Interview de M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, à RMC le 4 septembre 2019, sur les violences conjugales et les mesures sur l'autorité parentale des conjoints violents.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Adrien Taquet - Secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Adrien TAQUET est avec nous, bonjour.

ADRIEN TAQUET
Bonjour.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Secrétaire d'Etat chargé de la Protection de l'enfance. Revenons sur le début du Grenelle des violences conjugales. J'oublie… Non, je n'oublie pas le 39 19 et je n'oublie pas toutes les femmes qui sont agressées, violées, tuées par leur compagnon, mais je voudrais qu'on parle des enfants. Vous vous occupez des enfants. Alors j'ai vu l'une des mesures annoncées : suspendre ou ménager l'autorité parentale du conjoint violent.

ADRIEN TAQUET
Oui.

JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire, Adrien TAQUET ?

ADRIEN TAQUET
En réalité, il y a deux mesures effectivement. L'idée, c'est de suspendre l'exercice de l'autorité parentale soit dans le cas le plus dramatique, c'est-à-dire en cas de féminicide.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça paraît logique, non ?

ADRIEN TAQUET
Oui, ça paraît logique. C'est évidemment possible.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Un homme tue sa compagne, heureusement qu'il perd son autorité parentale.

ADRIEN TAQUET
Heureusement, sauf que parfois ce n'est pas prononcé. D'ailleurs hier venait témoigner lors de ce Grenelle le père d'une jeune femme qui a été assassiné.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Julie DOUIB.

ADRIEN TAQUET
De Julie, voilà, le père de Julie. Il s'avère, et il est venu me remercier à la fin du Grenelle, que l'ex-conjoint, le meurtrier, exerce toujours l'autorité parentale sur ses petits-enfants dont il a la charge. Donc dès qu'il doit par exemple changer d'école son petit-fils, il doit demander l'autorisation du père qui est incarcéré.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc la suspension sera automatique ?

ADRIEN TAQUET
En cas de féminicide, suspension automatique et ce dès…

JEAN-JACQUES BOURDIN
La suppression ou la suspension ?

ADRIEN TAQUET
Suspension de l'exercice de l'autorité parentale.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Suspension pas suppression.

ADRIEN TAQUET
Suspension de l'exercice de l'autorité parentale automatique, et ce dès la mise en examen. On n'attend pas le jugement pour que l'autorité parentale soit enlevée.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Et s'il y a menace ?

ADRIEN TAQUET
Ça, c'est une première mesure. Et la seconde mesure dans le cas de menace, il faut bien rappeler quand même que la suspension de l'exercice de l'autorité parentale est déjà possible dans le cadre des ordonnances de protection qui sont souvent prises par les juges pour protéger les femmes en éloignant en quelque sorte leur conjoint violent. Le juge peut déjà ordonner une suspension mais ce n'est pas fait systématiquement. Donc il faut rappeler cette nécessité, il faut que les avocats le demandent etc. Et puis par ailleurs, effectivement deuxième mesure, le juge pénal cette fois-ci, quand il y aura une condamnation au pénal, pourra automatiquement suspendre l'exercice de l'autorité parentale. Aujourd'hui, il ne pouvait que la retirer. Retirer l'exercice de l'autorité parentale, ça veut dire retirer les droits qu'on exerce sur son enfant mais aussi les devoirs. Et donc, il pouvait y avoir la suspension des obligations alimentaires notamment pour les femmes et donc c'est une espèce de double peine. Les juges donc pouvaient hésiter à retirer l'exercice de l'autorité parentale pour ces raisons-là. Donc là on donne plus de souplesse, le juge pourra directement sans avoir par ailleurs à repasser par le juge des affaires familiales suspendre l'exercice de l'autorité parentale donc maintien de la pension alimentaire pour les femmes. 

JEAN-JACQUES BOURDIN
Pardon, mais pourquoi ne pas être allé jusqu'à suspension de l'autorité parentale automatique en cas de violence ? Ou dès qu'une femme porte plainte ? Que la suspension de l'autorité parentale soit automatique ?

ADRIEN TAQUET
Mais parce qu'on est dans un Etat de droit et il y a un juge qui… On respecte un tant soit peu la présomption d'innocence et donc il y a un juge qui statue sur la réalité des faits et quand elle est constatée…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Il va falloir que le juge statue vite bien souvent parce que…

ADRIEN TAQUET
Quand elle est constatée, évidemment on suspend l'autorité parentale. Enfin, évidemment…. En tout cas, c'est ce qui sera rendu possible. Oui vite, vous avez raison. Il y a une notion d'urgence et c'est d'ailleurs pour ça que Nicole BELLOUBET hier a annoncé la création de chambres d'urgence pour qu'on essaye dans les quinze jours…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Indispensables, comme en Espagne.

ADRIEN TAQUET
Voilà. Alors il va y avoir une expérimentation à Créteil et que dans les quinze jours on puisse effectivement arriver à un jugement et donc à la mise en oeuvre de toutes ces mesures de protection pour les femmes et pour les enfants.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Expérimentation, j'espère qu'elle ne va pas durer trop longtemps, Adrien TAQUET.

ADRIEN TAQUET
Je pense que nous démontré hier, mais pas que le gouvernement : je pense que l'ensemble des associations, des partis politiques, il y avait des parlementaires de tous bords, qu'on est mobilisé sur ces questions-là.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, statut de victime quand l'enfant assiste à des violences conjugales.

ADRIEN TAQUET
C'est le cas dans 80 % des cas effectivement.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Eh oui, eh oui. Comment protéger l'enfant ?

ADRIEN TAQUET
C'est pour ça que c'était absolument nécessaire que la question de l'enfant soit pleinement intégrée dans ce Grenelle et c'est la première fois que c'est le cas. Pendant trop longtemps dans notre pays, on a considéré que les enfants étaient des témoins alors que ce sont des victimes.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, très bien. Mais alors concrètement ?

ADRIEN TAQUET
Concrètement, il y a des choses déjà dans le prolongement de ce qu'on a appelé la loi Schiappa à l'époque qui avait durci les plaintes qui avaient fait du fait de battre sa conjointe devant son enfant une circonstance aggravante. Il y a une circulaire qui a été prise dans la lignée de cette loi dite Schiappa à l'époque, la loi de 2018 contre les violences sexistes et sexuelles, qui désignait un administrateur ad hoc. Qu'est-ce que c'est un administrateur ad hoc dans ce genre de configuration ? C'est une personne qui, devant le juge, va représenter les intérêts de l'enfant. Ça, ça participe à la création d'un statut de l'enfant victime. Je pense qu'on peut aller encore plus loin. Il faut qu'on réfléchisse à un véritable statut de l'enfant victime. C'est un premier pas mais c'est tout le sens du Grenelle. Les premières annonces hier, nous avons trois mois désormais pour travailler avec la ministre de la Justice et avec l'ensemble des associations pour avancer sur ce point.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors le statut de l'enfant victime, j'imagine que ce sera dans votre plan de lutte contre les violences faites aux enfants.

ADRIEN TAQUET
Alors ça fait partie effectivement des réflexions que nous avons et on voit bien que les deux sujets se…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien sûr.

ADRIEN TAQUET
Mais effectivement nous, depuis plusieurs mois avec l'ensemble des associations notamment et l'ensemble des ministères, parce qu'on voit bien que tout ça et c'était le cas hier aussi, vous aviez dix ministres sur scène, on travaille à un plan de lutte contre les violences faites aux enfants qu'on va présenter mi-octobre. Mi-octobre. Il y aura des mesures qui recouperont les questions du Grenelle et les violences conjugales. Moi je veux que nos enfants soient en sécurité en tout lieu et à tout moment. Voilà.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Création d'un parcours de soins.

ADRIEN TAQUET
Alors ça, c'est une mesure effectivement qui est chère à Agnès BUZYN avec laquelle nous travaillons. Effectivement il faut que nous prenions mieux en charge les enfants qui sont victimes. Parce qu'elles sont victimes, je le dis, elles ne sont pas témoins : elles sont victimes de ces violences conjugales. Nous avons créé dix centres psychotrauma pour prendre en charge justement ces violences, pour qu'on accompagne mieux le traumatisme, les traumatismes multiples que subissent ces enfants. Et puis par ailleurs, il faut qu'on travaille avec le ministère… Et nous sommes en train de travailler avec le ministère de la Justice et le ministère de l'Intérieur pour que ça soit plus fluide. C'est-à-dire que tout au long de la procédure, on puisse… Que le juge, que les policiers puissent diriger les enfants vers une meilleure prise en charge.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Quelle autre mesure pour lutter contre les violences faites aux enfants, Adrien TAQUET ?

ADRIEN TAQUET
Ecoutez, moi je veux que les enfants soient en sécurité en tout lieu et à tout moment. 80 % des violences faites aux enfants ont lieu dans le cercle familial. Il faut le savoir.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.

ADRIEN TAQUET
Bon. Mais moi je veux que les enfants soient en sécurité dans les institutions.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment ?

ADRIEN TAQUET
A l'école, sur Internet, la question de l'accès à la pornographie. Plus de 60 % des enfants de moins de 11 ans aujourd'hui ont eu accès à du matériel pornographique. Dans leurs loisirs : on travaille notamment avec Roxana MARACINEANU…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça, c'est le constat. Mais quelles mesures prendrez-vous pour lutter contre les violences faites aux enfants ?

ADRIEN TAQUET
Ecoutez, je propose que vous me réinvitiez pour que…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Ne me faites pas une Schiappa ! Ne me faites pas une Schiappa ! Ça va être célèbre maintenant.

ADRIEN TAQUET
Oui. Enfin, j'aimerais surtout saluer le travail de Marlène SCHIAPPA qui a abouti à hier…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais je n'ai rien contre son travail.

ADRIEN TAQUET
Oui, je sais. Je sais. Tout ça pour vous dire…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais Adrien TAQUET, plan de lutte contre les violences faites aux enfants. Par exemple, quelle mesure ?

ADRIEN TAQUET
Par exemple, restreindre l'accès des enfants au matériel pornographique. Par exemple, interroger la question du fichier des agresseurs sexuels. Il y a un fichier des agresseurs sexuels aujourd'hui…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui pourrait l'interroger ?

ADRIEN TAQUET
Non mais interroger, quand je vous dis interroger… Alors interroger les conditions de… Il faut que nous on interroge, nous les responsables politiques, qu'on interroge les conditions d'inscription, dans quelles conditions une personne qui a été accusée d'actes pédocriminels est inscrit à ce fichier d'agresseurs sexuels, et les conditions d'accès cette fois-ci à ce dossier de consultation. Qui et dans quelles circonstances peut-on consulter ce fichier d'agresseurs sexuels. Moi je veux qu'on soit en mesure de pouvoir interroger le passé éventuel d'adultes en contact régulier avec nos enfants dans le cadre des loisirs. C'est le cas par exemple s'agissant du cadre scolaire, mais par exemple dans les loisirs. On travaille les interrogations là-dessus avec Roxana MARACINEANU par exemple. Parce que tous les mercredis après-midi, tous les week-ends, nous avons des millions d'enfants qui vont dans des clubs de sport, dans des conservatoires. Voilà. Moi je veux qu'on s'assure que ces adultes qui sont en contact régulier avec nos enfants n'ont pas de passé pédocriminel. Ça passe notamment par une réflexion sur cette question du fichier. Bref, c'est une des mesures. Et puis tout l'enjeu…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Très vite, Adrien TAQUET. On est en retard.

ADRIEN TAQUET
Très vite. Tout l'enjeu des violences conjugales, on l'a vu, il y a une question de libération de parole. C'est beaucoup de ça dont il s'est agi. Je pense que la question des enfants, c'est la même chose. Il faut qu'on libère la parole de la violence faite aux enfants. Ça passe par des émissions comme ça où vous m'invitez et vous allez me réinviter pour que j'en reparle plus longuement. Ça passe par… Et quand on libère la parole, il faut aussi bien la recueillir. Bien la recueillir, ça veut dire augmenter les moyens du 119. On parle beaucoup du numéro, le 39 19 pour les violences conjugales. C'est le 119 pour les violences faites aux enfants. Sachez qu'il y a une convention d'ailleurs. Ça travaille ensemble, ce n'est pas deux numéros de chaque côté, ça bosse bien ensemble. On va augmenter les moyens du 119. Voilà, ça c'est une mesure concrète.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Eh bien, nous en parlerons à nouveau Adrien TAQUET. Merci d'être venu nous voir.

ADRIEN TAQUET
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 septembre 2019