Interview de M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites, à Radio Classique le 7 janvier 2020, sur la mise en place des "critères objectifs" pour la pénibilité et le coût de la réforme des retraites.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

GUILLAUME DURAND
Nous sommes avec Laurent PIETRASZEWSKI, qui vous le savez est député du Nord, mais maintenant chargé au Gouvernement de cette affaire des retraites. Bonjour et bienvenu.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Bonjour Guillaume DURAND.

GUILLAUME DURAND
Un petit mot de présentation. Vous êtes né en 1966, si ma mémoire est bonne. Vous êtes né à Saint-Denis, vous avez fait des études d'économie dans la belle Université de Lille 1 et vous êtes député de la 11ème circonscription du Nord, avant d'avoir repris donc ce dossier qui est extrêmement brûlant, avec un rendez-vous crucial ce matin. Justement, ce rendez-vous, si j'ai dit une erreur ou prononcé un mot de travers, vous n'hésitez pas, et nous allons évidemment converser tout à l'heure.

-Chronique de Guillaume TABARD-

GUILLAUME DURAND
Laurent PIETRASZEWSKI, donc, rebonjour. Les questions sont à la fois factuelles et les questions sont de fond, c'est un dossier qui est ultra-complexe. La retraite c'est quelque chose qui est souvent bouleversant, compliqué à assumer et à expliquer, pour tous les gens qui sont concernés, c'est-à-dire nous tous, les Français. Première question toute simple : est-ce que vous avez une idée de la date de cette fameuse conférence de Presse, ou cette conférence sur les retraites, sur laquelle vous pourriez vous mettre d'accord avec la CFDT ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Guillaume DURAND, le Premier ministre vient de s'exprimer, vous l'avez d'ailleurs vous-même passé là, il y a quelques instants à l'antenne. Cette proposition de Laurent BERGER de réunir une Conférence sur le financement de notre système de retraite, c'est une bonne idée, le Premier ministre prend cette idée, va échanger avec les partenaires sociaux – et j'y serai également avec Agnès BUZYN, Muriel PENICAUD et Olivier DUSSOPT tout à l'heure au ministère du Travail – a proposé une méthode, on va lui laisser la possibilité de le faire tranquillement avec les partenaires sociaux.

GUILLAUME DURAND
On a dit juillet, est-ce que ça vous parait crédible ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
On va voir. Je crois que ce qui est intéressant là, c'est de se dire : sur le fond, nous, nous appelons de nos vœux des propositions qui viennent des partenaires sociaux. On peut entendre que les partenaires sociaux aient peut-être d'autres idées que de voir appliquer une notion d'âge d'équilibre. Eh bien dès le début le Premier ministre l'avait dit dans son discours au CESE, qu'il était prêt à regarder d'autres options si on lui proposait. Il y a une option qui est mise sur la table par Laurent BERGER, cette option, il faut la regarder avec intérêt, il faut regarder la feuille de route de cette option.

GUILLAUME DURAND
Mais alors, si on est clair, pardonnez-moi de vous interrompre, si on est clair, c'est-à-dire que d'un côté il y aurait le système qui est le système universel qui serait adopté, et on décalerait de cette affaire-là, la question de l'âge pivot ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Non mais je crois que vous allez un peu vite en besogne, Guillaume DURAND. Je comprends votre question, ce que je veux dire c'est qu'il faut que l'on puisse quand même se poser…

GUILLAUME DURAND
Parce qu'il y a la question d'un abandon, il y a beaucoup de gens qui se demandent ce matin, est-ce que finalement les 64 ans, ça ne va pas être abandonné ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
La question c'est celle de l'équilibre, en fait. On ne peut pas avoir un système durable par répartition, qui ne soit pas équilibré, puisqu'on se redit les choses, dans un système par répartition, ce sont les cotisations d'aujourd'hui qui paient les pensions d'aujourd'hui. Donc il est important que ce dispositif, ce système, soit équilibré. C'est d'ailleurs ce qui est proposé par le rapport de Jean-Paul DELEVOYE et ce qui a été repris par le gouvernement. Donc, cette idée, elle est importante, il faut la faire vivre pour que ce système soit solide. Là, la proposition, eh bien elle va être examinée, on va regarder, le Premier ministre a indiqué que dans les heures qui viennent nous allons, nous, dès 09h30, nous retrouver avec les partenaires sociaux au ministère du Travail. Il y aura des échanges à ce moment-là, et je pense que cela va continuer très vite.

GUILLAUME DURAND
Est-ce que cela veut dire que l'on va pousser, alors, parce que ce qui est assez peu compréhensible pour les gens ce matin, c'est de savoir sur quoi on va discuter. On va prendre profession par profession, pour voir, sinon quelles sont les professions qui pourraient avoir une exemption d'âge pivot ou qui pourraient avoir des mesures de pénibilité favorables pour ces professions, telles que finalement ils ne regarderaient plus l'âge pivot comme étant l'âge butoir pour les départs à la retraite ? C'est quoi ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Alors, effectivement, on est sorti du débat sur l'équilibre que l'on vient d'évoquer juste avant, et puis vous revenez sur une autre idée qui est importante, celle de la pénibilité et sur le fond d'une sorte d'individualisation de la référence collective. C'est ça qui... Et d'ailleurs je crois que ça fait partie d'ailleurs des demandes des syndicats réformistes, sur le fond, d'avoir une individualisation de cette référence collective. Moi je pense que c'est bien qu'il y ait une référence collective, il faut qu'on la détermine ensemble, et peut-être que cette conférence des financeurs va nous y aider. Et puis je crois aussi que c'est important qu'il y ait, vous avez souligné, des possibilités qu'il y a au travers de la pénibilité lorsque des critères sont mis en place, on peut aussi parler des carrières longues...

GUILLAUME DURAND
Policiers, marins, ... etc.

LAURENT PIETRASZEWSKI
... et puis aussi des éléments qui sont liés peut-être à des éléments exceptionnels, la dangerosité, vous avez raison de rappeler que quand on expose sa vie pour protéger celle de ses concitoyens et sa Nation, c'est quelque chose de très important. Donc il y a des éléments qui sont, une universalité de la pénibilité, on veut pouvoir regarder la pénibilité de la même façon, à l'hôpital, dans la Fonction publique, que dans les entreprises privées, donc avec des critères objectifs, mais ces critères eh bien on a dit « vous regardez les seuils », et tout ça, ça va nous permettre d'individualiser effectivement les parcours des uns et des autres.

GUILLAUME DURAND
Vous avez peut-être lu ce matin donc l'interview de Geoffroy ROUX de BEZIEUX, pour un certain nombre de professions, il ne veut pas en entendre parler. Et on se souvient de la conversation qui avait eu lieu par exemple sur le Code du travail, il y avait dix critères de pénibilité qui étaient avancés par les syndicats, le gouvernement à l'époque en a retenu quatre et en a refusé six. Est-ce que ça veut dire qu'on remet les dix ce matin dans la conversation ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Il y en a six qui sont actuellement en place, dans ce qu'on appelle le CPP, le Compte Personnel de Prévention. Il y en a trois qui sont liés à l'environnement de travail, et puis il y en a trois qui sont liés aux rythmes de travail. Les seuils de ces trois, pardon, de ces six critères, on peut les regarder, d'ailleurs on a fait des propositions déjà en la matière, notamment pour ce qui est du travail de nuit, du travail par roulement. On sait bien que ces seuils peuvent être revus, pour qu'il y ait plus de bénéficiaires.

GUILLAUME DURAND
Mais, public/privé ou simplement public, Laurent PIETRASZEWSKI ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Non, l'ensemble…

GUILLAUME DURAND
Parce qu'il y a beaucoup de gens qui nous disent : mais alors finalement les déménageurs ils n'auront pas le droit à la pénibilité, alors qu'ils font un boulot épuisant, et c'est vrai que les infirmiers dans les hôpitaux faut aussi un boulot épuisant. Mais je veux dire, il y aura une sorte d'iniquité public/privé.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Non, justement, puisque c'est ça, un des piliers de notre grande réforme, c'est d'avoir une universalité de la pénibilité. C'est-à-dire qu'on la regarde de la même façon dans le public, dans le privé, et à l'hôpital. La question qui est évoquée autour des autres critères de pénibilité, qui n'étaient pas mesurables de façon opérationnelle dans l'entreprise, c'est bien pour ça qu'ils n'ont pas été repris en 2017. Si on doit réfléchir, et moi je l'ai dit à plusieurs reprises, et je sais que c'est la volonté du gouvernement et Muriel PENICAUD qui sera à la manœuvre sur ce sujet, s'il faut réfléchir, et moi je pense qu'il faut réfléchir à des reconversions professionnelles. S'il faut réfléchir à la possibilité d'avoir des retraites progressives, je pense que la responsabilité qu'on a, est là aussi de faire évoluer les choses.

GUILLAUME DURAND
Vous avez annoncé, c'était d'ailleurs dans le livre d'Emmanuel MACRON « Révolution », qui a précédé la campagne électorale, on a annoncé un régime universel pour les retraites. Si vous faites du cas par cas avec tout le monde, ça va devenir de moins en moins universel, de plus en plus spécifique.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Eh bien, il faut aussi se redire, Guillaume DURAND, que l'universalité, Jean-Paul DELEVOYE aimait dire, et moi je trouve que la phrase était bonne, que ce n'est pas unicité. Nous sommes dans une réalité du monde de l'emploi, mais ce que demandent nos concitoyens, vous savez, j'étais dans ma circonscription, vous aviez la gentillesse de rappeler tout à l'heure que je suis un élu du Nord, dans ma circonscription dans le petit village de Prémesques, dimanche pour les vœux du maire. Vous savez, les échanges que j'ai eus, moi avec les citoyens qui étaient là, eh bien c'est qu'ils me disaient : mais Laurent, on ne dit pas qu'il n'y a pas de la pénibilité dans tel métier ou à l'hôpital, ou vous parliez par exemple là des personnes qui mènent des entreprises de déménagement, y contribuent, on ne dit pas qu'il n'y en a pas, on veut que ce soit mesuré de la même façon. Par contre, vous savez, lorsqu'on discute avec eux de situations exceptionnelles, comme la personne qui met en danger sa vie, comme la personne qui part 20 jours et qui va travailler 18 heures sur 24 sur un bateau en mer, eh bien on voit bien qu'on est dans des situations exceptionnelles. Donc ils sont très à l'aise pour me dire : mais oui Laurent, effectivement ces situations-là sont exceptionnelles. On sait qu'il y a des situations exceptionnelles, maintenant ce qu'on veut c'est que pour la grande grande grande majorité des cas, eh bien on ait les mêmes règles pour observer et indemniser la pénibilité.

GUILLAUME DURAND
Mais vous savez que ce matin, Laurent PIETRASZEWSKI, on n'a strictement aucun chiffre, c'est-à-dire qu'à un moment il va bien falloir savoir combien ça coûte tout ça.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Des chiffres, on en a Guillaume DURAND. D'abord, je crois que le premier chiffre c'est celui qui avait été communiqué en son temps par le gouvernement et par le Haut-commissaire Jean-Paul DELEVOYE. C'était de dire que…

GUILLAUME DURAND
C'est-à-dire lesquels ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
C'est-à-dire que nous ne faisons pas cette réforme avec une visée d'économies budgétaires. C'est bien pour cela qu'il avait été posé…

GUILLAUME DURAND
Mais est-ce que vous pouvez nous donner un chiffre ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
... que nous le faisions – on va le donner tout de suite - nous le faisions avec une pochette, une enveloppe financière qui était la même, et qui est d'ailleurs une pochette évolutive, puisque 14 % de notre richesse nationale, nous sommes parmi les pays de l'OCDE qui contribue et qui met une part contributive la plus importante pour ses retraites, 14 % de cette…

GUILLAUME DURAND
Donc reste dans cette épure, c'est 14 % du PIB ce matin.

LAURENT PIETRASZEWSKI
C'est une épure active, je répète, dynamique, parce que le PIB progresse.

GUILLAUME DURAND
Non mais dynamique, ça veut dire : c'est ça ou ça pourrait être plus ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Mais c'est toujours plus, puisque la richesse progresse, donc ça veut dire que comme c'est une idée en pourcentage, c'est-à-dire qu'elle progresse. Donc en fait, ce qu'on veut dire là quand on pose cette première notion, c'est que ce n'est pas, on ne fait pas une réforme d'économie.

GUILLAUME DURAND
J'ai une dernière question, pardon de vous interrompre, donc on reste sur cette idée de 14 %, à partir du moment où la richesse augmente, ça peut être en volumes, évidemment un chiffre plus important. Mais vous vous rendez compte que vous faites des efforts considérables pour amener les réformistes, notamment la CFDT dans un dialogue, alors que vous auriez pu le faire quand même il y a 6 mois, parce que Laurent BERGER voulait que cette conversation ait lieu il y a 6 mois, ça lui a été refusé, et puis vous avez de l'autre côté, bloquant des raffineries, la CGT et Force ouvrière qui ne veulent entendre parler de rien de tout ça, c'est-à-dire que ce que vous êtes en train de nous raconter, et qui est très intéressant, et qui fait évoluer la situation, est totalement refusé par MARTINEZ, par VEYRIER et par les autres. Et donc, qu'est-ce qui va se passer dans les transports ? Vous en aurez gagné un, vous en aurez toujours deux sur la touche.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Il ne vous a pas effectivement échappé qu'il y avait des différences de position et de lecture chez et les partenaires sociaux. Il y a effectivement des syndicats réformistes qui pensent qu'avoir un système par points et par répartition plus redistributif, qui va permettre à près de 40 %, des futurs retraités modestes, ceux qui ont moins de 1 400 € par mois, d'être mieux lotis, eh bien que ce système est un système qui est positif. Et effectivement, le regard qu'ils portent sur ce qu'on peut proposer au travers du futur projet de loi, n'est pas le même que celui d'autres syndicats qui ont des positions de principe et qui refusent de voir ce système évoluer.

GUILLAUME DURAND
Donc ceux-là, on les laisse s'épuiser dans la grève qui continue.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Ecoutez, nous, on n'a fermé à la porte à personne. Je crois que le mieux c'est de voir qui va venir discuter avec nous, sur la pénibilité, tout à l'heure à 09h30, j'espère que tous les partenaires sociaux seront là.

GUILLAUME DURAND
Merci beaucoup. Nous étions avec Laurent PIETRASZEWSKI, qui est chargé donc au gouvernement, il est secrétaire d'Etat auprès de la ministre de la Santé et des Solidarités, chargé des retraites, il était en direct avec nous sur l'antenne de Radio Classique, dans une actualité qui est à chaud. Bonne journée à vous, la journée est importante.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 janvier 2020