Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes à RTL le 18 janvier 2016, sur la sécurité et les accidents des essais cliniques de phase 1.

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Intervenant(s) : 
  • Marisol Touraine - Ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

YVES CALVI
Olivier MAZEROLLE, vous recevez ce matin la ministre de la Santé, Marisol TOURAINE.

OLIVIER MAZEROLLE
Bonjour Marisol TOURAINE.

MARISOL TOURAINE
Bonjour Olivier MAZEROLLE.

OLIVIER MAZEROLLE
A Rennes, l'un des volontaires de l'essai clinique sur une molécule contre la maladie de Parkinson est décédé, quelles sont les nouvelles des cinq autres patients qui sont hospitalisés ?

MARISOL TOURAINE
Leur état est stable, d'après les médecins qui s'occupent d'eux, et je veux d'ailleurs saluer toute l'équipe médicale et l'équipe du CHU de Rennes, qui prend en charge ces victimes d'un essai clinique, ce qui est rarissime, puisque nous n'avons pas, en France, de précédent, avec un accident d'une telle gravité, à l'occasion d'un essai que l'on appelle de phase 1. Un essai clinique c'est quoi ? C'est, une fois qu'on a testé une nouvelle molécule sur des animaux, on voit comment réagit le corps humain, mais normalement, cette molécule apparait comme parfaitement adaptée à l'homme, il s'agit simplement de régler les dosages et de voir éventuellement les effets secondaires. Donc, manifestement, un problème majeur s'est posé, dont il est trop tôt pour identifier la cause. Plusieurs enquêtes sont en cours, plusieurs enquêtes se déploient, j'attends les résultats des premières d'entre elles d'ici la fin du mois, et j'espère que nous pourrons comprendre.

OLIVIER MAZEROLLE
Est-il exact que vous avez été informée seulement jeudi, de l'incident, de l'évènement, alors que le premier volontaire avait été transporté d'urgence à l'hôpital le dimanche ?

MARISOL TOURAINE
C'est exact, et cela fait partie…

OLIVIER MAZEROLLE
Et c'est normal ?

MARISOL TOURAINE
Je dirais qu'une alerte plus rapide aurait été appréciée. Et je ne veux pas rentrer dans les détails aujourd'hui, les enquêtes sont en cours, nous allons préciser exactement ce qu'a été la réaction des uns et des autres, mais c'est vrai que face à un évènement aussi grave, on attendait du laboratoire qu'il se manifeste plus rapidement auprès des autorités sanitaires.

OLIVIER MAZEROLLE
Changeons…

MARISOL TOURAINE
Et puisqu'il y a des victimes…

OLIVIER MAZEROLLE
Attendez, attendez…

MARISOL TOURAINE
Attendez, je voudrais, parce qu'il y a des victimes, qui aujourd'hui sont à l'hôpital, dans une situation médicale difficile…

OLIVIER MAZEROLLE
Leur vie est en danger ?

MARISOL TOURAINE
Je ne peux pas me prononcer, je ne crois pas que ce soit le cas, mais moi je suis très prudente. Les médecins se prononcent au jour le jour, ils sont d'ailleurs dans des états très différents les uns des autres, mais ils sont dans une situation médicale difficile, ils sont pour beaucoup dans une situation sociale, qui les angoisse. Ce sont des personnes qui ont une famille, qui sont pendant cette période privés de revenus, qui sont inquiets de ce que l'avenir leur réserve. J'ai demandé que toute la solidarité nationale puisse se jouer, la Sécurité sociale va mettre en place une prise en charge complète dès maintenant, mais je souhaite, je le dis, que le laboratoire dans lequel a été réalisé l'essai clinique, s'engage lui aussi, directement ou à travers ses assureurs, et que des avances financières puissent être apportées à ces personnes, qui méritent de ne pas voir ajouter l'inquiétude du lendemain, à l'inquiétude médicale et à l'angoisse médicale qui aujourd'hui les occupent.

OLIVIER MAZEROLLE
Donc, vous le disiez tout à l'heure, des enquêtes sont en cours, mais il y a un autre point qui surprend tout le monde, c'est que donc l'alerte a été donnée le dimanche, avec ce premier volontaire, maintenant décédé, qui a été transporté d'urgence à l'hôpital, et néanmoins, le lendemain matin, d'autres volontaires se sont vus administrer de nouvelles doses de cette molécule.

MARISOL TOURAINE
Je ne veux pas me prononcer sur ce point, c'est effectivement un sujet d'interrogation, néanmoins l'enquête est là pour comprendre ce qui s'est passé. Il n'est pas certain que l'état du malade, lorsqu'il est arrivé à l'hôpital dimanche, ait été immédiatement relié à la prise du médicament, puisque le premier réflexe des professionnels de santé…

OLIVIER MAZEROLLE
Mais, le doute pourrait prévaloir, non ?

MARISOL TOURAINE
Le premier réflexe des professionnels a été de penser à un AVC, mais encore une fois, j'entends la remarque que vous faites, c'est un point qui, évidemment, doit être examiné de très près, qui est une question que moi-même, comme ministre, j'ai posée, et j'attends les résultats de l'enquête sur ce point.

OLIVIER MAZEROLLE
Est-ce que le laboratoire concerné, ainsi que la société portugaise qui fournissait la molécule, collaborent pleinement aux trois enquêtes que vous avez évoquées tout à l'heure ?

MARISOL TOURAINE
Oui. Le laboratoire qui produit la molécule, le centre privé d'essais cliniques, coopère avec les différentes enquêtes, je crois d'ailleurs que personne n'a intérêt à ne pas comprendre ce qui s'est passé. C'est un enjeu majeur. C'est un enjeu pour ces laboratoires, c'est un enjeu pour la recherche clinique, parce que les personnes qui se sont engagées, ces volontaires, sains, dans les essais cliniques, doivent être saluées, c'est grâce à des personnes comme elles que la recherche peut avancer, que nous pouvons innover, trouver de nouveaux médicaments, et donc nous devons apporter un cadre qui soit absolument sécurisé. Si nous voulons pouvoir continuer, en toute sérénité, notre recherche, si nous voulons qu'à l'échelle mondiale la recherche se poursuive, nous devons apporter des garanties aux volontaires qui s'engagent dans ces travaux.

OLIVIER MAZEROLLE
Vous évoquiez tout à l'heure ce qui était une première phase d'essais, donc c'est du passage de l'essai de l'animal…

MARISOL TOURAINE
A l'homme.

OLIVIER MAZEROLLE
… à l'homme. Etait-t-il normal que pour une première phase comme ça, on concerne 90 personnes et pas seulement quelques personnes ? On démultiplie les risques.

MARISOL TOURAINE
Ce que l'on appelle les essais cliniques de phase 1, c'est-à-dire la première étape de ces essais sur l'homme, portent en général sur quelques dizaines de personnes. Ce sont 90 personnes qui ont reçu le médicament, d'autres étaient partie prenante de l'essai clinique, mais ont reçu ce que l'on appelle un placébo, c'est-à-dire qu'elles ne savaient pas qu'elles n'avaient pas le médicament, elles avaient un comprimé qui ne comportait rien. Et donc, au fond, là il y a eu 90 personnes, avec une procédure progressive. L'enquête va montrer si le côté progressif était suffisant et si les choses se sont passées conformément à ce qui avait été décidé.

OLIVIER MAZEROLLE
Vous parliez du courage des volontaires, effectivement, il faut des volontaires, des cobayes, pour essayer un nouveau médicament, mais l'argent joue un grand rôle dans cette affaire, est-ce qu'on arrive à canaliser le volontariat ? Que ça ne soit pas uniquement les personnes démunies qui se précipitent pour servir de cobaye pour sauver la vie d'autres ?

MARISOL TOURAINE
Les personnes qui s'engagent dans des essais cliniques, sont rémunérées. C'est normal, puisque pour beaucoup d'entre elles d'ailleurs, elles doivent interrompre une activité professionnelle, par exemple, ou elles doivent s'absenter de leur famille, c'était le cas pour les volontaires en question, qui étaient pris en charge 24 heures sur 24 dans le centre d'essais cliniques. Les sommes engagées sont relativement limitées, puisqu'un volontaire ne peut pas recevoir plus de 4 500 € par an, donc on ne peut pas considérer que la recherche… on puisse vivre uniquement à partir de ces essais cliniques, mais il faut évidemment encadrer, garantir…

OLIVIER MAZEROLLE
Il y a un registre national pour empêcher la professionnalisation ?

MARISOL TOURAINE
Il y a un registre national pour empêcher notamment que quelqu'un aille dans un centre, dise, « je n'en ai pas fait d'autres », et puis aille ensuite dans un autre centre, pour faire d'autres essais cliniques, ainsi de suite, ce qui pourrait d'ailleurs poser des problèmes d'examens.

OLIVIER MAZEROLLE
En attendant la fin des enquêtes en cours, est-ce que vous envisagez de suspendre les essais cliniques en France ?

MARISOL TOURAINE
Non.

OLIVIER MAZEROLLE
Il y en a eu 821 en 2014.

MARISOL TOURAINE
Non, aucune raison aujourd'hui ne justifie de suspendre les essais cliniques. Il y a un problème majeur, massif, inédit en France, sans précédent en France, nous devons comprendre ce qui s'est passé, mais rien ne justifie d'interrompre l'ensemble des essais cliniques, même si j'imagine que les centres qui les pratiquent aujourd'hui, doivent être encore plus vigilants que d'habitude.

OLIVIER MAZEROLLE
Tout à fait autre chose. La commission d'enquête sur le suicide d'un cardiologue qui s'était jeté par la fenêtre de son bureau à l'Hôpital Pompidou à Paris, juge qu'il y a de graves lacunes dans l'organisation et le fonctionnement de l'hôpital, des médecins réclament le départ de la directrice. Vous allez prendre des sanctions ?

MARISOL TOURAINE
Le rapport qui a été publié hier, est un rapport d'étape et il doit être prolongé d'ici un mois, par le rapport définitif. Pour ma part, je veux qu'on réponde à deux questions : y-a-t-il eu des failles dans l'organisation ? La réponse est clairement oui, lorsque vous lisez ce rapport. Y-a-t-il eu des failles humaines ? Sur ce point là, le rapport n'entre pas dans les détails, il dit que la directrice n'a pas à être sanctionnée, il dit que les instances médicales n'ont pas à être changées, mais il ne rentre pas dans le détail. Je souhaite donc que les travaux se poursuivent, et à l'issue du rapport définitif, je saisirai l'IGAS, l'Inspection Générale des Affaires Sociales, pour que, en particulier, sur la question de l'organisation, des réponses plus solides puissent être apportées et pas simplement pour l'Hôpital Georges Pompidou, parce que la vérité est qu'il n'existe pas de structure, de processus, à même de prendre en compte la souffrance au travail, des médecins, dans notre pays, que ce soit à Georges Pompidou, dans les hôpitaux parisiens ou dans les autres hôpitaux, et donc à partir de ce drame et de cette tragédie, je souhaite que nous puissions mettre en place, en France, au niveau national, une politique résolue, pour répondre à la souffrance qui peut aussi concerne les médecins.

OLIVIER MAZEROLLE
Merci Marisol TOURAINE. Juste un mot, et je pense que vous serez d'accord avec nous, pour saluer aussi la performance de médecins français, tout n'est pas noir dans la médecine française, on entendait tout à l'heure une patiente qui a été opérée sans anesthésie, d'une tumeur au cerveau, et puis il y a ces médecins qui opèrent du cancer du sein, sans traumatiser la malade, c'est formidable. Voilà.

MARISOL TOURAINE
Mais, non seulement tout n'est pas noir, mais la médecine française est aux avant-postes de l'innovation mondiale, et c'est cela qu'il faut mettre en avant, et c'est précisément pour cette raison que nous devons être absolument intransigeants sur la qualité de la recherche et la qualité des essais, parce qu'il y va évidemment de la poursuite de l'excellence de la médecine française.

OLIVIER MAZEROLLE
Merci.

YVES CALVI
A Rennes, la ministre annonce ce matin la stabilité de l'état de santé des volontaires ayant testé une nouvelle molécule. Elle confirme avoir été prévenue tardivement de la situation. Un appui financier va par ailleurs être apporté aux familles des volontaires.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 janvier 2016 
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 novembre 2014