Texte intégral
Mesdames, Messieurs les Députés,
Je suis heureux de vous retrouver pour cette audition préalable au Conseil des affaires étrangères sur les questions commerciales qui se tiendra à Bruxelles le 21 novembre prochain. Le contexte, vous l'avez rappelé, est celui de tensions commerciales accrues avec les Etats-Unis ; l'installation de la nouvelle Commission européenne implique, par ailleurs, une actualisation de la feuille de route.
Madame la Présidente, vous avez mentionné les tensions entre les Etats-Unis et la Chine, la recrudescence des menaces américaines à l'encontre de l'Union européenne, l'enlisement de l'OMC, susceptible d'être aggravé par la paralysie de son organe d'appel à partir de mi-décembre si rien n'est fait. Ces éléments doivent nous porter à nous interroger sur les orientations de notre politique commerciale. Nous avons des choix cruciaux à arrêter quant à nos principaux partenaires commerciaux que sont la Chine et les Etats-Unis.
Pour ma part, je me réjouis que la réforme de l'OMC figure comme un objectif prioritaire dans la lettre de mission adressée par la présidente de la nouvelle Commission, Mme von der Leyen, au nouveau commissaire au commerce Phil Hogan. D'autres objectifs défendus par la France ont été entendus et repris, notamment le renforcement des instruments à la disposition de l'Union pour promouvoir des conditions de concurrence équitables. En effet, c'est une chose de négocier, c'en est une autre de s'assurer que ce qui a été négocié est véritablement mis en oeuvre. À ce titre, la nomination auprès du commissaire au commerce d'un chief trade enforcement officer ou, en bon français, d'un directeur général adjoint responsable du respect des accords commerciaux est une bonne nouvelle, et nous permettra d'être plus crédibles vis-à-vis des partenaires avec lesquels nous contractons dans le monde entier. Cette concrétisation de la proposition formulée par le président Macron dans son discours de la Sorbonne donnera un nouvel élan à l'utilisation par l'Union européenne des instruments de défense commerciale en matière d'antidumping et d'antisubventions. Il s'agit véritablement d'un progrès, car l'idée, bien que régulièrement avancée et poussée, n'avait pu être mise en pratique sous le mandat de la Commission sortante.
Nous avons tous une conscience aiguë de la nécessité de mieux concilier les agendas commerciaux et climatiques, un aspect sur lequel le président de la République nous a demandé de travailler d'arrache-pied. La France a d'ailleurs un rôle moteur dans ce domaine. Notre réussite dépendra du degré d'infusion de nos propositions chez nos partenaires et de notre capacité à bâtir des coalitions, à convaincre et à entraîner, car dire qu'on est à l'avant-garde est une façon pudique de reconnaître qu'on est isolé. Il y a néanmoins des raisons d'espérer : la présidente von der Leyen a repris la proposition de mettre en place un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières bien dimensionné et compatible avec le droit de l'OMC. Cet outil sera indispensable pour lutter efficacement contre les fuites de carbone dans des pays non soumis à une contrainte sur le CO2, un enjeu clairement mis en avant par la nouvelle Commission.
J'articulerai mon propos liminaire à partir des quatre points à l'ordre du jour du Conseil affaires étrangères en formation commerce, qui comprend un état des lieux des relations commerciales entre l'Union européenne et les Etats-Unis, la réforme de l'OMC, la mise en oeuvre des accords de libre-échange, la dernière partie du conseil étant dédiée aux relations entre l'Union européenne et la Chine ainsi qu'à un tour d'horizon des négociations bilatérales. Je m'attacherai ici à vous présenter les positions que les autorités françaises défendront et à me mettre à l'écoute des suggestions de votre commission.
Les discussions commerciales entre l'Europe et les Etats-Unis se sont crispées ces dernières semaines en raison de l'adoption par ces derniers d'un ensemble de mesures contraires aux intérêts européens et assez inattendues de la part d'un allié. Aux sanctions tarifaires prises dans le cadre du contentieux Airbus risquent de s'ajouter des droits de douane additionnels sur les importations d'automobiles européennes au motif que celles-ci menaceraient la sécurité nationale américaine - cherchez le lien ! Quant à la taxe sur le numérique votée par le Parlement français, elle est jugée discriminatoire par l'administration américaine.
Après l'arbitrage rendu sur le contentieux impliquant les aides versées par les Etats européens à Airbus, qui a duré plusieurs années, des droits de douane supplémentaires s'appliquent, depuis le 18 octobre, sur de nombreux produits français et européens. La France se trouve particulièrement touchée, les secteurs les plus concernés étant l'aéronautique et les vins. Bruno Le Maire et moi-même nous sommes mobilisés dès le début de la crise et avons reçu les représentants des filières. Nous travaillons désormais avec les commissaires sectoriels pour inciter l'Union européenne à adopter une réponse appropriée, c'est-à-dire à faire usage de tous les moyens dont nous disposons, à commencer par la négociation. Nous étions, en effet, ouverts, avant même la mise en place des sanctions, à travailler sur un règlement en matière d'aides aéronautiques. Un communiqué de Robert Lighthizer, représentant américain au commerce, prônait une même ouverture ; il n'a toutefois mené à rien de concret.
Nous gardons cependant une main tendue afin d'éviter une escalade qui serait encore plus dommageable pour nos intérêts économiques et que les filières sont, elles aussi, attachées à voir enrayée. La Commission cherche ainsi à négocier avec les Américains un accord amiable sur les modalités de financement du secteur aéronautique. Cecilia Malmström, la commissaire au commerce sortante, s'est entretenue jeudi dernier avec Robert Lighthizer, et Bruno Le Maire lui avait transmis ce message à la mi-octobre à l'occasion des assemblées générales du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Si l'Union européenne a été condamnée pour les aides versées à Airbus, les Etats-Unis le seront aussi pour les aides accordées à Boeing et, d'ici à 2020, l'Union européenne sera autorisée à prendre des sanctions contre les Etats-Unis. Ces sanctions mutuelles sont absurdes et nuisent aux intérêts des deux parties, car un droit de douane additionnel pèse sur le consommateur final. Nous devons donc trouver une solution qui soit bénéfique aux deux parties et qui prévoie le retrait des sanctions et la mise en place d'un cadre agréé sur les modalités de financement du secteur aéronautique des deux côtés de l'Atlantique. Nous y travaillons sans relâche mais, reconnaissons-le, avec peu de répondant de l'autre côté.
Les autres outils dont nous disposons sont les mesures d'accompagnement pour soutenir les filières ; la filière viticole, en particulier, est durement affectée par les sanctions. Avec nos partenaires italiens et espagnols, nous avons fait des propositions au niveau européen qui ont été formalisées au Conseil des ministres de l'agriculture du 14 octobre dernier. Elles portent notamment sur la mise en oeuvre rapide d'opérations de promotion dans les pays tiers. Il faut savoir que pour certaines catégories de vins, le marché américain représentait jusqu'à 50% des débouchés. Les droits de douane additionnels vont induire une préférence pour des vins issus d'autres territoires, d'autres terroirs, d'autres pays. Il est donc urgent d'accélérer la promotion auprès d'autres destinations, notamment le Japon et le Canada, avec lesquels des accords ont été signés, et où les ventes des vins et spiritueux français connaissent une bonne progression.
Nous avons également demandé à la Commission européenne de garantir une sécurité juridique pour activer nos outils nationaux de promotion - le ministère de l'agriculture en a fait la demande - et la possibilité de recourir aux mesures exceptionnelles de l'organisation commune de marché pour compenser les éventuelles pertes. Nous devrions connaître les suites réservées à nos demandes lors du prochain Conseil des ministres de l'agriculture, qui se tiendra en décembre.
Nous nous sommes également adressés, à titre national, à l'agence Business France, qui accompagne déjà 1.600 entreprises du secteur, afin qu'elle intensifie ses actions pour aider les entreprises de la filière viticole à développer leur potentiel, notamment au Japon et au Canada. Il est très important d'être au rendez-vous, car les conséquences de cette décision américaine pourraient s'avérer désastreuses pour un certain nombre d'entreprises.
Le deuxième contentieux éventuel réside dans la menace agitée par les Etats-Unis d'appliquer des droits de douane additionnels sur les importations de voitures en provenance de l'Union européenne, pour des raisons de sécurité nationale. Cette décision serait prise sur le fondement de la section 232 du Trade Expansion Act de 1962 et pourrait être mise à exécution dès le 13 novembre, date à laquelle le délai de six mois prévu par la procédure aura expiré. Le président américain aura alors trois choix possibles. La première option serait d'imposer des droits de douane additionnels à un niveau encore inconnu mais qui pourrait tout de même atteindre 25%. Cela étant, plusieurs constructeurs européens ont localisé une partie de leur outil de production aux Etats-Unis. C'est d'ailleurs un des arguments utilisés pour faire comprendre aux Américains que ces taxes viseront aussi des constructeurs qui emploient et qui créent de la valeur sur leur territoire national. La deuxième option serait de reporter la décision, ce qui a déjà été fait en mai dernier. La troisième serait de renoncer à taxer les importations d'automobiles, ce qui est peu probable. Les parties prenantes rencontrées - le Congrès, les constructeurs automobiles - nous ont indiqué que l'exécutif américain devrait - le conditionnel est de rigueur, l'imprévisibilité étant la marque des dernières décisions - privilégier un report de la décision afin de conserver un moyen de pression sur les Européens. La France rappellera, lors du prochain Conseil commerce, que les menaces américaines au titre de la section 232 ne doivent pas conduire la Commission à accepter des concessions sur d'autres secteurs que celui de l'automobile ; je pense notamment au secteur agricole. J'avais évoqué, lors d'une précédente audition, le communiqué commun des présidents Trump et Juncker du 25 juillet 2018 sur le cadre de discussion entre les Etats-Unis et l'Union européenne, dont l'agriculture était exclue. Les Américains cherchent, depuis lors, à faire revenir par la fenêtre ce qui avait été évacué par la porte. Même si la Commission a toujours été ferme sur le sujet, nous réitérerons le message à toutes fins utiles.
Le troisième contentieux qui envenime la relation entre l'Union européenne et les Etats-Unis porte sur la taxe numérique française : l'administration Trump enquête pour déterminer si celle-ci constitue une pratique commerciale "déraisonnable, discriminatoire ou qui restreint le commerce américain". Nous avions obtenu, lors du G7 de Biarritz, un compromis bilatéral avec un sursis temporaire, lequel arrivera à échéance le 25 novembre. Les Etats-Unis sont donc susceptibles d'adopter, d'ici à la fin de l'année, de nouvelles sanctions tarifaires à l'encontre de produits européens. Nous rappelons que des travaux sont en cours au sein de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) pour instaurer une taxation internationale qui prenne en compte la digitalisation des entreprises ; nous avons bon espoir qu'ils débouchent début 2020. Nous maintenons le contact de façon très étroite avec les équipes du représentant au commerce et du Trésor américains ; une délégation française de la direction de la législation fiscale (DLF) et du Trésor se rendra d'ailleurs sur place la semaine prochaine à cette fin. Nous expliquerons à nos amis européens, lors du Conseil des ministres du commerce, quelle démarche a présidé à l'élaboration du texte portant création d'une taxe sur les services numériques déposé par le Gouvernement et adopté au Parlement afin de rétablir la vérité face à la position américaine, car ce sujet est fondamental dans l'économie du XXIe siècle. Nous ferons part de notre optimisme concernant l'avancée des travaux à l'OCDE et demanderons aux Etats membres de faire front commun avec la France si les Etats-Unis se décidaient à imposer des droits supplémentaires.
L'examen de ces trois cas montre que les Etats-Unis ont pour objectif constant de créer un rapport de force en leur faveur au moyen de l'imposition, agitée comme une menace ou effective, de droits de douane. Nous pensons que cela ne doit pas conduire l'Union européenne à accepter des concessions en dehors de celles agréées dans les mandats relatifs à un accord tarifaire sur les biens industriels ou à un accord de coopération réglementaire. Bien que la France n'y ait pas souscrit, les négociations sur ces accords ont commencé, compte tenu du système de majorité en vigueur. Elles sont totalement bloquées sur l'accord tarifaire, puisque les Etats-Unis cherchent à y intégrer l'agriculture, ce que l'Union européenne refuse. Quant à la coopération réglementaire, elle avance à un rythme modéré. On constate que l'appétence des Américains pour ces négociations est assez faible étant donné que l'agriculture n'y figure pas. En outre, ces derniers sont assez obnubilés par leurs négociations avec la Chine, qui mobilisent du temps et de la bande passante, si je puis dire. Face au refus des Etats-Unis d'infléchir leur position sur le volet tarifaire, nous appellerons le Conseil à s'en tenir au mandat adopté en avril dernier. Remettre à l'agenda la question agricole n'est clairement pas envisageable pour la France. J'y insiste car je vous sais très attachés, les uns et les autres, aux terroirs, à nos agriculteurs et à nos filières.
Le deuxième point à l'ordre du jour de ce conseil sera la réforme de l'OMC, dont le succès dépendra également de notre capacité à restaurer un dialogue constructif avec les Etats-Unis, mais aussi à poursuivre le travail entamé avec la Chine, car pour que nous puissions traiter le problème à la racine, nos amis chinois ont encore du chemin à parcourir. L'OMC est aujourd'hui dans une situation critique et risque clairement l'extinction, ce qui aurait pour conséquence un retour au commerce administré et à des conflits commerciaux de grande ampleur. Si l'organe d'appel de l'Organe de règlement des différends (ORD) est bloqué, les Etats seront potentiellement amenés à se faire justice eux-mêmes. C'est pourquoi la France s'est engagée très vigoureusement en faveur d'une réforme de l'OMC, dont le cadre doit être adapté à la réalité commerciale mondiale du XXIe siècle. Compte tenu des tensions actuelles entre les deux grandes puissances que sont la Chine et les Etats-Unis, il est assez difficile d'avancer sur ce sujet. Nous devons veiller à ce que l'accord sur lequel ces deux pays travaillent n'ait pas de conséquences dommageables pour le système multilatéral. Un certain nombre de règles préférentielles pourraient, en effet, être consenties aux Etats-Unis par les Chinois, notamment sur l'investissement ou les joint ventures (JV), les opérations conjointes entre entreprises de nationalités différentes.
Notre travail avec l'Union européenne se déploie à travers plusieurs formats. Un premier groupe de travail associe l'Union européenne, les Etats-Unis et le Japon pour tenter de définir de nouvelles règles visant à renforcer l'équité des conditions de concurrence et à encadrer les subventions à l'industrie. Un deuxième groupe de travail associe l'Union et les Chinois, car nous devons faire prendre conscience à ce partenaire qu'il ne peut maintenir un capitalisme d'Etat subventionnant abondamment certaines industries et créant des distorsions défavorables à nos propres producteurs. À défaut, aucune solution multilatérale ne pourra être envisagée, et la guerre commerciale prendra de l'ampleur par contagion. La prochaine réunion de ce groupe aura lieu le 7 novembre, soit après-demain. Vous le constatez, notre ambition est vraiment de traiter les causes profondes de la fragilisation du système, les pratiques distorsives de concurrence des pays tiers.
À cet égard, nous pouvons partager l'analyse des Américains sur certains points. Le cadre de l'OMC est, en effet, bien moins précis que le cadre européen. Il ne permet pas de tenir compte, par exemple, de la mise à disposition de terrains ou du versement de subventions par les Etats à certaines industries. Il est donc perfectible et doit être parachevé, peaufiné pour répondre aux enjeux actuels. Il faut reconnaître que certains griefs formulés par les Etats-Unis contre le système de règlement des différends de l'Organisation sont justifiés. En bloquant le renouvellement des membres de l'organe d'appel, ils menacent toutefois de faire ployer tout l'édifice, car plus aucun appel ne sera possible à partir du 11 décembre s'ils restent sur leur position. Certes, les délais de traitement des litiges sont souvent trop longs. Lors de la création de l'OMC, les règles établissaient que les procédures devaient durer quatre-vingt-dix jours. En raison notamment de la complexité du droit et du volume des dossiers et annexes établis par les avocats, les délais d'instruction ont dérapé et, conséquemment, la durée d'exercice du mandat des membres de l'organe d'appel puisque ces derniers pouvaient continuer à statuer après la fin de leur mandat sur les affaires dont ils avaient été saisis auparavant. Les Etats-Unis reprochent, en outre, à l'organe d'appel d'avoir outrepassé son pouvoir en créant un droit jurisprudentiel, par exemple en resserrant les conditions de déclenchement des clauses de sauvegarde. Les critiques formulées sont donc bien recevables.
Je tiens à saluer le travail effectué par l'ambassadeur David Walker, représentant permanent de la Nouvelle-Zélande auprès de l'OMC, qui a été chargé de mettre à plat les critiques américaines pour y apporter des réponses. Sur ce fondement solide, nous devrions pouvoir avancer, mais, là encore, nous n'avons pas de retour de la part des Américains, qui entendent peut-être stratégiquement conserver un levier jusqu'au dernier moment. En tout cas, s'il y a une volonté de sauver l'organe d'appel et de réformer l'Organisation, les moyens d'y parvenir sont là.
Que se passera-t-il le 12 décembre, échéance qui pourrait sceller l'impossibilité de fonctionnement de l'organe d'appel de l'ORD lorsque ses membres titulaires ne seront plus que deux, soit un nombre insuffisant pour que leurs délibérations puissent être validées ? La première option serait que plusieurs membres de l'OMC s'accordent pour mettre en place, au sujet des affaires qui les opposent, un appel de substitution avec des arbitres désignés. Certains membres pourraient toutefois décider de ne pas souscrire à ce mécanisme, de sortir du cadre de l'OMC et de se faire justice eux-mêmes en imposant leurs propres sanctions. Ce contexte nous impose de réfléchir aux mesures que pourrait prendre l'Union européenne si le pire devait advenir.
La prochaine conférence ministérielle de l'OMC, qui se tiendra en juin 2020 à Noursoultan, le nouveau nom de la capitale du Kazakhstan, marquera un tournant important. La précédente, qui avait eu lieu à Buenos Aires en décembre 2017, n'avait guère donné de résultat. Nous espérons progresser sur plusieurs dossiers. L'encadrement des subventions à la pêche pour éliminer les aides illégales n'avait pas abouti en 2017 ; nous espérons cette fois arriver à la conclusion d'un accord qui répondrait à la nécessaire prise en compte des objectifs de développement durable dans le commerce. Plusieurs négociations plurilatérales, impliquant seulement une partie des membres de l'OMC et ayant vocation à s'étendre à tous, porteront sur le commerce électronique et sur la facilitation de l'investissement.
En conclusion sur l'OMC, la France insistera lors du prochain Conseil des ministres à Bruxelles sur la nécessité de redoubler les efforts et d'envisager de nouvelles pistes pour faire avancer la réforme. Nous avons le travail de David Walker, il faut maintenant un élan politique qu'il appartient aux dirigeants d'imposer. Il faut également donner un nouveau souffle à la trilatérale Union européenne, Etats-Unis, Japon et essayer d'engager un dialogue politique au plus haut niveau avec les Américains pour sortir de l'impasse.
Le troisième point à l'ordre du jour concerne la mise en oeuvre des accords commerciaux. La Commission européenne a rendu son troisième rapport sur le sujet - j'ai demandé que ce document vous soit transmis numériquement, car il permet de voir si nos filières en ont tiré profit. Il dresse un état des lieux sur les trente-cinq accords passés avec soixante-deux partenaires et constitue une base de travail solide et étayée, avec pour visée une meilleure transparence de l'information dans les relations de la Commission avec le Conseil, avec le Parlement européen et avec les parlements nationaux. On constate que les accords commerciaux continuent de produire des effets positifs en termes de facilitation des échanges. C'est le cas, en particulier, de l'accord commercial entre l'Union européenne et le Canada, qui nous a occupés de longues heures il y a quelques mois : les exportations agricoles européennes vers le Canada ont augmenté de 4 %, et celles de la France de 8 à 9 % en moyenne. Voilà qui plaide pour la poursuite du processus. Le projet de loi autorisant la ratification de l'accord a été adopté par l'Assemblée nationale puis transmis au Sénat. Notre intention est qu'il y soit débattu au printemps prochain, ce qui laissera à la Haute assemblée le loisir de l'examiner sous toutes les coutures. D'ici là, nous continuerons de suivre sa mise en oeuvre et la façon dont le gouvernement canadien observe la feuille de route bilatérale ambitieuse en matière environnementale.
Pour en revenir aux accords commerciaux, la façon dont les entreprises se les sont appropriés est inégale selon les zones géographiques. En Turquie, en Suisse, en Corée, en Jordanie et en Ukraine, les entreprises utilisent trois fois sur quatre ou quatre fois sur cinq les préférences octroyées à l'Union européenne. En Amérique centrale, en revanche, les accords ne sont utilisés qu'à hauteur de 30 % de leur potentiel. Des marges d'amélioration existent donc et un travail reste à faire par les représentants des entreprises et par la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), qui sensibilise régulièrement les entreprises à toutes ces opportunités.
Enfin, nous pensons que l'Union européenne doit, sans hésiter, enclencher les procédures contentieuses prévues par les accords lorsque ceux-ci sont violés par nos partenaires, comme elle l'a fait récemment à l'encontre de la Corée du Sud, qui n'a toujours pas ratifié quatre conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT). Lors du prochain Conseil commerce, nous demanderons, comme à chaque fois, un point d'information sur les actions menées, les contentieux en cours et l'activation des procédures de règlement des différends, car nous devons tout simplement nous faire respecter.
Le quatrième et dernier point de l'ordre du jour a trait aux relations commerciales de l'Union européenne avec la Chine et aux autres négociations bilatérales. Sur le premier sujet, la semaine est particulièrement importante, puisque le Président de la République est en visite d'Etat à Pékin et que ce déplacement coïncide avec la tenue à Shanghai de la Foire internationale des importations en Chine. Une réunion informelle des ministres du commerce de l'OMC se tient également aujourd'hui même et, comme je l'ai déjà indiqué, le groupe de travail entre l'Union européenne et la Chine sur la réforme de l'OMC doit se réunir jeudi. C'est donc un moment clé, dont nous espérons beaucoup.
Nous pouvons nous réjouir de l'évolution doctrinale qu'illustre l'adoption, en mars dernier, d'une communication conjointe de la Commission et du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) sur les relations entre l'Union européenne et la Chine. Cette dernière y est présentée à la fois comme un partenaire - ce qu'elle est, par exemple, sur le climat et sur d'autres défis mondiaux - et comme un concurrent économique, "un rival systémique". C'est une révolution, car, sur beaucoup de dossiers, le filtrage des investissements directs étrangers notamment, les pays du sud de l'Europe ou d'Europe centrale et orientale, qui ont accueilli de nombreux investissements chinois ces dernières années, étaient très réticents à envisager la relation avec la Chine de façon plus équitable et à promouvoir la réciprocité. Cette communication marque donc un changement de mentalité au sein de l'Union européenne qui est particulièrement bienvenu. Nous souhaitons, pour notre part, une relation économique plus équilibrée, qui permette la révision de certaines règles afin de garantir des conditions de concurrence équitables. Nous avons, en effet, tout intérêt à conserver des règles plutôt qu'à évoluer dans une zone de non-droit en matière commerciale ; c'est le message, la méthode prônés par le président de la République en Chine. Les guerres commerciales ne présentent d'avantages pour personne et ne sont pas faciles à gagner.
Lors du prochain Conseil des affaires étrangères sur le commerce, je plaiderai au nom de la France pour qu'on avance dans la formation d'outils européens de nature à promouvoir la réciprocité en matière de marchés publics. Dès lors que nos amis chinois ont pu gagner des marchés publics en Europe centrale, il importe que nous ayons la possibilité de répondre à certains marchés publics en Chine.
Il est temps également d'arriver à conclure l'accord global en matière d'investissement, sur lequel les négociations sont en cours depuis 2013. L'objectif fixé lors du dernier sommet Union européenne-Chine en avril dernier était d'y parvenir en 2020, mais cela dépendra de l'offre révisée attendue de la part de la Chine pour la fin de l'année, car ce qui importe, c'est le contenu. Nous devons maintenir un niveau d'ambition élevé, car nos entreprises sont contraintes de s'associer en joint venture avec des entreprises chinoises pour pénétrer ce marché. Une ouverture effective du marché, des conditions de concurrence équitables, sans transferts de technologie forcés ni subventions étatiques, voilà les éléments sur lesquels nous serons très vigilants. Nous serons également attentifs à la protection du droit à réguler et au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats. Sur ce point, le niveau d'exigence est supérieur à celui qui prévalait il y a dix ou quinze ans. Le nouveau modèle de règlement des différends adopté pour le CETA est, d'ailleurs, en quelque sorte la préfiguration de la cour permanente des investissements que nous appelons de nos voeux.
Avant d'arriver à la conclusion d'accords sur ces sujets, nous pouvons d'ores et déjà nous réjouir que les négociations sur les indications géographiques protégées aient abouti. Pour la France, ce sont vingt-six IGP, notamment des vins comme le Beaujolais, le Bordeaux, le Chablis ou des fromages comme le Roquefort ou le Comté, qui sont reconnues. Sur le marché chinois, cette reconnaissance vaut protection contre les contrefaçons et les falsifications, dont plusieurs producteurs de vin ont été victimes. Cet accord est, en outre, vivant, c'est-à-dire qu'à la première liste de cent IGP européennes pourrait s'en ajouter rapidement une autre. Au moment où le marché chinois s'oriente de plus en plus vers les produits de qualité, ce travail sur les IGP donne un avantage compétitif à nos producteurs.
Je vous propose maintenant un petit tour d'horizon des accords commerciaux qui ont abouti ou qui sont en cours de négociation dans d'autres zones géographiques.
Mme la présidente a évoqué l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur. Il est certain qu'au-delà de son texte, l'accord sera jugé sur les actes et les résultats concrets qu'il donnera. Ainsi, malgré les engagements pris par le président Bolsonaro lors du G20 d'Osaka, le gouvernement brésilien a mené des actions clairement en contradiction avec les engagements de l'Accord de Paris. On a vu le peu de cas qu'il faisait de la lutte contre le réchauffement climatique, alors que, dans le cadre de la COP21, le Brésil a consenti en particulier à replanter 12 millions d'hectares de forêt d'ici à 2030. Le président de la République a tiré les conclusions de tout cela et annoncé que la France ne pouvait pas soutenir le texte en l'état. Je redis ici la position française.
Reprenant la méthodologie mise au point lors du précédent du CETA, grâce au travail conjoint que nous avions conduit avec la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, nous avons mandaté une commission d'experts indépendants, afin de procéder à une évaluation rigoureuse de cet accord. Vous m'avez interrogé sur son travail, mais le gouvernement n'a pas de droit de regard dessus. À peine savons-nous qu'elle envisage de rendre un rapport intermédiaire au mois de décembre, le rapport final devant intervenir dans le courant du premier trimestre de l'année prochaine. Parallèlement, une étude d'impact prospective également indépendante est menée sur les conséquences de l'accord sur nos filières agricoles sensibles.
Du côté de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, les négociations progressent convenablement. La France est particulièrement attentive aux filières agricoles sensibles et communique régulièrement ses préoccupations aux autorités ministérielles australiennes et néo-zélandaises. Je pense que le message est bien reçu de leur côté.
La Nouvelle-Zélande est particulièrement volontariste en matière de développement durable. Elle constitue même un allié pour convaincre certains collègues européens puisque la Première ministre, Jacinda Ardern, a souhaité que l'Accord de Paris soit "clause essentielle" de l'accord à venir. Ce serait un précédent formidable que d'arriver à inciter les Européens à y souscrire également. En marge de l'Assemblée générale des Nations unies, Jacinda Ardern a annoncé une politique commerciale beaucoup plus verte. Nous nous pencherons sur son plan, car nous portons la même ambition.
Un peu plus au nord, la zone de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) fait l'objet d'un agenda de négociation ambitieux. Un accord de libre-échange et de protection des investissements a été signé avec Singapour à la fin de l'année 2018 et approuvé par le Parlement européen au début de cette année. Il doit désormais être adopté par le Comité des représentants permanents (COREPER) puis par le Conseil. Cet accord reflète pleinement la nouvelle approche européenne, qui inclut notamment la protection du droit à réguler et le système des cours d'investissement. Il devrait être ratifié par l'ensemble des parlements des Etats pour entrer en vigueur. Vous serez donc amenés à vous prononcer.
Un autre accord de libre-échange et de protection des investissements est en cours de négociation avec le Vietnam. Le Parlement européen sera conduit à se prononcer début 2020 sur cet accord, qui comprend des enjeux importants pour l'économie française puisqu'un certain nombre de filières pourront en bénéficier.
Les négociations entre l'Union européenne et l'Indonésie se poursuivent de façon assez lente.
Pour conclure, nous devons articuler toujours plus et mieux commerce et développement, en posant certaines conditions, telles que la priorité à la mise en oeuvre du mécanisme de réduction des émissions de carbone, l'approbation de l'Accord de Paris comme clause essentielle, et la prise en compte du chapitre relatif au développement durable de nos accords commerciaux dans le mécanisme de règlement des différends. La feuille de route est dense ; nous espérons la remplir avec votre soutien.
(Interventions des parlementaires)
Madame la Présidente, il y a quinze ou vingt ans, la réciprocité était certainement un gros mot. L'acclimatation progressive de cette notion n'a pas encore permis d'aboutir à des actions concrètes. L'objectif de la négociation sur l'instrument international sur les marchés publics (IPI) est de pouvoir exclure des offres venant d'entreprises de pays fermés. Cela demande un changement de logiciel de la part de certains Etats membres. S'agissant du filtrage des investissements, un important travail de maïeutique a dû être fait pour faire venir sur nos bases des Etats qui n'y étaient pas spontanément.
Une dynamique a été enclenchée. Le Conseil européen du mois de mars dernier a relancé les travaux sur ce texte, qui se poursuivent de façon assez intensive du point de vue technique. Le président de la République et la chancelière veillent à ce qu'on puisse avancer au niveau franco-allemand, nos amis allemands ayant une différence d'appréciation quant à l'opportunité d'un tel outil. Si l'on y arrive, ce sera un changement appréciable. Puisque l'objet de ces auditions devant votre commission est de prendre en compte les messages que vous envoyez, je veillerai à relayer votre préoccupation sur la réciprocité. J'aurai plus de poids si je peux dire que le Parlement est particulièrement attentif sur ce point.
S'agissant du Mercosur, Jacques Maire et Sylvain Waserman se demandent pourquoi, alors que nous considérons que le compte n'y est pas, on travaille sur l'accord en lançant des études d'impact et une évaluation indépendante. C'est que nous pensons que ces études et évaluations vont nous aider à plaider la cause auprès des autres partenaires européens. L'accord avec le Mercosur est un accord d'association qui requiert l'unanimité, ce qui signifie que chaque Etat membre a un poids significatif. Tous les parlements nationaux seront amenés à se prononcer, ce qu'ils ne feront pas avant l'automne prochain, un travail technique et d'écriture de finalisation de l'accord devant être réalisé au préalable. De notre côté, nous espérons pouvoir disposer des études et évaluations de la commission indépendante au cours du premier trimestre prochain. Ainsi, nous aurons des éléments pour évoquer le sujet avec les autres pays européens.
Mme la présidente Marielle de Sarnez. Rappelons que le mandat de négociation date de vingt ans. Depuis, le monde a changé, la prise de conscience et les interrogations ne sont plus les mêmes, en particulier s'agissant des normes. Cela pose la question de fond de la non-réactualisation du mandat.
Tout à fait. C'est la raison pour laquelle la France plaide en faveur désormais d'un encadrement des mandats dans le temps.
Je répondrai à Pierre Cordier que le registre n'est ni celui de l'incantatoire ni celui du "yakafokon". Je l'incite à comparer la lettre de mission envoyée par Ursula von der Leyen à Phil Hogan et la partie du discours de la Sorbonne du président de la République traitant du commerce : sans être un copier/coller, il y a une certaine inspiration, et je m'en félicite. Cela signifie que cette feuille de route prend en compte des objectifs et des priorités que la France avait mis en avant.
S'agissant du Mercosur, nous nous dotons de tous les outils qui nous permettront d'engager nos partenaires européens.
Les entreprises présentes dans la délégation en Chine appartiennent surtout au secteur agroalimentaire, notamment aux filières de la viande, et en particulier la filière bovine, parce que nous avons obtenu la levée de l'embargo. Jusqu'à présent, la France a exporté peu de boeuf vers la Chine - moins de 50 tonnes sur une année glissante. Nous devons maintenant faire agréer nos abattoirs, car il faut vraiment que nous nous emparions de ce marché, qui est considérable pour le boeuf mais également pour la viande porcine. Le secteur de l'aéronautique est aussi très représenté parce que nous espérons accélérer la certification d'appareils, de moteurs, de même que les industries culturelles et créatives, ainsi que les industries de santé. Nous espérons capitaliser sur de nombreux aspects.
Monsieur Petit, j'ai vu des évolutions se dessiner en dix-huit mois. Le 9 novembre prochain sera marqué par l'anniversaire de la chute du mur de Berlin, il y a trente ans. Le message est bien sûr celui de la réunification allemande mais aussi de la réunification européenne. Nous avons connu, pendant cinquante ans, une Europe pour partie sous le parapluie américain et pour l'autre partie sous le joug soviétique. Il s'agit de faire en sorte que l'Europe devienne à nouveau sujet et non plus objet des relations internationales, et que sa souveraineté s'exerce aussi en matière commerciale. C'est vraiment l'enjeu des prochains mois, des prochaines années. La défense se construit petit à petit et, en matière commerciale, les lignes bougent, même si le besoin de pédagogie se fait encore sentir. J'en veux pour preuve qu'un gouvernement a récemment inauguré un tramway préparé et livré par la Chine.
Alain David demande pourquoi la France est réticente à l'élargissement et à l'ouverture du processus de négociation avec la Macédoine du Nord et l'Albanie. Sur ce dossier, le résident de la République a été très clair. À vingt-sept, l'Europe est déjà un engin complexe à manier - certains lui reprochent de ne rien parvenir à concrétiser - ; il faut la refonder avant de l'élargir. Après les événements de 1989, on a voulu accueillir de nombreux Etats d'Europe centrale et orientale dans la famille européenne, mais nous sommes à un moment où les peuples ont besoin de cette refondation. J'entends les efforts qui ont été faits en Macédoine du Nord, et il faut saluer le compromis qui a été trouvé sur son changement de nom. Mais il convient d'être réaliste, raisonnable et de tenir un discours de vérité, c'est-à-dire de refonder avant d'élargir.
Mme la présidente Marielle de Sarnez. C'est une question sur laquelle notre commission s'est prononcée. À titre personnel, j'estime qu'il faut faire une pause dans l'élargissement de l'Union européenne, mais tout en donnant à ces deux pays des perspectives d'avenir, car nous avons un destin commun. Ces perspectives d'avenir ne passent pas nécessairement par l'adhésion à l'Union européenne en tant que telle. Il peut y avoir des coopérations importantes en matière sociale, économique, de sécurité ou de défense entre pays. Il est de notre responsabilité d'offrir ce type de perspective de coopération à la Macédoine du Nord et à l'Albanie, car ces deux pays font partie de l'Europe.
Je souscris tout à fait à vos propos. D'ailleurs, c'est sur le territoire de l'actuelle Macédoine du Nord qu'un coup d'arrêt important a été porté au premier conflit mondial, au cours de la bataille d'Uskub, dans laquelle les Français se sont illustrés. C'est l'un des derniers raids qui a conduit, avec l'aide des partenaires locaux, à la signature de l'Armistice quelques jours plus tard. Ce rôle important que les Macédoniens ont joué, ils le jouent encore et il ne faut pas les rejeter. Il faut donc continuer à travailler sur des solidarités, sur des liens, mais de façon un peu différente.
Monsieur Habib, les relations entre la France et la Russie ont changé de braquet après la rencontre entre le président Poutine et le président Macron à Brégançon. Jean-Yves Le Drian et Florence Parly se sont rendus à Moscou, au mois de septembre, pour un dialogue stratégique, ce qui n'était pas arrivé depuis 2013. En matière économique et commerciale, nous avons accueilli, avec Business France, il y a quelques semaines, un séminaire passionnant auquel ont participé de nombreux entrepreneurs russes et français et, au début du mois de décembre, se tiendra le Conseil économique, financier, industriel et commercial (CEFIC), qui est une sorte de commission mixte économique entre la France et la Russie. Par ailleurs, nous avons adapté notre outil, puisque Business France a contractualisé avec des prestataires particulièrement bien implantés sur le marché russe pour accompagner nos entreprises. Je pense que tous ces éléments produiront leurs effets.
Monsieur El Guerrab s'interroge sur la transcription au niveau national du rapport d'évaluation européen sur la mise en oeuvre des accords, souhaitant savoir où la France est gagnante et où elle est perdante. Les chiffres permettent de constater que, par exemple, l'accord avec la Corée est particulièrement bénéfique pour la France : le déficit commercial que nous avions avec ce pays avant 2012 est devenu, depuis la signature de l'accord, un excédent parmi les principaux de la France. Avec le Canada, l'excédent commercial est passé de 40 millions à 800 millions. Avec ces pays, la France est donc clairement gagnante. Je ne vois que des avantages à ce qu'on puisse éventuellement poursuivre cet exercice sur l'ensemble des accords.
Liliana Tanguy a demandé ce qu'il en serait des mécanismes de protection et d'indemnisation des secteurs agricoles, à la suite des sanctions commerciales décidées par les Etats-Unis. Notre action s'accomplit "en stéréo" : le ministre de l'agriculture a soulevé la question lors du conseil des ministres de l'Union européenne chargée de l'agriculture et je le ferai également lors du prochain Conseil commerce. Nous attendons une réponse pour le mois de décembre dans l'enceinte agricole. J'ai dit clairement que cela ferait partie de nos éléments de langage vis-à-vis de la Commission.
S'agissant du marché du porc avec la Chine, compte tenu de la pandémie qui frappe ce pays, les exportations françaises y sont très dynamiques. Guillaume Roué, le président de l'interprofession nationale porcine, fait d'ailleurs partie de la délégation française en Chine. Notre objectif est d'obtenir des Chinois des avancées sur le principe du zonage pour la peste porcine africaine, ce qui permettra de protéger nos exportations en cas d'épidémie localisée en France. Nous veillons aussi à ce que les exportateurs obtiennent leurs agréments pour se développer sur le marché chinois.
La négociation de l'accord de libre-échange avec l'Australie, évoqué par Sylvain Waserman, a effectivement insufflé une dynamique réelle. Lors de son déplacement à La Réunion il y a quelques jours, le président de la République a affirmé que la France était, avec Mayotte, La Réunion ainsi qu'une présence militaire navale, pleinement un territoire de l'Indo-Pacifique, et qu'elle avait à coeur d'assurer la liberté de circulation dans ces eaux qui font parfois l'objet de frictions. C'est aussi dans le cadre de cette déclinaison de l'Indo-Pacifique que nous avons intérêt à avoir des accords, y compris commerciaux, avec les Etats riverains dont l'Australie. J'ajoute que ce pays est un partenaire stratégique dans le domaine des sous-marins, et que tout cela est assez structurant pour plusieurs décennies.
Nicole Le Peih demande comment prendre en compte la neutralité carbone dans les accords. La réponse la plus ambitieuse consiste à instaurer un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, qui est d'ailleurs dans la feuille de route de la Commission. C'est donc une grande avancée vers un travail concret et tout à fait compatible avec les règles de l'OMC. Pour les accords proprement dits, il faut faire en sorte que l'Accord de Paris y figure comme une clause essentielle - mais, pour le moment, nous ne sommes pas très nombreux à plaider cette cause. Si nous arrivions à créer un précédent avec l'accord avec la Nouvelle-Zélande, cela nous aiderait. Et puis il y a également des stratégies nationales. Par exemple, la France a adopté, à l'initiative de François de Rugy, une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée. Ce sont des éléments très concrets qui peuvent parfois conduire à des tensions avec nos amis de l'ASEAN - je pense à l'Indonésie, s'agissant de l'huile de palme.
Madame Cazebonne, les élections consulaires se tiendront au mois de mai prochain, et l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) sera renouvelée au mois de juin. Les conseillers consulaires élus agissent sous le signe de l'engagement et de la proximité, pour reprendre le titre d'un projet de loi bien connu dans cette assemblée. Ce texte doit être l'occasion d'acter plusieurs avancées. Pour sa part, le gouvernement déposera un amendement rappelant que, selon l'article 1er de la loi 2014 sur les instances représentatives des Français de l'étranger, ce sont avant tout les élus qui représentent les Français de l'étranger. Jusqu'à présent, on ne citait que les instances - conseils consulaires et AFE - ; désormais, on citera les élus. Surtout, le gouvernement souhaite, par cet amendement, confier la présidence des conseils consulaires aux élus, ce qui constitue une véritable révolution copernicienne. L'idée est de constituer un binôme avec les chefs de poste, ceux-ci ayant un rôle de rapporteur général. C'est là la reconnaissance de l'engagement des élus consulaires auprès des communautés.
En outre, le gouvernement est ouvert à l'inscription du principe d'un accès à la formation. Il va missionner la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire pour élaborer des formations, soit en présentiel à l'occasion des sessions de l'AFE, soit à distance, grâce aux nouvelles technologies.
S'agissant du vote par internet, un dernier test grandeur nature sera effectué du 22 au 26 novembre, qui nous permettra de nous prononcer de façon définitive sur notre capacité à le faire. Mais, comme l'a dit le président de la République, la France ne serait pas la France si elle n'était pas capable de faire du vote par internet. Je touche du bois pour que les tests soient conformes aux attentes.
Denis Masséglia a évoqué l'amélioration du déficit commercial - le recul du recul commercial, si je puis dire. On voit là l'importance de faire de la pédagogie. Depuis maintenant deux ans que je suis ces sujets-là, j'observe que les observateurs sont tentés de faire de grandes manchettes sur le déficit qui s'enfonce. C'est une quasi-incitation à nous mettre sous Prozac collectivement ! En réalité, la moitié du déficit commercial est due à la facture énergétique. Dès lors que nous aurons fait notre transition écologique, nous regarderons peut-être les choses différemment. Par ailleurs, les chiffres du premier semestre ont livré des signaux d'amélioration : davantage d'entreprises exportatrices, le meilleur niveau d'entreprises exportatrices depuis 2003, l'amélioration de plusieurs soldes, etc. Mais je concède qu'il reste encore beaucoup à faire.
Dans cette pédagogie, il faut aussi signaler que notre présence dans le monde s'exerce différemment de celle d'autres Etats, tels que l'Allemagne ou l'Italie qui sont avant tout exportateurs. Nous sommes aussi - peut-être est-ce le fruit de l'histoire - très présents sur les marchés eux-mêmes en tant que producteurs locaux, ce qui génère de l'ordre de 70 milliards de revenus qui remontent vers le territoire national et qui servent à investir dans l'outil national. Je ne dis pas que l'un équivaut à l'autre, mais cette dimension est à prendre en compte pour relativiser ou en tout cas avoir une vision complète de la façon dont nous sommes présents à l'international.
S'agissant de la possibilité pour des retraités d'apporter une expertise aux PME et TPE en matière d'exportations, il me semble que l'association ECTI est déjà particulièrement engagée en la matière et qu'elle propose de mettre au service des TPE et PME le savoir-faire d'anciens d'entrepreneurs ou cadres commerciaux.
J'ai bien entendu les éléments de vigilance mentionnés par Frédéric Barbier. En matière de réciprocité, il rejoint assez largement le consensus de votre commission. Les sujets industriels sont davantage de la compétence de Bruno Le Maire et d'Agnès Pannier-Runacher, mais j'entends bien que le passage sous drapeau indien des scooters Peugeot mérite une attention de tous les instants. Les exemples d'actionnaires indiens qui ont pris des positions fortes dans l'automobile - je pense à l'Angleterre avec Range Rover - montrent qu'ils ont trouvé les moyens de se développer. Il faut donc veiller à ce que ces nouveaux actionnaires donnent à cette filière les moyens de se développer. Le dossier du rapprochement entre Peugeot et Fiat-Chrysler est sur la table à Bercy, et votre message sera transmis.
Madame Clapot, si l'Ukraine exporte des céréales vers l'Union européenne, la France, elle, exporte des céréales à travers le monde, notamment dans le bassin méditerranéen, et ma préoccupation est que nous restions compétitifs et à notre place sur ces marchés avec l'Algérie, l'Egypte et le Maghreb, en particulier. Pour l'instant, la qualité de nos approvisionnements fait de nous les meilleurs, et il faut veiller à le rester.
Quant à la présence d'atrazine et de néonicotinoïdes dans le maïs ukrainien, j'avoue ne pas avoir d'éléments. Nous allons vérifier ce point pour vous donner une réponse.
Jean François Mbaye a parlé de la préservation de la forêt mondiale. Le président de la République a pris une initiative forte, lors de l'Assemblée générale des Nations unies, avec le lancement d'une alliance pour l'Amazonie et les forêts tropicales. Il ne faut pas oublier que l'Afrique centrale est aussi très concernée, en particulier le Gabon et la République démocratique du Congo. Certains de ces Etats sont, d'ailleurs, déjà très engagés. Nous sommes en train de travailler à cette charte et les réunions vont bon train. Parmi les alliés que nous pouvons compter en Amérique du Sud, les présidents du Chili, de la Bolivie et de la Colombie étaient présents lors de cet événement. On voit donc que plusieurs Etats de la région sont déterminés à s'engager.
S'agissant des leviers dont nous disposons vis-à-vis du Brésil, à un moment, il faut hausser le ton. La position sur le Mercosur a été entendue clairement, ce qui permettra peut-être d'obtenir un infléchissement ou le respect des objectifs auxquels le Brésil a souscrit. Sinon, comme avec les Etats-Unis qui ont notifié leur retrait de l'Accord de Paris, il faut continuer à travailler avec les entités subfédérales, les Etats, les entreprises et les ONG, parce qu'un certain nombre d'entre eux souhaitent avancer sur ces sujets-là.
En matière de relations avec l'Afrique, je crois, monsieur Berville, que l'Union européenne est consciente de la nécessité d'un partenariat avec ce continent. La feuille de route de Phil Hogan inscrit d'ailleurs, noir sur blanc, parmi les priorités le partenariat en matière de commerce et d'investissements avec l'Afrique, notamment parce que celle-ci s'est structurée avec la nouvelle zone de libre-échange continentale (ZLEC). L'objectif à long terme est d'aboutir à un accord de zone à zone qui soit bénéfique à tous les peuples.
S'agissant de la négociation de l'accord post-Cotonou, l'idée est d'avoir un socle commun aux trois piliers Afrique, Caraïbes, Pacifique, avec un pilier Afrique particulièrement fort. Nous insistons régulièrement sur la priorité qui doit être donnée, dans tous nos outils d'aide au développement, aux pays les moins avancés, qui sont souvent en Afrique subsaharienne. Le commerce est une dimension, mais ce n'est pas la seule. En tout cas, nous sommes très mobilisés pour partager cette vision avec les Etats membres, sachant qu'un certain nombre de pays d'Europe centrale et orientale ont plutôt une appétence pour la politique de voisinage que pour celle du développement. Les crises de réfugiés les ont cependant amenés petit à petit sur ces sujets-là, et il convient maintenant de les ancrer sur l'importance du partenariat avec l'Afrique.
En ce qui concerne l'aéronautique, évoqué par Pierre Cabaré, nous appelons de nos voeux un cadre agréé qui éviterait d'avoir à agir par contentieux interposé entre les Etats-Unis et l'Europe. Nous avons mis des éléments sur la table ; jusqu'à présent, ils y ont peu fait écho du côté américain. Mais nous ne renonçons pas, pour le bien de tous. Pendant ce temps, en effet, d'autres acteurs, d'autres puissances - vous aurez reconnu lesquelles - sont en train de se structurer et seront sur le marché mondial d'ici à dix ans. Il faut donc être très lucide et en tirer toutes les conclusions.
(Interventions des parlementaires)
Merci à vous de vous intéresser nombreux à des sujets quelque peu arides mais ô combien importants pour nos entreprises et notre pays.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 novembre 2019