Interview de M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire chargé des retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé, à LCI le 29 novembre 2019, sur les propositions pour la réforme des retraites.

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  • Jean-Paul Delevoye - Haut-commissaire chargé des retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

PASCALE DE LA TOUR DU PIN
Elizabeth MARTICHOUX, vous recevez Monsieur Retraites ce matin.

ELIZABETH MARTICHOUX
Eh oui ! Le Haut-commissaire aux retraites du gouvernement. Bonjour Jean-Paul DELEVOYE.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Bonjour Madame MARTICHOUX.

ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup d'être avec nous ce matin, vous êtes en effet le Monsieur Retraites du gouvernement. Or l'épreuve de force se rapproche, je veux parler du 5 décembre, mais l'épreuve ou plutôt l'heure de vérité approche aussi, puisqu'on croit comprendre qu'est devenu ou viendra avant Noël le temps des décisions, des premières décisions sur cette réforme dont on parle maintenant depuis longtemps et dont vous vous occupez depuis plus de 2 ans et demi. Le Premier ministre mercredi a commencé Jean-Paul DELEVOYE à dissiper un peu le brouillard, c'est vrai, on compte sur vous pour continuer à le faire puisqu'un des enjeux à ce stade, je ne sais pas si vous en êtes d'accord, c'est que les Français la comprennent cette réforme. Le but, un système universel avec les mêmes règles pour toutes, question d'abord de calendrier, le projet de loi sera présenté début 2020, a dit le Premier ministre, donc il sera soumis au Conseil des ministres avant, sur la base d'un rapport que vous allez présenter dans la foulée du 9-10 décembre, c'est ça ; et les décisions seront annoncées avant Noël. Est-ce que c'est ça le calendrier ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Le calendrier est précis, depuis le discours du Premier ministre au Conseil économique et social il avait indiqué que la loi serait votée avant la fin de la session parlementaire du 1er semestre 2020. Il a reprécisé le calendrier puisqu'il a indiqué que… moi je suis en cours de discussion avec les organisations syndicales, nous allons accélérer un peu le calendrier et je terminerai avant le 5 mes rencontres pour faire en sorte que le 8, le 9 ou le 10 je puisse en présenter les conclusions au Premier ministre. Et de là effectivement avant la fin de l'année, il précisera le projet, son architecture et le passage au Parlement.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous l'avez dit, le calendrier est un peu accéléré, pourquoi ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Tout simplement parce qu'entre avant Noël, après Noël, je trouvais moi qu'il était tout à fait légitime aujourd'hui après un certain nombre de réunions. Vous savez, quand vous dites que le Premier ministre doit clarifier, en réalité le Premier ministre s‘est investi depuis très, très longtemps sur ce dossiers. Il y a eu énormément de réunions en séminaire gouvernemental ou en réunions de ministres avec des arbitrages. Et le Premier ministre et le président de la République ont parfaitement intégré toutes les difficultés techniques et politiques bien sûr, puisqu'il y a 42 régimes mais au-delà des 42 régimes. Moi j'ai 350 réunions qui se poursuivront d'ailleurs avec la totalité des organisations professionnelles, pour que profession par profession nous puissions offrir un chemin de convergence entre leurs situations actuelles et le régime universel…

ELIZABETH MARTICHOUX
Pour aller vers la Maison commune, comme on dit !

JEAN-PAUL DELEVOYE
Vers la Maison commune qui est d'ailleurs un thème, je rappelle…ce nom n'est pas anodin, la Maison commune était une résonance très forte du Conseil national de la Résistance. C'était d'ailleurs une expression de la CGT de l'époque mais aussi d'un certain nombre de gaullistes, qui voulaient faire en sorte que l'universalité des droits à l'issue de la guerre soit accompagnée de l'universalité des régimes.

ELIZABETH MARTICHOUX
Alors catégorie par catégorie, vous les avez reçus, vous allez les recevoir…

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non, nous ne cessons de les recevoir.

ELIZABETH MARTICHOUX
D'ici au 5 décembre, ce sont les syndicats que vous allez recevoir, vous allez tous les revoir ou pas ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Comme il était prévu, comme il était prévu…

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous allez tous les revoir à nouveau ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Bien sûr. Le 10 juillet, la première étape où le président de la République a accepté que nous prenions du temps – c'est tout à fait nouveau – et que nous puissions discuter de façon interactive avec les citoyens, les parlementaires, les journalistes et les organisations syndicales, nous avons construit un rapport. Ce rapport, nous l'avons présenté, une fois qu'il a été présenté c'est sous l'autorité du Premier ministre que nous rentrons dans la deuxième phase qui est l'élaboration de la loi. Et là, nous rencontrons à nouveau les organisations syndicales, les citoyens…

ELIZABETH MARTICHOUX
Entre maintenant et le 5 décembre, vous les revoyez ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Entre maintenant et le 5 décembre, ce qui était parfaitement prévu…

ELIZABETH MARTICHOUX
Chacun au moins une fois.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Chacun au moins une fois.

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous avez dit : j'ai présenté et on le connaît bien, on l'a beaucoup commenté, un rapport au mois de juillet, vous allez en présenter donc un nouveau le 9 ou 10 décembre, qui servira de base de décision au Premier ministre. Quelle est la différence, vous allez affiner vos propositions, il y avait différents scénarios en juillet, dans celui de décembre vous allez faire encore plusieurs propositions ou vous présentez une piste par enjeu, une piste par question ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
La première étape consistait à dire, à la demande du président de la République, pour construire un système universel, quels en devraient être les principes, les objectifs et de dégager quelques pistes. C'est ce que nous avons fait et d'ailleurs certaines pistes sont directement inspirées de nos rencontres citoyennes ; et aussi de nos rencontres syndicales. Puis ensuite à partir de ce rapport, maintenant il faut qu'on construise la loi ; et sur la loi il y avait un certain nombre de questions dans mon rapport, un certain nombre d'hypothèses…

ELIZABETH MARTICHOUX
On va y venir, on va y venir.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Et donc sur ces hypothèses, je tirerai les conséquences de mes rencontres avec la totalité des organisations syndicales ; et je présenterai au Premier ministre que sur tel problème il y a telle piste, telle piste et il appartiendra ensuite…

ELIZABETH MARTICHOUX
…Encore plusieurs pistes et il aura le choix des arbitrages.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Bien sûr, bien sûr.

ELIZABETH MARTICHOUX
Alors il y en a un qui… il a esquissé au moins un arbitrage le Premier ministre, je crois que vous êtes d'accord, c'est qu'il a enterré entre guillemets la clause du grand-père. Autrement dit, la réforme ne sera pas reportée aux calendes grecques, vous confirmez ça ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Ce qui est à confirmer au-delà… vu le débat, vous avez un certain…

ELIZABETH MARTICHOUX
Parce que la clause du grand-père, on rappelle, pardon juste pour ceux qui nous entendent, c'est le principe de réserver l'application de la réforme aux seuls entrants sur le marché du travail à partir d'une certaine date, c'est ça !

JEAN-PAUL DELEVOYE
Je dois dire que je n'aime pas du tout ce mot…

ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, mais vous n'aimez pas non plus le principe !

JEAN-PAUL DELEVOYE
Le principe généralisé !

ELIZABETH MARTICHOUX
Pour tous, c'est-à-dire la clause du grand-père pour tous, c'est important.

JEAN-PAUL DELEVOYE
En disant… ce qui est important et ce débat avait fait occulter la détermination du président et la détermination du Premier ministre de mettre sur pied ce projet, dès l'année prochaine, par la loi. Et donc le Premier ministre s'est beaucoup investi et nous allons mettre en place ce projet universel. Pourquoi ? Ce n'est pas dans un problème de rapport de force, c'est parce que nous pensons qu'aujourd'hui le système actuel est extrêmement fragile, il est porteur de lourdes inégalités et il est porteur aussi de tensions. Vous connaissez l'état de notre société, où chacun est en train de se crisper les uns par rapport aux autres. Par rapport aux défis qui nous attendent, d'un monde qui va remettre en cause peut-être certaines formes d'emploi, de professions, faire en sorte que chacun puisse défendre ses intérêts contre l'intérêt général est quelque chose qui est mortifère pour la société française. Et le régime universel a pour vocation au contraire de rassembler les jeunes et les âgés, et de faire en sorte que l'intérêt commun l'emporte sur les intérêts particuliers…

ELIZABETH MARTICHOUX
Ceci posé, que vous avez l'occasion de… d'ailleurs il est important, mais ceci posé la réforme ne sera pas soumise au principe de la clause du grand-père pour tous, c'est enterré ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Cela fait partie des hypothèses, mais sa généralisation effectivement est écartée.

ELIZABETH MARTICHOUX
A partir de quand cette réforme sera appliquée Jean-Paul DELEVOYE ? Dans votre rapport, sauf erreur, elle devait démarrer en 2025, est-ce que cette borne-là est maintenue ou pas forcément ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Pas forcément, c'est-à-dire que la logique du rapport c'est de dire 1) les retraités ne sont pas concernés ; 2) pour basculer d'un système à un autre, compte tenu de sa complexité, pendant 5 ans les personnes à 5 ans de la retraite ne sont pas concernées par le nouveau système universel. Et nous avions donc préconisé que si la loi était votée en 2020, 5 ans plus tard 2025 et faire en sorte que c'était la génération 63, pourquoi ? Parce que c'était la génération qui avait 62 ans en 2025. Le Premier ministre a très clairement indiqué que peut-être qu'il y a des nécessités que nous avions nous-mêmes d'ailleurs soulevées, pour des raisons techniques ou des raisons de faisabilité…

ELIZABETH MARTICHOUX
Que ce soit décalé à 10 15 ans ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Vous savez, ce projet-là c'est sur les 4, 50, 60 prochaines années, ce n'est 1, année, 2 années, 5 années près. Donc effectivement ce débat est sur la table, la board est proposée dans mon rapport mais peut parfaitement changer…

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais qu'est-ce que vous allez… enfin vous n'allez pas nous dire ce qu'il y a dans votre rapport, je ne pense pas, vous allez…

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non, il n'est pas écrit !

ELIZABETH MARTICHOUX
Mais vous allez dire : je propose que ce soit plutôt à partir de l'année de naissance de 1968, 69, 70 ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Ça fait partie des hypothèses…

ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que c'est tranché ça Jean-Paul DELEVOYE ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Pas du tout.

ELIZABETH MARTICHOUX
Ça n'est pas arbitré, ça le sera quand ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Pas du tout… vous savez ce qui est intéressant…

ELIZABETH MARTICHOUX
Ça le sera quand ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Quand le Premier ministre arbitrera, il arbitrera en fonction des différentes hypothèses qui lui auront été présentées…

ELIZABETH MARTICHOUX
Quelle est la vôtre, privilégiée ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Il y a plusieurs hypothèses, ce n'est pas que je ne veuille pas vous répondre, il y a plusieurs hypothèses. Faut-il une date unique, selon les situations est-ce qu'on peut avoir une diversité de situations qui amène une diversité de réponses, donc tout est sur la table. Et ce qui est intéressant dans ce projet, au-delà de la position des uns et des autres, c'est qu'il y a énormément d'intelligence, il y a énormément de temps, c'est des centaines et des centaines d'heures y compris de discussions. Et je comprends votre impatience dans cette culture de l'instantanéité…

ELIZABETH MARTICHOUX
Ce n'est pas de l'impatience, c'est de la clarté. Par exemple on se demande : finalement est-ce que les régimes spéciaux seront supprimés, puisqu'il y aura une cohabitation entre plusieurs possibilités d'années départ, l'âge de départ ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non, non, le régime universel met un terme aux régimes spéciaux e au régime des parlementaires, que les choses soient claires sur ce sujet. La question qui est en débat et qui est tout à fait normale, c'est à quelles conditions, avec quels délais et quelle… et c'est normal. Si vous prenez un exemple sur les indépendants, comment imaginer un seul instant que vous puissiez passer d'une situation où leurs cotisations est à 14, 15 ou 16 % ; et par tous les apports que nous faisons d'une modification de l'assiette sociale on puisse passer à 28 %. Ça ne se fait pas du jour au lendemain, ne confondez pas… oui, oui, attendez…

ELIZABETH MARTICHOUX
Pour bien comprendre Jean-Paul DELEVOYE, les régimes spéciaux, vous nous dites « ils seront supprimés », là-dessus on est intransigeant et ça a toujours été votre discours. Mais est-ce que les bénéficiaires de régimes spéciaux aujourd'hui pourraient avoir quand même plus de temps pour sortir des règles actuelles ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Il y aura pour chaque profession… ne focalisez pas là-dessus…

ELIZABETH MARTICHOUX
Non… si parce que c'est la philosophie même de la réforme…

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non, non, le principe… attendez, vous êtes en train… je comprends votre impatience, ne confondez pas votre impatience et l'exigence de transition adaptée à l'acceptation sociale et à la non remise en cause des objectifs de régime universel. Vous avez… j'ai 350 réunions jusqu'à la fin de l'année, sur des situations qui n'ont rien à voir entre les auxiliaires médicaux, les marins, l'Opéra de Paris, il y a une multitude de situations. Comment voulez-vous imposer une durée, une transition, un chemin identique alors qu'il y a tant de diversités. Ce que nous avons comme objectif, c'est un régime universel dont les principes…

ELIZABETH MARTICHOUX
…C'est un régime universel mais en fait, il y aura un décalage…

JEAN-PAUL DELEVOYE
Il n'y aura pas de décalage…

ELIZABETH MARTICHOUX
Il y a des gens qui seront concernés à certaines dates…

JEAN-PAUL DELEVOYE
Madame MARTICHOUX, ne faites pas… je vais essayer d'être clair…

ELIZABETH MARTICHOUX
Il y aura une cohabitation encore une fois de plusieurs…

JEAN-PAUL DELEVOYE
Parce que je vois que vous ne comprenez pas.

ELIZABETH MARTICHOUX
De plusieurs rythmes ! Non, c'est compliqué.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Un, sur l'intégration des primes dans la fonction publique…

ELIZABETH MARTICHOUX
Alors là on parle de quoi…

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non mais attendez…

ELIZABETH MARTICHOUX
Des compensations, parce qu'il y a la question des transitions et la question des compensations !

JEAN-PAUL DELEVOYE
Non, non, pas du tout, c'est autre chose, alors je vais essayer d'être clair. Le régime universel fait que les assiettes de cotisations doivent être les mêmes pour tout le monde, vous en tant que salarié du privé vous payez sur la totalité de votre salaire, les fonctionnaires doivent payer sur la totalité de leurs salaires primes comprises, la moyenne des primes des fonctionnaires c'est de 22 %. Vous imaginez un seul instant que du jour au lendemain, on fasse passer les cotisations de 100 à 122 %. Donc ça veut donc dire…

ELIZABETH MARTICHOUX
J'ai bien compris Jean-Paul DELEVOYE, vous allez…

JEAN-PAUL DELEVOYE
Que pour cette situation-là, il faut que nous ayons une durée adaptable, entre 5 ans, 10 ans…

ELIZABETH MARTICHOUX
D'accord, vous allez faire du cas par cas !

JEAN-PAUL DELEVOYE
Evidemment, c'est ce que nous avons toujours dit dès le départ…

ELIZABETH MARTICHOUX
Et donc pour les régimes spéciaux, excusez-moi, juste…

JEAN-PAUL DELEVOYE
Je vois que vous êtes focalisée sur ça, il n'y a pas que ça…

ELIZABETH MARTICHOUX
Non, il n'y a pas que ça, il y a plein de choses extrêmement importantes. Mais dans l'esprit de l'opinion publique c'est quand même important, parce que c'est une promesse qui avait été faite par Emmanuel MACRON…

JEAN-PAUL DELEVOYE
Mais nous allons la tenir…

ELIZABETH MARTICHOUX
Il pourrait y avoir plus de temps pour sortir des règles actuelles !

JEAN-PAUL DELEVOYE
Mais pourquoi plus de temps, il y aura comme pour tout le monde un temps adapté. Je vous donne 2 explications…

ELIZABETH MARTICHOUX
D'accord, vous appelez ça « un temps adapté » !

JEAN-PAUL DELEVOYE
Mais évidemment, ce système est un système magnifique pour l'avenir de nos enfants, de nos petits-enfants et pour la cohésion de la nation. Et donc nous devons faire en sorte qu'à l'instant du départ… je veux dire les agriculteurs que je voyais hier et qui trouvent dans ce projet quelque chose d'extrêmement important pour eux, par l'augmentation du minimum contributif, les agriculteurs auront un temps d'adaptation qui sera totalement à partir de leur situation. Et je ne peux pas demander un temps identique pour la transformation et la transition des agriculteurs à la transition des cheminots ; à la transition des enseignants, et tout cela…

ELIZABETH MARTICHOUX
Et cela, ce sera dans la loi qui sera discutée au Parlement l'an prochain ; ou il y aura un principe de garantie, d'équité, de justice et on renvoie ça évidemment aux discussions entreprise par entreprise ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Le Premier ministre a très clairement exprimé la volonté – et je la partage – d'avoir une loi qui fixe les principes et qui soit aussi accompagnée d'une visibilité sur les chemins de transition.

ELIZABETH MARTICHOUX
Ça veut dire quoi ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Ça veut dire que tout simplement, chacun pourra comprendre l'objectif vers lequel nous allons, le régime universel dans ses principes, sa déclinaison, ce qu'on évoquait… système à points, système par répartition, le plus élevé des pays développés, un système dans lequel nous maintenons le niveau de solidarité parce que… et que nous corrigeons les inégalités du système actuel. On a tendance à oublier cela, c'est-à-dire que le système actuel fragilise les précaires, les temps partiels et nous allons augmenter la solidarité vis-à-vis des femmes. Et donc il y a quelque chose d'extrêmement positif dans ce que nous portons. Et derrière il y aura aussi – parce que les partenaires sociaux sont en droit de l'exiger – une visibilité sur comment allons-nous aller d'une situation et une autre, avec des temps, des temporalités adaptées sur l'intégration des primes, sur l'intégration de telle ou telle profession indépendante, etc. Donc chacun aura la lisibilité de l'objectif et le moyen de les atteindre.

ELIZABETH MARTICHOUX
Ce sera écrit dans la loi, mais pas dans le détail j'imagine !

JEAN-PAUL DELEVOYE
Mais évidemment, attendez ! La loi ne doit pas être bavarde, mais les principes doivent être actés et tout doit se faire dans la transparence, dans la clarification des objectifs et des moyens.

ELIZABETH MARTICHOUX
Des engagements, on ne peut pas entrer dans le détail mais par exemple le Premier ministre a évoqué le cas des enseignants qui, c'est vrai, sont pénalisés par le nouveau calcul et qui en plus ont très peu de primes par rapport à d'autres fonctionnaires qui seront intégrés. Donc là dans le texte, il y aura écrit noir sur blanc qu'il y aura des garanties et tout ça sera négocié par Jean-Michel BLANQUER avec les syndicats, c'est comme ça que ça va se passer. En résumé parce qu'il y a 2, 3 questions encore très importantes que je voudrais qu'on aborde.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Oui mais attendez, ne simplifiez pas trop les choses. Quelle est la situation des enseignants, ils ne sont pas pénalisés, ils sont pénalisés si nous appliquons sans correction le système. Aujourd'hui, le niveau moyen des primes de la fonction publique c'est de 22 %, le niveau moyen des primes des enseignants c'est 9 %, donc on voit bien que si l'on appliquait sans correction ceci poserait une injustice. Deuxièmement, les enseignants sont des cadres A, or un cadre A qui n'est pas enseignant fait toute sa carrière avec 30 % de primes, l'enseignant avec 9 % en moyenne, celui de l'école maternelle fait 4 %. Donc vous voyez bien que c'est une opportunité ce régime universel pour repenser toute la gestion des ressources humaines de la fonction publique, avec un contrat qui n'est plus « je vous paye en dessous de la normale et je vous donne un petit coup de pouce pour la retraite » c'est « comment faire en sorte que nous vous payons normalement et que vous ayez une retraite normale. Or ce sujet des enseignants ne doit pas cacher le vrai défi aujourd'hui de l'attractivité d'un certain nombre de métiers. Je recevais les marins hier, ils ont un problème d'attractivité, Madame BUZYN est très soucieuse de l'attractivité pour le monde de la santé ; et nous devons faire en sorte aujourd'hui que les contrats que nous proposons ne soient plus des contrats aussi déséquilibrés, nous devons vous payer normalement pour une retraite normale.

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc dans la loi qui sera écrite au début de l'année 2020, il y aura un objectif de garantie et les détails seront négociés ensuite, évidemment ministère par ministère !

JEAN-PAUL DELEVOYE
L'état d'esprit, c'est ce que je suis en train de faire, je reçois à la demande du Premier ministre ministère par ministère toutes les professions concernées. Et ensuite avec les équipes du ministre et mes équipes, nous continuons à travailler pour justement, profession par profession, être dans la transparence, dans la clarification des objectifs et la clarification des moyens pour les atteindre.

ELIZABETH MARTICHOUX
Le point d'arrivée en termes de calendrier de ce travail-là c'est ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Probablement début d'année, début d'année puisque… et ça peut être en parallèle, il y aura…

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous aurez le temps de faire tout ça ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Ce n'est pas on aura le temps, on prend le temps de faire tout ça parce qu'il est évident que sur une telle transformation, il faut de la confiance, il faut qu'on réembarque la confiance des jeunes, d'où le débat que j'aurais tout à l'heure avec Gabriel ATTAL, parce que j'ai besoin de voir comment les jeunes réagissent.

ELIZABETH MARTICHOUX
Et vous serez à Créteil avec des jeunes, avec effectivement votre jeune confrère pour parler des jeunes… On va aborder leurs inquiétudes mais justement, vous avez toujours dit Jean-Paul DELEVOYE qu'il était impossible de mettre en oeuvre la réforme sans qu'il y ait un équilibre des comptes. Est-ce que… des comptes des Caisses de retraite, est-ce que c'est si important que ça dans le fond, est-ce qu'on peut envisager que la réforme soit votée, qu'elle soit mise en place et que la recherche de l'équilibre ça se fasse après, même l'OCDE le suggère ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
C'est très intéressant votre remarque, c'est-à-dire que vous êtes en train de me dire : écoutez ! C'est très bien, je comprends que vous ayez le souci de bâtir cela pour les enfants et les petits-enfants, mais à la limite s'il y a un problème à régler il faut mieux le reporter. L'état d'esprit dans lequel nous sommes, le président de la République, le Premier ministre et moi-même puisque je l'ai dit dès le départ, c'est qu'il faut que nous apportions les problèmes tels qu'ils sont sans les fuir, ni sans les reporter. Moi ma responsabilité, c'est vis-à-vis des futures générations. Mon engagement auprès du président de la République, ce n'est pas de faire un but électoraliste ou d'envisager une victoire électorale ou une carrière, ce n'est pas mon… je n'ai jamais eu ni plan de carrière ni visée électoraliste. Ma responsabilité, c'est d'offrir au pays et au président de la République le moyen d'offrir à nos futures générations un équilibre entre les actifs et les retraités. Et donc dire aux jeunes : c'est le contrat que nous avons fait, nous ferons en sorte qu'il y ait une règle d'or dans le système universel où il n'y aura pas de déficit. Le poids des retraites qui pose sur vos épaules ne peut pas être ajouté à un déficit, à un endettement. Et donc nous prendrons les mesures pour faire en sorte…

ELIZABETH MARTICHOUX
A quelle échéance ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Très rapidement, je ferai aussi des propositions pour voir comment nous pouvons mettre à plat…

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous êtes arc-bouté sur ça…

JEAN-PAUL DELEVOYE
Il ne s'agit pas d'être arc-bouté…

ELIZABETH MARTICHOUX
Il ne peut pas y avoir de mise en oeuvre de la réforme, sans qu'il y ait des mesures financières avant ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Madame MARTICHOUX, est-ce que vous transigez vous à titre personnel sur les principes qui guident votre vie ? Comment imaginer un seul instant que les jeunes puissent nous considérer comme responsables, si nous leur laissons les problèmes à régler sur leurs épaules. Nous, nous avons pris un engagement avec le président de la République, nous serons extrêmement transparents, extrêmement responsables, mais guidés par l'équité et l'universalité. Les mêmes règles pour tous, mais nous ne fuirons pas nos responsabilités et nous ferons en sorte que le système rembarque la confiance des jeunes, nous voulons éviter la guerre générationnelle. Et l'équilibre de la répartition, c'est la confiance des jeunes pour qu'ils puissent payer la retraite.

ELIZABETH MARTICHOUX
Un tout petit dernier mot et pardon pour le retard, vous avez peur du 5 décembre ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Attendez ! Quand vous êtes sûr que le projet est important pour le pays et pour son avenir, vous intégrez le 5 décembre avec toute la considération que je porte aux salariés et aux Françaises et aux Français, qui manifestent quelquefois leur douleur, leur souffrance, leur incompréhension…

ELIZABETH MARTICHOUX
Vous ne changerez pas d'avis si ça dure, si c'est une grève dure ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Mais chacun sait que le système universel est une exigence de la population…

ELIZABETH MARTICHOUX
Donc vous ne changerez pas d'avis ?

JEAN-PAUL DELEVOYE
Et une exigence par rapport à l'avenir. Donc ce régime universel se mettra en place et il intégrera la disparition des régimes parlementaires et des régimes spéciaux. Ce qui n'interdit pas que nous puissions comprendre l'exigence d'un certain nombre de salariés, qui nous disent : mais à 5 ans, 10 ans 15 ans de ma retraite vous ne pouvez pas changer les règles. Donc il faut que nous arrivions entre ces 2 exigences à trouver un chemin de compromis ; et je suis sûr que nous arriverons par l'intelligence de chacun à le trouver.

ELIZABETH MARTICHOUX
Détermination, pas de brutalité, c'est ce qu'avait dit Premier ministre, c'est ce que vous nous répétez ce matin. Merci beaucoup Jean-Paul DELEVOYE d'avoir été ce matin sur notre plateau.

JEAN-PAUL DELEVOYE
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 décembre 2019