Texte intégral
MATTHIEU BELLIARD
Votre invité, Sonia MABROUK, c'est Gabriel ATTAL, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse.
SONIA MABROUK
La jeunesse, les écoles et un pays sous tension socialement à deux jours de la grève du 5 décembre. Une école sur deux, Gabriel ATTAL, devrait garder portes closes selon les syndicats. Une école sur deux, c'est vers cela qu'on se dirige ?
GABRIEL ATTAL
Le mouvement sera suivi. Ç'a déjà été annoncé par des organisations syndicales. Les prévisions seront données demain sur le site de chacune des académies. Vous pourrez voir si l'école sera ouverte ou fermée jeudi.
SONIA MABROUK
Deux enseignants du premier degré sur trois en grève, ce sont vos prévisions ?
GABRIEL ATTAL
Ecoutez, pour l'instant on n'a pas de prévisions du gouvernement, des pouvoirs publics. Ce qui est certain, c'est qu'on active le dispositif de service minimum qui a été créé par la loi de 2008 et qui prévoit que les communes s'organisent pour prévoir un accueil dans les établissements.
SONIA MABROUK
Attendez. Vous nous dites donc qu'il y aura le service minimum d'accueil dans les établissements.
GABRIEL ATTAL
Oui. Il y aura le service minimum d'accueil qui prévoit que les communes prévoient un accueil dans les établissements. Maintenant il peut y avoir des communes où les agents des communes sont majoritairement en grève et dans ces cas-là, on ne peut pas prévoir d'accueil. Ça sera indiqué sur le site de chaque académie demain pour que les parents puissent évidemment prévoir et prendre leurs dispositions.
SONIA MABROUK
Précisons cela pour les parents. Il y a normalement une obligation, Gabriel ATTAL, censée garantir la mise en place d'un service minimum d'accueil par les mairies si le taux de grévistes dans l'école est supérieur à 25 %. Mais comme vous le dites, encore faut-il qu'il y ait du personnel.
GABRIEL ATTAL
Absolument, voilà. Normalement quand vous avez plus de 25 % de grévistes, vous mettez en place un service minimum d'accueil pour que les enfants puissent être accueillis, même si évidemment il n'y a pas les enseignants, autant d'enseignants que d'habitude pour qu'ils puissent être accueillis pendant la journée. C'est-ce qu'on est en train de regarder académie par académie et les informations seront communiquées demain sur le site Internet de chacune des académies.
SONIA MABROUK
A priori selon vous, puisqu'on a dit qu'une école sur deux pourrait rester fermée selon les syndicats, si vous appliquez ce service minimum il pourrait y avoir un taux important d'écoles qui restent ouvertes ?
GABRIEL ATTAL
C'est très difficile à dire aujourd'hui. Encore une fois, on attend les remontées des déclarations de grève, ce qui est certain c'est que les collèges, lycées devraient être très peu impactés. En tout cas, ils devraient être pour l'essentiel ouverts et permettre un accueil grâce au service minimum. Pour le premier degré, on verra d'ici demain.
SONIA MABROUK
Ce qui est sûr, c'est que la mobilisation des enseignants elle s'annonce massive. Ils réclament, en tout cas ils se disent les perdants de ce futur système de retraite et ils réclament un engagement solide de votre part, de la part du gouvernement, sur la revalorisation des carrières.
GABRIEL ATTAL
Cet engagement solide, on le donne.
SONIA MABROUK
Ah bon ?
GABRIEL ATTAL
Oui.
SONIA MABROUK
Vraiment ? Ils n'ont pas l'air de l'entendre pourtant.
GABRIEL ATTAL
Dans le rapport de Jean-Paul DELEVOYE, il était, c'est vrai, écrit clairement que dans le système qu'il propose, sans mesures d'accompagnement spécifiques pour les enseignants ils seraient les grands perdants de la réforme. Et dès la remise de ce rapport, le président de la République, le Premier ministre, Jean-Michel BLANQUER, moi-même dès que j'en ai l'occasion, avons assuré que nous travaillons à des mesures de revalorisation salariale pour compenser ce nouveau système pour les enseignants, pour qu'ils ne soient pas les grands perdants de cette réforme.
SONIA MABROUK
Mais concrètement, en monnaie sonnante et trébuchante ça donne quoi ?
GABRIEL ATTAL
Ça donne des réunions qui sont en cours avec les organisations syndicales…
SONIA MABROUK
Ah, des réunions !
GABRIEL ATTAL
Oui, parce que ça se construit…
SONIA MABROUK
C'est la réunionite.
GABRIEL ATTAL
Ça se construit avec eux. Ce que je veux dire, c'est qu'il y a un engagement. Il y aura des mesures prises pour faire en sorte qu'ils ne soient pas perdants. On peut le croire ou ne pas le croire. Ce que je constate, c'est qu'il y a des enseignants qui sont inquiets et qui vont se mobiliser. Moi je n'ai pas de jugement à porter à cela. Ce que je peux dire, c'est qu'il y a cet engagement. Il y a cette garantie qu'on va faire en sorte que les enseignants ne soient pas les perdants. Il y a des mesures qui seront annoncées.
SONIA MABROUK
Mais pourquoi ils ne vous croient pas, Gabriel ATTAL ? Pourquoi malgré ce que vous dites, cet engagement que vous mettez sur la table, cette mobilisation s'annonce massive ? Et qu'ils s'estiment encore aujourd'hui, et on l'entend dans nos journaux, les grands perdants de votre projet ?
GABRIEL ATTAL
Mais parce qu'il y a des inquiétudes et moi je peux l'entendre parfaitement.
SONIA MABROUK
Qui sont légitimes ?
GABRIEL ATTAL
Mais je peux entendre qu'il y ait des inquiétudes. Vous savez, un rapport avec un nouveau système où il est écrit que s'il n'y a pas de mesures spécifiques prises par le gouvernement, les enseignants seront perdants. Ce que je vous dis, c'est qu'il y a des mesures spécifiques qui sont en train d'être construites et qui seront annoncées dans les prochaines semaines, les prochains mois.
SONIA MABROUK
Dans quel état d'esprit êtes-vous à J moins 2 avant la grève du 5 décembre ?
GABRIEL ATTAL
Ecoutez, on est déterminé sur les objectifs de notre réforme.
SONIA MABROUK
Non, je ne vous demande pas un élément de langage.
GABRIEL ATTAL
Ce n'est pas un élément de langage.
SONIA MABROUK
Vous, véritablement. Vous, votre état d'esprit.
GABRIEL ATTAL
Je vais vous dire, moi mon état d'esprit personnellement c'est que cette réforme j'y crois. Moi j'y crois de dire que ça fait maintenant des années que beaucoup de Français regrettent que tout le monde ne soit pas logé à la même enseigne en matière de retraite. Qu'ils observent chaque jour dans des articles de presse, dans leur entourage des différences qui n'ont plus aucune raison d'être sur le départ à la retraite et que faire que tout le monde soit logé à la même enseigne, qu'il y ait les mêmes règles pour tous, c'est une réforme de justice, d'équité et d'égalité. Et moi, ça j'y crois. Et notamment en échangeant avec les jeunes générations, je me rends compte que c'est aussi ce qu'ils attendent.
SONIA MABROUK
Mais ce que vous dites est entendu par une partie, même une majorité des Français qui pensent que la réforme des retraites est nécessaire. Sauf que - sauf que, Gabriel ATTAL - ils sont une majorité à ne pas faire confiance à ce pouvoir en place pour la mener. C'est quand même problématique.
GABRIEL ATTAL
C'est notre responsabilité, notre devoir de les convaincre et c'est pour ça que je suis là aujourd'hui. C'est pour ça qu'on se mobilise, c'est pour ça qu'il y a des centaines de réunions qui ont lieu avec les organisations syndicales, qui ont lieu sur le terrain. Des consultations citoyennes avec les Français pour leur permettre de participer. J'en ai animé une avec Jean-Paul DELEVOYE et des jeunes et évidemment on va continuer ce travail-là. Il y aura des annonces qui vont être faites la semaine prochaine par Jean-Paul DELEVOYE pour préciser encore la réforme.
SONIA MABROUK
Mais le problème n'est-il pas là justement ? Est-ce que vous n'avez pas vous-même dramatisé la date du 5 décembre par cette confusion, par cette réunionite, par cette concertation permanente sans jamais décider ?
GABRIEL ATTAL
Ce que je constate, c'est que pendant deux ans on nous a expliqué qu'on réformait de manière trop verticale en décidant tout seul et en n'associant personne. Et là, on se donne quatre mois pour précisément faire de la concertation, pour précisément travailler avec les organisations syndicales, pour permettre aux Français de participer. Quatre mois de concertation.
SONIA MABROUK
Quatre mois de confusion disent certains.
GABRIEL ATTAL
Et là, on nous explique que c'est flou quand vous concertez. On ne peut pas avoir les deux.
SONIA MABROUK
C'est flou quand vous parlez. Est-ce que vous reconnaissez qu'il y a eu quand même des dissensions, des divergences, des incohérences entre vous tous sur un sujet qui inquiète tout le monde ? Et c'est bien normal : les retraites, on est tous concernés.
GABRIEL ATTAL
C'est très difficile, vous savez, de prendre le temps de la discussion parce qu'assez vite on nous dit : « mais vous n'êtes pas suffisamment clairs. » Moi, j'assume ce temps qu'on prend pour échanger et pour construire une réforme, pour essayer de bâtir un compromis. Moi, j'assume ce temps-là. Je comprends qu'il y ait des questions qui n'aient pas encore de réponse mais je crois que beaucoup ont eu une réponse. L'objectif qui est le nôtre, avoir un système universel c'est-à-dire où il y a les mêmes règles pour tous ; un euro cotisé donne les mêmes droits ; un système où les retraités actuels ne sont pas impactés et ne verront aucun changement ; où ceux qui sont à cinq ans de la retraite ne verront aucun changement. On est en train de réfléchir, et c'est là où il y a une inconnue, à la première génération qui rentrera dans le nouveau système…
SONIA MABROUK
C'est une inconnue mais vous avez peut-être une conviction sur ce sujet, Gabriel ATTAL.
GABRIEL ATTAL
Et surtout, je vais vous dire, il y a quelque chose…
SONIA MABROUK
Est-ce que vous, vous avez votre avis ? Est-ce que vous avez votre avis puisque, dites-vous, vous assumez ?
GABRIEL ATTAL
Moi, je fais pleinement confiance à Jean-Paul DELEVOYE et au Premier ministre.
SONIA MABROUK
Ça, c'est un élément de langage.
GABRIEL ATTAL
Non, ce n'est pas un élément de langage. Je considère…
SONIA MABROUK
Vous avez une conviction sur la réforme des retraites.
GABRIEL ATTAL
Je considère que Jean-Paul DELEVOYE qui anime toutes les réunions avec les organisations syndicales est mieux armé que moi pour faire ces préconisations sur le sujet. Mais il y a une grande chose qui est connue, c'est que si on met en place un nouveau système c'est précisément pour sauver notre régime par répartition. On est aujourd'hui dans une situation où il y a de moins en moins d'actifs par retraité. Or, c'est les actifs qui payent les retraites des retraités.
SONIA MABROUK
Mais Gabriel ATTAL, avez-vous le temps ? Avez-vous le temps ? La vraie question n'est pas tant celle du 5 décembre mais les jours d'après. Si cette grève dure au-delà de la vraie date finalement qui est la date butoir du 9 décembre, l'exécutif entre dans une zone de turbulences rude, dure.
GABRIEL ATTAL
Jean-Paul DELEVOYE s'exprimera lundi ou mardi prochain, c'est le 9 ou le 10.
SONIA MABROUK
Dites donc, vous lui mettez tout sur les épaules.
GABRIEL ATTAL
C'est lui qui est en charge du dossier et moi je suis très fier qu'il soit en charge du dossier, parce que pour avoir animé des réunions avec lui, je peux vous dire qu'il le maîtrise parfaitement. Qu'il a pleinement conscience des inquiétudes. Qu'il a pleinement conscience aussi des points forts de cette réforme et qu'on va avancer à partir de ses préconisations la semaine prochaine.
SONIA MABROUK
Où vous étiez le 5 décembre 95 ? Vous vous en souvenez ?
GABRIEL ATTAL
Ouh là ! J'avais six ans…
SONIA MABROUK
Six ans. Vous n'avez donc pas souvenir des grandes grèves de 95 qui hantent la mémoire de tout gouvernement et le gouvernement auquel vous appartenez.
GABRIEL ATTAL
Vous savez, effectivement j'étais très jeune pour vivre ces grèves comme d'autres mais j'ai beaucoup lu et beaucoup appris sur ce qui s'était passé en 95
SONIA MABROUK
Mais dimanche, quand vous vous êtes tous réunis avec le Premier ministre, il n'a pas parlé de ce spectre-là qui hante, qui survole un peu le gouvernement ?
GABRIEL ATTAL
Non, je vais vous dire, parce que ce j'ai appris et si j'ai bien compris, en 95 c'est des réformes qui ont été portées après une campagne présidentielle où elles n'avaient absolument pas été annoncées. Et donc, il y a eu peut-être un sentiment de trahison. Emmanuel MACRON dès sa campagne présidentielle, il a dit : « je mettrai en place un nouveau système de retraite par points. Je mettrai fin aux régimes spéciaux pour que tout le monde soit logé à la même enseigne et qu'il y ait une égalité. » C'était clairement annoncé. Et ce que je constate aussi, c'est que majoritairement, vous l'avez dit d'ailleurs, dans les études d'opinion les Français sont favorables à ce qu'on créé un nouveau système. Ils sont favorables à ce que l'on mette fin aux régimes spéciaux, ce qui n'était pas forcément le cas en 95 et donc il y a une vraie différence.
SONIA MABROUK
La réforme des retraites c'est aussi, Gabriel ATTAL, une bataille politique. Le 5 décembre, le Parti socialiste a appelé à manifester et il y aura, on le sait, des élus du Rassemblement national dans la rue. Qu'est-ce que vous pensez de ce cocktail, de cette cohabitation de rue ?
GABRIEL ATTAL
Ecoutez, moi je ne veux pas faire d'amalgame. Je ne pense pas que le Parti socialiste va aller bras dessus bras dessous avec le Front national. En tout cas ce que je déplore, c'est que je ne vois pas le début de la moitié d'une proposition dans les propos du Parti socialiste, mais d'ailleurs d'autres mouvements politiques. D'ailleurs tout le monde partage le constat. Je n'entends aujourd'hui aucune organisation expliquer qu'il faut garder le système tel qu'il existe.
SONIA MABROUK
Donc vous pensez qu'ils sont pour le statu quo, c'est tout ?
GABRIEL ATTAL
Je n'entends personne en tout cas dire : « le système tel qu'il existe fonctionne bien. » Et je n'entends personne dire que l'universalité, c'est-à-dire faire en sorte qu'il y ait les mêmes règles pour tous, c'est une mauvaise idée.
SONIA MABROUK
Vous n'entendez que ce que vous proposez en somme.
GABRIEL ATTAL
Non. Moi j'entends des formations politiques : vous avez cité le Front national, La France Insoumise, qui disent : « il faut revenir à la retraite à 60 ans. » Ça au moins, j'ai envie de dire, c'est clair. C'est impossible, je ne suis même pas sûr que ça soit souhaitable mais c'est clair. Et puis il y a d'autres organisations politiques qui ne proposent strictement rien. Et moi je ne pense pas que ce soit une solution que du statu quo et que de rester dans l'immobilisme alors qu'on voit qu'on a un système qui est totalement à bout de souffle. Et si on ne le transforme pas, il n'y aura plus de retraite pour ma génération et ça je n'en ai pas envie.
SONIA MABROUK
A suivre donc l'épreuve de feu, en tout cas l'épreuve sociale. Ce sera J moins 2, dans deux jours. Merci Gabriel ATTAL, secrétaire d'Etat en charge la jeunesse, d'avoir été notre invité ce matin sur Europe 1.
source : Service d'information du Gouvernement, le 4 décembre 2019