Texte intégral
Monsieur le préfet de police,
Mesdames et messieurs les députés,
Madame la maire,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le président du CRIF,
Mesdames et messieurs les responsables des cultes,
Mesdames et messieurs,
Aujourd'hui, j'ai envie de parler d'espoir.
J'ai envie de parler de ces milliers d'anonymes, rassemblés place de la République pour dire « non » à l'antisémitisme, non aux agressions, non à la violence aveugle et inepte.
J'ai envie de parler de cette foule, nombreuse et émue, rassemblée le long de la rue Soufflot pour accompagner Simone Veil vers sa dernière demeure.
J'ai envie de vous parler des hommages à Claude Lanzmann, de notre peine commune après le décès de Richard Loinger. Je veux parler des témoignages des derniers rescapés des camps de la mort, qui ont toujours, avec force et dignité, appelé à la paix et au rassemblement.
Aujourd'hui, j'ai envie de me rappeler ces jours, il y a plus de 200 ans, ce 28 septembre 1791, où le député Adrien Dupont montait à la tribune de l'Assemblée nationale et réclamait l'égalité. L'égalité parfaite entre les Français quel que soit leur culte. L'égalité pour les juifs de France.
Très vite, à l'approbation tonitruante des républicains succède les cris indignés des réactionnaires.
Le Président de l'Assemblée nationale de l'époque prend alors la parole et clôt les échanges : « je demande que l'on rappelle à l'ordre tous ceux qui parleront contre cette proposition, car c'est la Constitution elle-même qu'ils combattront. ».
Quelques jours plus tard, les juifs en France devenaient enfin des Français, juifs.
Plus de 200 ans se sont écoulés – et pourtant ces mots raisonnent encore.
Ces mots incarnent ce que sont notre République et notre laïcité : une égalité chevillée au corps, qui accepte chacun et laisse la liberté à tous, dès qu'ils acceptent d'être des citoyens.
Remettre en cause cette égalité, ce n'est pas seulement s'attaquer à quelques-uns, c'est remettre en cause toute la communauté nationale, c'est faire vaciller notre unité.
Plus de 200 ans se sont écoulés – et, trop de fois, notre histoire a bégayé. Trop de fois, nous avons manqué à notre serment républicain.
Je pense à Dreyfus, broyé par le mensonge.
Je pense à Léon Blum, accablé par la haine.
Je pense au Vel d'Hiv, où la France n'était plus la France et l'humanité a détourné le regard.
Plus près de nous je pense à ces croix gammées, dessinées à côté du portrait de Simone Veil. Je me rappelle les tombes renversées du cimetière de Quatzenheim et le mémorial d'Ilan Halimi profané.
Je me souviens de ces coups, assénés en février à un jeune de 16 ans au Pré-Saint-Gervais sous les cris de « sale juif ».
Je garde en tête, encore, les coups de poing et le pistolet braqué, ici même, à Paris, en avril contre une personne qui n'entendit de ces agresseurs que des insultes antisémites.
« Sale juif » : voilà les mots ignobles que l'on entend encore en 2019 dans certaines rues de France.
Cette vérité, nous devons la regarder en face.
Nous devons réagir fort et systématiquement.
Nous devons dénoncer, appeler le mal par son nom, condamner sans pudeur, condamner sans « mais ».
L'antisémitisme, c'est la haine de l'autre.
L'antisémitisme, c'est la bêtise et la violence.
L'antisémitisme, c'est un affront à la République, c'est une atteinte à la France.
Nous devons être intraitables.
Devant vous, le 20 février, le Président de la République avait fait une promesse : « plus jamais ça ».
Cette promesse, aujourd'hui, je veux la porter à mon tour. Je veux vous dire que nous sommes à l'oeuvre, que beaucoup a été fait et que beaucoup le sera encore.
Vous protéger c'est mon devoir en tant que ministre de l'Intérieur en charge de la sécurité des Français et de garantir le respect de la laïcité. Car la laïcité est vigilante, active. Elle est le droit, pour tous ceux qui acceptent les lois de la République, de croire ou de ne pas croire et d'exercer librement et sans danger son culte.
Mais vous protéger, c'est aussi mon devoir en tant que citoyen, en tant que républicain. C'est le devoir de tous ceux qui aiment la liberté et qui croient en nos valeurs.
Dès mon entrée en fonction au ministère de l'Intérieur et encore une fois après la vague d'atteintes antisémites de l'hiver dernier, j'ai passé aux préfets et aux forces de l'ordre des consignes très claires. Je veux une tolérance zéro contre l'antisémitisme. Je souhaite que toutes les enquêtes soient menées, les auteurs retrouvés et que la justice soit rendue.
Je veux aussi que la parole se libère, que personne n'ait peur de porter plainte, que personne n'ait honte de porter plainte.
Chacun doit savoir qu'il sera bien accueilli et pris en charge lorsqu'il déposera plainte.
Ensuite, j'ai réaffirmé qu'aucun culte ne devait s'exercer dans la peur, que chacun devait être libre de pratiquer sa religion. C'est pour cette raison que nous continuons à assurer la sécurité des lieux de culte et que les synagogues font l'objet d'une vigilance particulière dans le cadre des patrouilles Sentinelle. C'est pour cette raison, aussi, que nous continuons à soutenir la sécurisation de certains lieux de culte. A l'heure actuelle, 800 lieux de culte juifs font l'objet d'une surveillance renforcée : c'est un engagement fort, un engagement auquel je tiens.
Mais parler d'actes antisémites, ce n'est finalement que parler d'une partie du problème.
Aujourd'hui, l'antisémitisme se répand en ligne. Lâchement dissimulés derrière des écrans, des haineux anonymes propagent les insultes et les fantasmes. Vaincre la haine en ligne est un des combats du Gouvernement, car ce sont bien souvent les mots lus et relus sur les réseaux sociaux et autres forum qui banalisent et créent la violence physique.
Une plateforme a donc été créée, capable d'agir vite contre les commentaires haineux. L'idée est de pouvoir signaler rapidement pour supprimer rapidement. A ce jour, plusieurs milliers de signalements ont d'ores et déjà été réalisés et tout est mis en oeuvre, ensuite, pour retirer au plus vite les propos, retrouver leurs auteurs et donner les suites pénales appropriées.
Nous continuons le combat contre la haine en ligne et la proposition de loi de la députée Laetitia Avia devrait nous permettre de renforcer nos outils.
Mais si je parle des insultes directes, je n'oublie pas que l'antisémitisme avance bien souvent masqué. Pour attaquer les juifs, on utilise une rhétorique détournée. On prend des opinions et on les dévoie.
Je veux donc le dire sans aucune ambiguïté : bien souvent, trop souvent, l'antisionisme n'a rien à voir avec la critique de la politique étrangère de l'Etat d'Israël. Bien souvent, trop souvent, l'antisionisme est le faux-nez de l'antisémitisme.
Evidemment, il n'est pas question de remettre en cause la liberté d'expression. J'y suis trop attaché et je le refuse strictement. Il est question de mettre un terme aux agissements de ceux qui se jouent de nos lois et de nos libertés ; de ceux qui dénaturent les idées pour mieux proclamer leur haine.
C'est la raison pour laquelle nous sommes vigilants à ce que le droit soit appliqué strictement et systématiquement lors des manifestations appelant au boycott de l'Etat d'Israël. Aucun débordement ne peut être toléré et les forces de l'ordre se tiennent prêtes à intervenir immédiatement.
Mais il fallait aller plus loin encore et c'est ce qu'a demandé le Président de la République en décidant d'adopter la définition de l'antisémitisme de l'Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah.
Nous n'allons pas manquer à cet engagement. Le député Sylvain Maillard s'est saisi de ce sujet et une proposition de résolution en ce sens a été déposée. Les députés l'examineront le 3 décembre : c'est une bonne nouvelle pour tous les combattants de l'égalité.
La lutte contre l'antisémitisme passe par les mots. Elle passe aussi par des actes, des actes forts.
Depuis des mois, des associations se pensaient au-dessus des lois. Elles appelaient à la haine et l'action violente. Une atteinte aussi ostensible aux valeurs de la République et un danger pour la société ne pouvaient plus être tolérés.
Le 20 février, le Président a demandé la dissolution du Bastion social, de l'association « Blood and Honor Hexagone » et de leurs groupuscules associés. Alors nous sommes passés à l'acte : le 24 avril, le Bastion social était dissout ; le 24 juillet c'était au tour de « Blood and Honor Hexagone ».
Ce sont des taches lavées au front de la République. J'ai demandé maintenant aux services de renseignement et aux forces de l'ordre d'être extrêmement vigilants pour que ces groupes ne puissent pas se reformer.
Ces décisions de dissolution étaient des messages clairs. Elles étaient des actions lourdes de sens et en responsabilité. Nous sommes sans ambiguïté : la haine ne gagnera pas, c'est la République qui emportera ce combat.
Mais malgré ces avancées, je garde une conviction profonde : on ne peut guérir un mal si on n'en soigne pas les causes. Et je suis convaincu que cette cause, c'est l'ignorance.
L'ignorance est un poison en République. Avec l'ignorance, les personnes s'imaginent plus qu'elles ne se connaissent. Avec l'ignorance, les fantasmes deviennent des réalités. Avec l'ignorance, la haine et la violence trouvent un terreau fertile.
Nous devons lutter contre l'ignorance. Nous devons la combattre de toutes parts et par tous moyens.
C'est par le savoir que nous gagnerons la bataille de la tolérance.
C'est par la connaissance que nous pourrons bâtir une République apaisée, une République du respect.
C'est pourquoi, à nouveau, nous avons agi. Nous avons augmenté de 50% le financement de l'Etat au mémorial de la Shoah. Nous l'avons porté à 1 million 500 mille euros cette année. Nous allons continuer et nous le porterons à 2 millions d'euros l'an prochain.
Grâce à ces financements, 10 000 élèves supplémentaires pourront visiter le mémorial. 10 000 élèves en plus, qui sauront, parce qu'ils auront vu la haine dans son expression la plus noire, l'antisémitisme quand il est à l'oeuvre.
Mesdames et messieurs,
La France a une devise : liberté, égalité, fraternité. Cette devise doit être notre boussole, notre guide.
C'est elle qui offre les fondements de notre laïcité. Une laïcité qui permet à chacun d'exercer librement son culte dès lors qu'il respecte notre Constitution et ses valeurs.
La liberté de culte n'est pas négociable. La laïcité n'est pas négociable. La protection de tous et de chacun n'est pas négociable.
Les Français de confession juive ont dit et répété leur attachement à la République. Ils ont combattu pour elle. Ils ont cherché, ils ont créé, ils ont peint et écrit pour elle. Ils ont vécu et ils sont morts pour elle.
Ils l'ont fait, avec à leur côtés, des chrétiens, des musulmans, des athées, autant de Français qui comme eux ne connaissaient que les lois de la République et étaient fidèles à un idéal.
Cet idéal, nous devons continuer à l'incarner, continuer à le faire vivre. Nous devons être fermes face à la haine et intransigeants face à l'antisémitisme.
Nous allons continuer à agir et garantir à chacun, à chaque Français, à chaque juif de France, la sécurité et la liberté.
Vive la République ! Vive la France !
Source http://www.crif.org, le 3 décembre 2019