Texte intégral
LAURENT BIGNOLAS
Caroline ROUX, vous recevez ce matin Amélie de MONTCHALIN.
CAROLINE ROUX
Oui. Amélie de MONTCHALIN, la Secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, alors que le gouvernement va officialiser aujourd'hui ses annonces en matière d'immigration. Bonjour Amélie de MONTCHALIN.
AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Donc ce qu'on a compris avec l'annonce, je le disais, qui va être officialisée sur les quotas, c'est que la France a besoin de main-d'oeuvre immigrée.
AMELIE DE MONTCHALIN
Alors ce qu'il faut comprendre, c'est que d'abord on a un problème et le fond du problème, c'est qu'on a un combat à mener contre l'immigration illégale. Parce que l'immigration illégale…
CAROLINE ROUX
On va en parler mais là, on parle de message qui est envoyé aux Français et qui est de dire, un peu à rebours de ce qu'on a entendu ces dernières années, qui est de dire : "Oui, on a besoin d'une main-d'oeuvre immigrée pour faire face à des secteurs en tension."
MELIE DE MONTCHALIN
Aujourd'hui, il y a trente mille personnes qui viennent légalement en France parce qu'on a des besoins économiques. Sauf qu'ils sont accueillis en France sur la base d'une liste de métiers dits en tension qui n'a pas été revue depuis onze ans. Et donc ce que Muriel PENICAUD, la ministre, propose c'est que nous puissions ajuster cette liste, voir quels sont les vrais besoins qu'on a, dans quels secteurs on n'arrive pas assez à former, quels sont les territoires où il y a besoin de main-d'oeuvre supplémentaire. Vous savez, une PME sur deux dit avoir des problèmes de recrutement. Bien sûr qu'on forme. Vous savez, on a un énorme projet, programme, investissement pour les compétences des Français. Mais il y a des secteurs, je parle des couvreurs, des charpentiers, des développeurs…
CAROLINE ROUX
Vétérinaires.
AMELIE DE MONTCHALIN
Des métiers où on n'a pas assez de monde. Et donc plutôt que de faire venir des gens légalement pour qu'ensuite ils n'aient pas d'emploi en France durable, ce qu'on dit c'est qu'il faut qu'on soit un peu cohérent, qu'on revoit cette liste et la proposition qui est faite, c'est qu'on puisse en débattre tous les ans au Parlement, que ce soit public, que ce soit transparent. Si des parlementaires considèrent que sur tel ou tel secteur il y a assez de main-d'oeuvre française pour le faire, on pourra en débattre.
CAROLINE ROUX
Est-ce qu'il faut assumer aussi par exemple un discours autour de la régularisation des personnes qui sont entrées illégalement sur le territoire, qui sont restées, qui travaillent, qui ont acquis des compétences et qui pourraient justement combler ces manques dans certains secteurs en tension ?
AMELIE DE MONTCHALIN
C'est un débat qu'on peut avoir mais moi…
CAROLINE ROUX
Qu'est-ce que vous en pensez, vous ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Moi ce que je pense, c'est d'abord le problème de fond, c'est l'immigration illégale. Et c'est pour ça que ce qui va être présenté ce matin par le Premier ministre, c'est de dire : si on n'est pas plus organisé, si on ne clarifie pas notre politique de droit d'asile, si on ne clarifie pas la l'immigration économique - on vient d'en parler - sur les métiers en tension, si on ne clarifie pas notre capacité d'intégration, à la fin qu'est-ce qui se passe ? Il y a des gens qui viennent par des bateaux, qui meurent en Méditerranée, qui sont accueillis dans des conditions de logement déplorables, qui ne peuvent pas scolariser leurs enfants. Bref, on est devant un problème humain où, parce qu'on veut être à la fois dans l'humanité, la responsabilité, notre combat c'est l'immigration illégale. Et quand j'entends hier à l'Assemblée nationale Les Républicains nous dire qu'ils ne voudraient pas d'immigration légale, je leur dis : "mais dans quel monde vivons-nous ?" La France n'est pas une forteresse, on ne va pas se barricader, évidemment qu'on a besoin d'échanges. Mais on a besoin d'avoir des échanges organisés. Parce que c'est parce qu'ils seront organisés qu'on aura moins d'immigration illégale. Et c'est aussi pour ça…
CAROLINE ROUX
Alors vous parlez d'immigration illégale, vous avez raison, c'est la majeure partie du problème. Qu'est-ce qui dans ces annonces permet de régler ce problème de l'immigration illégale et, en particulier, le fait que la majeure partie des déboutés du droit d'asile restent sur le territoire français ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Il y a un gros, gros travail sur ce qu'on appelle les réadmissions. La capacité d'avoir avec les pays d'origine un meilleur échange. Ça va avec d'abord de l'aide humanitaire, de l'aide au développement, de l'aide capacitaire pour que ces Etats, par exemple, aient un état civil. Il y a beaucoup, beaucoup de ces Etats qui ne peuvent pas reconnaître les citoyens qu'on pense être de leur nationalité parce qu'ils n'ont pas le système informatique par exemple pour les reconnaître. Donc il y a comment on travaille avec les pays d'origine, parce que ces pays-là, ils n'ont pas intérêt non plus à ce que leur jeunesse parte. Et donc recréer un dialogue où on peut reconduire ceux qui sont arrivés illégalement, mais parce que nous avons avec les pays d'origine une vraie stratégie de développement d'emplois, de santé…
CAROLINE ROUX
Vous l'avez déjà avec ces pays d'origine ? Et avec lesquels ?
AMELIE DE MONTCHALIN
On l'a avec aujourd'hui dix-huit pays… On a dix-neuf pays prioritaires dans l'aide publique au développement. Dix-huit de ces pays sont en Afrique. 40 % de l'aide au développement va en Afrique. Maintenant il faut qu'on le rende plus lisible. Vous savez que l'aide publique au développement va augmenter, c'est aussi un énorme projet européen.
CAROLINE ROUX
Ça veut dire que c'est une sorte de donnant-donnant. C'est-à-dire qu'il y a une aide au développement, on augmente l'aide au développement mais vous reprenez vos ressortissants. C'est ça ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, je ne sais pas s'il faut le présenter comme ça. C'est des engagements réciproques. C'est dans leur intérêt que la jeunesse reste chez eux. Ce n'est pas dans leur intérêt qu'il y ait des flux illégaux et ce n'est pas dans notre intérêt surtout qu'on ne puisse pas accueillir les gens correctement. La jeunesse de ces pays, si elle veut venir se former en France, accueillons-les avec des passeports talents, avec une vraie mobilité. Et notre enjeu, ce n'est pas de dire : "'immigration est un problème", ce n'est pas ça le sujet. C'est comment…
CAROLINE ROUX
C'est souvent ce qu'on a entendu quand même.
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais c'est pour ça que depuis trente ans, c'est un débat hystérisé. Parce qu'il y a ceux qui en font une obsession et il y a ceux qui en font un tabou. Ce que dit le président de la République, c'est : ce n'est pas l'immigration qui un problème. Le problème, c'est qu'on n'a plus les faits et c'est qu'on ne dit pas clairement aux Français ce qu'on veut faire. Et donc, on a créé des fantasmes, on a créé des réalités qui ne sont pas au fond ce que nous cherchons à faire.
CAROLINE ROUX
Mais sur cette réalité de l'immigration illégale, à part dire « on va travailler avec les pays d'origine », donc vous laissez entendre que la solution c'est les reconduites à la frontière. On sait que ça coûte très cher d'accompagner ces ressortissants dans leur pays d'origine. Est-ce qu'il y a d'autres options ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Il y a tout ce qu'on fait en amont. Il y a les personnes qu'il faut qu'on puisse reconduire si elles n'ont pas rempli les critères. Il y a tout ce qu'on fait en amont avec les pays de transit, avec les pays d'origine pour que les personnes d'abord restent dans leur pays parce qu'on y développe des possibilités de développement économique, enfin universitaire de formation pour que la jeunesse puisse se dire qu'elle a un avenir dans son pays. Et puis il y a tout ce qu'on fait au niveau européen parce que cette immigration illégale, ces trafiquants, ces passeurs qui gagnent énormément d'argent sur la misère humaine, il faut bien voir aujourd'hui qu'ils bénéficient d'un cadre européen qui n'est pas harmonisé. Ça, c'est une partie de la négociation diplomatique que nous menons, bien sûr, avec Christophe CASTANER et Laurent NUNEZ. C'est qu'en Europe, on se coordonne. Parce que sinon, ceux qui gagnent de l'argent, ceux qui font du trafic d'êtres humains et qui parfois les mettent en danger de manière très grave, ils profitent de notre désorganisation.
CAROLINE ROUX
Est-ce que vous allez durcir les conditions du regroupement familial ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Tout ça, ça va être annoncé là dans quelques heures par le Premier ministre. Je préfère laisser au Premier ministre la primauté de ses annonces. Ce qui est certain, ce n'est pas une question de durcissement ou d'assouplissement, c'est une question de cohérence et de lisibilité. Les Français depuis trente ans, on leur a balancé des chiffres et on leur a dit "voilà, il y a un problème".
CAROLINE ROUX
Qui ne sont jamais les mêmes entre parenthèses.
AMELIE DE MONTCHALIN
Qui ne sont d'abord jamais les mêmes, qui sont manipulés et qui ne représentent rien. Donc moi je vous dis, ma stratégie elle tient en trois mots.
CAROLINE ROUX
Oui.
AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord, le droit d'asile est un droit fondamental et il faut que ceux qu'on protège, on les protège vraiment. Deuxièmement, on doit rester un pays attractif pour attirer les talents dans les métiers où on a des besoins. Et troisièmement, on doit être bien meilleur sur l'intégration par le travail, l'intégration par l'apprentissage du français, l'intégration par le logement. Tout ça et très interministériel et je crois que la nouveauté de ce qui se passe ce matin, c'est que vous n'aurez pas le ministre de l'Intérieur, le Premier ministre, vous aurez tous les ministres, et vous allez voir qu'on va être très nombreux, parce que accueillir dignement dans notre pays et être ferme…
CAROLINE ROUX
Alors, on avance si vous le voulez bien. Le président poursuit son voyage en Chine. Dans la bataille commerciale que se livrent les Américains et les Chinois, lequel fait le plus de mal au commerce mondial ? Au poste d'observation qui est le vôtre, secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, lequel fait le plus mal au commerce mondial ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui fait du mal, c'est qu'ils se battent entre eux.
CAROLINE ROUX
On a bien compris.
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui fait du mal, c'est que nous n'avons plus d'endroits aujourd'hui où on peut régler des différends commerciaux entre la Chine et les Etats-Unis de manière diplomatique. Ce qu'a fait le président de la République en Chine, d'abord c'est qu'il n'y est pas allé en tant que président français. Il y est allé aussi en tant que représentant du continent européen. Il était avec le commissaire européen à l'agriculture, bientôt au commerce. Il était avec des ministres allemands, il était avec des entreprises et allemandes et françaises, parce que vous imaginez bien qu'on parle avec la Chine. Si on n'arrive nous, Français, on a besoin des Européens.
CAROLINE ROUX
On a bien compris.
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais qu'est-ce qui fait mal ? C'est que là, vous voyez, on a signé hier avec les Chinois un accord sur la protection de ce qu'on appelle les IGP, les AOP. Le fait qu'on ne veut pas de la contrebande, on ne veut pas de la contrefaçon, on veut protéger la qualité de ce qu'on exporte. Les Chinois signent. On préfère travailler sur le commerce international en ayant des accords, en ayant du dialogue, que de voir les tensions qui montent entre la Chine les Etats-Unis…
CAROLINE ROUX
Vous n'avez pas répondu à la question. Quand on dit en Europe que la Chine, c'est un rival systémique.
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais bien sûr parce qu'aujourd'hui, c'est une économie qui subventionne son innovation et donc qui la subventionne tellement que quand ça arrive chez nous, c'est du même pays. Mais inversement, vous savez Etats-Unis, quand ils nous expliquent qu'ils vont taxer AIRBUS, les vins et les fromages, c'est aussi un problème. Mais notre but, ce n'est pas de savoir qui est le pire. Notre but, c'est de remettre au coeur du commerce mondial des règles, du dialogue et d'avancer par ce qu'on a fait là depuis quelques jours : de la négociation, et qu'on soit bien dans des intérêts partagés. Certains vont trouver ça naïf, moi je peux vous dire qu'il n'y a que comme ça que ça marche parce qu'à la fin sinon, c'est des emplois, du chômage et de la récession.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup, Amélie de MONTCHALIN.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 novembre 2019