Déclaration de M. Olivier Dussopt, secrétaire d'Etat à l'action et aux comptes publics, sur l'impact de la numérisation sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle des agents publics en Europe, à Paris le 14 mars 2019.

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Circonstance : Ouverture du colloque européen portant sur « l'impact de la numérisation sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle des agents publics », à Paris le 14 mars 2019

Texte intégral

Monsieur le président du groupe des employeurs publics européen et président du comité de dialogue social,
Madame la présidente de la délégation des syndicats des administrations nationales et européennes,
Mesdames et messieurs les représentants des partenaires sociaux du comité sectoriel européen de dialogue social pour les administrations des gouvernements centraux,
Monsieur le directeur général de la DGAFP,


Je suis ravi de vous accueillir à Paris pour cet événement qui rassemble aujourd'hui les partenaires sociaux européens des administrations nationales d'État, sur un thème aussi important que le numérique et la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle.

Plus d'une quinzaine de nationalités européennes – représentant des employeurs publics et des organisations syndicales des administrations d'État en Europe – sont aujourd'hui rassemblées pour cette réunion au Ministère de l'Economie et des Finances.

Ce n'est pas la première fois que Bercy accueille un événement du Comité du dialogue social européen pour les administrations des gouvernements centraux. En novembre 2014, nous avions déjà eu l'honneur d'accueillir la conférence finale du projet sur les services de qualité pour les populations vulnérables, également dans ce Centre de conférence Pierre Mendès France. Je note que certains des participants d'aujourd'hui étaient alors présents. Cela démontre à quel point il est important pour le Gouvernement français, de favoriser et de promouvoir le travail qui est réalisé au sein de ce Comité.

Permettez-moi de remercier les principaux acteurs de ce projet :

- Tout d'abord EUPAE Italie, représenté par le Département de l'administration publique de la Présidence du Conseil des ministres d'Italie, et notamment M. Valerio TALAMO et M. Andrea VALENTI – qui a déposé le projet auprès de la Commission pour le comité et veille à sa bonne mise en oeuvre pour les employeurs publics européens (EUPAE), et avec qui nous avons pu organiser cet événement aujourd'hui ;
- Mais aussi, la Fédération syndicale européenne des services publics et notamment Mme Nadja SALSON, pour la mise en oeuvre du projet du côté des organisations syndicales européennes.

Remercier également les personnes présentes à ce séminaire et qui participent au succès de ce projet :

- Les organisations syndicales de TUNED (à prononcer en anglais), rassemblées sous les bannières de la Fédération européenne des syndicats du service public (EPSU) et de la Confédération européenne des syndicats indépendants (CESI), et notamment la présidente de TUNED, Mme Britta LEJON.
- Les représentants des employeurs des administrations publiques rassemblées au sein d'EUPAE, avec notamment la présence ici d'EUPAE Espagne (M. Héctor CASADO LOPEZ), qui assume actuellement la présidence des employeurs mais également du Comité dans son ensemble pour cette année 2019.

Et bien sûr, remercier l'Union européenne qui soutient financièrement ce projet, et la présence de la Commission ici représentée.


Ravi, à double titre, de vous accueillir pour cet événement européen aujourd'hui :

- Tout d'abord parce que le Gouvernement français est attaché au développement d'une Europe du progrès, et d'une Europe sociale.
- Mais aussi parce que la question de la transformation numérique et de l'équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, est un sujet de plus en plus prégnant pour les administrations publiques, et surtout pour la fonction publique française.

Le dialogue social européen, et notamment du comité pour les administrations des gouvernements centraux, est au coeur de la construction d'une Europe sociale.

Dans quelques semaines, les élections européennes seront décisives pour l'avenir de notre continent. S'ensuivra le renouvellement de la Commission européenne, à l'automne, et la mise en oeuvre d'un nouveau programme de travail pour les cinq années à venir.

L'adoption du socle de droits sociaux au sommet social à Göteborg en novembre 2017 a été une avancée considérable pour l'Europe sociale. Le Président de la République Emmanuel Macron y est très attaché et a réaffirmé tout son soutien à l'occasion de ce sommet.

Le Président de la République souhaite désormais aller encore plus loin, comme il l'a rappelé dans sa tribune adressée aux 28 Etats membres il y a quelques jours : l'Europe doit retrouver l'esprit de progrès, définir les normes du progrès. Pour cela, elle doit porter un projet de convergence plus que de concurrence. L'Europe, où a été créée la sécurité sociale, doit instaurer pour chaque travailleur un bouclier social lui garantissant la même rémunération sur le même lieu de travail, et un salaire minimum européen, adapté à chaque pays et discuté chaque année collectivement.

Le dialogue social a un rôle majeur à jouer dans la constitution d'une Europe sociale, et notamment dans la réalisation du socle européen des droits sociaux et du bouclier fiscal souhaité par le Président de la République.

En outre, dans le cadre des administrations publiques et dans un contexte de profonde transformation de l'action publique, le dialogue social doit être également, et plus que jamais, en mesure de s'adapter aux enjeux auxquels sont confrontés nos organisations, nos missions et nos métiers, pour mieux accompagner les mutations des services publics, dans l'intérêt des agents et des services.

Depuis sa création en 2010, le comité sectoriel de dialogue social pour le secteur des administrations d'Etat nous permet ainsi à la fois d'améliorer le fonctionnement des administrations et les normes en matière de conditions de travail, de promouvoir le dialogue social au niveau national et d'assumer son rôle important d'avis dans l'élaboration des politiques européennes ayant un impact sur les administrations des gouvernements centraux.

Aussi, ce comité a acquis depuis près de 9 ans une légitimité à plus d'un titre.

D'abord du point de vue de sa représentation. À sa création, seuls quelques pays – tels que la France, la Belgique ou encore la République tchèque, pour ne citer qu'eux – étaient présents pour former le groupe des employeurs publics EUPAE. Ces pays ont toutefois été très vite rejoint par de nombreux Etats membres qui ont compris, à raison, tout l'intérêt de ce comité.

Aujourd'hui, nous pouvons être fiers d'affirmer qu'EUPAE est l'organisation d'employeurs européens du secteur des administrations publiques la plus représentative, couvrant 88 % des 9 millions d'agents publics des administrations d'Etat de l'Union européenne, selon une étude d'Eurofound. Du côté de TUNED, c'est également la grande majorité des syndicats provenant de 27 des 28 Etats membres de l'UE.

Cette situation n'est toutefois pas encore satisfaisante puisque EUPAE ne compte aujourd'hui que 11 Etats membres sur les 28 Etats membres. Sept pays ont par ailleurs le statut d'observateurs : Allemagne, Autriche, Hongrie, Malte, Portugal et plus récemment la Lettonie. Si la contribution de ces derniers pays est extrêmement appréciée et appréciable pour le travail du comité, nous avons toutefois besoin qu'ils deviennent membre à part entière d'EUPAE, pour venir renforcer la représentativité de notre comité, et de fait sa légitimité auprès des institutions européennes notamment.

J'appelle donc ces pays, qui ont toute leur place au sein du comité, à rejoindre EUPAE. Je veillerai dans ce sens, et aborderai la question de l'adhésion à EUPAE lors de mes rencontres avec mes homologues de ces différents pays, ainsi qu'avec ceux des pays qui ne participent pas encore à nos travaux.

Ensuite, et depuis sa création, le Comité du dialogue social a construit sa légitimité sur le sérieux de ses travaux et de ses contributions, qui ont su lui donner toute sa place parmi les acteurs européens. Pour ne citer que deux des plus récents et non moins importants travaux :

On peut citer dans un premier temps la conclusion de l'accord sur l'information et la consultation des agents publics, signé sous présidence française par la ministre de la fonction publique, le 21 décembre 2015, qui a certainement constitué l'un des points d'orgue dans les travaux que vous avez réalisés. Cet accord a constitué une avancée considérable en faveur d'un socle solide de droits sociaux dans les administrations et démontré tout le dynamisme et la force de proposition des partenaires sociaux européens de notre secteur.

La Commission européenne a néanmoins signifié aux partenaires sociaux, le 5 mars 2018, son refus de transposer l'accord en directive européenne. Si la France a fait part de son regret face à cette décision à plusieurs reprises, cette décision ne doit pas réfréner les projets futurs du comité.

Je souhaite que le Comité continue d'être un partenaire privilégié de la Commission européenne sur les questions d'administrations publiques et conserve le privilège d'être consulté, mais aussi d'être force d'initiatives. Il importe donc, et je le souhaite, que la capacité de négocier du Comité soit pleinement préservée, a fortiori si l'opportunité d'un accord se présente à nouveau.

Un deuxième travail qui mérite d'être mentionné est le projet européen sur les risques psychosociaux, qui s'est étendu de 2015 à 2017. La France a eu l'honneur de pouvoir coordonner ce projet pour les employeurs publics d'EUPAE. Celui-ci a donné lieu à de riches séminaires accueillis à Vilnius et Madrid et une conférence finale tout aussi riche à Berlin. Il a abouti à des résultats de grand intérêt – notamment un guide pratique pour mieux lutter contre les risques psychosociaux (RPS) dans les administrations. Tous ces résultats n'auraient été possibles sans l'importante contribution de chacun des membres du Comité.

À la suite du projet, la France, et notamment la DGAFP, a communiqué très largement au niveau national sur ces résultats, en présentant le guide à l'occasion de très nombreuses réunions et conférences et à un public très diversifié (professionnels et directeurs RH, organisations syndicales, chercheurs, etc.).

Dans la continuité de ce dernier projet sur les RPS, qui s'était déjà intéressé à la question du numérique, c'est donc un grand honneur de pouvoir accueillir ce premier séminaire de travail de ce nouveau projet traitant de l'impact de la numérisation sur l'équilibre vie personnelle/vie professionnelle, désormais porté par nos collègues italiens.

Par ma présence ici aujourd'hui, je souhaite donc témoigner une nouvelle fois de l'importance accordée par le Gouvernement français au Comité et au travail qui y est mené.


Permettez-moi, dans un deuxième temps, de vous partager quelques propos sur la question qui nous réunit tous aujourd'hui, et qui est celle de l'impact de la transformation numérique sur l'équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle.

Ce sujet est de plus en plus prégnant pour les administrations publiques, notamment en France.

Pour notre fonction publique, cette question s'inscrit dans la thématique plus globale de la qualité de vie au travail. Celle-ci est au coeur des préoccupations des décideurs publics qui mettent en place des mesures permettant de concilier les enjeux divers liés aux conditions de travail :

- enjeux de santé au travail des agents ;
- enjeux sociétaux liés à la diversité, à l'égalité et à la conciliation des temps de vie ;
- enjeux enfin de performance et de qualité du service public.

C'est une question qui a progressivement pris de l'ampleur depuis 2013.

Ainsi, la question de l'impact de la numérisation sur l'équilibre des temps de vie a d'abord été abordée à travers l'accord cadre relatif à la prévention des risques psychosociaux dans la fonction publique du 22 octobre 2013. Celui-ci avait déjà permis d'identifier, en tant que facteur important à traiter dans le cadre de la prévention des RPS, la question de l'organisation du travail.

La même année, le premier accord relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique avait fixé un axe intitulé « Pour une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie personnelle ».

En 2013 toujours, la DGAFP a publié une étude intitulée « Pour une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie familiale - Identification des bonnes pratiques des secteurs public et privé en France et à l'étranger ». L'objectif de cette étude était de présenter plusieurs bonnes pratiques visant à équilibrer la participation des salariés – femmes ou hommes – dans leur vie familiale et dans leur activité professionnelle. Elle reprenait ainsi un certain nombre de bonnes pratiques que nous avions pu identifier dans chacun de nos pays.

En 2017, un pas supplémentaire a été fait en matière de temps de travail, notamment lié aux nouvelles technologies. Une circulaire du 31 mars 2017 est venue préciser que les chartes du temps doivent permettre de mieux prendre en compte des impacts liés aux technologies de l'information et de la communication sur les conditions d'exercice des fonctions et sur la vie personnelle, et de préciser les modalités de mise en oeuvre du droit à la déconnexion.

Plus encore depuis quelques mois, la question de l'impact de la numérisation sur l'équilibre des temps de vie est au centre des préoccupations dans la fonction publique en France.

Il prend en tout état de cause une dynamique nouvelle, au regard des enjeux d'égalité professionnelle, de qualité de vie au travail et de transformation de nos administrations.

Dans mes fonctions ministérielles, j'ai pu négocier, à la fin de l'année dernière, un accord portant sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique.

Cet accord, volontariste et ambitieux, signé par la majorité des organisations syndicales le 30 novembre dernier, marque de nombreuses avancées pour les agents publics en termes de réductions des inégalités salariales, de parcours professionnels, d'accès aux emplois de responsabilités, de meilleure articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, ou encore dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Dans le prolongement de cet accord, il convient de poursuivre et d'amplifier les efforts en la matière pour mieux répondre aux attentes des agents publics. L'accord prévoit donc que les employeurs préciseront dans leur plan d'action « égalité professionnelle », les mesures qu'ils mettent en place pour favoriser l'articulation des temps de vie personnelle et professionnelle, notamment celles relatives à l'organisation du temps de travail, assorties d'indicateurs de suivi.

Par ailleurs, le Gouvernement français porte un projet de loi de transformation de la fonction publique qui est actuellement soumis aux différentes instances consultatives. Il prévoit l'insertion d'un article au statut général des fonctionnaires qui dispose que les employeurs élaborent et mettent en oeuvre un plan d'action pluriannuel qui doit comporter, notamment, des mesures visant à favoriser l'articulation entre vie professionnelle et vie personnelle.

Enfin, comme cela est prévu par l'accord du 30 novembre 2018, les mesures visant à favoriser une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie personnelle pourront être examinées dans le cadre d'une concertation sur la qualité de vie au travail, programmée à l'agenda social au deuxième semestre 2019.

C'est donc en regard de cette préoccupation centrale au sein de nos administrations publiques, que plusieurs enjeux nécessitent d'être abordés aujourd'hui.

Dans un premier temps, il importe d'évoquer l'extension du droit à la déconnexion dans le secteur public. Dans le secteur privé, ce droit est entré en vigueur dans le droit du travail le 1er janvier 2017 au niveau législatif pour les salariés et cadres. Il a conduit à des avancées en termes de diagnostic des pratiques, de formation, d'outils de régulation. Pour les agents des administrations, il n'existe pas à ce jour d'obligation en ce sens.

Ensuite, devra être abordé le développement du recours au télétravail, compte tenu des bénéfices qu'il apporte à la fois aux employeurs et aux agents.

En France, son usage reste encore modeste, surtout en comparaison d'autres pays européens comme la Belgique par exemple. Pourtant, un récent bilan du déploiement du télétravail dans les trois versants de la fonction publique publié par la DGAFP en janvier 2019 démontre que celui génère, entre autres :

- moins de fatigue et de stress ;
- une meilleure qualité de vie ;
- une reconnaissance de l'agent et une confiance renforcée ;
- une meilleure organisation du travail couplée à une meilleure concentration ;
- un renforcement des compétences numériques ;
- et enfin, des relations plus transparentes avec la hiérarchie et avec le collectif de travail.

Pour autant, le déploiement du télétravail doit aussi s'accompagner d'une vraie réflexion sur l'organisation du travail afin de veiller au respect de l'équilibre des temps et s'appuie sur une évolution forte de la culture managériale.

Enfin, et plus globalement, la question de l'impact de la numérisation soulève des questions d'organisation du travail, d'évaluation de la charge de travail, puisque la notion de temps de travail ne suffit plus à mesurer celle-ci. Les outils numériques gomment les frontières entre temps personnel et temps professionnel et une réflexion doit s'engager sur la mise en place des outils permettant de réguler l'usage des outils numériques. Mais cette réflexion doit associer les utilisateurs sur le contenu, la finalité et les règles d'utilisation de ces outils. La maîtrise des flux d'information et de leur pertinence est un enjeu de qualité du travail et de qualité de vie au travail.


Ces différentes problématiques et enjeux ici soulignés, revêtent donc une importance capitale pour l'administration publique en France et le dialogue social. Il en va de sa capacité à s'adapter aux changements, notamment à l'ère du numérique, d'offrir aux agents publics des conditions de travail optimales et ainsi garantir des services publics qui répondent aux attentes des usagers. Ces questions ne sont toutefois pas propres à la France, elles concernent l'ensemble de nos pays.

C'est pourquoi je suis convaincu que le séminaire d'aujourd'hui et plus largement ce projet – qui abordera les opportunités et les risques de la numérisation sur l'articulation entre vie personnelle/vie professionnelle jusqu'en octobre 2019 – représenteront une contribution majeure pour ces sujets, aux bénéfices de nos administrations en Europe et de leurs agents. Je suivrai très attentivement les conclusions de ces travaux.


Voilà, Mesdames, Messieurs, les propos que je souhaitais partager avec vous en ouverture de ce séminaire.

J'adresse, à nouveau, tous mes sincères remerciements à l'ensemble des acteurs qui rendent possible la rencontre de ce jour.

Je vous souhaite une fructueuse journée de réflexions, et franche réussite pour le projet dont vous êtes saisi.

Je vous remercie.


Source https://kiosque.bercy.gouv.fr, le 3 avril 2019