Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, à France Bleu Nord le 31 janvier 2020, sur le Brexit et les municipales.

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Média : France Bleu

Texte intégral

PASCAL TOTH
Bienvenue à vous tous qui nous rejoignez pour l'invité de France Bleu Nord. C'est donc, vous l'avez entendu, le jour J pour le Brexit, un tournant historique pour l'Union européenne préparé de longue date par le gouvernement et notamment par le Ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald DARMANIN, qui est notre invité ce matin, Pascale THIEBOLD.

PASCALE THIEBOLD
Bonjour Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

PASCALE THIEBOLD
Vous êtes aussi le Ministre des Douanes.

GERALD DARMANIN
Exactement.

PASCALE THIEBOLD
Et donc aujourd'hui, c'est le retour d'une frontière effectivement, on le dit depuis six heures du matin. Pour l'instant, rien ne change. Si demain je veux traverser la Manche, je peux toujours prendre simplement ma carte d'identité ?

GERALD DARMANIN
Oui. Alors vous savez comment ça se passe. On a un accord de séparation et puis en attendant le prononcé exact du divorce et le contrat de divorce sur lequel on doit se mettre d'accord tout au long de cette année 2020, c'est bien ce qu'a négocié Michel BARNIER qui a fait un très gros travail, effectivement pour l'instant pas grand-chose ne change. Les Britanniques ne font plus partie de l'Union européenne. Alors très concrètement par exemple, ils ne pourront pas voter aux élections municipales du mois de mars. Ils pouvaient le faire jusqu'à présent. Si un camion devait passer la frontière, il devrait désormais faire une déclaration en douane et payer des droits de douane selon ce que négocient l'Union européenne et nos amis britanniques. Et puis le vrai Brexit, la vraie séparation, le vrai changement ce sera normalement en janvier prochain, 2021. Et selon l'accord du divorce, ce sera plus ou moins hard.

PASCALE THIEBOLD
Et ça peut durer effectivement encore plus longtemps ? Parce qu'effectivement il y a cette date du 31 décembre, mais si les négociations patinent ça peut durer ?

GERALD DARMANIN
Alors on sait tous qu'une année comme l'objectif a été donné à Michel BARNIER et à l'Union européenne, c'est court.

PASCALE THIEBOLD
C'est court, oui.

GÉRALD DARMANIN
C'est court pour négocier un divorce de cette ampleur. Donc il se pourrait - je mets du conditionnel - qu'il y ait un décalage mais les douanes françaises, et de manière générale le gouvernement à la demande du président de la République, se prépare au pire des scénarios et pour le temps le plus court. Comme ça, ça nous évite d'imaginer que quelque chose d'encore plus terrible pourrait arriver. Vous savez, la séparation avec nos amis britanniques, c'est un moment non seulement important et historique mais très difficile pour l'économie régionale, pour les pêcheurs, pour les citoyens et évidemment il faut le faire et le préparer avec beaucoup de minutie.

PASCALE THIEBOLD
Oui. Vous évoquez les pêcheurs. Mercredi le gouvernement britannique a présenté un projet de loi qui retire aux bateaux de pêche de l'Union européenne le droit de pouvoir accéder automatiquement aux eaux territoriales britanniques. Effectivement les pêcheurs pourraient être les grands perdants de ce Brexit dans notre région ?

GERALD DARMANIN
La priorité du gouvernement de la République française à la demande du président, c'est la pêche. Et singulièrement d'ailleurs les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer mais pas simplement. C'est notre priorité absolue pour que les Français puissent continuer à avoir accès aux eaux Britanniques et dans une concurrence loyale avec les pêcheurs britanniques. Donc Didier GUILLAUME, le Premier ministre qui lui-même me connaît bien ces questions de la pêche, le président de la République a mis en priorité numéro un le respect de la vie économique des pêcheurs des Hauts-de-France et de manière générale de la façade maritime française.

PASCALE THIEBOLD
Michel BARNIER, chargé donc de ces négociations, disait il y a quelques semaines ou quelques mois que c'était du lose-lose, du perdant-perdant. Est-ce qu'effectivement les ports de Calais et Dunkerque vont pâtir de ce Brexit ?

GERALD DARMANIN
Mais vous savez, si le divorce est pareil que le mariage, ça n'encourage pas beaucoup à se marier. Donc il est évident que le départ de nos amis britanniques de l'Union européenne a des conséquences. On va essayer qu'elles aient le moins de conséquences possibles pour les entreprises françaises, pour la région des Hauts de France, pour les ports de Calais et de Boulogne que vous avez évoqués. Mais pour nos amis britanniques comme pour nous, l'Union européenne qui se divise, la Grande-Bretagne, la deuxième économie de l'Union européenne qui s'en va, ç'a des conséquences négatives bien évidemment. Et d'ailleurs il y a quelque chose comme une leçon de l'Histoire. Tout pays qui souhaiterait désormais partir de l'accord commun pourrait le faire. On voit bien que l'Union est démocratique, les gens peuvent partir, mais ç'a des conséquences très négatives sur l'économie. Et je pense qu'il y a beaucoup de pêcheurs, il y a beaucoup d'artisans, il y a beaucoup de commerçants, il y a beaucoup de routiers, il y a beaucoup de gens qui peuvent être tentés notamment par des discours comme le Front national de partir de l'Union européenne. On voit les conséquences : c'est-à-dire demain, plus de misère et plus de difficultés économiques.

PASCALE THIEBOLD
Alors Gérald DARMANIN, vous aviez anticipé en préparant, en recrutant des douaniers et en les installant notamment à Calais et Dunkerque. On a appris cette semaine que quarante-quatre d'entre eux formés spécifiquement donc pour ce passage au Brexit devaient finalement choisir une autre affectation et qu'ils n'ont qu'une semaine pour faire ça selon, en tout cas, la CFDT des Douanes. Est-ce qu'il y a un raté dans l'anticipation ? Vous avez trop anticipé ?

GERALD DARMANIN
Je suis heureux d'être invité ce matin sur votre antenne pour rétablir la vérité.

PASCALE THIEBOLD
Alors allons-y.

GERALD DARMANIN
Les douaniers, là en l'occurrence les quarante-quatre douaniers qui étaient spécifiquement chargés à partir d'aujourd'hui en cas de sans accord… Je rappelle que plusieurs fois vous m'avez invité d'ailleurs pour commenter le non-accord et comme quoi on n'était peut-être pas assez préparés. On a recruté des douaniers, six cents douaniers partout sur la façade française et singulièrement pour le Nord de la France avec deux créations de bureaux supplémentaires : Loon-Plage et Calais. Eh bien vous savez que pendant cette année où il n'y aura pas de contrôles particuliers de nos amis britanniques, les quarante-quatre douaniers recrutés spécifiques dans ces deux bureaux n'auront pas de travail ou quasiment pas de travail. Donc il est logique de leur proposer de faire autre chose en attendant évidemment ce Brexit.

PASCALE THIEBOLD
Pour autant, ils se sont installés dans la région avec peut-être conjoint et enfant.

GERALD DARMANIN
Mais justement, là où j'ai lu des choses qui étaient inexactes, c'est qu'il y a dix affectations proposées dans la région des Hauts-de-France, singulièrement d'ailleurs juste à côté de là où ils sont. C'est eux qui choisiront ces affectations. Il est normal que l'administration leur demande de faire leur travail de douanier, mais il est faux de dire qu'ils vont être obligés de quitter le territoire régional, surtout que dans quelques mois peut-être on aura de nouveau besoin d'eux en cas d'accord ou d'appliquer un accord qui serait un accord qui ne serait pas totalement de libre-échange.

PASCAL TOTH
France Bleu Matin, il est huit heures moins dix. L'invité de France Bleu Nord, nous recevons le Ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald DARMANIN.

PASCALE THIEBOLD
Là on change de casquette. On va parler des élections municipales. Vous êtes candidat à Tourcoing, vous l'avez fait savoir. Votre priorité désormais, c'est la ville de Tourcoing ?

GERALD DARMANIN
Mais moi j'ai toujours eu comme priorité là où j'habite, la ville que j'aime, les habitants que j'aime.

PASCALE THIEBOLD
Pour autant, vous avez quitté la mairie en 2017 pour rejoindre le gouvernement.

GERALD DARMANIN
Pendant sept mois, j'ai eu la chance d'être maire et ministre sans cumuler les indemnités - je voudrais le préciser - et puis je suis resté premier adjoint de ma commune et je pense que chaque Tourquennois sait qu'on a créé un lien affectif et que c'est là où je vis et chacun voit, je crois, que je défends les dossiers de mon territoire et singulièrement de ma commune. Et je crois que le gouvernement a rétabli dans certaines villes de France et singulièrement dans la mienne un équilibre. Pendant longtemps, ç'a été le tour de Valenciennes avec ce magnifique Jean-Louis BORLOO. Ç'a été le tour de Lille qui a connu Pierre MAUROY et Martine AUBRY, deux personnes importantes qui ont fait venir de l'argent, des entreprises, des services publics. Puis il y a eu monsieur DELEBARRE à Dunkerque. Et Tourcoing qui est la deuxième ville - la deuxième ! - de la métropole du département, qui n'a jamais connu de ministre, ce n'était jamais son tour. Eh bien maintenant, c'est le tour de Tourcoing. Pardon de ce jeu de mots facile. Mais lorsqu'il a fallu obtenir enfin un commissariat de police nationale, là il va falloir rénover entièrement notre hôpital, lorsqu'il va falloir demander à des entreprises de s'installer, il y en a eu : BOOKING, neuf cents emplois.

PASCALE THIEBOLD
C'est plus facile quand on est ministre de faire bouger les lignes ?

GERALD DARMANIN
On a rétabli une injustice, voilà. Et donc je m'occupe quotidiennement de Tourcoing qui est un tout petit bout de la France, c'est vrai, mais un petit bout quand même qu'il faut respecter. Et puis par ailleurs, moi je suis très fier et très honoré de servir mon pays et de servir le président de la République. Et donc je crois par ailleurs - les questions précédentes le montrent – que j'ai pu faire les deux.

PASCALE THIEBOLD
Edouard PHILIPPE annonce ce matin qu'il restera Premier ministre s'il est élu maire du Havre. Vous pourriez faire pareil ?

GERALD DARMANIN
Mais le Premier ministre, il a quelque chose de différent d'abord qu'il est le Premier des ministres et que c'est lui qui choisit les ministres. Vous avez constaté que je n'ai ni le pouvoir de choisir les ministres et donc je ne présume pas du choix du président de la République.

PASCALE THIEBOLD
Mais si on vous donne le feu vert ?

GERALD DARMANIN
Mais vous savez, moi ce qui m'intéresse si je suis tête de liste, c'est pour être maire. Et d'abord ce qui m'intéresse, c'est la campagne municipale parce que Tourcoing n'appartient à personne et singulièrement pas à moi. Il ne faut être que serviteur. Et l'avantage des élections, il y a peut-être des gens qui nous écoutent et qui pensent que les élections c'est un moment barbant parce qu'on fait de la politique, parce qu'on distribue des documents dans les boîtes aux lettres, c'est l'humilité. Les élus qui disent : « Voilà, je pense qu'on a bien travaillé et puis c'est à vous de nous dire si vous nous aimez ou si vous ne nous aimez pas et si vous aimez notre projet ou pas. » Et c'est humble de le faire. Faire de la politique, ça doit être quelque chose d'humble ; être à l'écoute et puis accepter une défaite ou une victoire. Eh bien moi, je ne présume pas du choix des élections municipales.

PASCALE THIEBOLD
Vos opposants ont l'air de douter quand même de cette humilité.

GERALD DARMANIN
Oui, mais les opposants ils s'opposent. C'est normal, c'est le principe du mot et moi je les respecte par ailleurs. J'aimerais connaître leurs projets pour la ville. Pour l'instant, ils ne parlent que de moi. Etre anti-moi n'est pas un projet pour les Tourquennois. Ça ne donnera pas plus de services publics, plus d'emplois aux Tourquennois. Voilà. Donc je les laisse se proposer, je les respecterai et moi je veux montrer que mon projet, c'est un projet d'amour et de soutien de la ville de Tourcoing qui est devenue la deuxième ville sous notre mandat du département et qui doit continuer à le devenir.

PASCALE THIEBOLD
Gérald DARMANIN, si vous devenez maire de Tourcoing, est-ce que vous ambitionnez aussi de devenir le président de la Métropole européenne de Lille ? Est-ce que vous serez candidat déjà ?

GERALD DARMANIN
Mais heureusement que la place de Monseigneur l'Evêque n'est pas libre parce que comme on m'a prêté en une phrase le fait de rester ministre, d'être président de la métropole, j'ai entendu dans la presse aussi que je pourrais être président du département…

PASCALE THIEBOLD
On pourrait se poser la question. Quand on a été ministre, on a peut-être envie aussi de présider une métropole de la taille de celle de Lille.

GERALD DARMANIN
Ma grand-mère que je cite souvent…

PASCALE THIEBOLD
C'est vrai.

GERALD DARMANIN
Qui était femme de mineur disait qu'il vaut mieux faire envie que pitié, donc je suis très heureux que vous me prêtiez plein d'ambitions.

PASCALE THIEBOLD
Pour autant ?

GERALD DARMANIN
Ce que je souhaite, c'est de bien faire mon travail de ministre et d'être maire de ma commune.

PASCALE THIEBOLD
Et sinon, qui doit diriger la MEL selon vous si ce n'est pas vous ?

GERALD DARMANIN
Les personnes c'est intéressant, mais le projet c'est mieux.

PASCALE THIEBOLD
Ou alors quel profil ?

GERALD DARMANIN
Et il y a plein de choses à faire dans cette métropole et moi je m'intéresse aux projets, je m'intéresse moins aux personnes. Et le projet conditionnera le vote que j'aurais pour le président ou la présidente de la métropole. Il faut enfin relier Courtrai et Tournai par un tram parce que je crois que quand on est une métropole européenne, on ne peut pas avoir les bus qui s'arrêtent au…. Il faut enfin que notre aéroport soit effectivement desservi et que les gens arrêtent, qui nous écoutent, d'être dans l'embouteillage de l'autoroute A1. Il y a un terre-plein central. Si les gens sont aujourd'hui dans l'embouteillage au niveau des Phalempin, qu'est-ce qui se passe ? A Madrid, il y a une voie centrale où le covoiturage et les bus peuvent passer. Voilà, je pense qu'il y a plein de projets et c'est plus intéressant que de savoir qui va être dans le bureau du président.

PASCALE THIEBOLD
Donc des idées au-delà effectivement du périmètre de Tourcoing. Merci en tout cas, Gérald DARMANIN, d'avoir été l'invité de France Bleu Nord.

GERALD DARMANIN
Merci à vous.

PASCALE THIEBOLD
Bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 février 2020