Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur le projet Hercule, demandé par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. À la demande de ce dernier, ce débat se tient en Salle Lamartine, afin de permettre à l'Assemblée d'entendre des personnalités extérieures.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Il commencera par une table ronde, en présence des personnalités invitées, d'une durée d'une heure environ. Dans une deuxième séquence, d'une durée d'une heure également, le Gouvernement, après une intervention liminaire, répondra aux questions des députés. La durée des questions comme des réponses ne pourra excéder deux minutes, sans droit de réplique.
(…)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Le débat qui nous réunit aujourd'hui est profondément lié à la transition écologique et énergétique de la France. Dans les prochains jours, nous lancerons la consultation publique sur la programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie nationale bas-carbone. Vous savez, pour l'avoir voté récemment, que ces deux documents visent le même objectif : réduire d'au moins 40% nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030, avec pour horizon la neutralité carbone en 2050.
La recherche de la neutralité carbone a deux conséquences pour notre politique énergétique. Nous devrons, d'une part, baisser significativement notre consommation d'énergie d'ici 2050, et, d'autre part, décarboner totalement la production d'énergie. Pour y arriver, trois vecteurs sont possibles : la chaleur issue de l'environnement, soit la géothermie et les pompes à chaleur ; la biomasse, dont le gisement est nécessairement limité ; enfin, l'électricité décarbonée. Nous ne partons pas de rien, puisque notre mix électrique est déjà largement décarboné grâce à la production nucléaire – qui représente 72% de notre mix – et aux énergies renouvelables, notamment l'hydroélectricité. Mais nous ne pouvons pas en rester là. C'est pourquoi nous avons le double objectif, à moyen terme, d'augmenter la part des énergies renouvelables à 40% du mix en 2030 et de ramener la part du nucléaire à 50% en 2035.
La diversification du mix électrique a de nombreuses conséquences pour EDF. D'une part, afin de permettre la montée en puissance des moyens de production d'énergies renouvelables, EDF doit poursuivre l'exploitation du parc électronucléaire à cinquante ans et, surtout, ramener la part du nucléaire à 50%. Cela signifie, concrètement, fermer quatorze réacteurs. C'est une transition majeure que nous allons accompagner, pour les territoires comme pour les salariés, en lien avec l'entreprise. La fermeture des deux réacteurs de Fessenheim dès cette année sera l'occasion de le démontrer. D'autre part, EDF doit confirmer sa place au cœur de la production d'énergies renouvelables. Je pense à l'hydroélectricité, qui représente 12,5% de notre production électrique, et à l'éolien en mer où le groupe est déjà présent, avec quatre des sept parcs attribués ; pour le solaire, l'entreprise a proposé un plan ambitieux qui vise 30 gigawatts de puissance installée d'ici 2035.
La diversification de la production et de la consommation d'électricité a également des conséquences sur les réseaux. RTE, le Réseau de transport d'électricité, a publié récemment son schéma décennal de développement : 33 milliards d'euros devront être investis dans les quinze prochaines années pour rénover les réseaux, les adapter, les numériser, en augmenter les interconnexions et, enfin, raccorder l'éolien en mer. Pour la distribution, les défis à relever sont l'intégration des nouveaux moyens de production, éoliens ou solaires, et l'intégration des nouveaux usages, au premier rang desquels la mobilité électrique. Pour répondre à cette nouvelle réalité, les investissements d'Enedis seront en hausse de 5,8% en 2020 par rapport à 2018.
Décarboner notre mix énergétique, diversifier nos sources électriques et les intégrer, répondre aux nouveaux usages : ce sont bien des enjeux majeurs pour EDF et pour l'avenir du groupe. Ces enjeux sont autant de priorités pour l'action du Gouvernement, qui entend mettre en oeuvre la transition énergétique et électrique de notre pays. Cela implique qu'EDF, premier acteur du secteur, dispose de capacités d'investissement accrues pour être au rendez-vous de la transition énergétique dans toutes ses composantes. C'est dans ce contexte que le Gouvernement a demandé au président d'EDF de lui faire des propositions d'évolution de l'organisation du groupe, qui devront être remises au 1er semestre 2020. J'insiste sur ce point : le projet devra maintenir une entreprise publique et intégrée. Il devra également prendre en considération les retours de la concertation menée au sein de l'entreprise avec le corps social. Enfin, il devra prendre en compte le nouveau cadre de régulation du nucléaire historique, car c'est un autre chantier tout aussi important pour la transition énergétique de notre pays.
Avec la nouvelle régulation, notre objectif est double. Tout d'abord, protéger les consommateurs contre la hausse des prix de l'électricité. Puisqu'ils ont contribué au financement du parc nucléaire historique, ils ont financé un outil de production décarboné ; il est donc légitime de les protéger de la volatilité des prix du pétrole, du charbon et du gaz. Notre second objectif est de sécuriser les investissements nécessaires pour le parc de production en cas de baisse des prix. Pour atteindre ces deux objectifs, nous avons engagé, au niveau européen, des échanges sur cette nouvelle régulation du nucléaire historique et j'ai moi-même rencontré la commissaire Vestager en novembre pour lui présenter le projet.
Mesdames et messieurs les députés, nous avons un objectif partagé : réussir la transition écologique de notre pays et atteindre la neutralité carbone au milieu du siècle. Le succès passe par la transition énergétique de notre pays et, disons-le, par sa transition électrique. Pour y arriver, nous avons besoin de l'implication d'EDF. Nous avons besoin que l'entreprise dispose d'une organisation adaptée pour être, ensemble, au rendez-vous des défis du XXIe siècle.
M. le président. La parole est à M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel. Madame la ministre, nous avons souhaité organiser ce débat car nous considérons que l'avenir d'EDF ne peut échapper à la représentation nationale. À vingt ans de dérégulation s'ajoutent l'urgence climatique et les objectifs que nous nous sommes fixés en matière de neutralité carbone. Vous engagez-vous à tirer le bilan de vingt ans de politique libérale dans le domaine énergétique ? Dans ce projet de scission, de dépeçage d'EDF, allez-vous choisir la concurrence au détriment de l'avenir et le marché au détriment d'un développement juste ? Vous vous apprêtez à découper EDF et à repeindre en bleu un pôle à capitaux publics qui portera la dette nucléaire et en vert un bloc partiellement privatisé qui aura pour mission de gérer la transition vers les énergies nouvelles.
Par ce découpage brutal, les activités rentables seront cédées à des intérêts privés, et la puissance publique portera la responsabilité des activités non rentables – dont le sort, de surcroît, apparaît de plus en plus flou au vu de vos différentes déclarations et de l'absence de stratégie du Gouvernement.
Sur ces différents points, nous avons donc besoin de réponses. De quelle manière sera piloté le projet Hercule ? Disposez-vous d'un calendrier ? Quels sont les objectifs réels pour EDF ? Quel avenir est prévu pour les salariés, dont le nombre dépasse 150 000 ? Combien d'emplois indirects sont concernés par ce projet ?
Aucune information n'a été communiquée aux salariés, hormis par voie de presse. Est-il normal qu'une entreprise publique qui a participé au développement de notre pays soit ainsi méprisée et que son sort se joue dans les antichambres, à coup de débats technocratiques et de négociations entre les bureaux de l'Elysée et ceux de la Commission européenne ? Qu'allez-vous faire du service public de l'électricité ? Le service rendu aux usagers français, déjà affecté par la fuite en avant libérale, ne risque-t-il pas de se détériorer encore – je pense notamment au droit à l'énergie – à la faveur du découpage que vous envisagez ? Telles sont quelques-unes de nos premières questions.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. J'entends ici des propos tout à fait caricaturaux. Le Gouvernement joue pourtant son rôle en proposant une stratégie énergétique, qui consiste, je le rappelle, à contribuer, par nos modes de production d'énergie, à l'objectif majeur de lutte contre le dérèglement climatique. L'électricité aura un rôle très important à jouer demain et doit être totalement décarbonée : tel est le cadre défini par le Gouvernement.
Cela suppose des actions ambitieuses de la part d'EDF, à la fois pour porter à cinquante ans la durée d'exploitation des centrales nucléaires du parc historique, pour développer les énergies renouvelables et pour adapter les réseaux. Ces actions entrent dans le cadre de la politique énergétique du Gouvernement qui a, je le rappelle, fait l'objet d'un vote du Parlement, dans le cadre de la loi relative à l'énergie et au climat.
Par ailleurs, comme je l'ai déjà dit, nous avons pour objectif de protéger les consommateurs français de la volatilité des prix des énergies fossiles et de protéger l'exploitant du parc nucléaire historique, EDF, du risque de prix bas qui le priveraient de sa capacité à investir et à maintenir le parc nucléaire historique.
Voilà le cadre posé par le Gouvernement. Il appartient ensuite aux dirigeants de l'entreprise de proposer une organisation qui réponde à ces objectifs, en concertation, évidemment, avec les organisations syndicales, démarche qui a été engagée par le président-directeur général d'EDF.
M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili.
Mme Barbara Pompili. J'associe à ma question ma collègue Émilie Cariou, membre de la commission des finances et de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, elle aussi préoccupée par les questions de finances et de transparence de l'électricien national.
Après la restructuration d'Areva et les nombreux déboires de la filière nucléaire et dans un contexte de fort ralentissement de l'industrie nucléaire dans le monde, l'entreprise EDF étudie aujourd'hui une nouvelle organisation visant à séparer deux entités, EDF Bleu et EDF Vert.
Outre les objectifs d'adaptation des réseaux et de développement des énergies renouvelables, EDF et son parc nucléaire font aujourd'hui face à de nombreux défis, qui ont été exposés.
Le montant de la dette s'élève actuellement à 37 milliards d'euros, auxquels il faut encore ajouter des dizaines de milliards d'euros de dette obligataire. Certains considèrent que ce sont des sommes négligeables ; ce n'est pas mon cas.
Les coûts globaux des EPR d'Hinkley Point et de Flamanville ont été revalorisés à la hausse, et atteignent respectivement 24 et 12,5 milliards d'euros, ce qui pose la question du financement.
Le coût des travaux du grand carénage était initialement évalué à 55 milliards d'euros par EDF ; la Cour des comptes estime qu'il en faudra le double, ce qui porterait ce montant à 100 milliards d'euros.
Les retours d'expérience ont montré que les estimations françaises des dépenses de démantèlement étaient très en deçà de celles proposées à l'étranger, qui en représentent environ le double. Rappelons qu'au cours des vingt prochaines années, il faudra démanteler les cinquante-huit réacteurs.
Dans son rapport de juillet 2019 sur l'aval du cycle du combustible nucléaire, la Cour des comptes rappelait en outre l'urgence de mettre à jour les estimations du coût du projet Cigéo – centre industriel de stockage géologique –, qui varient entre 25 et 70 milliards d'euros. De même, la Cour rappelle qu'il est urgent de réévaluer la pertinence de certaines stratégies industrielles, telles que le recyclage des combustibles.
Avant toute évolution de l'entreprise EDF, il apparaît donc indispensable de procéder à une évaluation exhaustive de sa situation, qui a des répercussions sur les finances publiques, et donc sur nos concitoyens. Est-il prévu de mettre à jour les évaluations financières du coût des enjeux auxquels doit faire face EDF ? Si oui, à quelle échéance ?
Par ailleurs, à l'heure du bilan de cette situation financière qui peut être qualifiée de catastrophique, il faut impérativement s'interroger : en quoi ce projet de scission et cette reprise en main par l'État pourraient-ils améliorer la gestion de notre parc nucléaire ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. La situation d'EDF fait naturellement l'objet d'un processus d'évaluation et de rapports réguliers tout au long de l'année, avec un suivi fréquent par le conseil d'administration et la réalisation de plans à moyen terme, actualisés tous les ans, à un horizon triennal. L'État est associé à ce suivi, dans le cadre de la gouvernance de l'entreprise, à la fois comme actionnaire majoritaire et comme commissaire du Gouvernement. Un comité d'audit est par ailleurs chargé du suivi des processus d'élaboration de l'information financière.
S'agissant de la situation financière actuelle, il faut se garder de tenir des propos alarmistes. Le chiffre d'affaires du groupe s'est établi, pour les neuf premiers mois de l'année 2019, à environ 60 milliards d'euros, en hausse par rapport à la même période en 2018. L'endettement du groupe est effectivement important – l'endettement financier net s'élevait à 37,4 milliards d'euros en juin 2019 –, et sa maîtrise est un enjeu majeur.
Des investissements très importants sont par ailleurs prévus. L'évolution du coût des projets de nouvelles installations nucléaires à Flamanville et Hinkley Point est un enjeu majeur. Le Gouvernement a donc diligenté une mission, confiée à Jean-Martin Folz. Nous avons débattu hier de ses conclusions et du plan d'action qu'il propose.
Concernant les réseaux, j'ai déjà évoqué les schémas d'investissement, d'un montant très important. La CRE – Commission de régulation de l'énergie – détermine le niveau du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité en les prenant en compte. Quant aux travaux du grand carénage, leur coût a été réduit de près de 20%.
Enfin, pour ce qui est du démantèlement futur des centrales, EDF dispose de provisions dédiées, comme vous le savez. La situation financière du groupe fait donc bien l'objet d'un suivi fin et régulier et le Gouvernement y est attentif. Le groupe a ainsi été recapitalisé à hauteur de 4 milliards d'euros, dont 3 milliards de l'État ; le choix a été fait de verser 5 milliards d'euros de dividendes non pas en “cash”, mais en actions. Bref, je peux vous assurer que nous sommes très attentifs à la situation financière du groupe, notamment à son endettement.
M. le président. La parole est à M. Raphaël Schellenberger.
M. Raphaël Schellenberger. Madame la ministre, vos propos d'aujourd'hui s'inscrivent dans la droite ligne de ceux tenus hier. Ce jeu de bonneteau – votre spécialité – consiste à faire croire que vos motivations sont écologiques, quand en réalité elles ne sont que financières.
On l'a vu dans l'inconstance de vos choix pour la centrale de Fessenheim ou pour RTE. Votre choix de pousser à l'interconnexion est lui aussi motivé par une logique qui n'est absolument pas industrielle, mais financière. Il acte la fin d'un modèle intégré d'EDF.
Rappelons aussi les événements précédents. Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie de Manuel Valls, sous la présidence de François Hollande, promettait que la vente de la branche énergie d'Alstom à l'américain General Electric créerait 1 000 emplois : aujourd'hui, 500 postes ont été supprimés.
EDF n'est pas une entreprise privée comme les autres : elle est le fruit de l'histoire et de l'ambition publique française. La puissance industrielle exige d'affirmer une vision stratégique, et souvent de résister à la tentation des solutions de facilité financières. Les relations contemporaines avec nos grands partenaires économiques étrangers, qu'ils soient américains ou asiatiques, témoignent de cette exigence. Avec EDF, la France et l'Europe comptent un acteur majeur de la transition énergétique. Pourquoi remettre en cause son unité ?
Madame la ministre, le Gouvernement a-t-il tiré toutes les conséquences de la “séquence Alstom” avant d'engager la scission d'EDF ? Si oui, quelle leçon en retenez-vous ?
Pourquoi mettre EDF Bleu, qui a le plus besoin d'investissements industriels, c'est-à-dire de capitaux dont le retour sur investissement s'inscrit dans le temps long, à la seule charge de l'État, et confier au privé EDF Vert, qui a plutôt besoin de capitaux financiers, c'est-à-dire avec un retour sur investissement rapide ? Cela revient en réalité à soumettre l'investissement dans le nucléaire et l'hydroélectricité aux contraintes budgétaires de l'État. Cela menace aussi de nous éloigner des standards de sûreté, dont le respect est aujourd'hui garanti par les exigences que peut imposer l'État à un partenaire privé, puisqu'on va supprimer un tiers dans la discussion.
Avec cette organisation, surtout, les choix en matière d'énergie nucléaire seraient encore plus fortement soumis aux motivations électorales, dont nous payons aujourd'hui le prix fort dans ma circonscription à Fessenheim.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Monsieur le député, vous êtes libre de votre interprétation. Quant à moi, je peux vous assurer que je suis motivée par la transition écologique et solidaire. Spécifiquement, dans le domaine de l'énergie, la stratégie portée par le Gouvernement et décrite dans la programmation pluriannuelle de l'énergie vise à décarboner notre économie, nos consommations et notre production d'électricité et à ramener la part du nucléaire à 50% en 2035. Nous avons déjà eu l'occasion d'en débattre hier, diversifier le mix énergétique est un choix raisonné. Les énergies renouvelables, en montant en puissance, prendront la relève en matière d'énergies non carbonées.
L'action du Gouvernement s'inscrit dans cette programmation pluriannuelle de l'énergie ; EDF doit jouer un rôle central dans la mise en oeuvre de cette stratégie.
Je ne peux pas accepter les propos sur une éventuelle scission que j'ai entendus. Je le répète : EDF doit être une entreprise intégrée et une entreprise publique. C'est dans ce cadre que les réflexions doivent être conduites au sein de l'entreprise pour trouver la meilleure organisation donnant à EDF, acteur majeur de notre politique énergétique, les moyens de réaliser les investissements massifs dont nous avons besoin dans la production d'énergie et dans les réseaux.
Nous sommes aussi, je le répète, très attentifs à la situation financière d'EDF. Le projet de régulation que nous promouvons au niveau européen vise à la fois à protéger les consommateurs français et à sécuriser la trajectoire d'investissement d'EDF dans le parc nucléaire historique .
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.
Mme Marie-Noëlle Battistel. Ce projet nous semble relever d'une logique financière – avis partagé par certains des orateurs précédents. La scission de l'entreprise ne nous semble pas être la clé du problème.
Nous avons plusieurs questions, notamment sur la remise en cause du caractère intégré du groupe, qui a fait la preuve de son efficacité depuis sa création. Qu'une même entité gère la production, la distribution et le réseau, c'est une garantie en matière de service public et de péréquation tarifaire. Vous dites être attachée à ce modèle intégré et soucieuse de le protéger. J'aimerais que vous nous expliquiez comment, parce que ce sujet m'inquiète.
J'en viens à l'ARENH, qui a fait l'objet de nombreuses discussions lors du débat sur le projet de loi relatif à l'énergie et au climat. Au lieu de relever le plafond des revenus d'EDF, comme nous l'avons fait, il fallait poser les vraies questions, celles du prix et du sens.
Ce dispositif a perdu son sens, et le plafond de revenus imposé à EDF est injuste. Sa mise en place n'a pas conduit les fournisseurs alternatifs à investir dans les moyens de production. L'ARENH est absolument obsolète. Comment envisagez-vous de le réformer ?
Cette réforme est nécessaire si l'on veut réorganiser EDF, puisque sans elle, le groupe ne disposera pas des moyens demandés par la transition énergétique.
Dans le schéma d'EDF Vert, où l'on ouvre au secteur privé les activités régulées d'EDF, comment envisagez-vous la cohérence entre les productions centralisée et décentralisée ?
Que deviendront les contrats de concession conclus entre Enedis et les collectivités concédantes alors que le Gouvernement envisage une régionalisation du système de distribution d'électricité, fusionné avec les réseaux de gaz ?
J'en viens aux concessions hydroélectriques, que vous projetez d'intégrer à EDF Bleu. Vous êtes attachée à leur caractère public et travaillez avec la Commission européenne sur l'idée d'une quasi-régie. Quelles concessions seraient concernées ? Toutes, ou seulement celles arrivées à échéance ? Seulement celles exploitées par EDF ? Qu'en serait-il alors de celles exploitées par la CNR – Compagnie nationale du Rhône – et la SHEM – Société hydroélectrique du Midi ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je redis très clairement que la réorganisation d'EDF vise à répondre aux objectifs que j'ai rappelés, qui sont ceux de la loi relative à l'énergie et au climat et de la programmation pluriannuelle de l'énergie. Il s'agit de donner à l'entreprise tous les moyens de rester au cœur de notre politique énergétique, avec quelques conditions claires : le maintien d'une entreprise intégrée, le maintien d'une entreprise publique.
M. Sébastien Jumel. En quoi consiste le projet Hercule, alors ?
M. André Chassaigne. Nettoyez-vous les écuries d'Augias ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. S'agissant de l'ARENH, je suis quelque peu surprise de la contestation potentielle de la nécessité d'une régulation des prix du nucléaire. Il convient de garder à l'esprit que si les prix de vente de l'énergie aux fournisseurs d'énergie flambent, ils flamberont pour les consommateurs français !
Mme Marie-Noëlle Battistel. Pas avec l'ARENH !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Cela justifie pleinement que nous veillions à avoir un mécanisme évitant que le prix de vente du nucléaire historique ne flambe au gré des éventuels événements géopolitiques. Ceux-ci peuvent en effet conduire à l'apparition de tensions sur le cours des énergies fossiles, et donc à une flambée des prix de l'énergie en Europe. Le Gouvernement est dans son rôle lorsqu'il réfléchit à une régulation visant à protéger les consommateurs français d'une flambée des prix du nucléaire historique.
M. Sébastien Jumel. Parlez-nous du projet Hercule !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Dans le même temps, nous examinons une régulation qui permette de sécuriser les investissements dont l'entreprise aura besoin pour le maintien en état du parc nucléaire historique.
M. Sébastien Jumel. Parlez-nous du projet Hercule !
M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.
Mme Jeanine Dubié. Je tiens tout d'abord à remercier le groupe GDR, qui est à l'origine de ce débat sur le projet Hercule. Ma question concerne spécifiquement le futur EDF Bleu, entité destinée à être renationalisée et qui engloberait le nucléaire, le réseau de transport et l'hydroélectricité.
En tant qu'élue de la montagne, je suis particulièrement attentive à l'avenir de cette dernière filière. Il est utile de rappeler, car cela est trop souvent oublié, qu'elle est la première source d'énergie renouvelable et qu'elle participe activement à l'aménagement des territoires, comme c'est le cas chez moi, dans les Hautes-Pyrénées. En effet, les barrages hydroélectriques ne servent pas qu'à produire de l'électricité. Ils ont aussi des fonctions essentielles dans la régulation du débit des cours d'eau, sans parler du potentiel de stockage des stations de transfert d'énergie par pompage, les STEP, qui permettent de contrecarrer l'intermittence des énergies éolienne et solaire.
Je regrette que la Commission européenne ne reconnaisse pas les spécificités de l'énergie hydroélectrique, comme en témoignent les mises en demeure adressées à la France s'agissant des concessions hydroélectriques arrivées à échéance.
Le 12 juin dernier, lors de son discours de politique générale, le Premier ministre affirmait : « Nous respectons le droit européen, mais nous n'accepterons pas le morcellement de ce patrimoine qui appartient aux Français ». Depuis, les négociations se poursuivent, sans que la représentation nationale ne soit informée de leur avancement, en contradiction avec l'engagement pris par Brune Poirson ici même, lors d'un débat organisé en mars 2019, également à l'initiative du groupe GDR. Madame la ministre, qu'en est-il aujourd'hui ?
Plus largement, le projet Hercule ambitionne de réorganiser l'ensemble de notre modèle de production et de transport de l'électricité. Quelles seront ses implications pour le développement de l'énergie hydroélectrique, largement oubliée dans la dernière PPE ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je souhaite réaffirmer que le Gouvernement soutient pleinement l'hydroélectricité. Il s'agit d'une énergie renouvelable flexible et compétitive, importante à la fois pour le système électrique, car contribuant à l'atteinte des objectifs de progression des énergies renouvelables, mais aussi pour le développement économique de nos territoires.
Le droit français, en conformité avec le droit européen, prévoit aujourd'hui que les concessions hydroélectriques échues doivent être renouvelées par mise en concurrence. Plusieurs d'entre elles sont arrivées à échéance depuis la fin de l'année 2011 sans que des procédures concurrentielles n'aient été engagées. Compte tenu des enjeux sociaux, économiques et écologiques liés à l'hydroélectricité, les gouvernements successifs ont souhaité donner un cadre protecteur à ces concessions. Différentes mesures sont prévues, notamment par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, comme la possibilité pour les collectivités locales d'être associées à une concession dans le cadre d'une société d'économie mixte hydroélectrique. La loi permet aussi le regroupement de concessions hydrauliquement liées pour faciliter leur exploitation, ainsi que la prolongation contre travaux, dans le respect de la directive sur l'attribution de contrats de concession.
M. Sébastien Jumel. Le projet Hercule est-il enterré ? Nous n'avons pas de réponse à cette question, madame la ministre !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Nous avons par ailleurs souhaité ouvrir une nouvelle option, avec la Commission européenne, avec le statut de quasi-régie qui nous permettrait d'éviter une mise en concurrence. Je rappelle à cet égard que nous nous trouvons dans une situation quelque peu paradoxale, la France étant le seul pays où l'hydroélectricité est exploitée dans le cadre de concessions – ce qui explique les difficultés rencontrées lorsqu'elles arrivent à terme. À l'inverse, il n'existe pas de mise en concurrence dans les pays voisins, où la production hydroélectrique appartient aux opérateurs. Nous discutons aujourd'hui avec la Commission européenne de la possibilité d'un tel schéma. Les discussions n'ont pas encore abouti, mais cette option pourrait répondre à l'attente qui s'exprime dans de nombreux territoires.
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme Mathilde Panot. 37 milliards d'euros : tel est le montant de la dette d'EDF au 30 juin 2019, aggravé par les chantiers faramineux des EPR de Flamanville et d'Hinkley Point, qui s'élèvent respectivement à 12,4 et 24 milliards d'euros. La construction de six EPR supplémentaires coûterait 46 milliards d'euros et la prolongation et la mise aux normes des centrales vieillissantes s'élèverait, quant à elle, à 100 milliards d'euros au moins, selon la Cour des comptes.
Manifestement, il n'y a que lorsqu'il s'agit du nucléaire que vous adorez la dépense publique. Votre gouvernement fomente de longue date ce projet qui vise à scinder en deux EDF pour faire supporter les coûts de la dette du nucléaire à l'État, et céder à la concurrence les activités liées aux énergies renouvelables. En bref, cela revient à privatiser les bénéfices, en laissant un secteur d'avenir à la voracité des intérêts privés, et à socialiser les pertes. Il s'agit bien d'un démantèlement d'EDF, quoi que vous en disiez, et c'est d'ailleurs ce terme qu'employait le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique – qui n'était autre qu'Emmanuel Macron – en mars 2016 devant les parlementaires, en parlant de cette opération.
Quelle fulgurance ! La désintégration d'EDF, après la privatisation de Gaz de France et l'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie, sous la pression de l'Union européenne, rendrait encore plus difficile la planification écologique dont nous avons tant besoin ! Elle mettrait fin à toute idée de service public de l'électricité qui approvisionne à égalité tous les Français et Françaises !
Qui donc vous a soufflé cette idée ? On apprend dans des enquêtes que depuis 2015, l'idée trotte dans la tête d'Emmanuel Macron, influencé par des amis banquiers anciens d'EDF, et par une note produite par Rothschild & Co. Si c'est Rothschild qui le dit, après tout, peu importe que 40% des salariés d'EDF se soient mis en grève en septembre dernier pour s'opposer au projet !
Madame la ministre, cessez de jouer les chirurgiens du dimanche en découpant ici et là des trésors publics sans aucun projet industriel de long terme et à des fins financières. Ne cédez pas aux sirènes néolibérales de Bruxelles, pour qui le service public rime avec l'ancien monde alors qu'il est, plus que jamais, garant de l'égalité de tous les Français. Ma question est simple : que répondez-vous aux salariés d'EDF opposés à cette refonte ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je voudrais répéter, même si je n'ai pas l'impression d'être entendue, que la réflexion du Gouvernement porte d'abord sur la politique énergétique de la France, dans un contexte d'urgence climatique nous imposant d'avoir durablement une énergie – et en particulier une électricité – décarbonée. Nous sommes donc bien guidés, avant tout, par une réflexion de politique énergétique. Elle doit ensuite être suivie d'une réflexion de politique industrielle, au sein de notre opérateur historique, faisant l'objet d'une discussion avec les organisations syndicales représentatives.
Je n'approuve quasiment aucun des termes que vous avez employés. Au sujet des chiffres que vous citez concernant les supposées dépenses consacrées au nucléaire, je voudrais rappeler que les crédits publics de l'État ne ciblent pas le nucléaire : il s'agit de 5 milliards d'euros par an dédiés au soutien des énergies renouvelables. Pour une période de dix ans, la durée de la PPE, cela représente 50 milliards d'euros. Il me semble important que chacun ait ces chiffres à l'esprit.
Mme Mathilde Panot. Mais pas une seule éolienne en mer, pas une seule !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Votre intervention semble par ailleurs donner l'impression que le nucléaire historique serait une activité déficitaire. Or ce n'est absolument pas le cas : cette activité dégage aujourd'hui des résultats ; elle contribue largement au résultat global d'EDF.
Enfin, vous semblez douter de la nécessité d'un contrôle public, par l'État, de la production d'énergie nucléaire. Le Gouvernement, pour sa part, en est pleinement convaincu. Nous sommes face à des enjeux de souveraineté, nécessitant des visions de long terme.
Mme Mathilde Panot. Pourquoi mettre en oeuvre le projet Hercule, alors ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Il est donc parfaitement légitime de considérer que l'État doit contrôler les activités nucléaires en France.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.
M. Jean-Paul Dufrègne. Que signifie vraiment le projet Hercule, refusé à l'unanimité par les syndicats ? Telle est la vraie question, et la source d'une inquiétude partagée. Hercule, c'est la fin d'EDF tel qu'il a été pensé et conçu en 1946 et c'est la poursuite du projet libéral du Gouvernement, selon lequel il faudrait ouvrir les valves des marchés et désengager l'État.
En effet, avec le projet Hercule, ce sont deux branches d'EDF qui vont être créées : l'EDF bleu, avec les activités nucléaires et hydrauliques, géré par l'État, et l'EDF vert, privatisé, coté en bourse, et tourné vers les énergies renouvelables. Le tout répond, in fine, à une logique financière et libérale. Est-ce bien cela le projet Hercule, madame la ministre, et est-il toujours d'actualité ?
Pourtant, les prix de l'électricité et des énergies n'ont-ils pas augmenté de manière exponentielle ? Au 1er janvier 2020, la facture a encore gonflé pour les particuliers, de 3,5% à 4%, là où l'année dernière elle avait augmenté de 7%. La généralisation de la concurrence sur le marché électrique se fait aux dépens des consommateurs. Les grands gagnants en seront les flux de capitaux, et non pas l'intérêt général.
Nous ne pouvons que saluer les efforts réalisés en faveur de la cause environnementale. Cependant, les moyens mis en oeuvre ne sont pas les bons. Nous ne pouvons, sous couvert d'une marche accélérée de la transition énergétique, privatiser à tour de bras une entreprise dont l'État est actionnaire à 83,7%. Vous l'avez fait avec La Française des Jeux, votre politique semble aller dans la même direction pour la SNCF, et vous souhaitez poursuivre en ce sens pour EDF.
Le développement anarchique des énergies renouvelables, notamment l'énergie éolienne, est une véritable catastrophe dans les territoires ruraux, comme le mien dans l'Allier, et nous appelons à renforcer l'intervention publique dans ce secteur pour structurer son développement. Vous voulez au contraire confier au privé ce secteur essentiel et stratégique. Quand allez-vous cesser d'abîmer la France ?
M. Sébastien Jumel. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Il s'agit de procès d'intention…
M. Jean-Paul Dufrègne. Non, c'est une réalité chez nous, pas un procès !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Vous nous suspectez de vouloir privatiser EDF, mais aussi la SNCF. Or la loi de 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire est parfaitement claire à ce sujet : la SNCF est une entreprise publique et le restera – tout comme EDF l'est et le restera aussi.
M. Sébastien Jumel. Et unifiée ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Comme je l'ai rappelé, elle est non seulement une entreprise publique, mais elle doit aussi rester un groupe intégré. J'entends vos critiques quant aux hausses des prix de l'électricité. J'ai du mal à comprendre comment l'on peut critiquer ces hausses tout en contestant les démarches engagées pour maintenir durablement une régulation du nucléaire historique, qui constitue une part importante de notre production d'électricité.
M. Jean-Paul Dufrègne. Demandez aux pauvres !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je confirme que le Gouvernement estime nécessaire de protéger les consommateurs français des fluctuations des prix des énergies fossiles, sachant que le consommateur français et la puissance publique ont soutenu le développement d'un parc nucléaire historique ; celui-ci doit aujourd'hui bénéficier à l'ensemble des consommateurs français. Cette préoccupation guide les démarches engagées par le Gouvernement, avec la Commission européenne, pour veiller à la mise en place d'une régulation dans la durée. Celle-ci permettra aussi de sécuriser les investissements importants qu'il faudra consentir au cours des prochaines années sur le parc nucléaire historique.
Par ailleurs, il me semble important, dans la perspective d'un mix équilibré et décarboné, de permettre le développement des énergies renouvelables, solaire mais aussi éolienne. Comme je l'ai indiqué hier, je partage votre avis quant au développement de l'éolien terrestre, qui ne s'opère pas de façon harmonieuse sur le territoire national. Les parcs sont beaucoup trop concentrés dans deux régions – en particulier dans les Hauts-de-France. Le groupe de travail que j'ai lancé en décembre dernier doit justement veiller à une meilleure intégration et à une répartition plus équilibrée de l'éolien sur notre territoire.
M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Madame la ministre, nos collègues du groupe GDR n'ont pas souhaité organiser un débat sur la transition écologique, mais un débat sur le projet Hercule.
M. Sébastien Jumel. Eh oui !
M. Olivier Marleix. Sur la construction de ce projet essentiellement financier, nous déplorons un manque de transparence évident de la part du Gouvernement. Il y a quelques minutes, vous avez dit clairement que vous attendiez que les dirigeants d'EDF vous proposent quelque chose. En septembre, dans le cadre des questions au Gouvernement, M. Bruno Le Maire m'avait répondu la même chose : le Gouvernement attendait que le projet Hercule lui soit proposé alors qu'il avait déjà été présenté aux syndicats. Heureusement, Jean-Bernard Lévy a fait preuve d'un peu de transparence devant la commission des affaires économiques du Sénat : il y a rappelé que ce projet était une commande du Président de la République, lequel a demandé à EDF s'il existait des moyens d'optimiser la gestion de ses actifs et passifs.
M. Olivier Marleix. M. Christophe Carval, directeur exécutif du groupe EDF, nous a dit il y a quelques minutes qu'il travaillait à ce projet avec l'Agence des participations de l'État. Cela montre bien que le projet dépasse le cadre de l'entreprise et que l'État n'est pas totalement en dehors de la boucle – et heureusement, puisque c'est du patrimoine des Français qu'il est question, dans la mesure où l'APE gère les 30 milliards d'euros de participations que l'État détient dans le capital d'EDF.
M. Olivier Marleix. Ma question, très simple, vise à obtenir un tout petit peu de transparence sur ce dossier qui relève de la souveraineté nationale – vous l'avez dit vous-même, madame la ministre. Quels sont les conseils – consultants et banques conseils – dont l'APE s'est entourée pour construire ce dossier et gérer le patrimoine des Français ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Vous ne pouvez pas dire que Hercule serait un projet financier et, dans le même temps, refuser le débat sur la politique énergétique de notre pays, qui sous-tend la réflexion qui doit être menée au sein de l'opérateur historique pour adapter son organisation à l'évolution du mix électrique. Si l'on refuse de voir le contexte général dans lequel s'inscrit la réflexion de l'entreprise, de fait, on peut trouver que ce projet n'a pas de sens en termes de politique énergétique et industrielle.
M. Sébastien Jumel. C'est le cas !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Au contraire, il me semble très important d'échanger sur les objectifs de la politique énergétique de notre pays : c'est un préalable à la réflexion devant être conduite au sein de l'entreprise.
Pour avoir eu l'honneur de diriger une entreprise publique, je pense qu'il est de la responsabilité des dirigeants de proposer au Gouvernement…
M. Sébastien Jumel. Et à la représentation nationale !
Mme Élisabeth Borne, ministre. …l'organisation la plus adaptée pour mettre en oeuvre la stratégie de ce dernier.
Vous savez très bien, monsieur Jumel, que le cadre de l'organisation d'EDF est largement défini par la loi : s'il devait y avoir des évolutions importantes, le Parlement aurait forcément à en connaître.
M. Sébastien Jumel. Ah ! Le projet n'est donc pas bouclé !
Mme Élisabeth Borne, ministre. La question posée au PDG d'EDF est celle que vous avez rappelée : quelle est l'organisation la plus adaptée pour mettre en oeuvre une transition qui représente une évolution importante de notre mix électrique et pour donner à l'entreprise tous les atouts lui permettant d'être un acteur central de notre politique énergétique ? Évidemment, le Gouvernement ne se désintéresse pas des réflexions menées au sein de l'entreprise – l'APE et la direction générale de l'énergie et du climat y sont attentives –, mais nous ne devons pas perdre de vue la finalité de ces réflexions, à savoir qu'EDF demeure un acteur central de notre politique énergétique alors que notre mix électrique va connaître une évolution importante.
M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville.
M. Gabriel Serville. Je confirme ce que vient de dire notre collègue Jean-Paul Dufrègne : tout comme vous, madame la ministre, la représentation nationale craint une flambée des prix de l'électricité qui serait contraire aux intérêts des consommateurs. Il est donc dommage que vous assimiliez systématiquement nos interventions à de la caricature.
M. Gabriel Serville. Lors de l'ouverture du secteur à la concurrence, on nous promettait une baisse des prix ; or on observe au contraire, depuis dix ans, une hausse continue des prix de l'électricité. Selon les chiffres d'Eurostat, l'électricité, qui était 30% moins chère que la moyenne européenne en 2010, ne l'était plus que de 17% en 2016. Depuis 2010, alors que la structure de production n'a quasiment pas évolué, le prix du kilowattheure a progressé de plus de 30%. De fait, après une hausse de 7% en 2019, il était prévu que la facture gonfle encore d'environ 3,5% ou 4% au 1er janvier 2020.
M. Gabriel Serville. Si les coûts de production sont restés stables, ainsi que le coût de commercialisation, qui représentait 35% de la facture en 2017, il en va autrement de deux autres composantes que sont les taxes et les coûts de transport, qui pèsent respectivement près de 35% et 30% sur la facture. La part de ces deux postes de dépenses s'est donc littéralement envolée. Or, avec le projet Hercule, une part accrue des taxes sera affectée à l'ensemble du système de subvention des éoliennes, panneaux solaires et autres travaux d'isolation thermique.
M. Gabriel Serville. Par ailleurs, selon David Cayla, économiste à l'université d'Angers, en qui nous pouvons avoir confiance, un autre facteur inflationniste, visible sur la facture énergétique et renforcé par Hercule, est la généralisation de la concurrence sur le marché électrique, alors que l'on sait désormais que le marché de l'électricité est typiquement celui pour lequel la concurrence est la moins efficiente. Ce qui se profile donc, avec Hercule, c'est que les concurrents privés d'EDF pourront capter une plus grande partie du nucléaire à prix régulé, et ce, encore une fois, au détriment des consommateurs.
M. Gabriel Serville. Aussi, nous souhaitons savoir de quelles garanties nous disposons pour que ce projet n'aggrave pas davantage la situation de précarité énergétique qui touche déjà plus de 9 millions de Français, avec des conséquences dommageables sur leur porte-monnaie.
M. Jean-Paul Dufrègne et M. Sébastien Jumel. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Il est paradoxal de contester le déplafonnement des volumes d'ARENH tout en exprimant votre préoccupation de mieux maîtriser le prix de l'énergie pour les consommateurs. On ne peut pas tout à la fois souhaiter augmenter le prix du nucléaire historique payé à EDF et imaginer que cela va conduire à baisser la facture pour les consommateurs. Ce n'est pas compatible !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Nous nous préoccupons évidemment des prix de l'électricité payés par les consommateurs français. C'est pourquoi nous souhaitons rénover le mécanisme de l'ARENH tout en maintenant une régulation des prix du nucléaire historique. Nous souhaitons aussi la baisse des prix des énergies renouvelables, ce dont je me félicite, étant entendu que nous dépensons chaque année 5 milliards d'euros pour financer l'écart entre les coûts de production et les prix proposés aux consommateurs. Je peux donc vous garantir que nous mettons des moyens pour nous assurer que les prix de l'électricité sont maîtrisés – c'est, in fine, le rôle de la Commission de régulation de l'énergie que de s'assurer que les prix collent au plus près aux coûts de production –, mais on ne peut pas vouloir à la fois des prix très rémunérateurs pour le producteur et des prix bas pour le consommateur. Les deux sont inconciliables !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je vous rappelle par ailleurs que nous avons considérablement élargi le champ du chèque énergie à destination des consommateurs les plus modestes : il bénéficie désormais à près de 6 millions de ménages.
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour poser la dernière question de ce débat.
M. André Chassaigne. La main sur le cœur, avec détermination, vous soutenez, madame la ministre, qu'il y aura un projet industriel pour ce qui concerne notamment EDF Bleu. Un projet industriel doit s'inscrire dans la durée, et non sur le court terme en fonction d'intérêts financiers qui seraient derrière le bois. Or, pour qu'un projet industriel s'inscrive dans la durée, il ne faut pas que la structure soit limitée à la gestion d'une rente destinée à s'éteindre avec la fin des réacteurs, voire avec la privatisation des barrages. Il faut encourager la recherche, notamment la recherche fondamentale. Pourtant, le Gouvernement a pris la décision d'abandonner le projet Astrid de réacteur nucléaire de quatrième génération, sans explication, sans doute pour de simples raisons financières. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, mais l'abandon de cette recherche fondamentale sur le projet Astrid va hypothéquer la mise en oeuvre d'un véritable projet industriel pour EDF.
M. André Chassaigne. De la même façon, est-ce que vous nous présentez des technologies alternatives ? Il n'est pas question de sortir de la filière nucléaire immédiatement, même au regard des enjeux climatiques – on sait bien que ce serait complètement ridicule ! Il faut donc développer des technologies alternatives et ne pas en rester à l'EPR. Où en est la recherche qui permettra de construire sur une assise un véritable projet industriel ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. S'agissant du projet Astrid, je rappelle que les efforts se sont focalisés, ces dernières années, sur le déploiement d'une filière de réacteurs à neutrons rapides de quatrième génération refroidis au sodium. Il est apparu que cette filière, supposée réduire les besoins en uranium, ne répond pas à une contrainte immédiate liée à l'approvisionnement en uranium, sur lequel il n'y a pas de tensions aujourd'hui. Cette filière était également supposée permettre la fermeture du cycle du combustible, mais elle ne répond pas réellement à cet objectif. Si nous voulons appréhender la fermeture du cycle dans sa globalité, nous devons travailler non seulement sur le réacteur, comme c'était le cas dans le projet Astrid, mais aussi sur la préparation et le recyclage du combustible. Il s'agit donc d'un vaste programme de recherche, dont je peux vous confirmer qu'il n'a pas été arrêté – le Gouvernement a décidé de réorienter les efforts vers un programme visant à renforcer et à maintenir nos connaissances physiques sur les réacteurs à neutrons rapides et sur les procédés de cycles associés.
M. André Chassaigne. Aucun scientifique ne soutient cela ! Tous les chercheurs sont vent debout contre votre décision !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je ne savais pas qu'il n'y avait pas de scientifiques au sein du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives – en tout cas, c'est la position du CEA.
M. André Chassaigne. Non, cela a été imposé au CEA !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Pour ma part, je fais toute confiance aux dirigeants du CEA pour porter une vision scientifique.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je rappelle par ailleurs que nous poursuivons le projet ITER – c'est un autre champ de réflexion dans le domaine des énergies nucléaires – et que nous n'avons pas du tout baissé la garde dans nos réflexions sur de nouvelles générations de réacteurs nucléaires. Nous avons simplement rééquilibré nos efforts en termes de recherche et développement, en travaillant non seulement sur le réacteur, mais aussi sur l'ensemble des procédés de cycles associés.
M. le président. Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 10 janvier 2020