Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, à BFM Business le 16 décembre 2019, sur la réforme des retraites.

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Média : BFM

Texte intégral

HEDWIGE CHEVRILLON
Agnès PANNIER-RUNACHER, bonjour.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Hedwige CHEVRILLON.

HEDWIGE CHEVRILLON
Merci d'être avec nous. 12e jour de grève, les transporteurs routiers s'y mettent aussi, on sent que la France est en train de se bloquer, demain elle sera complètement bloquée. Comment on sort de cette impasse, alors qu'on a le sentiment que les négociations sont à l'arrêt, il ne s'est rien passé, or chaque jour compte, Noël c'est le 25 décembre, comme chaque année, qu'est-ce que vous pouvez faire ? Vous avez ouvert une porte, que d'autres ont refermée violemment immédiatement en disant samedi à nos confrères de BFM TV que l'âge pivot, qui est le nœud de blocage avec la CFDT, était négociable, qu'est-ce qui est négociable ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce qui est négociable c'est la façon dont on assure l'équilibre de ce régime. En fait, qu'est-ce qu'on a aujourd'hui ? On a des syndicats réformistes qui soutiennent le principe de la réforme des retraites, parce que c'est une réforme qui est plus sociale, qui permet de réparer les accidents de la vie et de donner une retraite décente aux précaires, et notamment aux femmes. On a une discussion, parce qu'il y a une difficulté dans cette réforme, qui est que, telle qu'est notre démographie, en 2025, quand on démarre, on n'est pas à l'équilibre. Ne pas être à l'équilibre, ce n'est pas un sujet budgétaire, c'est un sujet systémique, c'est-à-dire que, les plus jeunes démarrent dans un fantastique nouveau régime, sauf qu'il n'est pas équilibré, c'est-à-dire qu'en fait dès le départ les règles sont faussées, ce n'est pas acceptable. Ce n'est pas acceptable, et donc on dit il faut trouver un système d'équilibre. Deuxième chose, à partir du moment où on donne un âge légal, où on maintient l'âge légal à 62 ans, parce que nous avons écoutés les syndicats, parce qu'ils nous ont demandé ça, et que les 62 ans n'est pas l'équilibre, on est obligé d'avoir un âge pivot, un âge pivot qui ça ne peut pas être la même chose de partir à 62 ans et à 64 ans, 65 ans.

HEDWIGE CHEVRILLON
Vous avez raison de le rappeler, vous êtes dans votre rôle, en même temps on suit ça énormément et de très près sur BFM Business, donc on voit bien où sont les points de blocage. Laurent BERGER a toujours dit « je suis pour la réforme systémique », pourquoi avoir mélangé les deux, est-ce que ce n'était pas quand même un peu de la provocation, de la confrontation, est-ce qu'on ne s'est pas mis dans une impasse, vous ne vous êtes pas mis dans une impasse ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez, je crois que c'est difficile de dire on fait une fantastique réforme qui répond à plein de problèmes, et on ne résout pas tous les problèmes. Donc effectivement, le messager qui apporte les mauvaises nouvelles, ce n'est pas celui qui a le soutien de tout le monde…


HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, mais il y a un mélange des deux.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il y a une mauvaise nouvelle…

HEDWIGE CHEVRILLON
Il y a deux réformes en fait dans une.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, il n'y en n'a qu'une, il n'y en n'a qu'une parce que, une réforme structurante, fondamentale, comme celle que nous faisons, si elle démarre et qu'elle n'est pas à l'équilibre, on ment aux Français, et en particulier aux plus jeunes, c'est-à-dire on trahit la promesse d'un système qui fonctionne. D'emblée on triche et on repart dans ce qu'on a vu depuis des années, qui est, au fond, on fait des ajustements à droite, à gauche, donc on doit dresser ce problème.

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, mais vous avez des concessions, des concessions dans le sens où c'est âge pivot, âge d'équilibre, 64 ans en 2027, au départ ça devait être 2025, 2027…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait.

HEDWIGE CHEVRILLON
Maintenant on voit bien qu'on est déjà à 63,5 ans…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Sur le régime général, effectivement.

HEDWIGE CHEVRILLON
Sur le régime général, donc on avait envie de dire, il fallait juste laisser faire le temps, depuis 2027 on a quand même…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Le régime général va y arriver naturellement, d'après nos calculs, compte tenu de l'âge auquel les gens démarrent leur travail, ils partiront à 64 ans, c'est assez mathématique, mais le deuxième sujet c'est l'ensemble des autres régimes, encore une fois on parle des 80% de Français qui sont au régime général et des autres, donc il y a déjà sujet-là, c'est-à-dire que naturellement il va falloir assurer cet équilibre pour l'ensemble des régimes. Et puis, il y a aussi… l'âge pivot c'est aussi le fait qu'on diminue l'âge de départ à la retraite des femmes, parce que ça veut dire qu'elles ne partent plus à 67 ans, ça aussi, je veux dire, il y a les deux côtés. On ne parle que du côté 62 à 64, moi j'aimerais bien qu'on aborde le côté 64 à 67.

HEDWIGE CHEVRILLON
La décote, est-ce qu'elle sera importante, parce qu'aujourd'hui, on compare souvent avec ce qui se passe dans le système AGIRC-ARRCO, système des complémentaires, or on voit bien que la décote elle est petite et en plus elle est mesurée dans le temps, est-ce que ça sera le cas ? Là normalement ça sera une décote à vie, si jamais on part avant.

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est une décote, effectivement, qui est portée par les retraites sur toute la durée de la retraite, mais là aussi…

HEDWIGE CHEVRILLON
Qui sera de l'ordre de combien ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors il y a un certain nombre d'hypothèses, on parle de l'ordre de 5% par année qui peuvent manquer, donc il faut aussi que ce sujet-là soit abordé, c'est un élément de… en fait, le chemin pour arriver à cet équilibre, ça aussi c'est un élément de négociation, quelle décote, à quelle rapidité on arrive à l'âge pivot, etc., c'est les éléments de négociation qui sont sur la table. Et encore une fois, certes il y a des grandes discussions qui vont avoir lieu dans la semaine, mais les téléphones fonctionnent entre toutes les parties prenantes, c'est important aussi de pouvoir discuter.

HEDWIGE CHEVRILLON
Enfin, ce n'est pas ce que disent les leaders syndicaux, mais peut-être qu'ils se trompent, mais il n'y a pas beaucoup de téléphone en ce moment ! Juste un point, puisque vous avez dit que c'était négociable, on sent quand même il y a toujours un peu une fracture au sein du gouvernement, voire entre l'Elysée et Matignon, entre Emmanuel MACRON et Edouard PHILIPPE, sur cette question d'âge pivot. Laurent BERGER il a dit "on enlève l'âge pivot, un point c'est tout, sinon on continuera à être aux abonnés absents. "

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais je n'ai pas compris quelle était l'alternative proposée par Laurent… j'entends ce point de sensibilité, mais je n'ai pas bien compris quelle était l'alternative, parce que si on un âge légal à 62 ans, comment on fait…

HEDWIGE CHEVRILLON
En augmentant les cotisations, il y a plein de paramètres…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Justement, parlons. Augmenter les cotisations, c'est augmenter le chômage, là, pour le coup, j'ai une position très nette et je pense que le gouvernement, dans son ensemble, augmenter les cotisations c'est plus de chômage, c'est exactement le mal profond dont on souffre et qui nous différencie de plein d'autres pays européens. On a fait un travail remarquable depuis 2 ans avec Muriel PENICAUD pour diminuer le chômage, on ne va pas repartir à l'envers…

HEDWIGE CHEVRILLON
Hors de question.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça n'a pas de sens, ça n'a pas de sens économique je veux dire…

HEDWIGE CHEVRILLON
Bien sûr…

AGNES PANNIER-RUNACHER
En fait, là aussi on repousse le problème, c'est-à-dire on fait du chômage, donc il y a moins de cotisants, donc etc., ridicule.

HEDWIGE CHEVRILLON
Donc là il y en a un qui dit « un point c'est tout, on enlève », et vous qui dites « il n'y a pas de sens », bon !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi je dis surtout…

HEDWIGE CHEVRILLON
On va jusqu'où comme ça ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mettons les paramètres sur la table, discutons-en.

HEDWIGE CHEVRILLON
Est-ce que vous jouez l'opinion ? Est-ce que vous vous dites il y a un moment, surtout avec les fêtes de Noël, eh bien les Français ils vont en avoir, surtout les Parisiens et en Ile-de-France, c'est ça que vous jouez un peu ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois que le mouvement social qui est aujourd'hui à l'œuvre ce n'est pas… il est perdant-perdant.

HEDWIGE CHEVRILLON
Il est perdant-perdant ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il est perdant-perdant, il n'y a pas d'intérêt à jouer…

HEDWIGE CHEVRILLON
(…)

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, non, il est perdant aussi… enfin, pour dire on n'a aucun intérêt à ce que le mouvement social se poursuive, c'est problématique pour l'économie, c'est problématique pour les Français, ça n'a pas de sens, ce que nous voulons c'est avoir une négociation, mais une négociation qui repose sur des réalités, pas sur des choses où demain matin on trouvera des solutions, mais pour le moment on ne trouve pas de solutions, et on laisse à nos successeurs d'aller gérer les difficultés. C'est une question de courage politique, je le redis.

HEDWIGE CHEVRILLON
Courage politique justement, est-ce qu'il faut Jean-Paul DELEVOYE démissionne avec tout ce qu'il n'a pas déclaré, ses nombreux mandats, dont certains étaient rémunérés, est-ce qu'aujourd'hui il est un peu démonétisé, même si c'est lui qui a conduit cette réforme ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, je ne vais pas rentrer dans le détail, mais de ce que je comprends…

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui ou non ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Simplement, de ce que je comprends parce que, de ce que je comprends les mandats qu'il n'a pas déclarés n'étaient pas rémunérés, ils sont bénévoles…

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, il y en a deux qu'il n'avait pas déclarés, qui sont rémunérés, et puis les autres ne sont pas déclarés…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, tous ceux qu'il a déclarés étaient rémunérés, le problème c'est le cumul, mais peu importe, un ministre…

HEDWIGE CHEVRILLON
Non, mais le problème c'est le montant de sa rémunération…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Un ministre doit être exemplaire sur les sujets de rémunération, ça c'est le premier point, lorsqu'il a des activités bénévoles, qui concernent les mandats qu'il n'a pas déclarés, il n'a pas d'obligation à déclarer, il faut qu'il y ait un conflit d'intérêts…

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, le montant de ses rémunérations n'était pas conforme.

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est pour ça que le sujet de la rémunération est le sujet le plus problématique, et je comprends que l'HATVP est en train de regarder, moi je fais toute confiance à l'HATVP pour prendre les bonnes recommandations, mais en tout état de cause…

HEDWIGE CHEVRILLON
La commission pour la transparence…

AGNES PANNIER-RUNACHER
De mon point de vue, de mon point de vue, pour le connaître, Jean-Paul DELEVOYE il est transparent, il a déclaré les mandats qu'il avait, il a fait une bêtise, il doit en assumer la responsabilité, mais je veux dire, il y a une espèce de volonté d'aller lui taper dessus, comme si c'était… qui est en fait…

HEDWIGE CHEVRILLON
Oui, enfin comme on le ferait, enfin pas taper dessus, enfin c'est assez normal quand on est ministre…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, mais vous voyez qu'on dénonce ses mandats bénévoles au service des diabétiques, etc., donc attention aussi à bien regarder les choses.

HEDWIGE CHEVRILLON
Agnès PANNIER-RUNACHER, l'impact maintenant, puisque vous êtes ministre en charge justement de toute l'activité économique auprès de Bruno LE MAIRE, l'impact sur l'activité économique il est de combien ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, sur Paris il est important, en particulier dans l'hôtellerie- restauration et dans tout ce qui est activité de type traiteur, certains approchent, enfin annoncent des chiffres de l'ordre de 50%. Sur le commerce c'est beaucoup plus contrasté, puisque vous avez des zones où le commerce fonctionne très bien, notamment des zones qui ont des parkings facilement accessibles, qui sont facilement accessibles et où le commerce de proximité, où la clientèle de proximité fait le gros du chiffre d'affaires, vous avez des zones qui sont en grande difficulté. Donc, aujourd'hui, donner un chiffre macro-économique n'a pas de sens…

HEDWIGE CHEVRILLON
C'est trop tôt.

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est trop tôt, en revanche ça n'enlève rien au fait que les commerçants individuellement doivent être accompagnés, ce que nous proposons c'est, pour ceux qui sont touchés, fortement, de repousser les échéances fiscales et sociales, de façon à ce qu'ils conservent leur trésorerie pour passer ce cap-là, ça c'est la première chose, de faciliter les ouvertures le dimanche sur Paris, ça a tout son sens, de financer des mesures de chômage partiel parce que là encore s'ils n'ont pas de clients…

HEDWIGE CHEVRILLON
Ça, ça serait à partir de quand ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Maintenant, c'est d'ores et déjà, c'est en place depuis la semaine dernière, et il faut que les commerçants se signalent pour dire "je traverse cette difficulté", les commerçants, les salles de spectacle aussi, parce qu'ils ne se classent pas nécessairement dans les commerçants, mais ils sont en train de souffrir, les restaurateurs, les hôteliers.

HEDWIGE CHEVRILLON
Autre sujet, qui n'a rien à voir Agnès PANNIER-RUNACHER, mais vous allez annoncer tout à l'heure qu'il va y avoir une sorte de sites industriels prêts à l'emploi, des guichets uniques, en fait l'objectif c'est d'installer des entreprises, des PME, des ETI dans les territoires, comment est-ce que ça va fonctionner ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, les investisseurs étrangers sont très intéressés par la France, mais quand ils arrivent en France et qu'ils veulent installer une nouvelle activité ça devient très compliqué, on met deux fois plus de temps que la Suède pour ouvrir un nouveau site. Ce qu'on veut, c'est arriver en disant grâce aux collectivités locales on a repéré, pour le moment, 300 sites, on est en train de les passer à l'entonnoir pour vérifier que ces sites tiennent la route, on veut en avoir 50 qui puissent être proposés clés en main à des investisseurs qui ont des projets. Ces sites ils sont dans les territoires...

HEDWIGE CHEVRILLON
Investisseurs étrangers uniquement ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ou Français, naturellement les Français ont plus l'information que les étrangers, et comme on approche de "Choose France" on aura cette liste des sites de façon à montrer que c'est très concret et qu'on peut tout de suite commencer à travailler avec les étrangers, mais vous avez raison, les Français doivent être accompagnés, et en particulier les entreprises de taille intermédiaire, parce qu'elles n'ont pas ce réflexe, lorsqu'elles ont des investissements à faire, de se rapprocher de l'Etat et de dire "est-ce que vous pourriez m'aider, parce que moi j'ai un projet, je suis prêt à prendre mon risque, par contre les sujets administratifs je m'y perds, entre les différentes guichets."

HEDWIGE CHEVRILLON
Donc ça sera géré par vous, par Bercy.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Donc on reconcentre ça, et c'est à nous de gérer la complexité administrative, avec les collectivités locales, et de faire en sorte que, lorsqu'elles se posent des questions, on a une réponse, on a tout de suite le contact, on a tout de suite le formulaire, on a tout de suite les éléments de conseils et d'accompagnement, hyper pragmatique.

HEDWIGE CHEVRILLON
Hyper pragmatique. Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER. "Choose France" c'est juste avant Davos, c'est fin janvier, comme ça si ça vous intéresse…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Pour l'attractivité.

HEDWIGE CHEVRILLON
C'est le moment en tous les cas de vous précipiter à Bercy. Merci d'avoir été avec nous, Agnès PANNIER-RUNACHER notre invitée sur BFM business.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 décembre 2019