous sommes en harmonie et en accord. Et nous avons voulu être totalement transparents dans le communiqué et dire que sur deux sujets en particulier, la situation au Proche-Orient, en particulier le conflit israélo-palestinien d'une part, et d'autre part sur l'appréciation de la méthode à suivre concernant les relations avec l'Iran, nous avons des divergences qui sont connues. Mais cela ne nous a pas empêchés, sur tout le reste, de nous mettre d'accord et d'avoir un communiqué commun qui relate ce point de vue divergent sur ces deux points.
Nous avons retenu cette approche parce que nous voulons que la présidence du G7, que la France exerce, soit à la fois réaliste et constructive, et nous continuerons de mettre en oeuvre cette démarche au cours des six réunions ministérielles qui nous séparent du sommet de Biarritz à la fin du mois d'août. La prochaine échéance importante sera en particulier, en ce qui concerne mon action propre, la réunion des ministres du développement et de l'éducation que je présiderai moi-même à Paris les 4 et 5 juillet en vue du sommet de Biarritz.
Cette démarche d'aujourd'hui a montré que nous pouvons obtenir des engagements ciblés, des engagements concrets, et nous devons faire preuve en permanence de créativité et d'agilité en développant la culture du compromis et de dialogue. Parce que très profondément, nous ne pouvons rester spectateurs du reflux du multilatéralisme. À l'heure où doivent être prises des décisions essentielles pour la paix et pour la sécurité internationales, ces décisions ne peuvent être que collectives. Nous avons donc aussi pour ambition d'aider ceux qui veulent aller plus loin ensemble, et pour ambition de faire en sorte que nous soyons moteurs dans la revitalisation du multilatéralisme. En marge du G7, ce matin tôt, nous avons réuni les membres fondateurs de ce qu'on appelle l'Alliance pour le multilatéralisme - c'est-à-dire l'Allemagne, le Canada, le Japon et la France - dont l'objectif est de réunir les grandes démocraties qui veulent être à l'avant-garde du multilatéralisme. Nous avions eu l'occasion, Heiko Maas et moi-même, de présenter cette initiative et cette volonté à New York au moment de la présidence consécutive du Conseil de sécurité entre la France et l'Allemagne en début de semaine, et nous avons eu l'opportunité de reprendre ici les éléments centraux de cette initiative avec notre collègue Taro Kono et notre collègue Chrystia Freeland, ministre des affaires étrangères du Canada.
Voilà les quelques remarques que je voulais faire et je suis prêt à répondre à quelques questions.
Q - Monsieur le Ministre, pourriez-vous expliquer quelles sont les mesures que vous proposez pour stabiliser la situation en Libye ?
R - En Libye on connaît la marche à suivre. D'ailleurs hier soir, nous avons établi ensemble un communiqué sans difficultés. Il y a d'abord un principe fondamental qui est qu'en Libye il n'y aura pas de victoire militaire. La solution ne peut être qu'une solution politique. La solution politique passe d'abord par la réunion d'une conférence nationale et ensuite par un processus électoral intégrant l'ensemble des Libyens, à la fois pour l'élection présidentielle et pour les élections législatives - la conférence nationale ayant pour objectif de mettre en oeuvre le dispositif constitutionnel permettant précisément ces élections. Pour que tout cela se déroule calmement, il faut que la situation actuelle cesse et que l'ensemble des parties fassent preuve de retenue et que les initiatives prises par les Nations unies, par l'Envoyé spécial des Nations unies, M. Salamé, mais aussi le Secrétaire général des Nations unies qui était là au moment où il y a eu ces initiatives intempestives auxquelles vous faites référence, il faut que ce processus-là aille jusqu'à son terme et c'est ce que souhaite la France, ce que souhaitent aussi les membres du G7, c'est ce que souhaite aussi l'Italie. L'Italie et la France sont sur la même ligne. Nous l'avions montré à la réunion de la Celle-Saint-Cloud, qui avait été initiée par le président Macron où s'étaient retrouvés pour la première fois le président Sarraj et le Maréchal Haftar. Les deux mêmes personnages se sont retrouvés à Palerme à une réunion à laquelle j'ai assisté, initiée par l'Italie il y a quelques mois. Nous sommes sur la même ligne, il faut que cela puisse évoluer ainsi : il faut unifier les institutions libyennes, renoncer à la violence et mettre en oeuvre le processus électoral, et que l'ensemble des Libyens le comprennent et l'ensemble des parties le comprennent. Je crois qu'on ne serait pas très loin d'un accord pour que tout cela aille bien, puisque à Abou Dabi à la fin du mois de février ou début du mois de mars il y avait eu un accord entre les deux intéressés. Et puis cela s'est disloqué dès leur retour. Il faut maintenant qu'ils surmontent les difficultés du passé dans l'intérêt du peuple libyen parce que le peuple libyen en a, je crois, assez de cette situation de violence qui dure depuis plusieurs années maintenant. Il aspire à une clarification politique, la meilleure preuve c'est que les Libyens sont très nombreux à s'être inscrits sur les listes électorales afin de pouvoir voter et faire en sorte que le processus politique l'emporte sur les rivalités militaires. Il importe que toute la communauté internationale soit sur cette ligne.
Q - S'agissant toujours de la Libye, une éminente personnalité de la ville de Misrata, Abderrahmane Souihli, qui était président du Conseil d'Etat en Libye, a mis la France publiquement en cause en l'accusant de duplicité en Libye. Il dit que la France condamne l'escalade militaire actuelle mais en même temps prête main forte au Maréchal Khalifa Haftar sur le plan militaire. Que lui répondez-vous ?
R - Je le connais très bien. Qu'il soutienne le processus mis en oeuvre par les Nations unies, qu'il le dise et qu'il le fasse mettre en oeuvre. Si vous avez l'occasion de le lui dire.
Q - Moussa Faki est venu mais vous semblez dire que lors du dîner africain d'hier soir vous avez parlé essentiellement du G5 Sahel et d'une meilleure gestion des fonds qui devraient arriver à cette organisation. La sécurité africaine est beaucoup plus large, plus vaste. Pourriez-vous nous dire si au-delà du G5 Sahel il y a eu d'autres discussions qui ont été abordées ?
R - Dans mon propos je n'ai pas dit que nous n'avions parlé que du G5 Sahel, on a parlé de l'ensemble des situations sécuritaires africaines, je confirme. Mais le but de la venue de Moussa Faki, dans cette instance du G7 - ce qui est une grande première, était d'argumenter sur son concept, le concept africain de l'opération africaine de paix. Nous sommes convaincus que la meilleure sécurité en Afrique doit être assurée par les forces africaines et que l'Union africaine, dans le cadre de sa réforme, a pris des initiatives qui nous paraissent positives, on le lui a dit hier soir et cela fait l'objet du compte rendu et du communiqué final du G7. L'initiative qu'il propose d'opération africaine de paix pour imposer la paix avec des forces africaines sur mandat commun de l'Union africaine et du Conseil de sécurité des Nations unies est un bon vecteur pour que ce soient les Africains qui assurent eux-mêmes leur propre sécurité. Et ce n'est pas uniquement une pétition de principe puisque l'Union africaine a pris la décision de créer un fonds spécial pour financer ces opérations et ce fonds est dès à présent alimenté. Donc il nous a exposé l'ensemble de cette doctrine qui peut s'appliquer dans toutes les situations conflictuelles. C'était la raison profonde de sa venue.
Q - Il sera approuvé par tous les Etats du G7 ?
R - Nous l'avons validé, c'est au compte rendu. C'était un point très important.
Q - Lors de l'entretien avec Taro Kono du Japon, comment avez-vous évoqué la situation de M. Carlos Ghosn ? Est-ce que le sujet du Brexit a été évoqué lors de cette ministérielle du G7 ? Quelle est votre position sur la proposition de Theresa May d'extension jusqu'à la fin de juin ?
R - J'ai évidemment évoqué le cas de M. Carlos Ghosn avec mon collègue Taro Kono. Je lui ai dit deux choses : d'abord que la France respectait totalement la souveraineté et l'indépendance de la justice japonaise et j'ai rappelé aussi notre attachement au respect de la présomption d'innocence et à la pleine application de la protection consulaire. Donc cette question a été évoquée lors de notre entretien. Nous n'avons pas évoqué dans notre entretien la situation du Brexit mais elle n'était pas à l'ordre du jour du G7, même si Jeremy Hunt a pris le temps de venir toute la journée d'hier pour participer à nos travaux. Vous connaissez la position de la France je ne vais pas la reprendre mais il est temps que cette situation s'arrête. Le Conseil européen a pris une décision claire le 21 mars dernier. S'il y a une nouvelle extension, puisqu'il semble que ce soit la demande de Mme May, il faut que le Royaume-Uni présente un plan qui justifie cette demande de prolongation et il faut aussi que dans ce plan il y ait une anticipation d'un soutien politique clair et crédible. Donc on peut imaginer que Mme May va le présenter au Conseil européen du 10 avril, qui va se réunir donc cette semaine, puisque ce sont les conditions qui avaient été fixées par le Conseil européen du 21 mars dernier. Et ceci dit on ne pourra pas vivre dans la perpétuité de la sortie du Brexit. À un moment donné, il y a une sortie. Et je pense qu'il faut vraiment que les autorités britanniques, le parlement britannique se rendent compte que l'Union européenne ne va pas pouvoir en permanence s'épuiser sur les aléas de la politique intérieure britannique. Nous avons regretté le départ des Britanniques, nous n'avons pas demandé ce vote. Donc il importe que les Britanniques nous indiquent très rapidement comment ils comptent sortir de cette crise.
Q - Justement en parlant des Britanniques, du Brexit, et des Américains qui ont envoyé l'adjoint de Mike Pompeo : la question sur la façon dont fonctionnent le G7 et les questions du multilatéralisme se pose. Vous parlez d'une alliance avec quatre pays aujourd'hui. C'est la réponse : vers un G4 dans le G7 ?
R - Non, le G7 fonctionne. Il y a eu l'année dernière une fin de G7 au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement à Charlevoix au Canada qui ne s'est pas très bien passée, mais le G7 des ministres des affaires étrangères ici à Dinard s'est très bien passé. Je l'ai indiqué : nous avons constaté ce que nous connaissions déjà - et malgré l'air tonique de Dinard, on n'allait pas surmonter ici deux points de divergence que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer avec mon collègue américain. Mais la discussion avec l'ensemble des membres du G7 a été fluide, et je crois constructive et très positive, très agréable sur le ton et très positive sur le fond. Le multilatéralisme c'est autre chose, je l'ai dit tout à l'heure et je vous le redis, c'est le constat que les fondements de ce qui a fait le multilatéralisme depuis la fin de la dernière guerre mondiale, à la fois dans le domaine de la sécurité par les Nations unies mais aussi dans le domaine de l'Organisation mondiale du commerce, mais aussi dans le domaine de l'éducation. Tout ce qui tourne autour des institutions internationales, créées en grande partie après la guerre, ces fondements-là sont en train de s'effriter, de se disloquer. Or les défis auxquels nous sommes confrontés, sont au moins aussi importants que ceux auxquels ont été confrontés nos prédécesseurs dans les années cinquante. Et donc nous avons convenu avec mon collègue allemand, parce que nous partagions les mêmes impressions, de réunir tous ceux qui veulent bien revitaliser le multilatéralisme, lui donner plus de force, être d'une certaine manière les moteurs par rapport à ceux qui sont adeptes du statu quo ou du détricotage. C'est le sens de la discussion que nous avons eue ce matin avec nos collègues du Canada et du Japon, c'est aussi le sens des discussions que nous avons eues cette semaine à New York avec le représentant de l'Inde, du Mexique, de la Grande-Bretagne puisqu'ils étaient représentés à ce moment-là - ce matin M. Hunt ne pouvait pas venir, avec d'autres pays, la Corée du Sud, l'Australie, je n'ai pas la liste entièrement en tête mais nous avons réuni plusieurs démocraties qui souhaitent agir en ce sens, l'Afrique du Sud, pour ne pas l'oublier, qui sont partie prenante d'une relance du multilatéralisme pour répondre aux crises actuelles. Comment pouvez-vous répondre aux crises migratoires, aux crises du numérique, aux crises du climat, que nous avons devant nous, sans parler du terrorisme en étant dans le statu quo, voire dans la régression ? Ce n'est pas possible et c'est pourquoi nous voulons, sur initiative franco-allemande, reprendre le flambeau du multilatéralisme pour le revitaliser et être un peu les locomotives du nouveau multilatéralisme. Merci.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 avril 2019