Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Léa SALAME, votre invitée ce matin est la ministre de la Santé et des Solidarités.
LEA SALAME
Bonjour à vous Agnès BUZYN.
AGNES BUZYN
Bonjour Léa SALAME.
LEA SALAME
Et merci de commencer cette nouvelle saison avec nous. Vous êtes en première ligne en cette rentrée, vous portez les dossiers les plus lourds : les retraites, la loi bioéthique qui arrive à l'Assemblée nationale, et, on va en parler évidemment, mais d'abord on commence par les Urgences, si vous le voulez bien. Madame la Ministre, on vous a interrogée avant les vacances, longuement à ce micro, sur la question ; vous nous avez dit : « On va vite régler le problème ». Deux mois après, le mouvement s'étend, il y a aujourd'hui 220 services d'urgences en grève sur les 650 que compte le pays. Pourquoi vous n'arrivez pas à régler cette crise des urgences ?
AGNES BUZYN
Alors, les solutions, elles sont nombreuses en réalité, elles arrivent, elles vont m'être apportées par le rapport que j'ai demandé à Thomas MESNIER et le professeur CARLI, mais en réalité nous voyons que beaucoup de pays ont changé de modèle d'urgences. En fait la consommation de soins des Français a évolué, ils consomment des soins aux Urgences parce que c'est plus rapide, parce qu'on a du mal à trouver un médecin généraliste avec des rendez-vous de consultations sans rendez-vous justement, et donc…
LEA SALAME
Oui, et du coup les urgences ont explosé, ça on connaît le constat, ça fait 10 ans que ça dure.
AGNES BUZYN
Voilà. Et le constat montre que la fréquentation augmente de 5 % par an, et donc d'autres pays que nous qui ont eu à faire face aux mêmes problèmes ont changé complètement, radicalement leur modèle. Donc je pense que nous allons vers un chamboulement des organisations. Ça va être présenté au mois de septembre avec des vraies différences organisationnelles. Je veux discuter avec les partenaires sociaux, j'ai rendez-vous eux, parce que c'est important aussi quand on transforme…
LEA SALAME
Oui, mais sauf que vous nous dites ça à chaque fois, pardon d'être…
AGNES BUZYN
Non mais…
LEA SALAME
La crise que l'on vit, il faut le savoir, la crise est inédite par son ampleur et par sa durée…
AGNES BUZYN
Alors, des services sont sortis de la crise…
LEA SALAME
Oui, il y a des services qui y rentrent.
AGNES BUZYN
28 services ont signé des protocoles d'accord, parce qu'ils ont trouvé des solutions locales. Il n'y a pas qu'une solution, il y a beaucoup de solutions qui sont différentes d'un territoire à l'autre, parce que les problèmes sont différents d'un territoire à l'autre.
LEA SALAME
Ils réclament, les grévistes, 300 € de plus et 10 000 postes supplémentaires. Vous dites : c'est non, c'est impossible.
AGNES BUZYN
Le problème c'est que ça n'est pas la solution. D'abord, 300 € de plus, ça je comprends qu'on les réclame, mais ça ne résoudra pas la crise des urgences, ça ne fera pas qu'il y ait moins de personnes aux urgences, et simplement d'augmenter les postes ne résout pas les problèmes d'organisation. Les locaux ne sont pas extensibles sans fin, et puis il y a énormément de Français qui viennent aux urgences alors qu'ils pourraient être vus par un médecin généraliste et le problème c'est simplement l'accès aux soins en ville est alors donc il faut qu'on règle l'amont avant d'étendre indéfiniment nos services d'urgences.
LEA SALAME
Justement, une des idées pour désengorger les urgences, est-ce que vous nous la confirmée ce matin, c'est de mettre en place un nouveau numéro de téléphone, le 15 bis, qui permettrait aux gens qui appellent les urgences, d'être orientés, on leur dit au téléphone s'il faut en urgence aller aux urgences ou s'ils peuvent attendre.
AGNES BUZYN
Nous travaillons sur ce qu'on appelle un numéro de téléphone de régulation, c'est ce qu'ont fait d'autres pays, par exemple au Danemark ou en Hollande, vous n'entrez jamais aux urgences sur vos deux pieds, vous êtes obligé de téléphoner avant d'arriver aux urgences pour savoir s'il n'y a pas une autre façon d'accéder aux soins…
LEA SALAME
C'est violent ça, non ?
AGNES BUZYN
Ça c'est très violent, évidemment, ce n'est pas ce que je souhaite, mais ce que je veux expliquer par là, c'est qu'il y a certainement beaucoup de patients qui pourraient être revus par d'autres médecins que ceux qui sont aux urgences aujourd'hui.
LEA SALAME
Autre gros sujet que vous portez, la loi bioéthique, qui prévoit la PMA pour toutes, elle arrive à l'Assemblée fin septembre. Dès demain commencent les premières auditions. On rentre dans le concret, Madame la Ministre, une des questions qui n'est pas tranchée concerne le stock des gamètes, aujourd'hui disponible. Est-ce qu'il faudra le détruire totalement une fois que la loi entrera en vigueur, puisque désormais les donneurs doivent accepter la levée de l'anonymat, et est-ce qu'on ne prend pas le risque d'une pénurie ?
AGNES BUZYN
Alors non, d'abord on ne détruira pas complètement le stock de gamètes, nous voulons une période de transition. Le stock de gamètes va continuer à être utilisé en attendant que nous constituions un autre stock de gamètes qui répondra aux nouvelles exigences, c'est-à-dire que le donneur ait donné son consentement à pouvoir être recontacté par le jeune à l'âge de 18 ans, c'est ce qu'on appelle l'accès…
LEA SALAME
Dans un premier temps, les femmes qui auront accès à la PMA, il n'y aura pas de lever l'anonymat, c'est ça que vous dites.
AGNES BUZYN
Absolument, donc il y aura par décret, une date pivot, à laquelle nous déciderons de changer de système, et donc nous n'allons pas détruire du jour au lendemain le stock de gamètes, d'autant plus que nous n'avons pas encore reconstitué un nouveau stock.
LEA SALAME
La Manif pour tous prévoit déjà une grosse journée de mobilisation le 6 octobre prochain. Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel MACRON avait fustigé la méthode de François HOLLANDE pendant le Mariage pour tous, en disant : « On a humilié une partie de la France, il ne faut pas humilier ». Est-ce que vous pourriez répéter cette phrase-là aujourd'hui : « Il ne faut pas humilier la Manif pour tous » ?
AGNES BUZYN
Je ne sais pas si j'utiliserais le mot « humiliation », qui a un côté très volontaire, je ne suis pas sûre qu'il y avait une volonté de d'humilier, mais je pense qu'il faut être sensible à l'expression des convictions de chacun. Or une loi de bioéthique n'est pas une loi de rupture, c'est une loi sociétale, qui vise à accompagner les changements de mentalité d'une société. Donc je trouve que l'on doit être prudent dans la façon dont on aborde cette loi, je le suis, je respecte toutes les opinions.
LEA SALAME
Les retraites. Agnès BUZYN, d'abord, rassurez-nous, c'est toujours vous qui portez les retraites ?
AGNES BUZYN
Oui, c'est moi qui porte les retraites, mais il y a eu une organisation qui a été choisie pour mener à bien la première phase, c'est-à-dire la consultation avec les partenaires sociaux, ça a bien fonctionné, cette organisation c'était un Haut commissaire…
LEA SALAME
Qui s'appelle Jean-Paul DELEVOYE, et dont on dit qu'il rentrerait au gouvernement pour vous soulager, lit-on, parce que vous crouleriez sous la tâche. C'est vrai tout ça ?
AGNES BUZYN
J'ai pas mal de travail, je vous le confirme, mais nous avons maintenant une deuxième phase qui s'ouvre, une phase où nous devons écrire la loi, c'est mon administrative…
LEA SALAME
Qui va l'écrire ? C'est vous ou c'est Jean-Paul DELEVOYE, futur ministre ?
AGNES BUZYN
C'est l'administration du ministère des Affaires sociales qui écrit cette loi, et puis nous verrons à ce moment-là quelle est la meilleure organisation pour y parvenir. Est-ce que Jean-Paul DELEVOYE doit rentrer au gouvernement ou pas ? C'est le choix du président de la République et du Premier ministre.
LEA SALAME
Donc à l'heure où nous parlons, vous n'êtes pas dessaisie du dossier des retraites, et c'est vous qui porterez la loi.
AGNES BUZYN
De toutes les façons nous avons travaillé de concert avec Jean-Paul DELEVOYE, et ces questions ont été toujours sur la table entre lui et moi.
LEA SALAME
Vous attendez son arrivée ?
AGNES BUZYN
Mais il est à côté de moi. Nous sommes…
LEA SALAME
Non mais je veux dire : au gouvernement, pour être encore plus proches.
AGNES BUZYN
Non non, mais nous sommes dans le même couloir, son bureau est à côté du mien, nous nous voyons tous les jours, donc, pas de changement.
LEA SALAME
Vous avez annoncé la semaine dernière qu'une consultation citoyenne sera organisée sur les retraites. Comment ça va se passer ? Parce que là, pardon, c'est un peu flou. On va se prononcer sur Internet, on va se prononcer dans les mairies, on va voter pour ou contre l'âge pivot de 64 ans ? Ce n'est pas très clair.
AGNES BUZYN
Ça correspond à l'acte 2 du quinquennat, qui est une méthode où on veut consulter énormément les Français, donc je pense qu'on est cohérent avec les annonces du président de la République. Jean-Paul DELEVOYE a mis sur la table un rapport avec des préconisations qui sont issues des 2 ans de travail qu'il a faits. Maintenant, le gouvernement, les politiques, s'emparent de ce rapport et doivent discuter sur la…
LEA SALAME
Mais c'est quoi cette grande consultation ? C'est quoi l'histoire ?
AGNES BUZYN
La façon dont les choses vont s'organiser n'est pas encore actée. Nous rencontrons avec le Premier ministre et Jean-Paul DELEVOYE, les 5 et 6 septembre prochains, tous les partenaires sociaux, cette question-là sera sur la table, comment consulter, comment interroger les Français, et donc je pense que les annonces seront faites à l'issue de ces rendez-vous avec les partenaires sociaux.
LEA SALAME
Vous avez un avis, vous, personnellement, sur la méthode de consultation ?
AGNES BUZYN
J'ai plusieurs propositions.
LEA SALAME
Justement, lors de cette réunion prévue le 5 septembre prochain à Matignon, vous recevez les syndicats pour discuter des différentes pistes, l'une d'elles fait l'unanimité contre elle, c'est le fameux âge pivot à 64 ans pour avoir une retraite à taux plein, « une mesure stupide », dit la CFDT, « injuste et individualiste » pour la CGT. Est-ce que ce point qui est déterminant dans le projet de Delevoye, est-ce que ce point est encore négociable ?
AGNES BUZYN
Non, ce qui est un fait aujourd'hui c'est qu'il existe un âge d'équilibre du système, c'est-à-dire que c'est un âge où aujourd'hui en fonction de ce que représentent les pensions dans notre budget, en fonction de la durée de vie moyenne des retraités, fait que le système est à l'équilibre autour de 64 ans. Donc cette question est évidemment sur la table, est-ce que cet équilibre du système doit se traduire en âge pivot ? C'est une des propositions dans le rapport…
LEA SALAME
Donc c'est encore négociable.
AGNES BUZYN
C'est évidemment aujourd'hui dans la question de la gouvernance. Quand il y aura une gouvernance autour des retraites où les partenaires sociaux auront leur mot à dire, ils auront leur mot à dire sur un certain nombre d'items, dont l'âge pivot.
LEA SALAME
Rapidement, beaucoup craignent que cette réforme produise des effets de seuil ahurissants, avec votre système d'incitation financière, est-ce que c'est normal qu'un ouvrier qui a commencé tôt à travailler et qui prend sa retraite à 62 ans, subisse une décote de 10 % alors qu'un cadre qui partirait à 66 ans à la retraite bénéficie d'une surcote de 10 %. Est-ce que c'est normal, est-ce que c'est juste ce que vous êtes en train de faire ?
AGNES BUZYN
Ce n'est pas parce que le système est universel qu'il est unique. Il y a évidemment des dérogations qui vont se poursuivre. Les carrières longues sont considérées en tant que telles et donc il faut arrêter d'imaginer que c'est un système absolument totalement identique pour chaque Français.
LEA SALAME
Agnès BUZYN, deux petites questions pour terminer. Les municipales arrivent en mars, beaucoup de vos camarades au gouvernement se positionnent pour être sur les listes. Est-ce que c'est votre cas, est-ce que vous serez candidate quelque part ?
AGNES BUZYN
Non. Pour l'instant j'ai des lois à porter, elles sont vous l'avez dit vous-même extrêmement attendues, notamment la loi de bioéthique dans les trois prochains mois, et donc je suis à fond sur les réformes de mon ministère.
LEA SALAME
Est-ce que vous comprenez la démarche de Cédric VILLANI qui serait en voie d'annoncer une candidature dissidente de celle de Benjamin GRIVEAUX à Paris, est-ce que pour vous c'est de la… vous comprenez son envie ou c'est de la trahison ?
AGNES BUZYN
Non je comprends son avis, son envie, évidemment, il l'a toujours exprimé. Cela étant dit, je pense que l'intérêt général c'est qu'il y ait une candidature unique pour la République En Marche à Paris.
LEA SALAME
Agnès BUZYN était notre invitée. Merci à vous et belle journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 septembre 2019