Texte intégral
Mme la présidente. Nous abordons l'examen des crédits relatifs à la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et au compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (no 2301, tome III, annexes 4 et 5 ; no 2298, tome II).
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Merci à tous pour ce débat qui est toujours riche. Vous avez évoqué bien d'autres sujets que le budget, mais c'est bien normal : au-delà de la comptabilité, il y a les orientations politiques.
Je voudrais saluer les nombreux fonctionnaires du ministère de l'agriculture et de l'alimentation qui sont là, au banc et à cet endroit que l'on appelle les guignols. Les fonctionnaires travaillent dans leurs bureaux mais il me paraît important qu'ils participent aussi aux nombreux déplacements que j'organise sur le terrain. Ce soir, ils ont l'occasion de voir en direct les députés discuter du budget. C'est très important.
Le budget du ministère de l'agriculture est préservé : 4,8 milliards d'euros ; une hausse de 4 % des autorisations d'engagement et une hausse de 1 % des crédits de paiement.
Contrairement à ce que disait M. Jumel, aucun poste n'est supprimé dans les services déconcentrés. Par ailleurs, si je n'ai pas participé aux débats en commission, c'est tout simplement parce que la commission avait fait le choix de ne pas inviter le ministre.
M. Fabien Di Filippo. Que fait la majorité ?
M. Didier Guillaume, ministre. Dans un débat serein, il faut s'exprimer sereinement. Comment parler du budget de l'agriculture sans évoquer le contexte, l'agriculture en général ? À l'occasion de ce débat, je voudrais vous parler des agriculteurs, des paysans, de ces hommes et ces femmes grâce auxquels la France ressemble à la France, de ces hommes et de ces femmes qui ont façonné notre histoire autant que notre géographie, qui ont fabriqué cette France enracinée.
À une époque où le temps s'est rétracté, où seul le présent semble avoir droit de cité, parler d'agriculture, c'est parler du temps long. C'est parler d'une histoire ancestrale qui a conduit la France à être une nation agricole et à faire de sa gastronomie un étendard. C'est parler de l'après-guerre et du traumatisme du manque. C'est parler du progrès technique et de la fierté de produire. C'est parler de la société d'abondance que nous avons su créer, de ses failles et de ses limites – limites qui sont aussi celles de notre planète qui se dérègle. C'est parler des mentalités et des besoins qui changent lentement mais sûrement. C'est parler de l'évolution de la demande sociale, passant du quantitatif au qualitatif, de la production à la préservation. C'est parler enfin du rythme tranquille et implacable des saisons qu'aucune impatience ne saurait contrarier.
Il est d'ailleurs drôle de constater que ceux qui se veulent les défenseurs de la nature ont tendance à oublier que la nature aussi prend son temps. Planter une haie, cela prend du temps. Passer en polyculture, cela prend du temps. Passer à l'agriculture biologique, cela prend du temps. Changer de pratique culturale, de manière générale, cela prend du temps.
M. André Chassaigne. Très juste !
M. Didier Guillaume, ministre. C'est pourquoi, je le dis ici très posément : oui, l'agriculture est en passe de se transformer ; oui, les pouvoirs publics, vous, députés, moi, ministre, allons accompagner cette transition, la pousser, la porter. Seulement, les habitants des métropoles vont devoir accepter que tout ne se fasse pas en un jour. Mais tout se fera car tout doit se faire. L'agriculture, ce n'est ni Uber ni Tinder. (Sourires sur les bancs du groupe LR.) C'est un travail patient, rigoureux, souvent âpre. C'est pourquoi, en ce moment de tension où les paysans doutent du soutien et de l'affection de notre pays, je tiens à leur dire solennellement : merci. Et je tiens à dire à nos concitoyens : vous avez raison d'exiger le meilleur, et cela tombe bien car c'est ce que l'agriculture française vous offre.
Pour la troisième année consécutive, l'agriculture française a été désignée comme la meilleure agriculture durable du monde.
M. Fabrice Brun. Bravo !
M. Didier Guillaume, ministre. Et, n'en déplaise à certains journalistes, si un critère sur les vingt et un retenus n'a pas été respecté, selon tous les autres, l'agriculture française est la plus durable du monde. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Soyons fiers de notre agriculture et respectons nos agriculteurs. Et la première marque de respect, c'est de payer dignement leur travail.
M. Fabrice Brun. C'est vrai !
M. Didier Guillaume, ministre. Personne n'accepterait de travailler de longues journées, de longues semaines, sans pouvoir vivre de son travail. Or c'est aujourd'hui la situation de trop nombreux agriculteurs. Aussi faut-il redistribuer la valeur de manière plus juste tout au long de la chaîne qui unit les producteurs aux consommateurs. En même temps, il faut entendre cette demande légitime des consommateurs-concitoyens, d'une alimentation saine, sûre, durable. Elle l'est et, contrairement à ce que j'ai entendu tout à l'heure, le secteur agro-alimentaire français n'empoisonne pas nos jeunes concitoyens.
C'est pourquoi la martingale gagnante inscrite dans ce budget, c'est tout simplement : compétitivité, innovation, recherche et transition. Sans compétitivité, pas d'agriculture résiliente. Sans recherche, sans innovation, pas de transition, et sans transition, le lien sera rompu entre les citoyens et les agriculteurs. Aussi ce budget nous donne-t-il les moyens de nos ambitions. Toutes les actions que nous voulons mener y figurent et sont le moyen de la transition économique, sociale, environnementale ou agroécologique, le moyen aussi de former plus, mieux et partout avec « l'aventure du vivant ».
Les grands enjeux de ce budget pour 2020 évoquent les grands travaux d'Hercule. J'en citerai donc douze et j'espère qu'avec vous, mesdames et messieurs les députés, nous ferons avancer l'agriculture.
Il faut en premier lieu lutter inlassablement contre le dénigrement incessant.
Il faut ensuite soutenir et augmenter les revenus des paysans et assurer la durabilité des entreprises – je salue Grégory Besson-Moreau pour son rapport d'enquête ; mais il faudra aller plus loin, car il faudra bien que « ça paie ».
Dans le contexte du changement climatique, nombreux sont ceux qui m'ont interpellé pour que nous instaurions une assurance : ce ne sont plus les impôts des Français qui doivent payer les aléas climatiques mais la solidarité assurantielle. Dès l'année prochaine, soixante retenues d'eau devront être créées pour peu que les dossiers soient déposés.
Transformer notre agriculture, c'est aussi transformer nos pratiques. Je pense au plan Écophyto. Quant au budget de la recherche, non seulement il n'est pas en baisse – il a encore moins disparu –, mais, encore cette année, il augmente parce que c'est par la recherche que nous avancerons. L'un d'entre vous a évoqué l'INRA : il faut savoir qu'il s'agit du premier institut de recherche agronomique du monde ; sa fusion avec l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture – IRSTEA – va en faire le mastodonte de la recherche qui permettra la transition agroécologique.
Le budget préserve l'excellence de notre alimentation, et je suis au regret de vous rappeler que l'augmentation du diabète et de l'obésité des jeunes, ce n'est pas l'agriculture qui en est responsable, mais tout simplement des habitudes alimentaires qu'il faut changer. Ce ne sont certainement pas les circuits courts à la ferme qui font grossir les jeunes.
En ce qui concerne la formation des jeunes, cette année encore, plus de 37 millions d'euros seront mobilisés. En outre, disons-le clairement : aujourd'hui, le renouvellement des générations est presque assuré. Il part en effet à la retraite environ 15 000 agriculteurs par an et, cette année, 12 000 se sont installés – on n'est donc pas loin du renouvellement.
J'en viens à la PAC, que vous avez évoquée. Bien sûr, elle doit être maintenue : cessons de répéter que la France accepterait que le budget de la PAC baisse. Certes, il diminuera mécaniquement du fait du Brexit, mais la volonté de la France est qu'il se maintienne, en euros constants, au niveau des accords de Madrid. Or ce sont plutôt vos amis politiques qui, au sein de l'Union européenne, sont favorables à la baisse du budget de la PAC pour en transférer une partie vers les fonds de soutien aux réfugiés. La France, je le répète, ne laissera pas les crédits de la PAC baisser.
Pour ce qui est du Brexit et de la pêche, plus de 340 postes ont été créés.
On déplore par ailleurs que rien n'avance en matière d'agriculture biologique. Mais aidez-nous à avancer ! On a compté quelque 6 000 conversions l'année dernière et 10 % des agriculteurs produisent du bio. Le fonds avenir bio est crédité de 8 millions d'euros, qui s'ajoutent aux crédits versés par la PAC et à ceux provenant des mesures agro-environnementales et climatiques.
Il s'agit de transformer les filières ultramarines. Nous allons augmenter les crédits de 179 millions d'euros en la matière. N'oublions jamais les territoires d'outre-mer qui ont une agriculture très importante.
Enfin, dernier des douze travaux, nous devons assurer la résilience de la forêt. J'ai pris de fortes mesures concernant la gouvernance de l'ONF : un directeur va être nommé ; j'ai engagé des sommes sonnantes et trébuchantes pour faire face aux scolytes ; et nous allons travailler sur les essences.
J'évoquerai d'autres questions à l'occasion de la discussion des amendements. Je réponds toutefois à la question essentielle posée par M. de Courson. L'agriculture française bénéficie de 21 milliards d'euros d'aides et le budget français y contribue directement à hauteur de 3 milliards d'euros – nous pourrons vous remettre un tableau à ce sujet. C'est dire l'importance du budget consolidé de la PAC, c'est dire l'importance des fonds européens, l'importance des dépenses fiscales, des réductions de cotisations. En effet, l'exonération totale de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques– TICPE – sur le gazole non routier est maintenue, l'épargne de précaution encouragée, le dispositif concernant les travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi – TO-DE – rétabli, le compte d'affectation spécial « Développement agricole et rural » – CASDAR – ne bouge pas (« Non, non ! » sur les bancs du groupe LR).
Merci, mesdames et messieurs les députés d'avoir entendu, comme le Gouvernement, l'appel des chambres d'agriculture. L'amendement que vous avez voté en commission me paraît bon ; du reste, le Gouvernement l'a soutenu tant il est vrai que la transition agroécologique dépendra de l'engagement de tous. Nous pouvons avoir des opinions différentes. Vous choisirez de voter ou non le budget, ce n'est pas l'important. (Rires sur les bancs du groupe LR.) Je sais que la majorité sera au rendez-vous et j'espère qu'ensemble nous irons plus loin. On ne peut pas à la fois prétendre défendre l'agriculture et ne pas voter les budgets qui lui permettent de se transformer. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions et des réponses est fixée à deux minutes chacune.
La parole est à M. Christophe Naegelen, pour le groupe UDI, Agir et indépendants.
M. Christophe Naegelen. Les forêts vosgiennes, comme de nombreuses autres, qu'il s'agisse des forêts communales, privées ou domaniales, sont durement frappées par les scolytes. Le scolyte est un insecte endémique qui continue de brouter des milliers d'arbres, en particulier les épicéas. Cette endémie est devenue épidémique depuis la sécheresse de 2018 qui a touché la France et l'Europe.
Nous comptons 70 millions de mètres cubes de bois atteints en 2018, soit une année de récolte. En effet, dès les premiers signes d'infection, il faut couper l'arbre puisqu'il n'existe pas de traitement phytosanitaire pour contrer l'épidémie et puisqu'un arbre scolyté peut se casser et donc blesser quelqu'un. Mais autant de bois coupé sature les marchés locaux et provoque un effondrement des prix de la matière première. Même exporter n'est pas une solution au vu des difficultés. Cette crise touche tous les acteurs de la filière bois, et au-delà. Menaçant cette espèce arborée, elle bouleversera vite les paysages si des pieds ne sont pas replantés, laissant des paysages mornes, faits de pelouses.
Monsieur le ministre, alors que l'Allemagne a débloqué 850 millions d'euros pour la mise en place d'un plan forestier à la hauteur de l'enjeu que représente la crise, les crédits de l'action 26, « Gestion durable de la forêt et développement de la filière bois », du programme 149, sont pour leur part en baisse. Ce sont un peu moins de 16 millions d'euros qui ont été prévus par votre ministère. Quel financement allez-vous débloquer pour soutenir les acteurs de la filière ? Quelles mesures allez-vous prendre pour mobiliser des moyens d'exploitation afin de prévenir la disparition de l'épicéa, valoriser les bois attaqués et aider à la replantation par une prime, ainsi que le font d'autres pays européens ?
M. Dominique Potier. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre. Vous posez une question très importante, monsieur le député. En ce qui concerne la forêt, nous devons agir d'un point de vue tant conjoncturel que structurel. La conjoncture, ce sont les scolytes qui attaquent la forêt. Nous travaillons beaucoup, nous tâchons de sortir du bois – c'est le cas de le dire –, nous engageons des moyens. Je vais bientôt effectuer un nouveau déplacement sur le terrain pour examiner la situation. Tous les acteurs forestiers sont à pied d'oeuvre. Il faut se battre, mais la France n'est pas le seul pays à devoir résoudre ce problème : l'Europe entière y est confrontée. Je pense que le réchauffement climatique y est pour beaucoup. Les spécialistes estiment qu'un gros gel, cet hiver, permettrait peut-être d'éliminer les scolytes… On évoque souvent les quelque 600 millions d'euros que l'Allemagne entend consacrer à la forêt. Mais on ne peut pas comparer la forêt française et la forêt allemande – beaucoup plus vaste et dont la situation est beaucoup plus grave.
J'en viens à la dimension structurelle de la question : la résilience de la forêt française. J'ai réuni le comité stratégique de la filière bois – CSFB – il y a une dizaine de jours. Tous les acteurs étaient représentés, y compris les ONG. J'ai immédiatement débloqué 16 millions d'euros pour répondre à la crise que vous évoquez, pour essayer d'aider les forestiers comme ils le souhaitaient.
Parallèlement, j'ai demandé que les forestiers, avec des représentants du ministère et des parlementaires membres du CSFB, définissent un plan stratégique pour le mois de mars prochain. Sans doute, certains jugeront que c'est trop tard, et je peux les comprendre. Reste que nous avons réglé nos difficultés avec la fédération nationale des communes forestières – FNCOFOR – ; nous travaillons beaucoup avec les propriétaires forestiers. Le vote en commission d'un amendement qui visait à exonérer la filière bois de 15 % de la taxe foncière sur les propriétés non bâties – TFNB – est de nature à l'aider. Nous entendons bien sûr aller beaucoup plus loin et nous tâcherons de prendre des mesures fortes afin que la résilience de la forêt soit significative. Dans cette perspective, l'ONF redeviendra la pierre angulaire de la politique forestière française.
Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. André Chassaigne. Nous avons connu, cette année, une succession d'aléas climatiques sans précédent, une pollution de grande ampleur avec l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen. En septembre dernier, vous avez annoncé un grand chantier de réflexion sur la gestion des risques en agriculture, afin d'instaurer une assurance généralisée pour répondre aux aléas dont on sait qu'ils seront de plus en plus nombreux.
Mme Émilie Bonnivard. Très bien !
M. André Chassaigne. Vous avez qualifié à juste raison l'assurance récolte privée actuelle de système à bout de souffle, d'autant plus que, pour les décennies à venir, personne ne peut parier sur une diminution du nombre et des conséquences des aléas climatiques, environnementaux ou sanitaires, si l'on en juge par les rapports du GIEC et par la croissance des échanges internationaux. Mais les libéraux, à Bruxelles comme en France, refusent de voir la vérité en face : le recours aux assurances privées est un fiasco pour l'agriculture. (MM. Jean-Paul Dufrègne et Dominique Potier applaudissent.)
Quant au financement public de contrats signés avec des assurances privées à 65, voire 80 %, envisagé grâce à un prélèvement sur le budget de la PAC, c'est une nouvelle hypocrisie.
L'agriculture de demain a besoin de régimes publics et solidaires d'assurance, qui s'appuient sur une caisse d'assurance couvrant de façon universelle tous les agriculteurs, assurant à la fois une réactivité face aux aléas et un rôle de prévention et d'adaptation des systèmes agricoles avec, aux côtés de l'État, une gestion professionnelle collective.
En complément du soutien de l'État et des contributions des agriculteurs en fonction de leurs revenus, nous proposons d'affecter à cette caisse une contribution des revenus financiers des grands groupes liés à l'agriculture et à l'alimentation, ainsi qu'une taxe sur les importations. Monsieur le ministre, il faut assumer la mise en place d'un régime public d'assurance efficace qui ne laisse personne sur le bord de la route. Êtes-vous prêt à nous suivre sur cette voie d'avenir ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC.)
M. Jean-Paul Dufrègne. Il a raison !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur le président Chassaigne, non seulement je ne suis pas prêt à vous suivre, mais, si nous vous suivions, ce serait dans une impasse et non sur une voie d'avenir. Je regrette d'avoir à vous le dire, ce n'est pas au contribuable français de payer encore plus. Nous ne voulons pas mettre en place une assurance publique.
L'agriculture est la seule profession pour laquelle une assurance n'est pas obligatoire. Un charcutier, un boucher, un menuisier, un entrepreneur assure son outil de travail. Pour l'agriculteur, l'assurance n'est pas obligatoire, et c'est bien le problème.
Aujourd'hui, la faillite, ce n'est pas « le » système assurantiel, c'est « ce » système assurantiel, celui qui ne permet pas aux femmes et aux hommes de s'assurer. C'est un système dans lequel un agriculteur qui n'a pas beaucoup de moyens ne peut pas se payer une assurance coûteuse. En outre, en cas d'aléa climatique, après une année de grêle ou de gel, le coût de l'assurance est multiplié par x. Tout cela ne colle pas.
L'assurance n'est pas obligatoire, et elle a peu de chance de le devenir, car les professionnels ne le veulent pas. Aucun syndicat agricole n'y est favorable, même ceux qui sont les plus proches de vous, monsieur Chassaigne !
M. André Chassaigne. Ce n'est pas vrai !
M. Didier Guillaume, ministre. Il faut essayer de mutualiser, de généraliser l'assurance.
M. André Chassaigne. Avec un système public !
M. Didier Guillaume, ministre. Cela permettra d'élargir progressivement son assiette afin qu'il soit intéressant de s'assurer avec un système privé.
J'ai même annoncé que, pour enclencher ce système, l'État était prêt à mettre de l'argent sur la table, si les règles communautaires le permettent.
M. André Chassaigne. Vous faites payer les contribuables alors que vous disiez le contraire il y a un instant !
M. Didier Guillaume, ministre. Il s'agit d'enclencher le processus. Contrairement à ce que vous pensez, je suis favorable à ce que la PAC mette de l'argent dans la construction de ce système assurantiel. Cela doit être un système privé, aidé par le secteur public pour son démarrage, avant de parvenir à son rythme de croisière. Quand vous assurez votre voiture, c'est vous qui payez ; vous ne demandez pas à l'État de contribuer à assurer votre véhicule. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. André Chassaigne. Vous êtes vraiment bourré de contradictions ! Vous dites tout et son contraire en un instant !
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Perrot, pour le groupe La République en marche.
M. Patrice Perrot. Je veux d'abord saluer le recul du Gouvernement, qui a renoncé à diminuer le financement des chambres d'agriculture.
Il faut savoir que la taxe additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés non bâties est aussi affectée à la forêt. Comme tout le secteur agricole, la forêt est confrontée au défi de l'accélération du changement climatique. M. Naegelen s'en est fait l'écho il y a un instant. D'autres essences que celles qu'il a citées sont touchées. Je pense aux chênes ou aux hêtres. Toute une forêt est concernée dans le Grand Est et le massif du Morvan est aujourd'hui atteint assez durement par l'invasion de scolytes.
Au regard de la stabilité des budgets annoncée par Jean-Bernard Sempastous, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, en particulier s'agissant de l'action 26 « Gestion durable de la forêt et développement de la filière bois » du programme 149, je m'interroge sur la baisse des crédits de 1 million d'euros du CNPF, le centre national de la propriété forestière.
Au point où en est notre forêt, il nous faut des moyens humains et financiers pour réagir. La société nous le demande ; elle fait appel à nous pour que nous prenions la responsabilité, pour les générations à venir, mais aussi pour une filière, d'accompagner l'ensemble des acteurs et toute une population qui vit dans cette attente.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre. Cher Patrice Perrot, nous parlons souvent de ces sujets. Vous êtes très investi sur la question de la forêt, en particulier la forêt nivernaise et le problème des scolytes sur lequel vous m'avez interpellé à plusieurs reprises.
Le Gouvernement est tout entier tourné vers l'objectif de résilience de la forêt française. Pour ce faire, il s'appuie sur plusieurs outils, dont l'ONF.
L'ONF, qui aura un nouveau directeur dans les jours qui viennent, restera public. Ce directeur devra travailler sur la gouvernance et jouer un rôle pivot en relation avec les propriétaires privés et les communes forestières.
Le président Mélenchon a déclamé tout à l'heure une ode à la forêt ; il a eu bien raison. Je soutiens son propos, car nous devons faire évoluer la forêt, nous devons la transformer. Aujourd'hui, comme le rapport du GIEC l'a évoqué il y a quelques jours, les essences de la forêt française ne correspondent plus tout à fait à ce qu'elles devraient être dans le cadre de l'évolution, en particulier du réchauffement climatique.
C'est la raison pour laquelle, nous travaillerons avec la mission que j'ai confiée au CSFB, au sein de l'un de ses comités spécialisés, à ce que sera la forêt de demain. Il faudra planter de nouvelles essences, garantir que la forêt reste un puits de carbone sans fond, toujours plus profond, et veiller à ce qu'elle soit résiliente.
Peut-être ne l'est-elle pas assez aujourd'hui : elle n'est peut-être pas assez entretenue, peut-être n'y a-t-il pas assez de coupes de bois, peut-être la forêt française privée est-elle trop morcelée – parfois, on ne sait même pas à qui appartiennent toutes les parcelles ? Bref, nous devons faire ce grand travail.
Je veux vous rassurer, monsieur le député : il n'est absolument pas question de rogner les crédits du CNPF. Il y a évidemment de la trésorerie dans cet organisme. J'en ai parlé avec ses représentants et avec son président : s'il y avait besoin de réabonder, nous réabonderons, mais, pour l'instant, le CNPF n'est pas à en difficulté, et je serai son premier défenseur. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Viry, pour le groupe Les Républicains.
M. Stéphane Viry. Monsieur le ministre, ma question est, elle aussi, relative à la forêt. Après vos réponses quelque peu elliptiques, on peut s'interroger sur la politique du Gouvernement en faveur de la forêt qui constitue, vous le savez autant que moi, le poumon de nos civilisations et de nos territoires.
Quelle est votre véritable stratégie, monsieur le ministre ?
M. Ugo Bernalicis. Le pognon !
M. Stéphane Viry. Vous évoquez un plan pour mars 2020, mais mesurez-vous la crise sanitaire que traversent nos forêts ? Christophe Naegelen l'a évoquée et Patrice Perrot vient de vous interpeller.
Je peine à croire que les pouvoirs publics aient pris la mesure des enjeux. Cette crise est sanitaire parce que la sécheresse, la canicule et les insectes attaquent nos arbres qui sont à terre. Cette crise est sanitaire, mais elle sera écologique et économique. Les acteurs sont totalement désemparés. Les opérateurs de la forêt, qu'ils soient publics ou privés, s'interrogent et ne trouvent pas matière à réponse. J'espérais que, cette année, l'action 26 serait animée d'un souffle qui leur aurait apporté cette réponse.
Dominique Potier a rappelé que, en 1999, après que la tempête avait mis des forêts à terre, le Premier ministre s'était déplacé et avait pris des mesures concrètes à hauteur des enjeux. Monsieur le ministre, je vous le dis, avec mes mots avec ma voix : prenez conscience de ce qu'il se passe ! J'écoute vos réponses et je m'interroge. Pardonnez-moi de vous le dire, mais la parole est libre dans cet hémicycle : je trouve qu'il y a une forme de désinvolture à répondre comme vous pouvez le faire sur un sujet aussi dramatique. Monsieur le ministre, les forêts ne sont pas uniquement du bois ; les forêts, c'est la vie. Vous parlez de résilience, pourquoi pas ? Mais, en l'état, ce n'est qu'un mot. J'ai foi en une prise de conscience collective, et j'attends que, sur ce sujet, vous soyez à la hauteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Dominique Potier. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre. Merci, monsieur le député, pour vos mots si agréables ! Il est vrai que, dans l'hémicycle, tout est permis. Mais, puisque l'on peut tout y dire, vous auriez pu expliquer que, lorsque j'ai réuni le CSF, le comité stratégique de la filière forêt-bois, la semaine dernière, on n'y tenait pas du tout le même discours que le vôtre. Peut-être est-ce parce que nous n'étions pas dans les tribunes de l'Assemblée, mais dans l'une de ces réunions de travail au cours de laquelle, ensemble, nous essayons de construire ? (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
Ainsi, nous nous sommes mis d'accord sur un certain nombre de points. Nous constatons par exemple que, tant que la filière forêt-bois sera à ce point divisée et désunie que ses membres ne s'adressent plus la parole et, vous me pardonnerez l'expression, se tirent la bourre, nous n'y arriverons pas. Il ne s'agit pas de déclarations de tribune à l'Assemblée nationale, mais du fruit de discussions de travail, les pieds dans la terre et les bottes dans la forêt. Je veux que nous réorganisions toute la filière.
Comme le disait le président Mélenchon, il n'est plus tolérable que le bois français parte pour la Slovénie et nous revienne sous forme de meubles. Pourquoi en sommes-nous là ? Parce que la filière française est incapable de répondre aux défis qui lui sont lancés.
Mme Émilie Bonnivard. Et que faites-vous ? Cela fait un moment que cela dure !
M. Didier Guillaume, ministre. Depuis dix ans, peu de chose a été fait pour la forêt. Nous y travaillons, mais cela ne se fait pas du jour au lendemain. Le bois, c'est comme cela. Aujourd'hui, il n'y a pas d'accord pour savoir quel type de coupes nous devons faire, ou comment le bois sera retiré. Tout cela fait partie des questions à résoudre. Nous apportons une réponse conjoncturelle au problème des scolytes, et une réponse de plus long terme au sujet de la résilience par rapport au réchauffement climatique qui met à mal nos forêts. J'ai lu le rapport du GIEC. Le CSF forêt-bois remettra ses conclusions au mois de mars prochain. Nous avons travaillé dans l'unanimité avec des députés de la majorité et de l'opposition, des sénateurs de la majorité et de l'opposition, qui président des comités stratégiques. Nous travaillons ensemble. Je n'ai pas la science infuse, je n'ai pas de réponse toute faite, mais je sais que toute la filière et le Gouvernement ont, autant que vous, je l'espère, la volonté de faire en sorte que, demain, la forêt vive mieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard.
Mme Annie Genevard. J'ai quatre brèves questions. Premier point : quelle est la stratégie du Gouvernement pour contrer le climat de dénigrement permanent et « d'agribashing » qui s'amplifie, hélas, dans notre pays ?
Deuxième point : on nous promet, depuis le début de la législature, une grande loi foncière indispensable pour lutter contre la raréfaction et la cherté du foncier. (M. Dominique Potier applaudit.) Quand ce texte viendra-t-il ?
Troisième point : les ICHN, indemnités compensatoires de handicaps naturels, nées de la première loi montagne, ont été réaffirmées dans la deuxième loi montagne. Peuvent en bénéficier ceux dont les revenus sont au moins à 50 % d'origine agricole. Jusqu'en 2019, les indemnités des élus n'étaient pas incluses dans les revenus non agricoles ; depuis 2019, elles le sont. Cela signifie que, à terme, on condamne l'agriculteur, maire, conseiller régional ou départemental. Il faut absolument corriger cela. (M. Jean-Paul Dufrègne applaudit)
Enfin, quatrième point, la France est-elle prête à demander officiellement aux instances européennes de modifier le classement du loup qui passerait d'espèce strictement protégée à espèce protégée ? Cela serait plus conforme à sa démographie dont l'évolution, avec celle de l'ours, est en train de porter un coup fatal à l'agropastoralisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre. S'agissant de « l'agribashing », je propose, comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, que des observatoires de lutte conte l'agribashing se mettent en place dans tous les départements. Je me suis rendu dans l'Orne après le scandale des trois bâtiments d'élevage brûlés, le mois dernier. Il faut apporter des réponses. Nous avons des moyens de le faire. Cela a fait rire, la semaine dernière, lorsque la question m'a été posée, mais la garde des sceaux, ministre de la justice, a écrit à tous les procureurs, et j'ai transmis au ministre de l'intérieur un courrier à tous les préfets expliquant que la fermeté devait être de mise et qu'il n'était pas question d'accepter la moindre dérive.
Je ne sais pas quand la loi foncière sera déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale. Je sais en revanche que toutes les contributions que nous avions demandées sont maintenant revenues au ministère. Tout le monde a travaillé sur le sujet, toutes les structures, toutes les associations, tous les organismes. Nous analysons ce travail. Une réunion se tiendra bientôt.
L'objectif est de faire en sorte qu'un projet de texte structuré soit prêt avant l'été 2020. Nous verrons ensuite quel chemin il suivra. Telle est aujourd'hui notre perspective.
S'agissant des ICHN et des revenus des élus agriculteurs, la circulaire date un peu. Or un élément technique, qui ne dépend pas de nous, a changé l'année dernière. Nous allons donc la modifier dans les prochaines semaines. L'affaire est entendue.
Quant au loup, les choses sont un peu plus compliquées que vous ne les présentez, madame la députée. L'État a reconnu, pour la première fois, que plus de 500 loups vivent dans les massifs français.
Mme Émilie Bonnivard. C'est vous qui avez fixé le seuil ! (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Didier Guillaume, ministre. Je vais vous répondre…
Mme la présidente. Seul le ministre a la parole, mes chers collègues.
M. Didier Guillaume, ministre. Je suis au regret de vous dire que ce n'est pas nous qui l'avons fixé. Il est prévu que, à partir de 500 loups, cette espèce ne soit plus considérée en voie de dépeuplement et de disparition. C'est la première fois qu'un gouvernement le dit ! Que n'ai-je pourtant entendu crier sur certains bancs…
C'est la première fois aussi, au niveau européen, que nous commençons à discuter du guide interprétatif sur la protection stricte des espèces animales d'intérêt communautaire. La Convention de Berne, on peut dire ce que l'on veut, mais il ne sera jamais possible de…
Mme Annie Genevard. D'autres pays la demandent !
M. Didier Guillaume, ministre. Vous savez très bien que cela ne marchera jamais. On peut en parler autant que l'on veut, mais il n'y a pas de majorité en Europe pour revenir sur la Convention de Berne et sur la directive européenne « Habitat, faune, flore ». Pour l'instant, il y a à peine dix pays qui le veulent.
Mme Annie Genevard. Soyons le onzième !
M. Didier Guillaume, ministre. La France a ratifié la Convention de Berne. Nous avons organisé une réunion récemment et nous souhaitons, dans un premier temps, faire évoluer le guide interprétatif. Vous connaissez ce sujet par coeur, beaucoup mieux que moi, en tant que présidente de l'ANEM – Association nationale des élus de la montagne –, et vous savez très bien que, pour le moment, il est impossible d'aller plus loin. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Turquois, pour le groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
M. Nicolas Turquois. Monsieur le ministre, nous ne pouvons que saluer le succès du film Au nom de la terre auprès de nos compatriotes, très sensibles aux difficultés des agriculteurs.
Je voudrais à mon tour vous alerter sur la situation des agriculteurs en difficulté. Le ministère dispose d'un budget important pour le fonds d'allègement des charges et le financement des retards auprès de la MSA – Mutualité sociale agricole –, mais il n'existe pas de politique nationale d'accompagnement des agriculteurs. Chaque département traite les situations différemment, dans un esprit très positif pour certains, de manière aléatoire pour d'autres. Il serait pertinent, selon moi, de mettre en place une organisation, éventuellement adossée aux chambres d'agriculture, spécialisée dans l'accompagnement de ces agriculteurs, qui doit être à la fois économique, technique et humain – je le sais d'expérience, en tant que technicien.
Une réponse nationale à ce problème paraît donc pertinente. L'accompagnement aujourd'hui proposé est trop souvent lacunaire dans certains territoires. Compte tenu du drame que constitue le suicide de nombreux agriculteurs, une coordination nationale s'impose.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre. Le film Au nom de la terre a en effet un succès fou. Il a été vu par de très nombreux spectateurs. Il est d'ailleurs amusant de noter qu'il a beaucoup moins de succès dans les métropoles que dans les zones rurales et dans la France enracinée, ce qui est plutôt bon signe.
Mais le sujet que vous abordez est sérieux, et douloureux, et, sur ce sujet, nous avons pris des mesures. Aujourd'hui, plus d'un agriculteur se suicide chaque jour. Ce n'est pas toujours pour des raisons liées à l'exploitation agricole, tout comme les suicides observés dans d'autres professions ne sont pas toujours liés au milieu professionnel, mais ces suicides sont des drames.
Je voudrais à mon tour saluer la MSA et les MSA départementales et locales pour le rôle important qu'elles jouent auprès des agriculteurs, ainsi que l'association « Solidarité paysans », qui accompagne les agriculteurs en difficulté.
Des dispositifs d'État existent également pour les aider et nous avons mis en place, avec la MSA, un collectif national de suivi des situations individuelles. Il faut absolument inciter les voisins, les amis, les proches, à parler. Nous ne mettons pas en place des groupes de parole à proprement parler, mais nous encourageons le dialogue, car je suis persuadé que c'est ainsi que nous pourrons lutter contre ce phénomène dramatique que constituent les suicides des agriculteurs.
Certains se suicident pour des raisons personnelles, d'autres pour des raisons purement liées à l'agriculture : « Ça ne paie plus » ; « Je suis très endetté » ; « Je ne m'en sors pas » ; « Je suis attaqué ». L'agribashing joue un rôle évidemment important dans ce contexte, en pesant sur le moral des agriculteurs, comme l'ont souligné tout à l'heure les différents orateurs.
Vous avez donc raison, monsieur le député, même si je n'ai pas de réponse concrète à vous apporter. Je peux toutefois vous dire que les associations, la MSA et le groupe de travail que nous avons créé au niveau national avec les organisations agricoles et la MSA, sont conscients de cette situation. Il faut aller plus loin. La vigilance doit être quotidienne. Nous ne pouvons plus accepter qu'un agriculteur se suicide tous les jours.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 30 octobre 2019