Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, à CNews le 9 décembre 2019, sur la réforme des retraites et les négociations entre la grande distribution et les fournisseurs.

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Média : CNews

Texte intégral

GERARD LECLERC
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour.

GERARD LECLERC
Il y a un déjeuner de calage avec les ministres concernés par la réforme des retraites et les dirigeants de la majorité également. Il y a eu beaucoup de réunions ces derniers temps à l'Elysée et à Matignon. Quel est l'état d'esprit du gouvernement ? Il y a beaucoup d'inquiétude, non ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, beaucoup de travail surtout, puisque nous avons indiqué que Jean-Paul DELEVOYE et Agnès BUZYN recevaient les syndicats encore aujourd'hui, et le Premier ministre a indiqué qu'il prenait la parole mercredi. Donc il faut arriver avec des choses qui rassurent les Français, des éléments sur cette réforme des retraites. Je veux redire ce qu'est cette réforme, parce qu'on finit par en perdre le fil. Cette réforme, c'est une réforme de justice sociale, même travail, même cotisations, même retraite, c'est tout simple. Donc ce n'est pas une réforme contre les régimes spéciaux, c'est une réforme qui vise à faire en sorte que chacun ait les mêmes droits, et avec un autre élément de solidarité, c'est rattraper les plus précaires, ceux qui ont aujourd'hui moins de 1.000 euros alors qu'ils ont travaillé toute leur vie, les plus précaires, ça concerne beaucoup les femmes, et c'est cela que nous voulons, et nous le voulons depuis la campagne électorale ; rien de neuf sur ces sujets-là.

GERARD LECLERC
Oui, sauf que les Français n'ont pas compris ça, puisqu'ils sont hostiles, opposés à cette réforme, ils craignent de perdre, de voir leur pension baisser, il y a peut-être eu un problème de méthode du gouvernement, non ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois que sur la méthode, il faut y revenir aussi, c'est une longue méthode de concertations, sur une réforme qui concerne quasi l'essentiel des Français, je dis « quasi l'essentiel des Français », parce que les retraités, et ceux qui sont nés avant 1963 ne sont pas concernés, là aussi, il faut le redire. Mais il y a beaucoup de fantasmes autour de cette réforme, et aussi beaucoup de fake news. Moi, j'ai entendu que les retraites pouvaient baisser. C'est faux…

GERARD LECLERC
C'est ce que tout le monde pense, oui…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Les retraites, lorsque les gens partent à la retraite, et qu'ils ont un montant de retraite, ce montant ne peut pas baisser ; il y a une garantie d'évolution, et il y a même une garantie d'évolution supérieure aujourd'hui à ce qu'elle est, c'est-à-dire que la retraite progressera comme la moyenne des salaires, alors qu'aujourd'hui, c'est comme l'inflation, et c'est pour ça que dans certaines catégories, on a vu des décrochages…

GERARD LECLERC
Donc il n'y aura pas, pour personne, de baisse des pensions ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Pour les gens qui partent à la retraite, leur retraite ne peut pas baisser dans le futur, ça, c'est une fake news parmi d'autres qu'on a pu entendre, on a dit que les femmes étaient…

GERARD LECLERC
Oui, qu'elles seraient pénalisées notamment pour celles qui ont trois enfants…

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est tout le contraire. Alors, c'est tout le contraire pour l'ensemble des femmes, je rappelle que les femmes, elles ont 42 % de retraite en moins par rapport aux hommes, en moyenne, 42 %...

GERARD LECLERC
Et là, ça va s'améliorer ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et là, ça va s'améliorer parce que lorsque vous aurez fait une carrière complète, alors, vous aurez 1.000 euros minimum, c'est valable pour les agriculteurs, c'est valable pour les femmes, et sur les enfants…

GERARD LECLERC
D'accord, et celles qui ont trois enfants…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Premier enfant, 5 %. Deuxième enfant, 10 % de supplément, et effectivement, sur le troisième enfant, moi, j'ai trois enfants, donc je suis concernée, sur le troisième enfant, vous perdez un petit quelque chose, mais vous le rattrapez autrement. Donc il ne faut pas dire aux Français des choses qui sont fausses, les femmes, globalement, elles gagnent, elles gagnent dès le premier enfant, ce qui n'était pas le cas auparavant.

GERARD LECLERC
Edouard PHILIPPE donc annonce la réforme mercredi, est-ce que les discussions, les négociations continueront après, et puis, est-ce que, à force de lâcher du lest, de faire des concessions, ça ne risque pas de coûter très cher aux régimes des retraites, et à l'Etat ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, le sujet, c'est combien de temps on fait pour faire cette transition, donc on part d'un état A, qui est un état avec 42 régimes de retraite, il faut arriver à un état B avec un seul régime, et effectivement, cette transition, on peut calibrer le temps qu'elle prend et faire en sorte qu'elle ne soit pas trop brutale, parce qu'effectivement, dans un certain nombre de métiers, vous aviez un pacte social, global, lorsque vous êtes dans des régimes spéciaux, il y a l'idée que, certes, j'ai tel niveau de rémunération, mais j'ai à peu près une garantie sur ma retraite, donc ça, il faut l'accompagner, c'est légitime, et c'est cet élément-là qui fait l'objet d'une négociation, d'une négociation qui est légitime, encore une fois, mais, au fond, passer de l'état A à l'état A, sinon, vous gardez l'état A, donc il ne va pas avoir une multiplication de cadeaux, je redis aussi une chose, la retraite, c'est des Français qui financent d'autres Français. Donc l'idée générale comme quoi, il n'y aurait que des perdants ne tient pas la route, ce sont des Français qui financent d'autres Français pour faire en sorte qu'on ait un système de retraite juste. Et effectivement, nous voulons qu'il y ait plus de solidarité dans les retraites, que les femmes, que les précaires, que les agriculteurs aient une retraite décente s'ils ont travaillé toute leur vie.

GERARD LECLERC
Alors, alors en attendant, eh bien, il y a les conséquences des grèves des transports et des manifestations dont sont victimes les commerçants, les commerçants des centres-villes, la période est stratégique, juste avant Noël, Noël, ils s'alarment d'un deuxième coup, disent-ils, qui pourrait être mortel pour beaucoup d'entre eux après les gilets jaunes. Est-ce que vous avez un état précis de la situation des commerces ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je veux d'abord dire que les grèves, elles impactent tous les Français, et moi, je veux remercier tous ceux qui continuent à venir au travail dont on sait qu'ils galèrent, qui vont dormir à côté, les aides-soignantes dans les hôpitaux, où on est très conscient de ça, et c'est pourquoi nous prenons le maximum de mesures pour essayer d'accompagner et de faciliter les choses pour les Français…

GERARD LECLERC
Alors, déjà, sur le…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Sur les commerçants, une journée ponctuelle de grève n'est pas de nature à précipiter les commerçants dans une situation difficile…

GERARD LECLERC
Oui, sauf que là, la grève dure depuis cinq jours déjà…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce qu'ils craignent, une journée de grève, ce n'est pas la même chose qu'une journée sans transport. C'est un petit peu différent, parce que pendant les manifestations, pour des raisons de sécurité…

GERARD LECLERC
On ferme les commerces…

AGNES PANNIER-RUNACHER
On peut avoir des fermetures de commerçants ou les commerçants eux-mêmes peuvent décider de fermer. Et là, ils perdent du chiffre d'affaires, c'est très net. On a plusieurs situations, dans le tourisme, si vous perdez des réservations, vous ne les rattrapez pas, et c'est probablement le sujet le plus sensible aujourd'hui…

GERARD LECLERC
Donc là, eux sont impactés ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est de rassurer les touristes sur le fait qu'ils peuvent venir notamment à Paris, ça concerne beaucoup Paris. Le deuxième gros sujet, c'est effectivement tout ce qui est commerçants qui sont dans des zones difficilement accessibles ou en tout cas qui ont l'habitude d'avoir l'apport de gens en transports en commun, moi, ce que j'observe, puisque j'ai un point quasi-quotidien avec non seulement les fédérations, mais également les chambres consulaires, et les associations locales, ce week-end a été un bon week-end de fréquentation…

GERARD LECLERC
Ah oui, malgré les grèves, malgré la manifestation de samedi ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
En province, tout à fait, en province, vous avez à Bordeaux, à Toulouse, à Marseille, des bons chiffres, à Montpellier, ça a été compliqué le samedi, parce que les manifestations ont un peu dégénéré. A Nantes, il y a eu des échauffourées, mais globalement, ils s'en sortent bien, et donc on a aussi des bons chiffres. Donc il ne faut pas… c'est très contrasté en réalité. Et la troisième chose, c'est si ça dure, et c'est ça qui inquiète les commerçants, si ça dure, effectivement, le fait de compliquer la venue des Français chez leurs commerçants peut leur faire baisser du chiffre d'affaires, et notamment, lorsqu'on est dans des secteurs comme la restauration et le tourisme, où on ne peut pas avoir de report de chiffre d'affaires, le repas qui n'est pas consommé à midi, c'est terminé, vous ne le vendrez plus.

GERARD LECLERC
Vous ne m'avez pas dit, sur Paris et la région parisienne ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Sur Paris, là aussi, chiffres contrastés, puisque nous avons plutôt des bonnes nouvelles sur certains secteurs. Mais globalement, plutôt une diminution globale du chiffre d'affaires.

GERARD LECLERC
Alors, est-ce que vous prévoyez des dispositifs, des dispositifs d'aide, d'accompagnement, surtout si la grève continue, comme ça semble être le cas pour l'instant ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait, enfin, en tout cas, comme vous le savez, depuis la crise des gilets jaunes, nous avons tout un arsenal de mesures pour accompagner les commerçants, et c'est pour ça que nous avons ces capteurs qui sont maintenant déployés sur tout le territoire. Cet arsenal, il comprend la possibilité, le cas échéant, que nous pouvons réactiver si nous pensons à un moment qu'il faut le faire, je vous rappelle qu'on l'avait mis en place en novembre de l'année dernière, qui est de différer le paiement de certaines charges fiscales et sociales, de façon à redonner de la trésorerie aux commerçants, de même, nous avions pris des mesures de chômage partiel et de facilitation du travail le dimanche pour qu'ils puissent rééquilibrer leur chiffre d'affaires sur l'ensemble de la semaine. Par ailleurs, nous avons un plan aujourd'hui, qui a été pris, de six millions d'euros pour accompagner la relance commerciale dans les centres-villes, et faire en sorte que les Français qui s'étaient détournés des centres-villes reviennent dans les centres-villes pour consommer, et si j'ai un message à envoyer à ceux qui nous écoutent, c'est : si vous tenez à vos commerçants, si vous tenez à vos artisans, c'est maintenant qu'il faut y aller, c'est maintenant qu'il faut aller consommer chez eux, parce que c'est le moment où ils en ont le plus besoin.

GERARD LECLERC
Mais les dispositifs dont vous venez de nous parler, pour l'instant, vous ne les mettez pas en oeuvre, vous attendez de voir comment les choses vont évoluer ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je fais un suivi tous les jours ou tous les deux jours, lorsqu'on est le week-end, pour savoir exactement où on en, et de quoi on a besoin, il importe d'avoir des mesures qui soient exactement adaptées aux besoins des commerçants et de ne pas être dans quelque chose de très large, mais qui, finalement, ne toucherait pas sa cible.

GERARD LECLERC
Les transporteurs routiers annoncent de nouvelles manifestations, de nouveaux blocages, est-ce que ça ne va pas encore aggraver la situation des commerçants ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça, c'est un point de vigilance parce qu'il faut qu'ils puissent s'approvisionner, pour le moment, on sait que certaines centrales ont augmenté leurs stocks, je pense notamment à Rungis, qui a augmenté ses stocks et qui est plus en capacité de soutenir les commerçants, mais effectivement, on sera très vigilant à ce qu'il n'y ait pas de blocage, pour le moment, il n'y a pas de difficulté d'approvisionnement, mais il faut être sur le sujet tous les jours.

GERARD LECLERC
Je change de sujet, c'est le début des négociations entre la grande distribution et les fournisseurs, les PME, les produits agricoles, ils se plaignent tous d'être étranglés par la grande distribution, il y a une réunion, je crois, demain, à laquelle vous participez, qu'est-ce que vous en pensez ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, nous lançons le suivi des négociations commerciales, la loi Egalim, donc celle qui vise justement à rétablir un équilibre entre ces relations entre agriculteurs…

GERARD LECLERC
Voilà, pour l'instant, on n'a pas de résultat, disent les agriculteurs…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Industriels et distributeurs. Elle a eu un résultat, mais sur des champs ponctuels, par exemple, vous avez des entreprises comme BELL, qui ont conclu désaccord avec leurs producteurs laitiers, qui ont permis d'augmenter sensiblement la rémunération des agriculteurs qui fournissent le lait, mais c'est ponctuel ça ne représente pas l'ensemble des filières, et aujourd'hui, il y a beaucoup de travail à faire, parce que cette loi elle n'a qu'un an, et lorsqu'elle a été prise l'année dernière, les négociations étaient plus ou moins lancées. Donc le travail que nous faisons, c'est d'essayer de faire avancer ce rapport de force qui existe entre industriels, distributeurs d'un côté, et agriculteurs industriels de l'autre. Tout le monde doit balayer devant sa porte, côté agriculteurs, il faut donner les prix, donner les éléments de référence pour construire les prix, il y a des filières qui sont en train de structurer et d'avancer, je pense notamment aux céréales, il y a le lait, il y a la viande aussi, la viande bovine, qui est en train de bouger, et on voit qu'on a aussi eu des bons résultats dans la filière porcine, parce qu'on a un contexte d'augmentation des prix générale. La deuxième chose, c'est les industriels, les industriels, ils doivent être transparents sur le fait que lorsque les distributeurs donnent un prix, ils le passent bien aux agriculteurs, on a eu quelques soucis autour de ça, donc, c'est de ça qu'on va parler demain avec Didier GUILLAUME. Et le troisième étage de la fusée, c'est les distributeurs, c'est les Carrefours, les LECLERC les INTERMARCHE. Eux doivent prendre des engagements et privilégier, je dirais, la construction de la valeur à moyen terme plutôt que de vouloir aller chercher le prix à court terme, après, il faut aussi que nous, consommateurs, on soit cohérents, puisqu'on dit beaucoup qu'on est prêt à payer plus pour du fabriqué en France ou pour des aliments qui soient plus environnementalement responsables, et de l'autre main, lorsqu'il s'agit de comparer deux prix, on va prendre, on va aller au moins cher. Donc là aussi, il y a cette question du mieux consommer collectivement, et sur laquelle on va travailler, non seulement sur le rééquilibrage des rapports de force, mais aussi sur la transparence sur les étiquettes, il faut qu'un Français sache quand il achète français, de l'alimentation, et quand il ne l'achète pas français et qu'il se représente que lorsqu'il n'achète pas Français, eh bien, c'est autant de moins dans la bannette des agriculteurs.

GERARD LECLERC
Un mot sur les menaces de TRUMP, qui veut surtaxer les produits français, parce que la France taxe les GAFA, on en est où ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
D'abord, on taxe les plateformes numériques, je le redis, ce n'est pas une mesure qui concerne que les entreprises américaines, ça concerne aussi des entreprises françaises, c'est important…

GERARD LECLERC
D'accord. Et sur les rétorsions de TRUMP ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et par rapport aux rétorsions, c'est une discussion, une négociation que nous avons, c'est une négociation difficile, nous rappelons à monsieur TRUMP qu'il a été d'accord avec cette taxation, qu'il était prêt à suivre le schéma de l'OCDE, nous comprenons que pour des raisons politiciennes internes, il recule sur ce sujet-là, mais nous essayons de faire valoir aussi notre point de vue, on ne peut pas de manière unilatérale empêcher une mesure, qui est au fond une mesure de justice fiscale, qui est de dire que les entreprises qui ne payent pas leur impôt au juste niveau ne les paient pas, et c'est ce que nous faisons avec la taxation sur les plateformes numériques.

GERARD LECLERC
Merci Agnès PANNIER-RUNACHER, bonne journée et bonne semaine.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 décembre 2019