Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2020 (nos 2272, 2301).
(...)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Je vais, bien entendu, essayer de répondre aussi précisément que possible à vos interventions et à vos observations – mais nous pourrons y revenir lors des questions et de l'examen des amendements.
Je vous présente aujourd'hui mon troisième projet de budget en tant que ministre des outre-mer. À entendre vos propos, j'ai le sentiment que nous travaillons dans le même sens. Vous connaissez vos territoires mieux que personne, vous avez fait état des problèmes du quotidien qui touchent nos concitoyens ultramarins, des problèmes auxquelles le Gouvernement apporte, au fil des budgets depuis 2017, des solutions structurantes.
Si l'État est évidemment très attendu dans nos territoires, il n'est pas là, toutefois, pour imposer des solutions d'en haut – j'y veille depuis deux ans et demi maintenant – à des territoires aux caractéristiques, aux contraintes et aux enjeux très différents de ceux qui sont rencontrés dans les départements de l'hexagone. Les réponses que nous avons apportées, que nous apportons et que nous apporterons encore dans les prochains mois et prochaines années, nous les avons coconstruites avec les territoires, les populations et les élus, dans le cadre des assises des outre-mer.
C'est ce cadre participatif qui nous a permis de construire le livre bleu des outre-mer, véritable feuille de route du Gouvernement pour les outre-mer, progressivement mis en oeuvre au cours du quinquennat. Ce livre bleu a trois particularités : il a été construit à l'issue d'une large concertation durant les assises, autour des territoires et de leurs enjeux propres, et les propositions qu'il comporte sont toutes validées au plan interministériel.
Vous le savez, cette feuille de route fait l'objet d'un suivi attentif dans le cadre des comités interministériels des outre-mer, qui se sont déjà réunis à deux reprises en 2019, en février et en septembre, sous la présidence du Premier ministre. D'autres rendez-vous sont prévus en 2020. Je tiens à rappeler que ce type de suivi n'était plus assuré depuis dix ans.
Cette feuille de route interministérielle ne se traduit pas uniquement dans le budget du ministère des outre-mer. De nombreuses mesures au bénéfice des outre-mer sont inscrites dans les différentes missions budgétaires ministérielles. Dans le projet de loi de finances pour 2020, je pense notamment, en matière de logement, à l'instauration de l'aide à l'accession très sociale et à la lutte contre l'habitat insalubre, ou à l'effort de péréquation annoncé par le Président de la République au profit des communes des DROM – départements et régions d'outre-mer.
Je le rappelle, les crédits de la mission "Outre-mer" ne représentent que 2,6 milliards d'euros sur les 22 milliards retracés au sein du document de politique transversale, sans compter les près de 5 milliards d'euros de dépenses fiscales. Les montants d'investissement – car c'est bien d'investissement qu'il s'agit – en faveur des territoires d'outre-mer sont historiques.
Pour en venir aux crédits de la mission, ce budget 2020 maintient le niveau d'ambition élevé du Gouvernement pour les territoires d'outre-mer. À périmètre constant, et hors exonérations de charges, le budget de la mission s'établit ainsi à 2,6 milliards d'euros en autorités d'engagement et à 2,5 milliards en crédits de paiement.
Les autorisations d'engagement sont donc maintenues au niveau très élevé qui avait été alloué en 2019. J'ai bien entendu certaines de vos remarques, mais il faut rappeler qu'en autorisations d'engagement, ce budget de l'outre-mer est le mieux doté que l'on ait connu ! Les crédits de la mission ont augmenté de plus de 20% l'an passé, grâce à des réformes et à des transformations ambitieuses. Conformément à l'engagement que le Président de la République a pris le 8 juillet dernier, au ministère des outre-mer, l'intégralité des moyens d'action est conservée, pour concrétiser le livre bleu et enclencher la dynamique 5.0.
Ce budget reflète quatre priorités structurantes. La première est le soutien à l'emploi, qui est le "zéro exclusion" de la trajectoire 5.0. L'emploi assure la cohésion sociale des territoires : il est le véritable levier du pouvoir d'achat. Il est aussi une question de dignité et de fierté individuelles pour nos concitoyens. Le Gouvernement mène ce combat sans relâche sur l'ensemble du territoire national et donc, bien évidemment, outre-mer, là où les territoires sont frappés de plein fouet par le fléau du chômage.
Si la tâche est rude, nous avons recouru à des outils massifs. Je pense d'abord au plan d'investissement dans les compétences, sous la responsabilité du ministère du travail au niveau national. Pour les outre-mer, il s'élève à 700 millions d'euros sur la durée du quinquennat. Investir dans le capital humain est au coeur de notre bataille pour l'emploi. Je sais que vous partagez notre point de vue.
Nous avons aussi profondément réformé le dispositif d'exonération de cotisations sociales en 2019, pour donner, là encore, la priorité à l'emploi. Je m'étais engagée à mettre en oeuvre une clause de revoyure, monsieur le rapporteur spécial. En vérifiant les premiers effets de la réforme des exonérations votée l'an passé, nous avons constaté des écarts, qui ne figuraient pas dans nos prévisions originelles : c'est pourquoi nous avons permis l'adoption d'un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale qui améliore les paramètres du dispositif pour les entreprises et dont le coût estimé est de 36 millions d'euros.
Dans les secteurs renforcés, c'est zéro charge jusqu'à deux SMIC : 80% des salaires sont donc entièrement exonérés de charges patronales dans les DROM. Il s'agit d'une mesure concrète pour l'emploi. Dans certains territoires, les socioprofessionnels se sont mobilisés pour permettre l'entrée dans l'emploi de jeunes par le biais de contrats de professionnalisation. C'est une bonne chose car, je le répète, nous devons tous nous mobiliser pour l'emploi. Je les remercie de leur implication.
C'est parce que nous croyons que la bataille pour l'emploi est la mère de toutes les batailles, c'est également parce qu'il faut créer les conditions de créations d'emplois dans les entreprises que nous avons développé, comme je m'y étais engagée, des outils spécifiques d'aide aux entreprises. En 2020, nous prévoyons à cette fin 24 millions d'euros – j'y reviendrai à l'occasion de l'examen des amendements. Ces outils sont les suivants : développement du microcrédit, grâce au renforcement des opérateurs et au déplafonnement des montants ; déploiement dans tous les territoires de l'offre de Bpifrance, la Banque publique d'investissement, et proposition d'outils spécifiques, dont l'extension des conditions d'accès au prêt de développement outre-mer ; dispositions d'affacturage efficaces pour réduire les conséquences sur les trésoreries des entreprises des délais de paiement, très pénalisants dans les territoires d'outre-mer ; dispositifs subventionnels pour soutenir l'investissement et l'innovation ; augmentation, enfin, des crédits de l'aide au fret.
Ces efforts conjugués commencent à payer : au cours des douze derniers mois, 11 400 emplois ont été créés dans les DOM, ce qui représente une croissance de 3,5%. Dans le même temps, on constate une baisse très importante du volume des chômeurs outre-mer de 2,3%, ce qui représente 8 158 demandeurs d'emplois en moins. C'est le niveau le plus bas atteint depuis le mois de février 2014. Rien n'est gagné, les difficultés sont immenses et les défis au rendez-vous : toutefois, la tendance semble bonne.
Mme Huguette Bello. "Semble" ! Mais ce n'est pas vrai, et la population le voit.
Mme Annick Girardin, ministre. Vous le savez très bien, le fait de nous montrer capables de reconnaître cette tendance à l'amélioration nous permettra aussi de conforter la dynamique engagée dans les territoires d'outre-mer. De nombreux efforts restent à fournir : je serai à vos côtés pour les soutenir.
L'insertion passe également par le SMA, dont l'encadrement est considérablement développé pour améliorer et individualiser le suivi des stagiaires : 127 ETP supplémentaires seront recrutés durant le quinquennat, dont 35 en 2020. Une nouvelle compagnie s'installera en Nouvelle-Calédonie, à Bourail, conformément à l'engagement du Premier ministre.
Il ne convient pas non plus d'oublier les mesures spécifiques annoncées par le Président de la République à La Réunion dans le cadre du plan Pétrel.
Mme Huguette Bello. Un bel oiseau… bien fragile !
Mme Annick Girardin, ministre. Ce plan, monsieur le député Clément – vous l'avez également évoqué, monsieur le député Ratenon –, est doté de 700 millions d'euros, qui ne sont pas prélevés sur le budget des outre-mer. Vous le constaterez si vous reprenez l'ensemble des annonces qui ont été faites : stabilisation, dans le budget du ministère du travail, de l'enveloppe PEC – parcours emploi compétences – à 12 000 emplois jusqu'à la fin du quinquennat ; plus de 5 000 formations par an dès 2020 ; doublement du nombre de postes dans les structures d'insertion – ce qui représente 7 000 postes par an d'ici à 2022 ; possibilité, pour les bénéficiaires du RSA, de cumuler un emploi saisonnier ou d'intégrer un parcours d'insertion, tout en conservant leur droit au RSA. Nous avons également lancé l'expérimentation à La Réunion d'emplois francs, qui seront donc désormais ouverts à ceux qui sont en parcours d'insertion : RSMA – régiment du service militaire adapté –, garantie jeunes, écoles de la deuxième chance, sans obligation géographique de résidence. Ces mesures, qui concrétisent l'engagement que nous avons pris de faire de l'emploi une priorité à La Réunion, comme dans tous les territoires, doivent porter leurs fruits.
L'accompagnement des territoires et des collectivités ultramarines – deuxième priorité – est au coeur de ce budget pour 2020, qui sera la première année pleine de mise en oeuvre des contrats de convergence et de transformation, qui ont été signés avec le Président de la République, le Premier ministre et sept membres du Gouvernement, en juillet dernier. Les crédits consacrés à ce volet par le ministère des outre-mer sont en hausse de plus de 5% cette année.
Ces contrats sont au coeur du partenariat entre État et collectivités au service des projets des territoires. Je rappelle que la mission « Outre-mer » ne couvre pas tous les crédits apportés par l'État, qui s'élèvent à plus de 2 milliards d'euros sur la période 2019-2022, sans compter les cofinancements des collectivités et les fonds européens. L'ensemble, qui est considérable, témoigne du niveau d'ambition de l'État pour les outre-mer.
Ces crédits permettront de changer le quotidien des ultramarins. Certes, un tel changement prendra du temps – nous le savons tous ici –, car les gros projets d'infrastructures nécessitent souvent plusieurs années pour sortir de terre. Toutefois, les crédits sont contractualisés et offrent en conséquence de la visibilité aux collectivités pour leurs investissements sur la période 2019-2022.
Accompagner les territoires, c'est aussi accompagner spécifiquement les collectivités ultramarines. Le Gouvernement a décidé de réviser les critères de péréquation entre collectivités territoriales, ce qui se traduira par une augmentation de 85 millions d'euros des montants de péréquation envers les départements d'outre-mer d'ici à cinq ans, dont 17 millions dès 2020 – le Président de la République avait annoncé cette première étape le 1er février dernier. Au-delà de cet effort, le Gouvernement attend les conclusions de la mission sur les finances locales des collectivités ultramarines pour préciser les modalités d'accompagnement des collectivités en difficulté financière.
Pour que les crédits se transforment en routes et en écoles, il faut aussi de l'ingénierie. En 2020, je propose donc d'augmenter de 3 millions d'euros les crédits confiés à l'Agence française de développement – AFD – et dédiés à l'ingénierie et à l'assistance à la maîtrise d'ouvrage. Au 1er janvier 2020, les plateformes d'ingénierie de Guyane et de Mayotte seront pleinement opérationnelles ; le recrutement des neuf cadres est quasiment finalisé.
S'agissant plus particulièrement du logement, je propose de dédier 7 millions d'euros de la ligne budgétaire unique à l'ingénierie. Je l'assume, monsieur Lorion, non pour conforter les moyens de l'État mais pour être au service de tous ceux qui, sur le terrain, interviennent pour le logement de nos concitoyens, qu'il s'agisse des communes ou des différents opérateurs. Je le répète, nous devons assumer cette priorité. Il convient de mieux accompagner ceux qui réalisent ces opérations.
Toutefois, l'ingénierie ne suffit pas : il faut passer en mode projet. Je sais que, à cet égard, la pierre est aussi dans notre jardin. À aucun moment, madame la députée Vainqueur-Christophe, je n'exonère l'État d'une quelconque responsabilité dans le retard pris par de nombreuses opérations dans les territoires. J'ai l'habitude de dire les choses clairement. Sans prendre de gants, j'ai souhaité que chacun, dans les territoires d'outre-mer, assume ses responsabilités en matière d'accompagnement. J'ai demandé aux préfets de piloter, avec les administrations et les collectivités, des cellules d'engagement des projets. Les autorisations doivent sortir au plus vite, les avis également. Nos administrations doivent se remettre au service du développement des territoires ; c'est impératif.
Améliorer le quotidien des ultramarins est la troisième priorité. C'est notamment la raison d'être du fonds exceptionnel d'investissement – FEI – qui est intégralement préservé – 110 millions d'euros au service des projets du quotidien, qu'il s'agisse d'un stade, d'une électrification, d'un aménagement portuaire ou d'une rénovation du patrimoine.
Parmi les projets financés par le FEI, j'ai souhaité que l'on favorise cette année – ce sera également le cas l'an prochain – des projets à taille humaine, des projets de proximité qui peuvent se réaliser rapidement, ainsi que des projets qui relèvent de la trajectoire 5.0 : ils bénéficiaient de 70% du FEI en 2019, ce sera 100 % en 2020.
Parce qu'un accueil dans de bonnes conditions à l'école change la vie des enfants mais aussi des parents, nous maintenons également 90 millions d'euros de soutien aux constructions scolaires outre-mer, en plus de l'effort du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Quatrième priorité : la mise en oeuvre de la conférence du logement en outre-mer. À la suite des conclusions de cette conférence, l'État s'est engagé à maintenir les autorisations d'engagement de la ligne budgétaire unique – LBU – au-delà de 200 millions d'euros annuels en 2020, 2021 et 2022.
Le montant de 215 millions d'euros, jugé insuffisant par rapport aux besoins et en baisse par rapport au budget 2019 – qui apportait 225 millions d'euros en AE –, a suscité de nombreuses remarques. Il s'agit pour moi d'un seuil minimal fondé sur les capacités d'engagement constatées dans les territoires en 2018 et 2019. En effet, je ne peux que constater qu'au cours des deux dernières années, nous ne sommes pas parvenus à dépasser la barre des 200 millions d'euros en autorisations d'engagement, malgré tous les efforts consentis aux niveaux national et local. L'objectif pour 2020 est bien d'inverser la tendance grâce au plan logement outre-mer 2019-2022 et au déploiement de plans locaux. Mais, comme vous le savez, la construction et la rénovation de logements ne se décident pas d'un claquement de doigts, et elles nécessitent un accompagnement.
Par ailleurs, avec 18 millions d'euros supplémentaires en 2020, les crédits des sociétés immobilières d'outre-mer, les SIDOM, sont au rendez-vous.
Le PLF pour 2020 traduit donc une ambition et des moyens pour les outre-mer. J'ai bien entendu les inquiétudes et les critiques que vous avez formulées ; j'aurai l'occasion de les aborder lors des réponses à vos questions et de nos échanges sur les amendements. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.)
M. le président. Je vous remercie, madame la ministre, de ces développements très complets… (Sourires.)
Nous en venons aux questions, qui, tout comme les réponses, ne doivent pas excéder deux minutes.
La parole est à M. Mohamed Laqhila.
M. Mohamed Laqhila. Le budget de la mission "Outre-mer" reste globalement stable, ce qui témoigne d'une ambition intacte – même s'il ne reflète pas à lui seul l'engagement de l'État en la matière.
Madame la ministre, lors de la présentation de ce que vous avez vous-même qualifié d'acte II du mandat, vous avez réaffirmé votre ambition relative à la trajectoire 5.0. Dans le sillage du livre bleu des outre-mer, vous avez décliné une feuille de route incluant des mesures aussi précises qu'ambitieuses : zéro carbone, zéro déchet, zéro polluant agricole, zéro exclusion et zéro vulnérabilité face au changement climatique.
Si l'on ne peut que se réjouir de ces objectifs, à la hauteur des enjeux auxquels les territoires ultramarins font face, j'insisterai néanmoins sur l'amélioration des conditions de vie des ultramarins et la cohésion sociale de ces territoires. Le renforcement du pilotage des moyens d'ingénierie des collectivités, en particulier, est crucial.
Quel rôle et quels moyens votre ministère a-t-il prévu de donner à la mission « Outre-mer » pour contribuer à la réussite de la trajectoire 5.0 ? Des moyens d'ingénierie seront-ils mis en oeuvre ? Plus généralement, je souhaiterais savoir si une prévision budgétaire a été établie pour assurer le respect de la trajectoire dans les années futures. Enfin, l'application de chacun de ces objectifs fera-t-elle l'objet d'une évaluation précise et régulière et, le cas échéant, par quels moyens ? (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et UDI-Agir. – M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis, applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. La trajectoire 5.0 a pour horizon 2030, tout comme les dix-sept objectifs de développement durable des Nations unies. Présentée officiellement le 8 avril dernier, elle est l'aboutissement d'un travail de plusieurs années, conforme à la dynamique que je défends depuis ma participation à la COP 21. Le 8 juillet dernier, les présidents des exécutifs locaux ont franchi, avec l'État, une première étape en signant la charte 5.0. De fait, il n'y a pas de sens à défendre une telle ambition au niveau national si elle n'est pas également relayée par nos partenaires au niveau du territoire, au premier rang desquels les collectivités et les entreprises.
Après la signature de la charte, le fait que, comme je l'ai dit, 70% du FEI aient été consacrés cette année aux actions satisfaisant aux critères 5.0, avant 100% en 2020, est un autre signal fort. Il s'agit également de s'assurer que l'ensemble des ministères intègrent la trajectoire dans leurs financements. Par ailleurs, nous travaillons avec l'Agence française de développement à la création d'un fonds 5.0 qui viendra s'ajouter au budget et aux actions que nous menons dans le cadre du FEI pour soutenir des projets dans les territoires ultramarins. Il devrait être finalisé avant la fin de l'année 2019.
Pour tout cela, l'ingénierie est nécessaire. J'ai déjà évoqué son renforcement de l'ingénierie au bénéfice des territoires, à la fois pour les collectivités et pour les différents opérateurs.
C'est donc une dynamique qui naît ; j'espère que chacun sera au rendez-vous pour relever les nombreux défis des territoires d'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM.)
M. le président. La parole est à Mme Ericka Bareigts.
Mme Ericka Bareigts. Chacun l'a dit, l'exercice budgétaire est souvent très compliqué, notamment pour les citoyens qui nous regardent ; il nous faudra donc en faire un exercice de pédagogie et de simplicité.
Vous l'avez dit, madame la ministre, tous les crédits dédiés à l'outre-mer ne figurent pas dans la mission soumise à notre examen, loin s'en faut. Le Gouvernement a signé cette année avec les territoires ultramarins des contrats de convergence et de transformation qui incluent un engagement financier de 2,1 milliards d'euros, somme qui s'ajoute au budget pour les outre-mer que vous avez déclaré sanctuarisé l'an dernier et que vous confirmez cette année.
Cependant, lorsque j'analyse le document de politique transversale – DPT –, qui me semble être l'outil adéquat pour vérifier que nous disposons bien des sommes nécessaires à la transformation de nos territoires, je constate que les crédits affectés à La Réunion diminuent de 170 millions d'euros en 2020. C'est considérable, d'autant que j'ai intégré à mes calculs les différents crédits non répartis, dont ceux concernant la gendarmerie ou l'agriculture. Comment retrouve-t-on les 2,1 milliards d'euros en AE ? En fonction de quels indicateurs sont-ils répartis entre les territoires – retards, développement humain, etc. ? Enfin, si vous confirmez la baisse de 170 millions d'euros, comment peut-on, avec moins d'argent, réaliser la convergence attendue ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. Vous évoquez la part du budget 2020 réservée aux contrats de convergence et de transformation signés avec la quasi-totalité des territoires d'outre-mer – les contrats avec la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie sont en cours de négociation.
À l'échelle de l'ensemble des ministères, ce sont plus de 2 milliards d'euros qui seront affectés à ces contrats entre 2019 et 2022, dont une partie en 2020. La baisse que vous avez calculée pour La Réunion correspond à la diminution de la prévision de l'ACOSS, qui concerne tous les territoires, et au changement de périmètre de différentes mesures.
Vous me donnez l'occasion d'évoquer la prévision en baisse de l'ACOSS, également abordée par le rapporteur spécial et d'autres députés. Elle soulève une véritable difficulté : les chiffres qui nous sont communiqués au cours de l'année, à différentes échéances, modifient entièrement notre vision des actions en faveur du monde économique que nous menons dans les territoires. Les prévisions de l'ACOSS ne sont donc pas sans effet sur le budget des outre-mer, mais le programme 138 bénéficiera d'ouvertures de crédits supplémentaires si nécessaire. L'évaluation de l'ACOSS pour l'année prochaine n'est pas consolidée, car la réforme ne date que de juillet et la clause de revoyure devrait permettre d'obtenir une amélioration des conditions.
M. le président. La parole est à Mme Maina Sage.
Mme Maina Sage. Je voudrais revenir sur le programme 123 et les actions culturelles, notamment sur la ligne dédiée aux soutiens financiers à la production audiovisuelle. Pour nous avoir reçus et écoutés – je vous en remercie –, vous n'ignorez pas que mon collègue Stéphane Claireaux et moi-même avons publié un rapport d'information sur la production audiovisuelle dans les outre-mer, lequel présente plusieurs recommandations pour faciliter l'accès aux aides à la production audiovisuelle et pour assurer plus de transparence s'agissant des subventions accordées dans ce domaine.
Nous avions évoqué l'existence d'un fonds du ministère relevant du programme 123. Pouvez-vous nous fournir davantage d'informations sur l'utilisation de ce fonds et vos objectifs pour 2020 ? De plus, soutenez-vous la démarche visant à renforcer les dispositifs de présence dans les instances comme le centre national du cinéma et de l'image animée – CNC – et le conseil supérieur de l'audiovisuel – CSA –, afin d'accroître la visibilité des outre-mer ?
Un soutien fort à la production locale provoque un formidable effet levier – j'appelle d'ailleurs tous mes collègues à regarder de près cette niche économique importante pour nos territoires : 1 euro d'investissement dégage entre 2,5 et 7 euros de dépenses locales !
Ma seconde question ne relève pas directement de la mission "Outre-mer". Comme vous le savez, nous allons déposer des amendements visant à assouplir le dispositif fiscal qui s'applique à la navigation de croisière. Pouvez-vous nous faire part de votre position sur les critères d'assouplissement demandés, tant sur la notion d'exclusivité que sur les délais d'exploitation ? Votre soutien nous sera précieux pour défendre notre position la semaine prochaine auprès du ministre de l'économie et des finances.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. S'agissant de la création artistique, le ministère dispose effectivement d'un fonds de 400 000 euros pour soutenir différents projets. Est-ce suffisant ? Il nous faut rapidement mener une évaluation de l'utilisation de ce fonds, pour savoir combien de projets sont aujourd'hui refusés faute de crédits disponibles. Nous allons toutefois accroître l'enveloppe la semaine prochaine, au bénéfice des associations, producteurs et créateurs, mais, chacun en a été prévenu, la décision n'est valable que pour cette année. Nous dresserons donc un bilan.
S'agissant de l'application aux navires de la défiscalisation outre-mer – avec un taux de 30% consenti à ceux qui investissent dans des bateaux de croisière d'une capacité maximum de 400 passagers, la base éligible étant fixée à 20% des coûts de revient du navire –, je suis, vous le savez, à vos côtés. Trois amendements portent sur cette question dont je discute beaucoup avec Gérald Darmanin, qui, jusqu'à présent, s'est montré ouvert aux propositions ; j'espère qu'il le restera et que, ensemble, nous pourrons le convaincre.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Sanquer.
Mme Nicole Sanquer. Je souhaite appeler de nouveau votre attention sur le statut des militaires du Pacifique, que j'ai évoqué tout à l'heure, et sur les inégalités qu'ils subissent. J'associe bien évidemment nos collègues calédoniens à cette question.
Le forum de l'emploi qui s'est tenu très récemment en Polynésie française a été une occasion supplémentaire de mesurer l'enracinement des armées dans ce territoire. Trois des sept stands d'information étaient consacrés aux armées et leur succès a été total : les jeunes s'y sont précipités pour s'engager. Rappelons que l'armée recrute 400 à 500 jeunes Polynésiens chaque année, soit autant qu'à La Réunion, qui compte trois fois plus d'habitants.
Or, même si cela peut paraître délirant, les droits d'un militaire français varient en fonction de son origine. S'il est originaire de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique ou de La Réunion, il pourra bénéficier d'une indemnité d'installation en métropole, ou INSMET ; s'il est originaire du Pacifique, il ne pourra prétendre à rien.
M. Mansour Kamardine. S'il est de Mayotte non plus !
Mme Nicole Sanquer. En effet !
Les familles sont également confrontées à de nombreuses difficultés, notamment administratives, au moment de leur venue dans l'hexagone. Il faut les accompagner pour favoriser leur insertion sur le marché du travail et leur permettre de jouir de leurs droits.
Le contexte est celui du plan famille 2018-2022, destiné à l'accompagnement des familles et à l'amélioration des conditions de vie des militaires. La ministre des armées, que j'ai interrogée en début d'année, s'était engagée à revoir la situation des militaires du Pacifique pour 2021. Au vu du fort taux de recrutement dans nos îles, peut-on espérer un engagement pour 2020 ?
Madame la ministre, pouvons-nous compter sur votre soutien pour que les militaires du Pacifique et leur famille puissent légitimement prétendre aux mêmes droits que les militaires originaires de n'importe quel territoire de la République ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir et LR. ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM. – M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis, applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. Madame la députée, je connais votre combat à ce sujet. Les indemnités militaires sont encadrées par un texte de 1950 qui excluait les collectivités d'outre-mer – COM –, dont Mayotte qui en était une à l'époque. C'est injuste, et je suis tentée de vous assurer de mon soutien ; mais il appartiendra à la ministre des armées de vous répondre. En tout état de cause, si une évolution du dispositif devait être envisagée, ce ne pourrait être que dans le cadre d'une révision générale du régime indemnitaire des militaires.
M. Philippe Dunoyer, rapporteur pour avis. Non, il suffit d'un décret !
Mme Annick Girardin, ministre. La ministre des armées compte mener cette réflexion dans le cadre de la nouvelle politique de rémunération des militaires qu'elle va conduire.
M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis. C'est trop long !
Mme Annick Girardin, ministre. Je peux comprendre que le processus puisse vous paraître trop long, en effet. Je vous réponds comme je le fais par correction vis-à-vis de la ministre des armées, mais je lui en reparlerai et nous verrons si nous pouvons aller plus vite. Elle a bien entendu votre question mais, pour l'instant, c'est dans ce cadre-là qu'il est prévu d'y apporter une réponse.
M. Dino Cinieri. Là où il y a une volonté, il y a un chemin !
M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis. Bravo !
Mme Annick Girardin, ministre. Cela ne dit pas combien de temps il faut pour le parcourir !
M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville.
M. Gabriel Serville. Madame la ministre, il manque 100 000 logements dans nos territoires d'outre-mer, où 150 000 personnes vivent dans des conditions indignes de la République.
En effet, un ultramarin sur douze vit dans un logement spontané. C'est quasiment 300 fois plus que la moyenne nationale. En Guyane, 13% des logements sont dépourvus d'électricité et 2 % n'ont pas d'accès à l'eau potable. Et à voir les crédits alloués au logement outre-mer, il semblerait que votre gouvernement ait jeté l'éponge.
Qui peut tolérer une telle situation et accepter qu'une partie de la population soit tenue à l'écart des lois républicaines qui élèvent le droit au logement au rang de droit opposable sur le territoire de la nation des droits de l'homme ?
La lutte contre les phénomènes de violence, l'échec scolaire ou le climat social dégradé n'aurait pas de sens si l'on ne s'attaquait pas au mal logement qui, de toute évidence, constitue l'une des sources de ces problèmes.
Sur la question de l'allocation logement accession, vous avez reconnu votre erreur : tant mieux ; mais qu'en est-il des crédits alloués à la construction et à la rénovation du logement social, qui semblent désormais en danger ? Je pense en particulier à l'engagement, obtenu sous l'ancienne majorité, de doubler la ligne budgétaire unique de la Guyane pour la porter à 100 millions d'euros en 2020 dans le cadre de l'opération d'intérêt national.
Par rapport à cette promesse, les 215 millions d'euros de crédits alloués au logement pour l'ensemble des outre-mer traduisent une baisse relative pour 2020. Pourtant, en juillet dernier, la conférence du logement en outre-mer avait conduit à préconiser la stabilisation du financement de l'opération d'intérêt national à long terme, par le biais d'une convention pluriannuelle d'objectifs avec l'État. Où en sommes-nous ?
Même question en ce qui concerne la démarche auprès de la Commission européenne pour justifier des procédures dérogatoires en Guyane en matière d'aménagement simplifié et d'éradication des bidonvilles. A-t-elle été engagée ? Si oui, quels sont les résultats et le calendrier ?
Qu'en est-il du foncier trop cher et des surcoûts qui demeurent de véritables freins à la construction ?
Toutes ces questions appellent des réponses précises de votre part, madame la ministre. Je vous en remercie d'avance.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. Comme je l'ai indiqué, la ligne budgétaire unique est dotée de 215 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2020 et elle va être complétée par les crédits des SIDOM, ce qui va porter le montant total à 233,5 millions d'euros.
Il faut aussi compter avec la mobilisation de nos partenaires – le plan d'investissement volontaire d'Action Logement ne représente pas moins d'1,5 milliard d'euros pour les territoires d'outre-mer – et avec toutes les autres mesures annexes dont nous pouvons bénéficier.
Ces ressources concernent l'ensemble des territoires d'outre-mer, il faut le redire. La dynamique issue d'un travail mené aux plans national et local doit être mise à profit. Les outils doivent être davantage utilisés par tous les territoires d'outre-mer.
Pour la Guyane, vous évoquez un montant de 100 millions d'euros ; je veux bien vous croire, mais, selon les données dont je dispose, nous en sommes à 60 millions d'euros pour 2020, conformément aux engagements pris, après 37,2 millions en 2017, 46 millions en 2018 et 50 millions en 2019. Je vais donc chercher plus avant.
En ce qui concerne le plan d'urgence pour la Guyane – PUG –, la trajectoire va être respectée. S'agissant de vos autres questions, je peux vous dire que nous continuons à défendre les projets élaborés par la Guyane pour construire les logements qui font défaut dans ce territoire plus encore que dans beaucoup d'autres.
M. le président. La parole est de nouveau à M. Gabriel Serville.
M. Gabriel Serville. À cette seconde question, j'associe Jean-Philippe Nilor qui est retenu à la Martinique auprès de son père alité.
Nos territoires ultramarins sont exposés à de fortes contraintes du fait de leur enclavement et de leur dépendance au transport aérien. Cette dépendance est d'autant plus forte que nos familles sont, dans leur vaste majorité, écartelées de part et d'autre des océans, ce qui fait que prendre l'avion est une obligation récurrente pour nombre de ménages ultramarins.
Or, au fur et à mesure de son application, le principe de continuité territoriale se révèle incomplet et inadapté : lorsqu'il s'applique, il ne vaut qu'à l'intérieur de nos territoires ou vers l'hexagone, mais jamais entre les territoires ultramarins. En outre, le passeport mobilité formation professionnelle – PMFP – s'apparente désormais à un véritable outil de pilotage de l'exode massif de nos forces vives.
Parallèlement, le prix des billets d'avion entre les outre-mer augmente régulièrement pour atteindre des tarifs totalement prohibitifs, qui en deviennent des entraves à la liberté de circuler. La Guyane et les Antilles en souffrent particulièrement, elles qui subissent l'exode institutionnalisé de leur force de travail.
Dans ce contexte, la baisse continuelle des aides à la mobilité et le cloisonnement des fonds dédiés à la continuité territoriale sont tout simplement incompréhensibles.
À voir le sort qui leur est réservé par l'exécutif, on se dit que nos territoires sont certainement devenus bien encombrants. Le cycle des coupes claires et des inégalités honteuses se poursuit et ce sont toujours les mêmes qui trinquent.
Madame la ministre, il nous faut vraiment changer de logiciel et mettre un terme à des pratiques préjudiciables qui sont autant d'assignations à résidence permanente. Nos compatriotes ont aussi le droit de se mouvoir dans et hors de leur territoire en toute liberté, égalité et fraternité.
M. Mansour Kamardine. Très bien !
M. Gabriel Serville. Quels engagements comptez-vous prendre devant la représentation nationale pour améliorer la mobilité de nos populations, en particulier de nos jeunes ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. Tout d'abord, les liaisons ou la mobilité à l'intérieur de chaque territoire relèvent de la compétence des régions ou de chaque collectivité. S'il s'agit de changer la répartition des compétences entre les territoires d'outre-mer et l'État, alors discutons-en : vous savez que je suis très ouverte à une redéfinition des compétences et des rapports entre l'État et les collectivités.
Quoi qu'il en soit, à quelques exceptions près dont certaines s'appliquent à votre territoire, la mobilité interne relève de la compétence des collectivités, qu'il s'agisse d'archipels ou d'îles, comme en Polynésie – nous n'ignorons pas non plus les difficultés que rencontrent des territoires aussi vastes que la Guyane ou encore la Guadeloupe, qui comporte aussi des îles.
En l'état actuel des choses, vous ne pouvez pas me demander ce que je compte faire : je ne peux rien faire puisque, je le répète, cette compétence relève des territoires.
En revanche, nous aurons de vrais débats sur la continuité territoriale, qui fait l'objet de plusieurs amendements. Qu'est-ce qui doit être pris en charge ? Quels sont les besoins des territoires en matière de mobilité ? L'Agence de l'outre-mer pour la mobilité – LADOM – consacre des moyens à la continuité territoriale, notamment en prenant en charge les voyages de certains jeunes. Faut-il aller plus loin ? Faut-il faire mieux, davantage ? Nous y reviendrons en abordant les amendements et je vous ferai des propositions.
M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.
Mme Huguette Bello. L'objectif du deuxième plan logement outre-mer – lequel couvre la période 2019-2022 –, qui n'avait pas été atteint par le premier, reste de construire ou de réhabiliter 10 000 logements chaque année dans les territoires ultramarins.
Ce plan a été adopté au moment où la gouvernance du logement social est en plein bouleversement à La Réunion. La cession par l'État de ses parts dans les SIDOM à CDC Habitat, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, a lancé un vaste mouvement de concentration dans le logement social. En effet, la vente de la société immobilière du département de La Réunion – SIDR – a été suivie de près par la prise de contrôle de la société d'habitations à loyer modéré de la Réunion – SHLMR – par Action Logement.
Résultat : les deux plus grands bailleurs sociaux réunionnais, qui représentent chacun plus de 25 000 logements, n'ont plus leur centre de décision à La Réunion. Cette recomposition est en train de s'accélérer avec les prises de participation dans les autres opérateurs intervenant dans le logement social, ou même avec le rachat de ces derniers.
Le paysage local, caractérisé depuis de longues années par l'intervention de sept bailleurs sociaux, risque donc de se transformer en un duopole. Cette concentration correspond aux préconisations de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ELAN, pour ne pas dire qu'elle la précède. Elle suscite une triple interrogation.
La première porte sur les conséquences de la position dominante de ces deux grands organismes – d'autant plus dominante qu'ils sont aussi, comme vous l'avez confirmé en juillet dernier, les partenaires privilégiés de la stratégie du Gouvernement. Leur présence à tous les niveaux signifie-t-elle qu'ils sont appelés à devenir les principaux acteurs du logement social à La Réunion ?
La deuxième question concerne la place des collectivités locales dans l'un des enjeux essentiels de notre territoire et les mesures qui permettront d'éviter que les collectivités ne deviennent de simples spectatrices de la politique du logement.
La troisième question a trait à l'aménagement du territoire et à la fabrique de la ville, compte tenu de la disparition des principaux outils que sont les sociétés d'économie mixtes – SEM – locales.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. Vous avez raison, madame la députée : dans les territoires et notamment à La Réunion, nous assistons à un mouvement d'adossement des bailleurs sociaux à Action Logement ou CDC Habitat, comme décidé bien avant mon arrivée au ministère – je ne fais que suivre cette dynamique que, par ailleurs, j'approuve.
Les bailleurs sociaux bénéficient ainsi de moyens renforcés, alors que la force de frappe faisait défaut outre-mer en matière de construction de logements. Ce regroupement des forces ne peut qu'améliorer l'efficacité des bailleurs, ce qui pourra leur permettre d'atteindre les objectifs fixés afin de répondre aux attentes de nos concitoyens. Pour La Réunion, il était prévu de construire 5 000 logements par an, un objectif jamais atteint, alors qu'il faudrait revoir ce chiffre à la hausse. Pour ma part, j'espère que la concentration va renforcer notre capacité d'action.
S'agissant de la place des collectivités, je rappelle que quatre sièges au conseil d'administration sont réservés au conseil départemental de La Réunion. Ces conseillers contribuent à la décision et ils représentent 43,2% du capital de la SIDR. On ne peut pas dire que les élus locaux ne seront pas partie prenante des décisions qui vont être prises.
Il me semble pour ma part que nous devons construire des logements, de façon efficace et en associant les collectivités, ce qui est le cas dans le dispositif choisi. Il s'agit d'une décision prise de longue date, au bon moment, et qui sera favorable au logement à La Réunion.
M. Dino Cinieri. Les représentants des collectivités sont minoritaires !
Mme Huguette Bello. C'est la minorité de blocage.
M. le président. La parole est de nouveau à Mme Huguette Bello.
Mme Huguette Bello. « La croissance décroche » ; « L'inflation rogne le pouvoir d'achat » ; « Première baisse de l'emploi salarié depuis 2012 » ; « Le chômage et son halo augmentent » ; « Une année très difficile pour l'agriculture » ; « Le nombre de permis de construire se replie ». Ces phrases ne sont pas les critiques d'une opposition trop virulente, mais les titres des principaux chapitres de la brochure que l'INSEE consacre au bilan économique de La Réunion en 2018. On est bien loin des ambitions de la trajectoire 5.0, et le projet de loi de finances pour 2020 ne paraît pas en mesure de combler l'écart malgré le rétablissement de quelques mesures, réclamé depuis de longs mois.
De manière étonnante, le budget proposé ne tient pas compte de l'un des mouvements sociaux qui ont le plus durement secoué La Réunion. Il souffre également d'un manque de visibilité, d'autant plus pénalisant qu'il est lié à la réforme des exonérations de charges sociales patronales dont la compensation représente 60 % de la mission « Outre-mer ». Les crédits non répartis ne cessent d'augmenter tandis que l'ensemble de la mission est soumis aux variations de l'action 01, relative à ces exonérations.
Ce budget se révèle aussi de plus en plus déconnecté de la réalité avec la suppression, sans autre forme de procès, des crédits de paiement non utilisés. Près de 100 millions d'euros disparaissent précisément là où les attentes sont parmi les plus fortes : moins de crédits pour le logement, secteur où les besoins sont connus depuis très longtemps et où les blocages ne relèvent pas seulement d'une ingénierie de projet défaillante ; chute des crédits pour les infrastructures publiques, alors que le FEI devait récupérer chaque année les 70 millions issus de la réduction de l'avantage sur l'impôt sur le revenu. Comme nous le craignions, le compte n'y est pas.
Doit-on conclure qu'en vertu du principe d'annualité budgétaire ces montants ne seront pas réinjectés dans les économies des outre-mer comme prévu ? Ne faudrait-il pas innover de sorte que le budget de la mission "Outre-mer" soit tourné vers l'avenir, en impulsant de nouvelles actions davantage ciblées sur nos atouts, comme un fonds bleu, une dotation circuits courts ou encore un plan recyclage qui pourraient incarner la stratégie 5.0 au sein même de la mission ?
M. Dino Cinieri. Bravo, c'est très vrai !
Mme Ericka Bareigts. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. Madame la députée, je partage votre avis quant à la création d'un fonds 5.0, que j'annoncerai sans doute d'ici la fin de l'année. J'espère bénéficier à cette occasion de votre soutien à tous, nécessaire pour insuffler une dynamique. Je ne peux en revanche pas vous laisser dire que les aspirations et les revendications des Réunionnaises et des Réunionnais n'ont pas été entendues. Vous savez que je suis à leur écoute.
Mme Huguette Bello. Non, je ne le sais pas.
Mme Annick Girardin, ministre. Nous avons répondu à la question principale, celle de leur pouvoir d'achat. Tout d'abord, la prime d'activité représente 50 millions d'euros supplémentaires distribués à soixante-douze foyers de la Réunion, soit une augmentation de 43% des fonds versés. Tous outre-mer confondus, la hausse s'établit à plus de 100 millions d'euros. Grâce aux exonérations de cotisations d'assurance chômage décidées l'an dernier, que vous avez évoquées, les salariés payés au SMIC ont obtenu un gain de 21,90 euros par mois. Pour une personne rémunérée au niveau de deux SMIC, cela représente 526 euros de revenu supplémentaire par an.
La suppression de la taxe d'habitation, dont nous avons également débattu à La Réunion, se traduit par une hausse de pouvoir d'achat de 132 millions d'euros pour les outre-mer, dont une partie pour La Réunion. Les allégements supplémentaires liés aux exonérations de charges votées en 2019, ou au titre du projet de loi de finances pour 2020, s'élèvent à 160 millions d'euros pour les salaires jusqu'à deux SMIC. Voilà qui devrait donner un coup de pouce à l'emploi à La Réunion, comme dans les autres territoires. Les premiers résultats peuvent déjà être constatés. (Mmes Ericka Bareigts et Huguette Bello protestent.)
Mme Huguette Bello. Quels résultats ?
Mme Annick Girardin, ministre. Nous avons également doublé les crédits dédiés à l'Observatoire des prix, des marges et des revenus, l'OPMR, afin de soutenir les travaux consacrés au coût de la vie dans les territoires d'outre-mer et de nous permettre de répondre aux questions soulevées.
Enfin, vous le savez, nous avons nommé un délégué interministériel à la concurrence outre-mer, qui mène notamment des études à La Réunion et pourra lui aussi travailler sur le sujet du coût de la vie.
Je suis très ouverte et reconnais l'importance du débat. Néanmoins, je ne peux vous laisser dire que nous n'avons pas entendu les Réunionnais.
Mme Huguette Bello. Mais je le dis !
Mme Annick Girardin, ministre. La situation est grave. Le plan Pétrel, annoncé par le Président de la République, a pour objectif de renforcer nos propositions avec des moyens complémentaires au budget des Outre-mer. En toute franchise et honnêteté, l'effort pour La Réunion est sans doute le plus important jamais consenti. Je suis prête à en débattre avec vous,…
Mme Ericka Bareigts. Cessez de dire cela. Je dispose de chiffres différents. Dites la vérité !
Mme Annick Girardin, ministre. …chiffres à l'appui. (Mme Ericka Bareigts proteste.)
Mme Huguette Bello. Je porte la parole des miens, madame.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Claireaux.
M. Stéphane Claireaux. La mission « Outre-mer » a pour but d'améliorer le quotidien des ultramarins, de mieux accompagner nos territoires et de soutenir les politiques du logement et de l'emploi.
Je souhaiterais vous interpeller sur les deux premiers points, madame la ministre, dans la perspective d'améliorer la visibilité des outre-mer et la compréhension de leurs problèmes. Il s'agit de sujets essentiels, car ils traversent plusieurs champs de l'action publique : ils peuvent concerner l'égalité des chances comme l'attractivité des territoires – et, de ce fait, la représentation de nos territoires dans l'esprit de nos concitoyens.
À l'heure où le délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer est en passe d'être remplacé, il faut développer les politiques publiques en faveur d'une meilleure visibilité des outre-mer, d'une meilleure compréhension et d'une meilleure reconnaissance des spécificités de nos territoires pour en faire autant de facteurs d'attractivité.
La visibilité ultramarine commence à s'améliorer, grâce au pacte de visibilité des outre-mer, signé avec France Télévisions, que vous avez voulu et obtenu avec le soutien d'un groupe de parlementaires, sénateurs et députés, très investis et déterminés. Je salue ici mes collègues Raphaël Gérard et Maina Sage, avec qui j'y ai activement contribué.
Notre socle républicain – s'agissant en particulier de l'égalité des chances – sortira renforcé d'une meilleure connaissance et compréhension de l'outre-mer par nos concitoyens de l'hexagone, dans les différentes sphères de la société.
Quels moyens le Gouvernement compte-t-il donc mettre en oeuvre pour renforcer la visibilité de nos territoires et l'égalité des chances, afin d'aider nos concitoyens ultramarins, dans l'hexagone comme dans nos territoires, à prendre la place qui leur revient au sein de la République ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM et sur les bancs du groupe UDI-Agir.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. Vous évoquez la visibilité des territoires ultramarins, une question sensible qu'il nous faut traiter, d'abord dans les médias : c'est le sens du pacte que nous avons proposé à France Télévisions et que nous avons signé, M. le ministre de la culture et moi-même. Je vous remercie, tout comme les députés Raphaël Gérard et Maina Sage, et d'autres encore, d'avoir participé à ces travaux et rendu possible ce pacte, en déterminant des objectifs, des indicateurs et des mécanismes qui permettront d'améliorer la visibilité des territoires d'outre-mer.
France Télévisions applique déjà le pacte, comme j'ai pu moi-même le constater depuis deux mois. De véritables changements sont intervenus ; réjouissons-nous que l'outre-mer soit davantage présent sur les chaînes du groupe.
Quant au poste de délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer, vous savez que son ancien titulaire, Jean-Marc Mormeck, a décidé de rejoindre le conseil régional d'Île-de-France afin d'y travailler pour les quartiers. Je profite de votre question pour le remercier de son implication ces trois dernières années aux côtés des ultramarins, pour défendre leurs droits au niveau national.
Je crois néanmoins que le périmètre de ce que l'on appelait la DIECFOM doit évoluer. J'ai ainsi proposé au Premier ministre, d'une part, de créer une délégation interministérielle pour la visibilité des outre-mer et l'égalité des chances des Français en outre-mer, et, d'autre part, de la rattacher non plus au Premier ministre mais au ministère des outre-mer. Il s'agit ainsi de renforcer l'intégration entre l'équipe du ministère, LADOM et la délégation, pour une plus grande cohérence des politiques menées par les différents acteurs travaillant à la visibilité des ultramarins en métropole.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 18 novembre 2019