Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à France Inter le 2 décembre 2019, sur la réforme des retraites.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Avec Léa SALAME, nous recevons ce matin dans « Le grand entretien du 7/9 », le ministre de l'Economie et des Finances. Dialoguez avec lui, vos questions au 01 45 24 7000, sur les réseaux sociaux et l'application mobile de France Inter. Vos aurez la parole dans une dizaine de minutes. Bruno LE MAIRE, bonjour.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Nicolas DEMORAND.

NICOLAS DEMORAND
Et merci d'être à notre micro ce matin. Cheminots, enseignants, contrôleurs aériens, policiers, avocats, étudiants, infirmiers, magistrats, éboueurs, chauffeurs routiers, raffineries, ils n'ont pas les mêmes statuts, pas les mêmes salaires, pas les mêmes retraites, et pourtant ils seront tous mobilisés jeudis, et ils sont tous, pour des raisons différentes, contre la réforme des retraites que vous défendez. Qu'avez-vous à dire à tous ces gens, ce matin, Bruno LE MAIRE, qu'ils ont tort, qu'ils n'ont pas compris, qu'ils sont trop négatifs ou qu'ils sont pleurnichards ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne suis pas là pour juger les manifestations. Les manifestations sont légitimes dans notre pays. Je suis là pour expliquer à quel point le régime de retraite que nous avons construit en 1945, est à bout de souffle. Il est injuste, il est fragile financièrement et il est extraordinairement complexe. Ce que nous proposons avec le président de la République, avec le Premier ministre, c'est de refonder ce système de retraite par répartition, c'est-à-dire un système où ceux qui travaillent cotisent pour ceux qui ne travaillent plus, où la solidarité est remise au coeur de ce projet de retraite nationale. C'est ça que j'ai envie de leur dire. Donc regardons ensemble quels sont les grands paramètres de cette réforme, ce que nous voulons construire et faisons, en sorte que le régime de retraite par répartition qui est au coeur du contrat social français, puisse continuer à vivre dans les années qui viennent.

LEA SALAME
On va en parler, on va parler de cette réforme systémique, vous allez essayer de nous éclairer, puisque c'est vrai qu'aujourd'hui on a du mal à savoir ce que vous proposez déjà. Mais d'abord sur la grève, craignez-vous que le pays soit bloqué pendant plusieurs jours et que pensez-vous de la proposition de la droite d'instaurer un vrai service minimum dans les transports aux heures de pointe ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, nous nous attendons effectivement à une mobilisation qui est forte le 5 décembre prochain, jeudi prochain. Il y aura un service minimum qui sera mis en place suivant les textes de loi, mais je crois que le plus important c'est surtout que nous regardions ce que propose le gouvernement en matière de réforme des retraites. Pourquoi est-ce que nous voulons le faire ? Garantir un système par répartition qui soit un système de solidarité. Comment nous allons le faire ? Progressivement, on va prendre personne de cours. Est-ce qu'il reste des choses à discuter ? Bien entendu. Et je pense que c'est sur cette discussion, aujourd'hui, qu'il faut se consacrer.

LEA SALAME
Pas de service minimum. Pas besoin de faire un service minimum aux heures de pointe ?

BRUNO LE MAIRE
Je dis qu'il y a des textes législatifs de service minimum qui seront évidemment mis en place, mas que le plus important c'est qu'on ait une perspective de sortie de la crise et qu'on en finisse avec les affrontements, bloc contre bloc, qui ne sont pas bon pour le pays. Ce qui est bon pour le pays, c'est un système de retraite par répartition dont nous devons continuer à discuter ensemble.

NICOLAS DEMORAND
Encore un mot sur le contexte, qu'on ne peut pas mettre entre parenthèses avec les Gilets jaunes et avec la réforme des retraites. L'ancien patron de la CGT, Bernard THIBAULT, estime que le climat social est plus dégradé aujourd'hui qu'en 1995 lors des grandes grèves contre la réforme des retraites d'Alain JUPPE. Climat plus dégradé, et le malaise est plus grand. Est-ce qu'il a tort ?

BRUNO LE MAIRE
D'abord, je ne ferai pas ce genre de comparaison, conflit social contre conflit social, 1995 contre 2019. Ce qui est certain, c'est que les Français comme beaucoup d'autres Européens, sont confrontés à des mutations radicales, mutation de leur métier, mutation des technologies, et que oui il y a une angoisse qui traverse tous les pays européens et qui traverse la France. Mais la bonne réponse à cette angoisse, c'est justement d'aller de l'avant, de faire des propositions qui permettent de garantir à chacun qu'ils auront leur système de retraite. Prenez l'exemple des métiers. Il y a encore 20 ans ou 25 ans on faisait un seul métier tout au long de la vie, donc on pouvait cotiser à une seule caisse de retraite. Demain vous allez cotiser à plusieurs caisses de retraite, c'est d'ailleurs le cas pour quasiment tous les Français qui ont trois caisses de retraite en moyenne. Nous, nous leur disons : plutôt que d'avoir une succession de caisses de retraite, qui va compliquer le calcul de votre retraite, vous ne saurez jamais exactement où vous en êtes, il y aura une seule caisse de retraite pour tous, chaque point cotisé aura la même valeur, ce sera plus juste, et ce sera plus simple. Vous voyez, c'est plutôt en prenant les transformations auxquelles les Français sont confrontés, vraiment, avec le plus d'énergie possible, qu'on peut rassurer les gens, qu'en faisant ce type de comparaison.

LEA SALAME
Alors, on va venir aux métiers, métier par métier, qui gagne, qui perd, mais d'abord une question de calendrier : la fin des régimes spéciaux ce sera quand Bruno LE MAIRE ? En 2025 ?

BRUNO LE MAIRE
Je voudrais juste répondre sur votre expression « qui gagne, qui perd ? ». Il n'est pas question d'avoir une réforme qui fasse des perdants, qui fasse des gagnants. Tout le monde est gagnant. Avoir un système qui tient le coup financièrement sur les années qui viennent, qui est plus simple et qui est plus juste, où chacun touche la même chose, en fonction de ce qu'il a cotisé.

LEA SALAME
On va voir si les enseignants sont gagnants, on va voir si les mères de famille sont gagnantes, on va y venir, mais…

BRUNO LE MAIRE
Non non, mais on ne va pas y venir, parce que c'est absolument fondamental, et je ne veux pas laisser créer le doute là-dessus. Sur les enseignants, on sait bien que leurs modalités de cotisations font qu'il y a des inquiétudes. Mais le ministre de l'Education nationale a été très clair : il faudra qu'il y ait une revalorisation pour que les enseignants n'y perdent pas. Il s'agit pas qu'il y ait des gens à qui on dise : eh bien écoutez, désolé, vous, vous êtes les victimes de la réforme, vous allez perdre. Non, ils ne perdront pas. Sur les femmes et les mères de famille, c'est absolument fondamental. Aujourd'hui, en fonction du nombre d'enfants que vous avez, vous allez toucher une retraite plus importante. Qu'est ce qui est prévu dans notre proposition de réforme ? C'est que dès le premier enfant, vous aurez une revalorisation de votre retraite, dès le premier enfant, 5% de pension de retraite en plus. C'est des choses qui ne sont pas connues.

LEA SALAME
Alors, pourquoi l'institut, Bruno LE MAIRE…

BRUNO LE MAIRE
Et je ne veux pas laisser dire qu'il y aura des gagnants et des perdants, parce que je ne soutiendrai pas une réforme dans laquelle il y aurait des gagnants et des perdants.

LEA SALAME
Ce n'est pas moi qui le dis. Sur les mères de famille, et puis on va revenir sur les enseignants. L'Institut de la protection sociale qui dit, qui a fait des simulations, et qui conclut que les mères de famille vont perdre entre 9 et 17 % de pension, malgré votre bonus de 5%.

BRUNO LE MAIRE
Mais moi, je ne me reconnais pas dans ces chiffres, et je pense qu'il est juste de dire que dès le premier enfant il y a une revalorisation de votre pension de retraite. Après, regardons les chiffres qui sont donnés par les uns et par les autres, nous n'avons pas les mêmes estimations, mais dans les principes fondamentaux de cette transformation des retraites que nous portons, il y a cette idée simple : dès le premier enfant, ça peut avoir une incidence sur votre carrière, nous le savons tous, une incidence sur la progression salariale des femmes, donc il est juste que dès le premier enfant vous ayez une revalorisation de 5 % de votre pension de retraite.

LEA SALAME
Et donc vous nous dites que les mères de famille de 3 enfants ne seront pas perdantes.

BRUNO LE MAIRE
Je ne souhaite pas que les mères de famille de 3 enfants soient perdantes. On va regarder cela, continuer à en discuter, mais ils ne rentreront pas dans cette logique, il y aura des gagnants, il y aura des perdants, parce que nous ne transformons pas le système de retraite pour que certains gagnent et d'autres perdent, nous transformons pour qu'il puisse durer dans les années qui viennent, que ce ne soit pas le règne du chacun pour soi, parce que si on laisse faire, ce sera le règne du chacun pour soi, ceux qui auront un bon salaire, ceux qui pourront se prendre des régimes de retraite complémentaire, des régimes par capitalisation s'en sortiront bien, et puis les autres, ceux qui ont des carrières hachées, les femmes qui touchent déjà des pensions de retraite 42% plus faibles que celles des hommes, les agriculteurs, tous ceux qui ont des pensions de retraite très faibles, ils seront les perdants de ce système qui n'aurait pas été transformé. Nous, nous voulons au contraire garantir un système juste, avec une pension minimale de 1 000 € par mois, avec la prise en compte des carrières hachées, nous voulons remettre de la justice dans ce système de retraite, qui aujourd'hui n'est pas juste.

LEA SALAME
Bruno LE MAIRE, les enseignants, ils sont nombreux à nous écouter ce matin, les fonctionnaires en général. Jusqu'à maintenant leur pension de retraite est calculée sur les six derniers mois, là ça va changer, ce sera toute la carrière qui sera prise en compte. Vous dites, pour les rassurer, qu'on prendre en compte les primes, sauf que pour les enseignants le niveau de primes est le plus bas de toute la Fonction publique, ils ont 9% de prime contre 22% pour le reste des fonctionnaires. Selon les projections on estime que les enseignants vont perdre entre 300 et 600 euros par mois de pension de retraite avec votre réforme, comment leur expliquer qu'ils ne sont pas perdants ?

BRUNO LE MAIRE
Pardon Léa SALAME, mais je pense qu'on découvre la Lune. Je veux rassurer ceux qui nous écoutent. J'ai été moi-même enseignant, et je suis maintenant au ministère des Finances, quand je fais la comparaison, eh bien il y a des fonctionnaires qui ont effectivement de niveau de primes qui sont élevés, et d'autres, les enseignants, qui ont des niveaux qui sont beaucoup plus faibles, donc on va intégrer les primes, ça va être bon pour un certain nombre de fonctionnaires. Pour d'autres, dont les enseignants, ça n'aura pas une grande incidence, donc il faudra qu'il y ait une revalorisation, nous en sommes conscients, et c'est ce qu'il faudra discuter. Donc, vous voyez, sur ces deux points, intégration des primes dans le calcul des retraites, et revalorisation, pour les enseignants, pour qu'ils ne soient pas perdants…

NICOLAS DEMORAND
Ça veut dire augmentation de salaire des enseignants, c'est ça ?

BRUNO LE MAIRE
Ça veut dire revalorisation des salaires des enseignants pour qu'ils ne perdent pas dans cette réforme. De quel montant, sur quelle durée, avec quel calendrier ? On va ouvrir la discussion, mais enfin, là encore, ne laissons pas croire qu'un problème aussi important nous aurait échappé. Et je reviens à cette histoire de justice, parce qu'on oublie les millions, aussi de Français, qui sont les plus modestes, qui ont des niveaux de salaire très faibles, et qui font des petits boulots ici ou là, est-ce que vous savez que, aujourd'hui, quand vous travaillez moins de 150 heures par trimestre, au niveau du SMIC, tout ce que vous avez cotisé pendant vois heures de travail, pour vos retraites, ça ne compte pas pour votre pension de retraite. Si vous avez le malheur de travailler 149 heures dans le trimestre, au niveau du SMIC, eh bien vous avez payé, et vous avez cotisé, mais vous ne toucherez pas votre retraite. Eh bien, le système par points, permet justement de remettre de la justice en garantissant que dès la première heure de travail, ce que vous avez payé pour votre retraite, vous le toucherez à votre retraite.

NICOLAS DEMORAND
Bruno LE MAIRE, les exceptions à la règle vont perdurer pour les policiers et les gendarmes, et toutes les professions qui garantissent la sécurité des citoyens, alors pourquoi, selon vous, seront-ils dans la rue le 5, pourquoi les policiers, eux aussi, s'inquiètent, est-ce que c'est corporatiste de leur part ou est-ce que vous n'êtes pas clairs avec eux ?

BRUNO LE MAIRE
Ne parlons pas de corporatisme, de privilèges, moi je suggère qu'on abandonne ces mots si on veut entamer une discussion sereine et responsable sur…

LEA SALAME
C'est le gouvernement qui le dit, pardon !

BRUNO LE MAIRE
Mais ce n'est pas les mots qui j'emploie.

LEA SALAME
Oui, peut-être, mais Agnès BUZYN, la semaine dernière, parlait de revendications corporatistes.

BRUNO LE MAIRE
Ce ne sont pas les mots que j'emploie, ni corporatisme, ni privilèges. Vous êtes cheminot aujourd'hui, vous êtes rentré à la SNCF, vous avez 25 ans, vous avez signé votre contrat, dans le contrat il y avait le régime spécial, ils n'ont pris personne en traître, ils n'ont fait que respecter la loi, ils se sont engagés, ils ont accepté des contraintes et un régime spécial de l'autre. Ces régimes spéciaux, on ne veut pas les garder parce que c'est inéquitable par rapport au reste de la société, mais ce n'est pas une raison pour stigmatiser ceux qui aujourd'hui ont signé leur contrat de bonne foi. S'agissant des policiers, moi je pense que le malaise dépasse de loin la question des retraites. D'abord, vous l'avez dit Nicolas DEMORAND, et c'est important, ils garderont un système spécifique parce qu'ils risquent leur vie pour nous, tout simplement, ils risquent leur vie, tous les jours, pour nous. Mais je crois que le malaise des policiers il va beaucoup plus loin que là, il rejoint la question de l'autorité, du respect de l'autorité, des violences auxquelles ils sont confrontés de plus en plus souvent, je crois qu'une des réponses qu'on peut leur apporter c'est la considération et le respect que nous portons à tous les policiers de France.

NICOLAS DEMORAND
Egalement dans la rue, à l'appel du Conseil national des Barreaux, les avocats qui veulent sauver leur régime autonome, selon eux ce régime fonctionne parfaitement, ne coûte pas 1 euro à l'Etat. C'est un système, je le dis en deux mots, autofinancé, faible cotisation, forte redistribution, qui garantit 1450 euros de pension par mois à tout avocat qui a fait une carrière pleine. Aujourd'hui on leur demanderait de cotiser deux fois plus pour toucher 30% de moins. Là encore, que leur dites-vous ?

BRUNO LE MAIRE
Je leur dis que les métiers vont évoluer, et à tous qui viennent me voir en me disant « écoutez, nous… »

NICOLAS DEMORAND
Qui est-ce ?

BRUNO LE MAIRE
Ils me disent beaucoup, il n'y a pas que les avocats, il y a beaucoup de professions qui viennent me voir et qui me disent « nous, notre caisse de retraite est à l'équilibre », en gros « on ne veut pas cotiser pour les autres. » D'abord, sur le principe, je redis qu'il faut mettre de la solidarité dans notre système, c'est-à-dire que nous cotisions tous, ceux qui travaillent, pour ceux qui ne travaillent pas, c'est la meilleure façon de garantir la pérennité d'un modèle par répartition auquel nous sommes attachés. Ensuite, il y a des métiers qui vont disparaître, vous avez l'intelligence artificielle, vous avez l'accélération des transformations technologiques, donc tous ceux qui sont à l'équilibre dans leur système de retraite, peuvent d'ici 5 ans, ou 10 ans, se retrouver en déséquilibre, c'est les mêmes, qui se plaignent aujourd'hui, qui viendront toquer à la porte du bureau du prochain ministre des Finances pour lui dire « écoutez, aidez-nous, parce que là notre système de caisse de retraite il est déséquilibré. » Donc je pense que la responsabilité c'est de voir sur le long terme, de comprendre que les métiers changent, changent très vite, qu'il y a des professions qui disparaissent, et que donc un système cloisonné, retraite par retraite, profession par profession, caisse par caisse, celui qu'on a construit depuis 1945, en empilant la complexité, en empilant les caisses, 42 régimes aujourd'hui, c'est un système qui ne tient plus la route, et qu'il vaut mieux le remplacer par un système où tous ceux qui travaillent cotisent pour ceux qui ne travaillent pas.

LEA SALAME
La grande inquiétude, vous le savez Bruno LE MAIRE, la grande inquiétude dans un système de retraite à point, c'est la valeur du point. En Suède, qui est passé à un régime à points, quand il y a eu la crise financière le point a baissé, qu'est-ce qui nous garantit que dans la même situation, s'il y a une crise financière, dans 5 ans, dans 10 ans, eh bien le gouvernement, qui sera aux manettes, ne baissera pas le point ?

BRUNO LE MAIRE
Mais la valeur du point doit être sanctuarisée, c'est un des points clés de la réforme, qu'il n'y ait pas d'inquiétudes sur la baisse du point. La valeur du point elle doit être alignée sur les évolutions de salaires, pour que personne n'y perde. Il faut que cette valeur du point chacun puisse regarder cette évolution, quand je dis chacun c'est quoi ? C'est l'Etat, c'est aussi les partenaires sociaux, moi ça ne me dérange pas que les partenaires sociaux puissent évaluer cette valeur du point, regarder, avoir un droit de regard.

LEA SALAME
Est-ce qu'ils vont participer à la fixer cette valeur du point ?

BRUNO LE MAIRE
Ça fait partie de la discussion.

LEA SALAME
Oui, mais ce n'est pas tranché ?

BRUNO LE MAIRE
Ça fait partie de la discussion, que les partenaires sociaux puissent avoir un droit de regard, participer à la fixation, tout ça le Premier ministre le décidera avec le président de la République dans les semaines qui viennent, mais c'est ouvert, et abordons tous ces points de manière ouverte. Moi je veux rassurer simplement sur les points fondamentaux, avoir un système de retraite qui garantit à tous les jeunes qui nous écoutent, demain vous aurez une retraite parce que tous ceux qui travaillent cotiseront pour ceux qui ne travaillent pas, ce sera simple, la valeur du point elle sera sanctuarisée, les partenaires sociaux auront un droit de regard sur cette valeur du point, je pense que c'est des choses qui doivent rassurer. Et si le message que je pouvais faire passer ce matin, c'est qu'il faut rassurer les Français sur ce que nous voulons faire, leur montrer que c'est juste, que c'est simple, c'est cette bataille-là qu'il faut engager.

NICOLAS DEMORAND
L'OCDE… la prémisse de votre raisonnement, Bruno LE MAIRE, c'est de dire que le système de retraite français tel qu'il est aujourd'hui est menacé, fragile…

LEA SALAME
A bout de souffle.

NICOLAS DEMORAND
Et à bout de souffle. L'OCDE a publié un rapport sur différents systèmes de retraite, qui conclut que la France offre, je cite, une très bonne protection sociale aux retraités, que le système est très bon. S'il est très bon, pourquoi le réformer ? C'est une question simple.

BRUNO LE MAIRE
Il est très bon au sens où aujourd'hui chacun touche se retraite, il est à bout de souffle au sens où il est trop complexe, où, je le redis, il est injuste, notamment pour les personnes les plus fragiles, celles qui ont les salaires les plus modestes, notamment les femmes, notamment les femmes, celles qui ont des carrières hachées, qui ont des niveaux de salaire modestes, et personne ici, ni dans ce studio, ni nos auditeurs, ne peuvent se satisfaire d'un système qui est aussi injuste. Et par ailleurs, Nicolas DEMORAND…

NICOLAS DEMORAND
Mais un système de retraite qui offre une très bonne protection sociale aux retraités, est-ce que ce n'est pas son but ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien, avec 7 à 17 milliards d'euros de déficit, dont on ne sait pas comment est-ce qu'on va le combler à l'avenir, moi j'estime…

NICOLAS DEMORAND
C'est un autre sujet.

LEA SALAME
Ça c'est un autre sujet…

BRUNO LE MAIRE
C'est un sujet complémentaire, absolument essentiel, c'est-à-dire que si nous voulons garantir aux Français en responsabilité que notre système de retraite par répartition où ceux qui travaillent cotisent pour ceux qui ne travaillent pas est garanti dans les années à venir, quelle que soit la situation économique, quelle que soit la situation financière, il faut qu'il y ait un équilibre financier, vous ne partez pas avec un déficit qui est évalué par le Conseil d'orientation des retraites entre 7 et 18 milliards d'euros…

LEA SALAME
Aujourd'hui, il est à l'équilibre ou pas le système ?

BRUNO LE MAIRE
Je regarde les conclusions du Conseil d'orientation des retraites…

LEA SALAME
Aujourd'hui, à l'heure où on parle, il parle de 2025, aujourd'hui, est-ce qu'on est à l'équilibre ou pas ?

BRUNO LE MAIRE
Au moment où nous ferons la réforme des retraites, où elle commencera à s'appliquer, ce que nous avons envisagé, 2025, il ne sera plus à l'équilibre, de quel montant ? 7 à 18 milliards d'euros. C'est ce que dit le Conseil d'orientation des retraites.

LEA SALAME
Donc il faut le réformer, Bruno LE MAIRE, il ne faut pas que cette réforme entre en vigueur, on ne peut pas imaginer qu'elle entre en vigueur si les comptes ne sont pas à l'équilibre.

BRUNO LE MAIRE
Je pense que ce serait irresponsable d'engager cette réforme des retraites sans que le système de retraite soit à l'équilibre, alors j'ai bien entendu ce que dit Laurent BERGER sur le sujet, c'est un des points très importants la discussion que nous avons en cours, moi ce que j'ai envie de dire à Laurent BERGER, le patron de la CFDT, c'est que nous nous rejoignons sur tous les points fondamentaux, est-ce qu'il faut une réforme des retraites par points ? La CFDT dit oui, nous disons oui, est-ce qu'il faut tenir compte davantage de la pénibilité, y compris pour les fonctionnaires, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, la CFDT dit oui, nous disons oui aussi, est-ce qu'il faut avoir un dispositif de carrières longues, la CFDT dit oui, nous disons oui aussi, donc…

LEA SALAME
Alors pourquoi il n'est pas content Laurent BERGER ?

BRUNO LE MAIRE
Parce qu'il y a un point sur lequel effectivement nous avons aujourd'hui des vues qui sont différentes, mais ça fait partie aussi de la démocratie, nous, nous estimons qu'il faut partir à l'équilibre, et que par conséquent, il faut prendre un certain nombre de décisions pour que ce régime démarre bien, sur de bonnes bases, de manière responsable, Laurent BERGER, lui, et il l'a encore redit ce matin, a une vue différente. Mais discutons de ce point-là, n'écartons pas ce que sont les points fondamentaux d'accords entre la CFDT et le gouvernement pour mettre uniquement en avant les points de désaccord.

LEA SALAME
Alors, si vous alliez au bout de ce que vous voulez faire, c'est-à-dire réduire les déficits d'ici 2025 pour que la réforme entre en vigueur et que les comptes soient à l'équilibre, vous faites quoi, Edouard PHILIPPE a exclu de baisser les pensions ou d'augmenter les cotisations, il reste quoi ? Il reste reculer l'âge de départ ou allonger la durée de cotisations.

BRUNO LE MAIRE
Il y a trois façons de revenir à l'équilibre. La première, c'est : baisser les pensions. C'est hors de question. Edouard PHILIPPE l'a dit, je le redis, c'est absolument exclu. La deuxième façon c'est d'augmenter les cotisations. C'est un peu une solution de facilité, parce que vous faites payer plus, quel va être l'effet ? C'est qu'en augmentant les cotisations le coût du travail va être plus élevé, si le coût du travail est plus élevé ça augmente le chômage. Et donc vous avez moins de personnes qui cotisent pour ceux qui ne travaillent plus. Donc ce n'est pas bon pour les retraites elle-même. Donc ça ne me paraît pas une bonne voie. La troisième, c'est des mesures d'âge, c'est effectivement considérer qu'on démarre par exemple un peu plus tard dans la vie, parce que le niveau d'études augmente et que c'est une excellente chose. Et qu'il faut tenir compte du fait que parce que nous rentrons plus tard dans la vie active, eh bien il faudra travailler un peu plus longtemps. Moi ça me paraît la bonne piste.

LEA SALAME
Jusqu'à quand ?

BRUNO LE MAIRE
Ça me paraît, le sujet, quand je vous dis qu'il y a des sujets de discussion sur la table, ça fait partie des sujets de discussion. Mais je pense qu'il faut rassurer…

LEA SALAME
Donc un âge pivot autour de 64 ans n'est pas…

BRUNO LE MAIRE
Par exemple, par exemple un âge pivot. Il ne faut rien exclure, mais il ne faut pas non plus fermer dès le départ, il faut bien préciser les choses. Qu'est-ce qui est essentiel, qu'est-ce qui peut être discuté ? Ce qui est essentiel, c'est que nous ayons un système qui soit universel, au sens où il soit il repose sur la solidarité. Ce qui est essentiel c'est que nous partions à l'équilibre. Ce qui en revanche peut être discuté, c'est ces modalités de mesures d'âge, c'est à partir de quand on commence la réforme, est-ce que c'est la génération 63 qui part à la retraite dans 5 ans, celle de 68 qui part à la retraite dans 10 ans, celle de 73 qui part à la retraite dans 15 ans ? Discutons tout cela. Est-ce qu'il faut tenir compte de la situation particulière de ceux qui viennent de signer leur régime spécial ? Oui. Donc vous voyez qu'il y a plein de choses que nous pouvons discuter.

NICOLAS DEMORAND
Allez, on est au standard avec Jacqueline. Soyez la bienvenue. Bonjour.

JACQUELINE
Bonjour à tous, bonjour Monsieur le Ministre, bonjour à l'équipe de France Inter. Je voulais tout d'abord rebondir sur les propos de Monsieur le Ministre et qui dit que ce sont les gens qui travaillent qui vont cotiser pour les gens qui ne travaillent plus. Je ne vois pas là une bien grande nouveauté. Je suis à un an et demi la retraite et j'ai toujours cotisé, et pour l'instant je n'ai encore rien perçu de mes cotisations. Et ensuite je voulais savoir ce qu'il allait advenir des retraites de nos élus dans le cadre de cette nouvelle réforme. Merci d'avoir pris mon appel.

NICOLAS DEMORAND
Merci Jacqueline, il y a énormément de questions notamment sur l'application France Inter sur ce thème, Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Alors Jacqueline, je veux rassurer Jacqueline, justement, à l'aide de nouveautés sur les points fondamentaux du système français, qui est que ceux qui travaillent, cotisent pour ceux qui ne travaillent pas. Donc, là-dessus, pas d'inquiétude. Est-ce que les élus doivent être concernés ? Oui, bien sûr. Bien sûr. Il n'est pas question de supprimer tous les régimes spéciaux ou de supprimer des régimes avec des singularités ou les singularités de certains régimes, et que les élus ne soient pas concernés. Donc oui, les élus doivent être concernés, oui les élus seront concernés. Le principe fondamental c'est la justice et l'égalité.

NICOLAS DEMORAND
Maurice au standard. Bonjour et bienvenu Maurice.

MAURICE
Bonjour. Donc voilà ma question : vous parlez monsieur LE MAIRE de justice sociale, donc ma question va être simple : pourquoi avoir supprimé l'ISF puisque la Constitution française de la Révolution française justement, disait que chaque individu doit payer ses impôts en fonction de ses revenus ? Donc ma question : pourquoi avoir supprimé l'ISF qui était est une mesure juste ?

NICOLAS DEMORAND
Merci Maurice pour cette question, là encore elle revient souvent sur l'application France Inter. Bruno LE MAIRE ?

BRUNO LE MAIRE
Maurice a raison sur le principe, chaque personne doit cotiser en fonction de son revenu, et c'est bien le cas, puisque qu'aujourd'hui quand vous regardez l'impôt sur le revenu, l'immense majorité de l'impôt sur le revenu est payée par ceux qui ont les niveaux de salaires, les niveaux de revenus les plus élevés. Donc ce principe de justice il est bien au coeur de la fiscalité française. L'ISF, nous l'avons supprimé pour rendre le pays plus attractif, c'est le cas aujourd'hui, nous sommes devenus le pays le plus attractif en Europe. Ça fait revenir des emplois, ça fait revenir des entreprises. Je pense que c'est une bonne chose. Et puisque vous parlez de justice fiscale, Maurice, permettez-moi de dire un mot sur un sujet qui me tient très à coeur, qui est la taxation des géants du numérique, puisque nous voyons que les Etats-Unis sont en train de faire machine arrière toute et après avoir réclamé une solution internationale à l'OCDE, nous disent : finalement la solution internationale à l'OCDE, on n'est pas sûr d'en vouloir, donc on va simplement se contenter d'imposer des sanctions sur la France qui a décidé une taxation nationale, mon message va être clair : nous n'abandonnerons jamais. Jamais, jamais. Cette volonté de taxer de manière juste les géants du numérique, pour avoir une fiscalité du XXIème siècle qui soit juste et qui taxe les activités digitales.

LEA SALAME
Une petite dernière question Bruno LE MAIRE avant de vous laisser partir. Les entrepreneurs du BTP protestent contre le projet du gouvernement de supprimer l'exonération de taxe, jusqu'à présent en vigueur sur le gasoil non routier. Les pénuries se multiplient autour de Brest, Quimper et Lorient. Le spectre d'une pénurie nationale pèse. Est-ce que vous...vous allez les recevoir, ça c'est tout à l'heure, qu'est-ce que vous allez leur dire ?

BRUNO LE MAIRE
D'abord je vais les recevoir personnellement, je veux discuter avec eux. Je vais leur rappeler toutes les mesures de compensation que nous avons mises en place avec la Fédération nationale des travaux publics. Ils ont une inquiétude particulière, qui est de se dire : eh bien voilà, nous on va payer plein pot désormais le gasoil, il en a d'autres qui ne vont pas le payer plein pot, en particulier les agriculteurs, on ne veut pas que ceux qui ne paient pas plein pot le gasoil non routier, puissent faire ces travaux à notre place, et que des grandes entreprises puissent bénéficier de main-d'oeuvre moins coûteuse, parce que certains n'auraient pas été contrôlés suffisamment et auraient pu utiliser un gasoil défiscalisé. Sur ce point-là, ils ont parfaitement raison. Et je veux juste leur garantir, toujours dans cet esprit de justice, que tout le monde sera bien soumis à la même règle et qu'il n'est pas question que les travaux de terrassement qui étaient effectués par des petits artisans des travaux publics hier, puissent être effectués demain pas des agriculteurs qui eux continueront à bénéficier d'une exonération fiscale.

NICOLAS DEMORAND
Bruno LE MAIRE, merci Monsieur le Ministre de l'Economie et des finances d'avoir été au micro d'Inter ce matin.

BRUNO LE MAIRE
Merci Nicolas DEMORAND.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 décembre 2019