Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Avec Léa SALAME, nous recevons ce matin la secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargée des Personnes handicapées. Questions sur les réseaux sociaux, l'application de France Inter et au standard où vous êtes déjà très nombreux. Continuez à nous appeler au 01 45 24 7000. Sophie CLUZEL, bonjour.
SOPHIE CLUZEL
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Et merci d'être à notre micro ce matin. On va parler de ceux qu'on appelle les aidants. Edouard PHILIPPE se rend aujourd'hui à Chamarande, avec vous et la ministre de la Santé Agnès BUZYN, pour présenter un plan « Agir pour les aidants ». Des aidants il y en a entre 8 et 11 millions en France, on ne sait pas trop, la fourchette est imprécise, parce que beaucoup d'entre eux ne savent pas qu'ils sont aidants. Alors, premier point, définissez s'il vous plaît de quoi et de qui il s'agit, qui sont les aidants ?
SOPHIE CLUZEL
Alors d'abord je voudrais les saluer, c'est près de 10 millions de proches aidants, et je dis bien proches aidants. Ce sont des personnes qui interrompent parfois leur vie professionnelle, pour un temps court, un temps long, et qui accompagnent, pour des raisons liées parfois à la maladie, à l'âge, au handicap, un proche. 90 % c'est un proche, plus de 50 % c'est un conjoint. Donc c'est tout l'ensemble de la société qui est touché vraiment, et qui sera de plus en plus concerné avec le vieillissement de la population. Alors on est aidant, parfois sans le savoir, vous l'avez dit, parce que parfois, petit-à-petit ça grignote notre temps quotidien. C'est ça qui est important à comprendre, c'est quand vous êtes maman, papa d'un enfant handicapé, eh bien vous êtes d'abord parent avant tout, mais parfois vous devenez aidant parce que l'accompagnement est plus prégnant, parce que cela vous prend du quotidien, parce que parfois cela bouscule votre vie professionnelle. C'est toutes ces personnes que je tiens à saluer parce que c'est un pilier de la société, plus de 10 millions de personnes, et nous sommes là justement pour les accompagner. C'est une vraie stratégie, c'est agir pour les aidants. Et avec le Premier ministre, nous serons en effet ce matin avec Agnès BUZYN, parce que cette stratégie elle a été construite à quatre mains avec Agnès BUZYN, je tiens à le dire, parce que c'est en même temps les personnes âgées, certes, mais aussi les personnes handicapées, les personnes qui ont une maladie invalidante chronique, qui vont devenir dépendantes. Donc c'est ça être proche aidant, être proche aidant d'une personne aidée. Plus de 10 millions.
LEA SALAME
A partir de combien de temps on est considéré comme un aidant ? A partir de combien de temps donné à un proche, vous considérez la personne comme un aidant ? Vous avez dit, quand on est parent d'un enfant handicapé on est d'abord parent, mais parfois on devient aidant. A quel moment vous faites basculer la chose ?
SOPHIE CLUZEL
Je pense que ce n'est pas à nous de le dire, c'est la personne qui se considère comme un proche aidant, elle le fait de façon naturelle, d'abord par amour, par un projet familial, donc ça peut être celui d'un frère, d'une soeur, d'une tante, d'un oncle, c'est très très vague. Ce que l'on veut pouvoir leur dire, c'est : ne restez pas seuls. Rompre cet isolement. Pouvoir leur dire que oui nous allons vous accompagner pour pouvoir justement concilier, par exemple votre vie professionnelle et votre vie familiale, pouvoir aussi « attraper » ces jeunes aidants, parce que dans ces 10 millions, nous avons près de 500 000 jeunes aidants, et parfois très jeunes aidants.
LEA SALAME
C'est ce qu'on a découvert avec Nicolas, et qui nous a, c'est vrai, surpris.
NICOLAS DEMORAND
500 000, dites-vous, jeunes.
SOPHIE CLUZEL
Oui, près de 500 000, c'est avec l'association Jade que nous avons beaucoup travaillé, et 500 000, mais parfois de l'âge de début de collège, ils rentrent de leurs cours, eh bien au lieu d'aller travailler, au lieu d'aller jouer avec leurs camarades, il faut qu'ils fassent le dîner, il faut qu'ils s'occupent par exemple d'une maman qui a une polyarthrite, qui ne peut plus travailler, qui ne peut plus d'occuper, eh bien ces jeunes-là ils ne le savent pas. On est en train parfois de leur voler leur jeunesse. Les étudiants aussi, les étudiants parfois qui au lieu d'aller vivre leur vie d'étudiant, leur vie de jeunes, il faut qu'ils rentrent pour justement s'occuper d'un papa, d'une maman, d'une tante ou d'un oncle. C'est ceux là que l'on veut…
NICOLAS DEMORAND
Pour les jeunes il y a de vraies conséquences scolaires, universitaires, selon l'âge.
SOPHIE CLUZEL
Exactement, il peut y avoir des baisses de régime, il peut y avoir de la fatigue, énormément de fatigue, donc nous devons vraiment tous, toute la société doit être en alerte, pour pouvoir, pour décrypter ces signaux qui nous disent que peut-être mon voisin, ma voisine, mon collègue de travail, ce jeune à l'école, il est peut-être aidant et qu'il a besoin d'aide et d'information.
LEA SALAME
Alors, on va voir ce que vous proposez clairement, puisque ce matin vous avez des annonces à faire, et vous allez nous les faire, mais on voulait vraiment essayer de comprendre ce que veut dire aidant, puisque vous voulez au fond que ce qualificatif-là devienne un nom commun, qu'on les prenne en considération, c'est ça l'idée, c'est de changer quelque chose dans notre société. Et ce qu'on voulait vous demander aussi, c'est, alors qu'on parle en permanence société individualiste, de société de la solitude, ces aidants ne sont-ils pas un contre-exemple assez magnifique au fond ? C'est-à-dire, ils ne le savent pas mais ils créent du lien social, de la solidarité.
SOPHIE CLUZEL
Mais oui, ce sont comme je disais un pilier de cette société fraternelle, bienveillante, solidaire. Soyons solidaires avec ceux qui le sont déjà, c'est vraiment le message que je voudrais faire passer. Reconnaissons-le, informons-le, accompagnons-le, parce que ce sont un pilier, c'est un pilier de la société, et il nous faut vraiment, vraiment être solidaire avec eux. Ils construisent une société de la bienveillance. On a besoin d'eux, il faut qu'on les accompagne, il faut qu'on prenne soin de leur santé aussi. Quand vous avez un conjoint qui est atteint d'Alzheimer par exemple, et que vous êtes épuisé, il va falloir qu'on l'accompagne cette personne, il faut qu'on trouve des solutions pour elle, et c'est pour ça…
LEA SALAME
Alors, on y va sur les annonces.
NICOLAS DEMORAND
Voilà vous nous annoncez donc plusieurs choses ce matin, donc pour permettre aux aidants de souffler, de ne pas être entièrement happés par ce qu'ils font pour leurs proches, vous allez lancer une plate-forme de répit, c'est bien cela ? Est-ce que vous pouvez nous dire de quoi il s'agit exactement et à quoi elle va servir ?
SOPHIE CLUZEL
Alors, en fait, ce qu'ils nous demandent ces aidants, parce que nous avons eu une méthode aussi de concertation, nous avons construit avec les associations, et je tiens aussi à saluer les associations, le tissu associatif en France est extrêmement riche. Donc avec Agnès BUZYN nous les avons reçus, nous avons concerté, on ne part pas de rien, il y a déjà beaucoup de choses qui sont faites, pour autant ce n'est pas équitable sur l'ensemble du territoire, et donc il y a déjà des territoires qui sont très avancés sur les solutions de répit. Ça veut dire quoi le répit ? Qu'est-ce qu'ils nous demandent ? De pouvoir souffler, de pouvoir prendre un week-end, quand on est aidant, proche aidant d'une personne qui est assez dépendante, pour quelle que soit la raison, handicap, vieillesse, maladie, ces personnes elles nous disent : « Moi je ne peux plus prendre de vacances, je ne peux plus souffler ». Donc cette plateforme de répit elle va tout simplement pouvoir donner des solutions d'accueil, l'accueil temporaire par exemple, c'est-à-dire que cette personne va pouvoir être accueillie dans un établissement qui est bienveillant, qui est professionnel, pour permettre à cette proche aidante d'aller prendre ce week-end. Il y a plusieurs solutions, il peut y avoir des maisons de répit, il peut y avoir des places d'accueil temporaire, et puis il peut y avoir aussi du relayage. Qu'est-ce que c'est le relayage ? C'est par exemple, comme nos amis canadiens qui appellent ça le baluchonnage, je suis allée au Canada, je suis allée voir comment ça se passait, comment ils le mettaient en place, eh bien cette personne aidée elle reste tranquillement chez elle, parce qu'elle a besoin de ses repères, parce que par exemple son habitat était déjà équipé, cette personne nous ne la bougeons pas, nous ne lui demandons pas de se déplacer, au contraire il va y avoir un professionnel qui va pouvoir s'installer pendant 4 jours, 5 jours, 6 jours, et le proche aidant va pouvoir prendre enfin ses vacances.
LEA SALAME
Alors, c'est là que le bât blesse, si j'ose dire, parce qu'évidemment tout ça a un coût, ça c'est pour les intentions, et puis après ensuite il va falloir financer. Le budget pour cela c'est 105 millions d'euros…
SOPHIE CLUZEL
Pour ces solutions de répit multiple.
LEA SALAME
Pour 2 ans, c'est ça, ou 2020/2022, 105 millions d'euros. Madame la Ministre, c'est une goutte d'eau ça.
SOPHIE CLUZEL
Non, vous savez, la solution de relayage c'est 4 à 6 jours, c'est une solution extrêmement, déjà expérimentée, puisque nous avons 54 départements qui depuis 2 ans le pratiquent, donc nous ne partons pas de rien, nous avons pu évaluer les enjeux financiers. C'est aussi des places d'accueil temporaire, nous allons les…
LEA SALAME
C'est-à-dire, aujourd'hui, pardon d'être très précise, à partir du lancement de toutes ces solutions-là, les 10 millions de personnes dont on parle vont pouvoir prendre un week-end ?
SOPHIE CLUZEL
Alors, les 10 millions de personnes n'ont pas besoin d'un week-end, encore une fois, quand on est proche aidant il y a une intensité d'accompagnement. La moitié, plus de la moitié d'entre eux, 60 % d'entre eux ont une vie professionnelle. Donc cette vie professionnelle nous l'accompagnons aussi avec le congé de rémunération du proche aidant. Donc tout le monde n'a pas besoin de répit, tout le monde n'est pas dans une intensité d'accompagnement de la personne aidée, qui nécessite. Mais pour ceux qui en ont besoin, et c'est ceux-là que nous voulons vraiment accompagner, nous allons doubler les places de plateformes, pour pouvoir avoir du répit, quel qu'il soit, en situation d'accueil temporaire, pouvoir…
LEA SALAME
Ça veut dire combien de places, si vous doublez ?
SOPHIE CLUZEL
Près de 200 000 jusqu'à 2022.
LEA SALAME
200 000 places créées d'ici 2022, dans des maisons de répit.
SOPHIE CLUZEL
Ce n'est pas des places, c'est des solutions, je tiens à le dire, parce que ce n'est pas forcément…
LEA SALAME
Oui, mais alors, combien de places créées ? Parce que vous dites des places créées dans les maisons de répit, combien ?
SOPHIE CLUZEL
Alors, aujourd'hui nous avons 195 plateformes qui font de l'accueillant, et que ces plateformes elles ont été créées pour les maladies d'Alzheimer. Donc déjà elles fonctionnent. Quand je dis qu'on ne part pas de rien, c'est que nous avons été voir, nous avons cartographié ce qui existe déjà, mais nous voulons l'ouvrir tous les aidants. C'est une stratégie pour tous les uns, quelle que soit la personne aidée. Donc ça c'est vraiment, c'est pour ça que c'est une stratégie nationale, et c'est pour ça que ce sera le Premier ministre qui l'annoncera, parce que ça touche l'ensemble du gouvernement.
NICOLAS DEMORAND
Sophie CLUZEL, d'ici 10 ans, en 2030, un salarié sur quatre sera un aidant, aujourd'hui tout salarié a le droit de prendre 3 mois pour s'occuper d'un proche, mais ces 3 mois ne sont pas rémunérés et les aidants ne prennent donc pas ce congé. Qu'est-ce que vous allez changer sur ce point-là ?
SOPHIE CLUZEL
Eh bien nous allons le rémunérer ce congé. Aujourd'hui, en effet très peu, il existe déjà, il est très peu connu, très très peu connu, donc c'est ça aussi, c'est cette information. Ces plateformes elles vont aussi avoir vocation à pouvoir informer les proches aidants de leurs droits, des possibilités. Mais ce qu'ils me disent surtout, moi les proches aidants, c'est qu'il y a une paperasse administrative colossale, donc nous simplifions aussi la vie, ce sera beaucoup plus simple de prendre son congé, ça sera automatisé. C'est ça que nous disent les personnes qui accompagnent ces proches. Les proches aidants nous disent : mais on ne peut pas avoir accès à nos droits, c'est trop complexe. Donc on supprime énormément de paperasserie, de tracasseries administratives et nous les accompagnons.
NICOLAS DEMORAND
Quels seront les montants pour cette indemnité ?
SOPHIE CLUZEL
Pour le congé proche aidant ? Eh bien c'est une montée en puissance, parce que justement c'est difficile d'évaluer, étant donné qu'il n'y avait pas de recours, donc nous estimons à peu près que, ça va monter en puissance sur l'année 2020, 2021, 2022, et ce que nous voulons surtout, parce que c'est dans notre méthode aussi, c'est de pouvoir évaluer notre politique publique et pouvoir après l'ajuster selon le nombre de personnes qui veulent la prendre. Donc ces 3 mois je peux vous dire que, moi quand j'étais…
LEA SALAME
La fourchette, c'est combien, pardon ?
SOPHIE CLUZEL
C'est à peu près dans les... en montée en puissance, à peu près nous estimons qu'il y a à peu près plus de 200 000 personnes qui pourraient être bénéficiaires de ce congé. Mais les entreprises le font déjà…
LEA SALAME
Mais pardon, c'est 50 € par jour, c'est combien ?
SOPHIE CLUZEL
C'est de l'ordre, c'est comme l'allocation journalière parentale, donc nous nous sommes calés pour avoir des allocations identiques, visibles, pour les personnes en situation de handicap, mais aussi pour les personnes qui accompagnent des personnes âgées. Etc. Donc nous nous alignons sur ce qui existe déjà. Il existe déjà trois congés rémunérés, les gens ne le savent pas. La problématique c'est le non recours à ces droits, les gens ne sont pas assez informés de ce qu'ils peuvent faire et ne pas faire.
LEA SALAME
Donc, ce que vous dites aux auditeurs qui nous écoutent ce matin, c'est : si vous avez un parent handicapé, vous n'en pouvez plus, vous pouvez aller voir votre dirigeant, si vous êtes salarié, et lui dire : je vais prendre plusieurs jours de repos…
SOPHIE CLUZEL
Exactement.
LEA SALAME
Et vous serez payé, alors moins que votre salaire, puisque vous dites ça monte en puissance, mais c'est peu, c'est autour de 50 € par jour, mais vous serez payé pendant ces 3 mois. Alors, autre question qu'on peut se poser, c'est : quelqu'un qui a un papa Alzheimer à la maison, 3 mois c'est rien pour lui. Effectivement c'est un premier pas, mais ce n'est pas grand-chose.
SOPHIE CLUZEL
C'est pour ceux qui ont une vie professionnelle, donc qui concilient... 3 mois quand par exemple vous avez une personne que vous accompagnez, mettre en place les services à domicile, parce que cette stratégie elle est complémentaire de ce qui existe déjà sur les services à domicile. Donc c'est : je prends 15 jours, je mets en place mon service à domicile, et là j'ai une relation avec mon employeur qui est claire. Vous savez, moi quand j'étais aidante, j'ai accompagné une mère qui est morte d'un cancer, un père d'une maladie de Charcot, ma fille, je sais vraiment que l'on a besoin à un moment donné de faire une pause professionnelle, mais de le faire en toute sérénité. Beaucoup d'entreprises sont déjà engagées dans ce dialogue social, puisque la semaine dernière j'étais avec les entreprises qui travaillent sur la prévoyance, qui ont déjà mis en place un label pour entreprises aidantes et accompagnants de leurs salariés.
LEA SALAME
C'est un message que vous envoyez aussi aux entreprises…
SOPHIE CLUZEL
Bien sûr, bien sûr.
LEA SALAME
.. puisque beaucoup d'entrepreneurs disent qu'ils notent que pour les aidants il y a une baisse de productivité, il y a un absentéisme qui est de plus en plus grand…
SOPHIE CLUZEL
Même parfois du burn-out.
LEA SALAME
Et donc, vous leur dites quoi ? Vous dites aux patrons, en gros : soyez plus tolérants ?
SOPHIE CLUZEL
Non, soyez à l'écoute de vos salariés, c'est le cas avec ce label Handéo que nous mettons dans les entreprises, je suis à l'écoute de mon salarié, je mets une politique dans le dialogue social, de le mettre en situation optimale de travail. Parlez nous, et avec l'Etat, puisque maintenant nous prenons le relais aussi sur ce congé, nous allons améliorer vos conditions de travail. Il en va d'un enjeu vraiment de santé au travail, d'amélioration du dialogue, donc c'est vraiment un enjeu que les entreprises déjà commencent à s'emparer.
NICOLAS DEMORAND
Alors, sur cette question précisément, ouvrons le dialogue avec les auditeurs de France Inter.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 octobre 2019