Texte intégral
ALI BADDOU
Invitée du Grand entretien de France Inter ce vendredi, sa parole est très attendue en cette journée décisive pour la réforme des retraites. Après deux ans et demi de concertation, bientôt deux mois de mobilisation, c'est aujourd'hui que le texte sera présenté en Conseil des ministres. Un projet qui suscite toujours de très nombreuses questions, de l'inquiétude aussi. La Ministre du Travail saura-t-elle y répondre ? Pour intervenir, dialoguer avec elle, le 01 45 24 7000 ou l'application mobile France Inter. Bonjour Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Bonjour Ali BADDOU.
ALI BADDOU
Et merci d'être au micro de France Inter ce matin. Je compte sur vous pour être la plus pédagogue possible. Le Conseil des ministres va avoir lieu dans un peu plus d'une heure. Expliquez-nous comment ça va se passer, qu'est-ce que vous allez tout simplement présenter comme texte dans une heure et demie ?
MURIEL PENICAUD
Alors au Conseil des ministres, le Premier ministre, Agnès BUZYN et Laurent PIETRASZEWSKI qui coordonne et pilote tout le projet de réforme des retraites, et après beaucoup de ministres contribuent, vont présenter les grands traits du projet de loi qui est aujourd'hui déposé, qui va être adopté en Conseil des ministres puis envoyé à l'Assemblée nationale. A l'Assemblée nationale, la Commission des Affaires sociales… La Commission spéciale qui a été mise en place pour les retraites commencera ses travaux le 3 février et en assemblée plénière le 17 février. Pendant ce temps-là, le calendrier continue avec les partenaires sociaux puisque le Premier ministre a annoncé que la conférence de financement pour avoir un financement durable du système s'ouvrira le 30.
ALI BADDOU
Le 30 janvier.
MURIEL PENICAUD
Et par ailleurs, nous continuons nos négociations et nos discussions sur la pénibilité, l'emploi des seniors, les systèmes de la Fonction publique comment ils vont transitionner, le minimum contributif pour pouvoir avec tous ces éléments compléter ou amender le texte de loi pendant le début des travaux parlementaires.
ALI BADDOU
On va essayer d'y voir plus clair, Muriel PENICAUD, mais vous venez de présenter le calendrier. Le calendrier, il dit quelque chose : c'est que vous avez gagné la bataille à vous entendre.
MURIEL PENICAUD
Mais ce n'est pas une bataille. On ne gagne pas contre quelqu'un.
ALI BADDOU
C'est une bataille.
MURIEL PENICAUD
Non, c'est une bataille pour le pays.
ALI BADDOU
Il y a un conflit social.
MURIEL PENICAUD
Oui, mais on n'est pas… On ne se bat pas contre les Français, on se bat pour avoir un régime qui soit plus juste et plus durable. Ce que cela dit, c'est qu'il y a une actualité intense puisqu'on a en même temps ce qu'on appelle la démocratie sociale. Beaucoup de négociations et discussions avec les partenaires sociaux. Et puis on va commencer les travaux parlementaires. Les députés qui sont élus par les Français, les parlementaires pour les représenter, donc il faut que tout le monde soit dans le débat.
ALI BADDOU
Des semaines de manifestations, de grèves, de mobilisation. Le texte va aller devant le Parlement, il sera voté par la majorité. On peut prononcer ces phrases au futur à l'indicatif.
MURIEL PENICAUD
Alors le texte tel qu'il est, il sera forcément modifié et amendé. Le Parlement, ce n'est pas une chambre d'enregistrement. Les députés et les sénateurs, ils vont discuter. Il y aura certainement des modifications, le texte va s'enrichir et s'améliorer.
ALI BADDOU
Mais vous n'avez pas de doute qu'il sera voté malgré tout.
MURIEL PENICAUD
Je ne vois pas de raison pour lequel il ne serait pas voté mais quel sera le texte avec toutes ses évolutions, son enrichissement…
ALI BADDOU
C'est justement pour ça que je vous demande si vous ne pensez pas avoir gagné la bataille.
MURIEL PENICAUD
Vous savez, j'ai eu l'honneur de porter trois projets de loi qui sont devenus des lois. Sur les ordonnances travail, sur l'égalité homme-femme, l'apprentissage et la formation, sur la loi d'urgence. Je commence à avoir une bonne expérience. Ce que je peux vous dire, c'est que les parlementaires ils vont avoir un avis sur le sujet, que ça va enrichir le texte. Donc oui, il y aura une réforme des retraites.
ALI BADDOU
Elle va passer.
MURIEL PENICAUD
Oui, elle sera durable mais il y a encore beaucoup, il y a encore plusieurs mois avec les partenaires sociaux sur la conférence de financement et avec les parlementaires pour améliorer et enrichi le texte.
ALI BADDOU
Et il y a évidemment la question de l'opinion. Les Français n'ont toujours pas compris pourquoi cette réforme était nécessaire, Muriel PENICAUD. Qu'est-ce que vous n'avez pas su dire ? Qu'est-ce que vous n'avez pas su expliquer depuis maintenant près de deux mois ?
MURIEL PENICAUD
Moi ce que j'entends beaucoup sur le terrain et qu'on voit aussi dans les enquêtes d'opinion, c'est que les Français ce qu'ils comprennent et auquel une majorité adhère, c'est qu'on ait un seul régime. La Sécurité sociale, on n'imaginerait pas d'avoir quarante-deux régimes. Avant la guerre, il y avait plein de régimes. Aujourd'hui le système des retraites, le fait d'avoir quarante-deux régimes d'abord ça limite les possibilités de chacun en mobilité professionnelle. Parce que quand vous êtes dans un statut, le quitter même pour un job que vous préférez, il y a une prise de risque puisque vous ne savez pas ce que devient votre retraite. Et donc 1 : ça va permettre d'avoir plus de choix professionnels, d'avoir un seul régime. Et puis il faut aussi que ce régime soit plus juste parce que je crois que là, on l'a bien démontré, il y a quand même des injustices très fortes.
ALI BADDOU
Vous ne répondez pas à ma question, Muriel PENICAUD…
MURIEL PENICAUD
Si, si, j'y reviens.
ALI BADDOU
Et justement, vous ne l'avez peut-être pas assez démontré puisque les Français n'ont pas compris pourquoi cette réforme était nécessaire.
MURIEL PENICAUD
Non. Ce qu'ils n'ont pas compris…
ALI BADDOU
Ils ont en majorité convaincus qu'ils vont y perdre et c'est le cas.
MURIEL PENICAUD
Je vais vous dire….
ALI BADDOU
La proportion des personnes qui pensent qu'elles seront perdantes ne cesse d'augmenter.
MURIEL PENICAUD
Je vais vous dire, je pense que la raison c'est que d'abord un système de retraite - on le comprend et c'est vrai pour tout le monde - c'est forcément un peu anxiogène. Parce que c'est les revenus qu'on aura et comment on pourra vivre dans dix, vingt, trente, quarante ans. Aujourd'hui, moi je ne connais personne dans le système actuel, je ne sais pas si vous vous savez, Ali BADDOU, si vous regardez aujourd'hui est-ce que vous savez si vous gardez le même job au même salaire – et je pense que ça ne sera pas le cas en plus, vous évoluerez – mais est-ce que vous savez combien vous aurez à la retraite ?
ALI BADDOU
Mais je ne sais pas, Madame la Ministre. Je ne sais pas.
MURIEL PENICAUD
Vous ne le savez pas. Donc je pense que l'anxiété, elle est déjà aujourd'hui.
ALI BADDOU
Je ne sais pas parce qu'il n'y a pas de simulateur individuel.
MURIEL PENICAUD
Aujourd'hui il n'y en a pas.
ALI BADDOU
Il n'y en a pas et il n'y en aura pas avant l'automne. Comment faire adhérer l'opinion à une réforme dont on ne sait pas grand-chose, où on ne répond pas aux questions que chacun se pose ?
MURIEL PENICAUD
Alors ce que je veux dire, c'est qu'aujourd'hui déjà - heureusement on n'y pense pas tous les jours à sa retraite, on a aussi d'autres projets - personne ne sait combien il aurait. Donc il y a une anxiété actuelle, une peur actuelle et forcément un régime qui n'a pas fini d'être défini, puisque tant qu'il n'a pas été voté au Parlement, il n'est pas fini et il y a encore beaucoup de discussions avec les partenaires sociaux et les parlementaires, on ne peut pas faire un simulateur tant que le système n'est pas stabilisé. Par contre il y a des choses qu'on peut dire. Moi j'ai une chose par exemple que je peux dire, parce que ça l'étude d'impact le prouve, c'est que 90 % des femmes vont gagner dans le système. Elles vont avoir en moyenne 5 % de plus. Pourquoi ? Parce que d'abord, il y aura des points solidaires en plus pour les congés maternité, parentaux. C'est beaucoup les femmes. Et ça aujourd'hui, les carrières hachées parce qu'on s'occupe des enfants ou des personnes âgées, on va le faire aussi pour les personnes aidantes, ce n'est pas pris en compte donc ça fait des gros trous dans la raquette. Deuxièmement il y aura 5 % de plus homme ou femme - mais si ce n'est pas d'accord dans le couple, ça sera pour les femmes - dès le premier enfant, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
ALI BADDOU
Parlons des femmes.
MURIEL PENICAUD
Et en plus, on ne sera plus obligé d'aller jusqu'à 67 ans pour avoir le taux plein. Donc ça, c'est des choses qu'on peut prouver dès maintenant. Après votre cas particulier à vous, ça il faudra attendre le simulateur. Ça, il n'existe pas aujourd'hui et on va faire un grand progrès en faisant un simulateur.
ALI BADDOU
Madame la Ministre, en lisant Le Parisien aujourd'hui, on lit justement que les mères sont loin, très loin d'être gagnantes. D'après les six cas présentés dans cette étude d'impact du gouvernement que vous allez présenter au Conseil des ministres et que Le Parisien a consulté, quatre salariées qui sont mères de deux enfants sont perdantes si elles prennent leur retraite avant 65 ans. Est-ce que ce n'est pas rompre la promesse qui avait été faite par le Premier ministre quand il disait en décembre que les femmes seront les grandes gagnantes de la réforme des retraites ?
MURIEL PENICAUD
Alors d'abord, la promesse du Premier ministre sera tenue et, deuxièmement, les cas sont faux. Alors on ne peut pas le reprocher à personne.
ALI BADDOU
Les cas sont faux ?
MURIEL PENICAUD
Parce qu'il y a plusieurs éléments, je ne veux pas rentrer dans la technique parce que ça va saouler tout le monde…
ALI BADDOU
Non.
MURIEL PENICAUD
Qui sont en méthode, qui sont erronés et c'est normal. L'étude d'impact fait mille pages, elle est parue cette nuit, donc il y aura dans les jours qui viennent, je dirais, des cas plus robustes. Il faut aussi comparer le comparable.
ALI BADDOU
Donc Le Parisien se trompe.
MURIEL PENICAUD
Le Parisien, il y a des éléments de méthode qu'il ne prend pas en compte qui fait que ça ne sera pas ça dans la vraie vie des gens. Vous savez, ce qui est difficile c'est…
ALI BADDOU
C'est compliqué à suivre.
MURIEL PENICAUD
Oui. Je sais que c'est compliqué. Mais ce que je veux dire, c'est que, une promesse, un engagement, je pense que la marque de ce gouvernement c'est que les Français ont pu voir qu'on les tient. Alors quelquefois ça plaît, quelquefois ça ne plaît pas, mais en gros c'est un gouvernement qui fait ce qu'il dit et qui dit ce qu'il fait. Et donc là en l'occurrence, la promesse, l'engagement pour que les femmes et notamment celles qui ont des carrières hachées soient les grandes gagnantes parce que ce sont aujourd'hui les grandes perdantes du système actuel. Donc on veut rectifier ça, on veut que ça soit juste. Qu'elles soient traitées comme les autres personnes parce qu'elles apportent une valeur sociale en s'occupant des enfants, des aînés. Parfois elles ne le choisissent pas. Demain j'aimerais mieux que ça soit les hommes et les femmes et que chacun puisse choisir. Mais en tout cas, ç'a une valeur et c'est normal que le système solidaire universel apporte des points supplémentaires qui permettent aux femmes de gagner par rapport à la situation d'aujourd'hui où elles sont vraiment très défavorisées.
ALI BADDOU
L'étude d'impact, elle fait mille pages. Mais pourquoi, Madame la Ministre, est-il si compliqué de savoir ce que va coûter la réforme des retraites ? On a entendu des parlementaires, des sénateurs s'en plaindre alors que vous avez des logiciels extrêmement performants, des logiciels très puissants notamment à Bercy qui permettent d'étudier tous les scénarios possibles, mais vous ne communiquez pas ces chiffres. Pourquoi ?
MURIEL PENICAUD
Si. L'étude d'impact justement c'est une communication sur ces simulations, sur ces chiffres qui va permettre à la conférence de financement qui démarre le 30, avec les partenaires sociaux, avec des experts, d'aller beaucoup plus loin dans le détail en ayant la même base. Moi, vous savez, je ne crois qu'à une seule méthode, c'est on part des mêmes chiffres, on part du même diagnostic. Là on peut commencer à discuter, on est d'accord, pas d'accord mais au moins le vrai dialogue commence.
ALI BADDOU
Alors quel est le chiffre, Muriel PENICAUD ?
MURIEL PENICAUD
Dans les études d'impact, il y a maintenant tous le chiffres et les partenaires sociaux, c'est pour ça que la conférence de financement commence jeudi, ont maintenant les éléments pour pouvoir autour de la table discuter avec les experts, avec la Cour des comptes et demander aussi des simulations. Ils pourront avoir toutes les simulations qu'ils demandent.
ALI BADDOU
300 milliards d'euros, c'est-ce que ça va coûter ?
MURIEL PENICAUD
Alors ce que ça coûte aujourd'hui de ne pas faire la réforme, c'est pour les jeunes, nos enfants et nos petits-enfants. Quand on parle…
ALI BADDOU
Ce n'est pas ma question.
MURIEL PENICAUD
Oui, mais c'est quand même un bout de ma réponse parce que ne pas faire la réforme, c'est sacrifier les jeunes et les générations suivantes et garder les personnes précaires et les femmes finalement en dessous d'une retraite décente. Et donc ce qu'on a chiffré, pas nous mais l'accord, la Commission des retraites a chiffré, c'est qu'aujourd'hui le système actuel si on ne le fait pas…
ALI BADDOU
Parlons de la réforme. Parlons du projet que vous allez présenter.
MURIEL PENICAUD
C'est douze milliards d'euros. Après il y a la transition. Le coût, c'est la transition puisque finalement aujourd'hui dans toute la richesse nationale, on consacre un peu plus de 13 % au système de retraite et ça va continuer. Mais ce qu'il faut maintenant, c'est pouvoir aller plus loin sur ces sujets mais dans la transition il y a un coût. Mais toute réforme a un coût de transition. Le coût de transition, ce n'est pas grave.
ALI BADDOU
Trois cents milliards d'euros.
MURIEL PENICAUD
On verra parce que les discussions ne sont pas finies sur les transitions de régimes spéciaux et du minimum contributif.
ALI BADDOU
Mais alors qu'y a-t-il dans cette étude d'impact de mille pages qui doit être présentée aujourd'hui ?
MURIEL PENICAUD
Le coût de la transition, je vais vous dire, en vrai ce qui importe c'est est-ce qu'on aura un système qui marche bien du point de vue social ? C'est-à-dire qu'on a une retraite décente ou une bonne retraite en France dans vingt ans, dans trente ans, dans quarante ans. Parce que je rappelle que ça ne concerne que les gens qui sont nés après 1975 donc ce n'est pas pour tout de suite. Ça va entrer très progressivement en vigueur. Il faut que ça marche, c'est ça la question de l'équilibre financier, il faut que ça marche pour chacun. Mais ça le coût…
ALI BADDOU
Ça, personne ne le sait.
MURIEL PENICAUD
Le coût de la transition, c'est normal qu'on prenne en compte. Je vais prendre dans le coût de la transition, par exemple, les enseignants. Les enseignants aujourd'hui, ils auront une bonne retraite mais alors vraiment en termes de salaire, ils ne sont pas bien payés si on regarde la valeur qu'ils apportent et les autres pays pendant toute leur carrière. Il va y avoir un coût. C'est qu'au lieu de leur dire : « Vous aurez serait une bonne retraite dans trente ans », on va commencer à augmenter chaque année les salaires maintenant. Donc le coût est maintenant. Enfin, c'est un coût qui est une valeur aussi pour le pays. Avoir des enseignants qui tous les jours sont au front et qui seront plus correctement payés, c'est mieux. Alors ça c'est un coût, enfin nous on l'assume totalement.
ALI BADDOU
Trois cents milliards d'euros.
MURIEL PENICAUD
Mieux payer les enseignants…
ALI BADDOU
Juste d'un mot. Si cette réforme est juste pourquoi le Premier ministre dit-il ce matin qu'il est difficile de susciter l'adhésion et l'enthousiasme ?
MURIEL PENICAUD
Si, parce que…
ALI BADDOU
C'est très compliqué à comprendre.
MURIEL PENICAUD
Si. Moi je crois, parce que chacun d'entre nous, chacun des Français, on a une petite inquiétude pour la retraite. Et déjà on l'a aujourd'hui parce qu'on ne sait déjà pas aujourd'hui combien on toucherait et quand. En plus, on change le système. Donc macro-économiquement on peut le prouver, mais maintenant ce qui intéresse chacun, c'est aussi et vous l'avez dit, c'est de dire : « Et pour moi, ça donne quoi ? »
ALI BADDOU
Pas de simulateur individuel avant l'automne donc c'est très compliqué de voir en vérité à quoi ressemblera pour chacun…
MURIEL PENICAUD
Oui mais enfin, ça fait quarante ans qu'on n'a pas de simulateur individuel, je vous rappelle. Enfin, depuis le début.
ALI BADDOU
Le projet de réforme.
MURIEL PENICAUD
Ça fait cinquante ans. Donc maintenant, on va en créer un. Voilà.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 janvier 2020