Interview de M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État en charge des retraites, à France 2 le 22 janvier 2020, sur le projet de loi de la réforme des retraites.

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Média : France 2

Texte intégral

LAURENT BIGNOLAS
Vous recevez ce matin Laurent PIETRASZEWSKI.

CAROLINE ROUX
PIETRASZEWSKI.

LAURENT BIGNOLAS
PIETRASZEWSKI, je le redirai plusieurs fois.

CAROLINE ROUX
Secrétaire d'Etat en charge des Retraites. Le projet de loi sera présenté, on l'a dit, en Conseil des ministres vendredi, mais une partie des syndicats continue de s'opposer à ce texte.

CAROLINE ROUX
Bonjour Laurent PIETRASZEWSKI.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Bonjour Caroline ROUX.

CAROLINE ROUX
Il y a une partie des syndicats, je le disais, qui ne veut pas de vos réformes, et qui revendique des actions coup de poing, comme des intrusions, des coupures d'électricité. Vous n'en avez pas fini avec la contestation.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Il faut distinguer deux choses. Là, l'expression démocratique est tout à fait compréhensible, d'une opposition, on peut manifester, on peut décider de faire grève, et je crois que c'est clair dans le cadre de notre République, et c'est bien normal. Et puis il y a d'autres choses, d'autres choses qui sont inacceptables. On ne peut pas couper le courant à nos concitoyens, on ne peut pas empêcher des voeux de se tenir, on ne peut pas venir s'introduire dans un lieu culturel…

CAROLINE ROUX
Ils considèrent que c'est un moyen d'action.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Mais ce n'est pas un moyen d'action. Lorsqu'on est dans une démocratie apaisée, où on peut s'exprimer. La réalité c'est : est-ce qu'on peut s'exprimer aujourd'hui ? Est-ce que, sur le fond, les opposants, quand il y en a, peuvent s'exprimer ? La réponse est oui. Donc ils peuvent s'exprimer, ils le font dans un cadre démocratique, et c'est ça qui est important. Le reste, ce n'est pas acceptable.

CAROLINE ROUX
Mais ceux-là considèrent que ça n'a rien changé.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Eh bien écoutez, l'intérêt de la démocratie...

CAROLINE ROUX
Que cette contestation n'a pas suffisamment été entendue par le gouvernement.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Eh bien, écoutez, elle est entendue, le gouvernement est à l'oeuvre, les partenaires sociaux aussi. Reprenons les éléments rapidement. Nous avons une Conférence du financement qui va se dérouler à partir de la fin du mois, où les partenaires sociaux seront les principaux acteurs. Ils ont demandé à prendre la main pour réfléchir et proposer les conditions de l'équilibre financier de notre système de retraite. Le gouvernement leur a donné la main. Je crois que c'était une belle preuve de la confiance que nous faisons au dialogue social.

CAROLINE ROUX
Est-ce qu'il va falloir qu'Emmanuel MACRON prenne le temps d'expliquer mieux, peut-être, aux Français cette réforme ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Eh bien écoutez, déjà je vais le faire, c'est pour ça que vous m'avez invité ce matin, en tous les cas je l'espère. Bon. Et donc je crois que c'est la responsabilité du gouvernement de le faire…

CAROLINE ROUX
La question demeure : est-ce qu'il faut qu'Emmanuel MACRON, à un moment donné, vienne s'expliquer sur cette réforme qui reste incomprise, on va y venir, elle est très complexe, c'est un changement de modèle, est-ce qu'on a besoin de la parole présidentielle ? Et ensuite on va entrer dans le détail.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Mais le président de la République s'exprimera s'il le souhaite, ce n'est pas à moi de commander son propos. Je pense qu'il s'exprime, et quand il s'exprime, c'est toujours à bon escient.

CAROLINE ROUX
Alors, des questions assez simples, assez rapides. Je le disais, le projet de loi va être présenté vendredi en Conseil des ministres. Qui sera concerné ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Qui sera concerné, tous les Français qui sont à plus de 17 ans de la retraite, et donc pour inverser mon propos, tous ceux qui sont à moins de 17 ans de l'âge de la retraite, ne sont pas concernés.

CAROLINE ROUX
Quelle sera la valeur du point ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Alors, la valeur du point, elle sera déterminée par les partenaires sociaux. Il y aura une proposition qui sera faite par la gouvernance. Il y avait une proposition dans le rapport Delevoye, vous le savez, c'était d'avoir une acquisition de points sur la base de 10 € = 1 point.

CAROLINE ROUX
Ça c'est inscrit dans le projet de loi ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Non, ce n'est pas inscrit dans le projet de loi, la main sera donnée à la gouvernance.

CAROLINE ROUX
D'accord. En quelle année les régimes spéciaux partiront à la retraite à 62 ans ? Parce qu'on nous a expliqué que cette réforme c'était aussi pour mettre un terme à une forme d'injustice, c'est comme ça que c'était présenté, en quelle année ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Dans les régimes spéciaux, il faut distinguer plusieurs choses. Il y a des régimes spéciaux qui permettent de partir aujourd'hui à 52 ans, d'autres à 57 ans, ça dépend de la nature. Ce qu'on a précisé pour répondre aussi clairement qu'à votre première question, lorsqu'on est de la génération 80, eh bien on n'est pas... 80 et un peu plus, donc on n'est pas concerné, pour tous ceux qui partent à 57 ans, et 85 pour tous ceux qui partent à 52 ans. Les autres après, vont rentrer progressivement dans le système universel.

CAROLINE ROUX
Jusqu'à quand ? C'était la question. En quelle année ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Eh bien, la transition, on est en discussion. Il y a justement des discussions de transition qui ont lieu en ce moment, y compris dans mon ministère.

CAROLINE ROUX
Ça pourra prendre du temps ? C'est ça qu'on comprend.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Oui, parce que la transition, ça ne peut pas se faire, on ne va pas procéder à une bascule. Il faut accepter que ceux qui ont, à un moment donné passé un contrat social, même moral d'ailleurs, avec des entreprises, avec une vision de leur fin de carrière, soient aujourd'hui attentifs à la façon dont on va respecter leurs droits. Mais il faut aussi que ces régimes spéciaux arrivent à leur terme, et on va y mettre fin.

CAROLINE ROUX
Une question à laquelle il faudrait répondre le plus honnêtement possible, Laurent PIETRASZEWSKI : qui sont les gagnants et les perdants de cette réforme ? Est-ce qu'il y a des perdants ? Est-ce que vous l'assumez ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
On va mettre en ligne, Caroline ROUX, des cas types, des nouveaux cas types, des parcours types. A partir de la fin de la semaine, il y aura une centaine de parcours types qui seront mis en ligne sur le site retraite.gouv.fr. Ces parcours types, ils vont permettre à un plus grand nombre de Français de se projeter dans ce que pourrait être leur retraite. Et donc…

CAROLINE ROUX
Il y aura des déçus, c'est la question.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Qu'est-ce qu'on voit dans ces parcours types, Caroline ROUX ? C'est que lorsqu'on est autour de l'âge du taux plein, c'est-à-dire, l'âge du taux plein c'est quoi ? On sait qu'on rentre dans la vie active à 22 ans. La réforme actuelle, celle qui est votée, le système actuel c'est 43 ans d'activité en 2035, donc 65 ans. Lorsqu'on est autour de 65 ans, eh bien le système de retraite universel produit ses effets et nous voyons bien que la majorité des cas montre que le niveau de pension sera supérieur à ce qu'il est aujourd'hui, et globalement le niveau de pension est bon.

CAROLINE ROUX
Alors, il y a une étude d'impact qui a été réalisée, première surprise, on parle donc d'un futur, plus d'un futur âge pivot à 64 ans, mais bien à 65 ans. Avec la réforme, l'âge d'équilibre doit augmenter de manière proportionnelle. En 2037, l'âge pivot sera repoussé à 65 ans. Il faudra donc travailler jusqu'à cet âge pour avoir une pension à taux plein, une pension complète.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Alors, je vous ai dit un mot juste avant votre question, je ne savais pas que vous alliez me la poser, c'est le système actuel. Le système actuel c'est 43 ans, 43 ans de durée de cotisation, pour avoir son taux plein. La réalité objective, on rentre dans la vie active, qu'on ait fait des études longues ou pas d'ailleurs, la moyenne d'âge d'entrée dans la vie active est entre 21 et 22 ans. On sait d'ailleurs que ça va plutôt être de plus en plus tard.

CAROLINE ROUX
Et pour ceux qui sont rentrés avant, c'est la question.

LAURENT PIETRASZEWSKI
22 + 43, Caroline ROUX, c'est 65 ans, il n'y a pas de... Voilà, c'est une hypothèse qui est faite, cette hypothèse elle est faite, il appartiendra, je vous l'ai dit juste avant, à la gouvernance de proposer les éléments de l'âge d'équilibre. La réalité, encore un tout petit mot, parce que vous avez envie de chiffres ce matin, je le vois…

CAROLINE ROUX
Non, j'ai envie de précisions, mais tous les gens qui vous regardent aussi.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Eh bien j'essaie de les donner. Eh bien la réalité aujourd'hui c'est quoi ? C'est l'âge de départ moyen en retraite, il est à 63 ans et demi. Il est à 63 ans et demi. C'est l'âge moyen de départ en retraite aujourd'hui.

CAROLINE ROUX
Est-ce que les chômeurs seront pénalisés ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Eh bien non, ils ne seront pas pénalisés, parce qu'en réalité aujourd'hui ils ont des cotisations qui sont effectuées, et ils auront demain des points sur les périodes de chômage indemnisées.

CAROLINE ROUX
Il paraît que l'article 42 du projet de loi traite, qui traite les interruptions de carrière, montre que c'est à plutôt défavorable pour le calcul des pensions des chômeurs. Il n'y aura plus de moyens de neutraliser les mauvaises années, comme ça le permet aujourd'hui, les chômeurs acquerront des droits basés sur le montant de leur allocation de retour à l'emploi, qui sont à de 57 à 75 % du salaire, donc ce n'est pas très bon pour les chômeurs.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Non, parce que le système actuel est plus complexe que ce que vous avez décrit, vous avez bien décri...

CAROLINE ROUX
Il était déjà assez complexe.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Vous avez bien décri ce que pourrait être le système futur, ce que nous proposons, ce que le gouvernement porte, c'est-à-dire le fait que les périodes de chômage indemnisées soient validées et donnent accès à des points, c'est ce qui se passera.

CAROLINE ROUX
D'accord.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Aujourd'hui le système actuel est un peu plus compliqué que ce que vous avez décri, et…

CAROLINE ROUX
Ils n'y perdront pas, c'est ce que vous nous dites ce matin ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Ils n'y perdront pas, parce que la réalité c'est que toutes les périodes d'inactivité, indemnisées, feront l'objet de points.

CAROLINE ROUX
Sur la philosophie générale de cette réforme, et sur les messages que vous avez fait passer, il y a une étude de l'IFOP et la Fondation Jean-Jaurès, assez passionnante, ils font un lien entre la pénibilité qu'on ressent au quotidien dans son travail, et le ressenti sur la réforme. Et on découvre que plus on est exposé à un métier pénible, moins on soutient la réforme. Vous n'arrivez pas à convaincre, après des mois de discussions, que cette réforme sera favorable à ceux qui ont des carrières hachées, et au fond à ceux qui ont la vie la plus dure, je vais le dire comme ça.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Eh bien, un mot là-dessus. Ceux qui ont la vie la plus dure, ceux qui ont les plus petites évolutions professionnelles, ceux qui ont, on appelle ça les carrières les plus plates, ceux qui rentrent au Smic et qui terminent leur carrière professionnelle à Smic + 10 %, c'est le système actuel qui ne les favorise pas, parce que le système actuel il favorise qui ? Il favorise ceux qui rentrent dans une entreprise et qui progressent de façon relativement significative, en responsabilités et en rémunérations. Et qui paie les retraites plutôt significatives de ces Français-là ? Eh bien, tous ceux qui ont des carrières plates. Donc oui, effectivement, le système que nous voulons mettre en place, est un système bien plus redistributif et qui s'adresse notamment à tous ceux qui perçoivent des retraites inférieures à 1 400 €.

CAROLINE ROUX
C'est dit.

LAURENT PIETRASZEWSKI
Ce seront les grands bénéficiaires de ce système-là. Ce sont les oubliés du système d'aujourd'hui, Caroline ROUX.

CAROLINE ROUX
Laurent PIETRASZEWSKI, le Rassemblement national dit : « Si Marine LE PEN est élue, on fera machine arrière ». C'est possible de faire machine arrière sur cette réforme ?

LAURENT PIETRASZEWSKI
Ce n'est pas possible de faire machine arrière, pour une raison simple, c'est que c'est une réforme qui est éminemment sociale, de justice sociale, et je ne crois pas que les Français aient envie de moins de justice sociale, aujourd'hui ils ont envie du contraire, de plus de justice sociale.

CAROLINE ROUX
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 janvier 2020