Déclaration de M. Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement, sur le logement social et les politiques de peuplement, à l'Assemblée nationale le 5 février 2020.

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Circonstance : Questions sur le logement social et les politiques de peuplement à l'Assemblée nationale

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle les questions sur le logement social et les politiques de peuplement.

Je rappelle que la conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.

La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Le logement des publics défavorisés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville – QPV – est une question particulièrement sensible.

Pour les acteurs locaux, notamment les maires, les bailleurs sociaux et les intercommunalités, le défi consiste à articuler le relogement des publics prioritaires, tels qu'ils sont définis à l'article L. 441-1 du code de la construction et de l'habitation, avec leur volonté de rééquilibrer la sociologie des populations vivant dans les QPV.

Les priorités sont nombreuses, et toutes également légitimes. Outre les publics mentionnés à l'article précité du code de la construction et de l'habitation, il faut tenir compte des publics éligibles au logement social sur le contingent de l'État, dans le cadre du droit au logement opposable – DALO –, et des publics prioritaires relevant des plans départementaux d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées.

À ces priorités, il faut ajouter les relogements organisés dans le cadre des opérations de rénovation urbaine, dont les bénéficiaires peuvent se trouver dans des situations sociales similaires à celles évoquées précédemment. Ainsi, il est complexe d'articuler et de hiérarchiser ces nombreuses priorités, d'autant plus qu'à leur pluralité s'ajoute la diversité des décideurs : le maire – ou l'intercommunalité –, les bailleurs sociaux et l'État, notamment dans le cadre du DALO.

Enfin, la rotation des occupations de logements, au sein des QPV, est plus rapide qu'ailleurs. La tentation est donc forte d'y loger les publics prioritaires, qui sont aussi ceux nécessitant un accompagnement social soutenu.

Nous sommes loin des intentions formulées par Manuel Valls en 2015, lorsqu'il était Premier ministre, selon lesquelles on ne devait plus proposer un logement dans les 1 500 quartiers les plus pauvres de France aux ménages les plus pauvres parmi ceux qui relèvent du droit au logement.

Monsieur le ministre chargé de la ville et du logement, ma question est la suivante : au sein des acteurs concernés, quel rôle le maire peut-il encore jouer dans la décision d'attribution des logements sociaux, en vue de concilier le relogement des publics prioritaires et l'indispensable rééquilibrage du peuplement dans les QPV ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre chargé de la ville et du logement.

M. Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement. Monsieur Vercamer, la question que vous posez est d'une très grande complexité et d'une importance sociétale immense. Nous en avons abondamment débattu lors de l'examen du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique – ELAN.

En somme, la question que vous posez est la suivante : si les priorités sont trop nombreuses, les acteurs concernés – l'État, les maires, ceux qui construisent les logements sociaux, les partenaires financeurs tels qu'Action logement et les bailleurs sociaux – sont-ils en mesure d'y faire face sans créer des archipels où vivraient ici des gens en détresse et là des gens aux difficultés bien moindres ? Il s'agit d'un enjeu global.

Il faut, me semble-t-il, commencer par dresser le constat que le système ne fonctionne toujours pas. Il faut ensuite en dresser un second : la loi a tenté de remédier au problème, notamment la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté, en imposant l'attribution d'un pourcentage de logements aux publics prioritaires en QPV et hors QPV.

Ce système ne fonctionnait pas, car il existait des exemptions, que nous avons abrogées – souvenez-vous – afin qu'il fonctionne un peu mieux. Toutefois, ce n'est toujours pas suffisant. Je pense comme vous qu'il faut modifier certaines choses. Je citerai deux dispositions de la loi ELAN, qui sont essentielles à mes yeux.

Tout d'abord, s'agissant du contingent de logements destinés aux salariés, attribué à Action logement, auparavant, si un logement ne trouvait pas preneur, il était remis entre les mains du préfet, qui l'attribuait à un ménage relevant du DALO. Dorénavant, sa responsabilité est confiée au maire.

Ensuite, il n'est plus possible de recourir à d'anciens hôtels pour assurer un hébergement d'urgence – les fameuses transformations – sans l'accord préalable du maire. Cette évolution me semblait essentielle.

En tout état de cause, je suis d'accord avec vous, monsieur Vercamer : nous devons continuer à avancer de la sorte. Il s'agit d'un travail d'instruction, notamment de l'État vis-à-vis des préfets. Je m'y emploie au jour le jour.

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer, pour poser une deuxième question.

M. Francis Vercamer. Le règlement général du programme national de rénovation urbaine mis en oeuvre par l'agence nationale pour la rénovation urbaine – ANRU – encadre les modalités de reconstitution de l'offre locative sociale à l'issue des démolitions engagées dans le cadre des opérations de rénovation urbaine. Ce faisant, il applique les conclusions du comité interministériel du 6 mars 2015, précisant notamment que cette reconstitution doit être effectuée, par principe, hors du quartier d'intervention et, plus généralement, hors des QPV.

Certes, des exceptions à ce principe sont prévues. Toutefois, les dérogations, dont le nombre est limité, réduisent les possibilités de reconstitution de l'offre de logements sociaux en QPV que les maires peuvent proposer dans le cadre de leurs projets.

Ainsi, le maire est souvent soumis à deux injonctions contradictoires : il doit procéder à une transformation profonde des quartiers concernés, notamment en y favorisant la mixité et l'équilibre sociaux, tout en tenant compte du souhait légitime de certains habitants de continuer à y vivre, car ils y ont leur vie, leur réseau social et, pour les plus âgés, bon nombre de leurs souvenirs.

Ces contraintes sont alourdies par celles qu'imposent les règles d'urbanisme en vigueur, dans le contexte de la lutte contre le réchauffement climatique, limitant à juste titre l'artificialisation des sols et l'étalement urbain. Ainsi, dans le cadre d'un projet de rénovation urbaine, certains projets du maire visant à la reconstitution de l'offre locative sociale sur des espaces fonciers constructibles mais non encore urbanisés peuvent faire l'objet d'une fin de non-recevoir.

Il arrive donc que la reconstitution de l'offre locative sociale soit freinée, pour des raisons d'équilibre social dans les QPV, et pour des raisons urbanistiques hors QPV.

Monsieur le ministre, plutôt qu'enfermer les maires dans un cadre restrictif, ne serait-il pas plus judicieux de faire confiance aux territoires pour élaborer, en tenant compte des spécificités locales, les projets visant à reconstituer l'offre locative sociale ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Monsieur Vercamer, je vous remercie de votre question, qui, comme la précédente, est d'une très grande difficulté. Nous sommes tous d'accord, me semble-t-il, sur un point : pour éviter la formation des archipels que j'évoquais tout à l'heure, nous devons absolument parvenir, dans une ville donnée, prise dans la globalité de son territoire, à faire vivre les citoyens les uns avec les autres et non les uns à côté des autres.

Or il faut bien constater que nous avons créé, depuis des décennies, un système au sein duquel on trouve trop souvent ici les logements sociaux – attribués aux ménages en situation de grande précarité dès qu'ils sont libérés par ceux qui empruntent l'ascenseur social – et plus loin des zones bien mieux loties. Dans ce contexte, nous sommes tous d'accord, me semble-t-il, pour souscrire à la vision politique – à l'échelle nationale comme à l'échelle locale – selon laquelle il faut absolument assurer partout la mixité sociale.

En revanche, il me semble essentiel d'y parvenir non par le truchement de la loi, mais en se penchant sur les règles de l'ANRU, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine. J'y suis très attaché.

Il existe un souhait légitime des populations concernées, comme vous l'avez fort bien dit, monsieur Vercamer. Que constatons-nous ? Lorsque l'on détruit une tour et que l'on propose à ses habitants d'être relogés dans un autre quartier de la ville, la plupart répondent : « Vous êtes bien gentil, ce que vous faites est très bien, mais j'aime mon quartier et je veux y rester ».

Il existe donc un souhait démocratique en ce sens, qu'il faut placer en regard d'une impérieuse nécessité sociétale qui ne l'est pas moins, imposant de consentir un effort collectif en faveur de la mixité sociale de la population – je déteste le terme, mais vous me comprenez.

À mes yeux, cette situation impose une règle : agir avec pragmatisme. Il faut accompagner les gens. Or l'accompagnement suppose de ne pas figer les règles de l'ANRU.

Il peut donc nous arriver de les transgresser et de les modifier ici ou là, si la population manifeste un fort attachement à son quartier, afin de trouver le moyen de rénover celui-ci, même si cela ne satisfait pas aux critères que vous évoquiez, ou d'accompagner au mieux celle-là, pour faire en sorte qu'elle finisse par éprouver l'envie d'être relogée ailleurs. En la matière, l'important est de faire preuve d'un humanisme sans faille.

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Benoit.

M. Thierry Benoit. Monsieur le secrétaire d'État, en matière de logement, nous pourrions convenir ensemble que nous avons trois objectifs.

Tout d'abord, nous nourrissons une exigence de justice. Il s'agit de permettre à tout un chacun, à chaque Français, ou du moins au plus grand nombre, d'accéder à la propriété. Ensuite, nous nourrissons une exigence écologique. Cet impératif impose la rénovation thermique des logements, afin d'assurer la maîtrise de la consommation d'énergie et de limiter la consommation du foncier. Le tout doit s'inscrire dans la nécessaire maîtrise de la dépense publique.

À ce sujet, j'aimerais aborder la question du dispositif Pinel, qui profite aux ménages plutôt aisés. Telle est la conclusion d'un rapport de la Cour des comptes publié en 2018. Ainsi, près du quart de ses bénéficiaires font partie des 2,3 % des foyers dont le revenu imposable est compris entre 71 000 et 151 000 euros. Sans doute le ciblage n'est-il pas tout à fait approprié !

La question que je m'apprête à poser, nous nous la posons souvent, en Bretagne, notamment parmi les élus locaux des villes moyennes et des territoires ruraux. Ne faut-il pas ajuster – réduire, pour être clair – l'assiette du dispositif Pinel et ventiler les crédits ainsi obtenus vers l'aide personnalisée au logement accession – APL accession – et le prêt à l'accession sociale ? En effet, il est nécessaire d'encourager l'accession à la propriété des jeunes ménages, des primo-accédants et des Français de condition modeste.

Seconde question, alors que la gestion à l'échelle régionale est actuellement expérimentée en Bretagne, ne serait-il pas préférable, pour une plus grande efficacité, de retenir le niveau de l'intercommunalité, qui détient la compétence en matière d'habitat ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Je vous remercie, monsieur Benoit, d'avoir été, avec votre groupe, à l'initiative de nos échanges.

Le dispositif initié par la ministre, Mme Pinel, ici présente, est destiné à soutenir l'investissement locatif. J'insiste car mes propos à venir pourraient choquer s'ils ne concernaient pas l'investissement locatif.

Il ne m'appartient pas en tant que ministre de me prononcer sur le mode de vie que choisissent nos concitoyens. Ce n'est pas mon rôle. En revanche, lorsque j'incite nos concitoyens à investir leur argent pour bénéficier d'une déduction fiscale, cette action doit s'inscrire dans une vision de l'aménagement du territoire.

Il y a deux ans maintenant – je l'assume pleinement car c'est un choix politique, – j'ai décidé de mettre fin au dispositif Pinel dans les zones B2 et C et d'y substituer un autre qui porte mon nom et est orienté exclusivement vers la réhabilitation. Pourquoi ? Parce que, selon moi, l'investissement locatif doit concourir non pas à l'extension des zones pavillonnaires dotées de grands supermarchés, mais à la revitalisation de nos centres-villes. Cela ne signifie pas que des aménagements ne peuvent pas être apportés ici ou là. Voilà mon rôle.

Ensuite, lorsque vous êtes ministre, quelles que soient nos convictions politiques – Mme Pinel l'a vécu comme moi –, vous êtes confrontés au tout zonage. Or le dispositif Denormandie ne donne plus lieu à un zonage. En Bretagne, pour la première fois, nous menons une expérimentation, qui était attendue, de la régionalisation du dispositif Pinel. J'espère que nous pourrons l'étendre à tout le territoire ensuite.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann. Dans tout le pays, et le département des Ardennes n'y échappe pas, il nous faut adapter l'offre de logement social au vieillissement de la population.

Dans les Ardennes, nous élaborons des solutions innovantes : dans des bourgs centres qui offrent tous les services, notamment médicaux et paramédicaux, nous proposons des logements sociaux sous forme de pavillons T3 dotés de sanitaires adaptés aux personnes à mobilité réduite et d'un petit terrain nécessitant peu d'entretien et permettant de manger dehors lorsque le temps le permet ; dans les villes, le bailleur social Espace Habitat développe dans les immeubles collectifs les services tels que la conciergerie.

Notre département connaît de grandes difficultés économiques et démographiques – nous avons perdu plus de 7 000 habitants en trois ans. Je tiens à vous remercier puisque le Gouvernement a signé, le 15 mars 2019, le pacte Ardennes 2022 qui commence à produire ses effets.

Dans ce cadre, je vous demande le soutien de votre ministère à notre projet de proposer des logements locatifs vacants à des seniors résidant dans des départements en tension que vous nous désignerez, par exemple ceux de l'Île-de-France. En effet, le rapport qualité-prix de la vie dans nos départements est favorable, et nos offres sont adaptées. En outre, chaque fois que des seniors accepteront de venir vivre dans nos départements, ils libéreront des logements sociaux ou des places sur les listes d'attente dans un département en tension – cela équivaut à construire un logement. Ce projet répond à la demande des populations. Il repose évidemment sur le volontariat – à nous de séduire et de convaincre. C'est l'occasion pour un territoire comme le nôtre d'attirer des populations nouvelles. Les études le montrent, nous en sommes capables, car bien vieillir dans notre département est une réalité quotidienne.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Monsieur Warsmann, je souhaite saluer votre action en faveur de ce territoire – nous avons eu l'occasion d'en parler à de multiples reprises depuis deux ans et demi.

J'adhère totalement à vos propos. Introduire plus de mobilité dans le logement social est une très bonne idée, à condition de ne pas faire n'importe quoi et de recourir au volontariat.

On constate un vieillissement de la population dans le logement social. C'est tout à fait logique puisque nombre de bâtiments ont été construits il y a quarante ou cinquante ans sur l'ensemble du territoire.

Je suis partisan d'inciter à une plus grande mobilité. Savez-vous que la commission d'attribution des logements sociaux peut attribuer un logement pour toute la vie ? Elle ne s'intéresse pas à l'évolution de la situation patrimoniale du locataire, au sens familial du terme – les enfants ont-ils quitté le domicile ? êtes-vous toujours en couple ? – qui pourrait amener à occuper un logement plus petit avec un loyer moins élevé. La loi ELAN comporte une disposition – je profite de cette tribune pour en faire la publicité tant elle me paraît importante – qui oblige la commission d'attribution à revoir la situation du foyer pour éventuellement proposer au locataire un autre logement qu'il est libre de refuser.

Pourquoi ne pas étendre ce dispositif – c'est le sens des travaux actuels en collaboration avec l'Union sociale de l'habitat – en permettant de proposer des logements dans d'autres lieux ?

Il me semble que les propositions doivent venir de la personne et de ceux qui l'entourent. Le changement de territoire peut réussir grâce à la communauté et non dans l'individualité. Je me tiens à votre disposition pour travailler sur ces sujets.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvia Pinel.

Mme Sylvia Pinel. Nous pouvons tous en convenir ici, pour favoriser la mixité sociale, il convient de concevoir une politique à l'échelle d'une ville, d'un quartier ou même d'un immeuble, accompagnée d'une variété d'actions complémentaires, et de l'appliquer de manière différenciée selon les bassins de vie.

La loi dite égalité et citoyenneté fixait l'objectif de favoriser la mixité sociale et de casser les ghettos. Certaines des mesures qu'elle contenait ont été confirmées dans la loi ELAN quand d'autres, au contraire – je le regrette et nous en avons déjà discuté –, ont subi un retour en arrière.

L'attribution des logements sociaux que vous avez évoquée pose aussi la question de la production desdits logements, sur laquelle je souhaite vous interroger. Je souligne la nécessité de veiller en la matière à la mixité sociale.

Fort de l'état des lieux que vous avez dressé au fil des questions, et que je partage pour partie, que comptez-vous améliorer concrètement à l'échelle des quartiers et des immeubles pour favoriser la mobilité dans le parc social ? Comment envisagez-vous d'atteindre, par la voie législative ou réglementaire, l'objectif de fluidifier les parcours résidentiels sur lequel nous nous accordons ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. S'agissant de la production de logements sociaux, les chiffres pour l'année 2019 que nous venons de recevoir font état de 109 000 à 110 000 agréments, soit l'équivalent de l'année dernière. Plus important à mes yeux, ce chiffre correspond à l'objectif qui avait été fixé en concertation avec les bailleurs sociaux dans l'accord, très important, signé en avril 2019. Cet accord est intervenu – appelons un chat un chat – après une première année de tensions entre le Gouvernement et les bailleurs sociaux, liées à la loi de finances, à la suite desquelles j'avais annoncé une clause de revoyure. Face à tant d'inquiétudes, il fallait reconnaître que nous étions peut-être allés trop loin. En tout état de cause, sans adhésion, il est impossible de créer une dynamique et nos concitoyens ne devaient pas en pâtir. Après plusieurs mois de travail constructif, nous étions convenus de la clause de revoyure dans laquelle l'objectif de 110 000 agréments par an était fixé. Malgré les nombreux doutes, nous sommes parvenus à atteindre cet objectif – je salue le travail des bailleurs sociaux et des services de l'État. Le même constat vaut pour la rénovation, mais nous y reviendrons. Nous devons continuer mais nous avons franchi une étape importante.

Quant à la mobilité, j'ai répondu aux députés Benoit et Warsmann, mais j'insiste, la loi ELAN a introduit l'obligation pour la commission d'attribution de réexaminer tous les trois ans la situation des occupants – c'est une disposition très importante.

Enfin, et je salue dans ce domaine tout le travail effectué par la majorité présidentielle, je mentionnerai le développement de l'ANRU. Songez que depuis un an, 9,5 milliards d'euros ont été engagés. Grâce aux décisions que nous avons prises, les grues reviennent dans les quartiers.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvia Pinel, pour une deuxième question.

Mme Sylvia Pinel. Dans le prolongement de ma question précédente, je souhaite revenir sur une disposition de la loi ELAN qui porte sur la vente des logements sociaux. Vous allez peut-être me répondre que son application est trop récente, mais j'aimerais que vous dressiez un bilan de ces ventes.

C'était l'une de nos divergences dans le débat sur la loi ELAN. Vous avez ouvert la possibilité, y compris aux communes carencées au regard de la loi SRU, de vendre des logements sociaux. De mon point de vue, cette mesure n'est pas de nature à favoriser la mixité sociale. Puisque le débat concerne le logement social et la politique de peuplement – comme vous, je n'aime guère cette expression –, il me semble important que vous portiez à notre connaissance certains éléments – combien de logements vendus ? À qui ? Où ? – pour savoir si les améliorations que j'évoquais précédemment ne sont pas nécessaires sur ce point.

Si nous voulons vraiment favoriser la mixité sociale dans les quartiers et dans les immeubles, nous devons disposer d'un panel de mesures complémentaires dans divers domaines : la production, mais aussi l'attribution des logements, les parcours résidentiels, l'accession sociale – le prêt à taux zéro, l'APL accession – et les investissements locatifs.

On ne peut pas envisager la politique du logement sous un seul prisme – je le disais il y a quelques années et vous avouerez que je fais preuve de constance. Il faut agir sur l'ensemble des segments pour obtenir des résultats.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Selon les derniers chiffres dont je dispose mais qui ne sont pas consolidés – mes services vous les transmettront –, le nombre de ventes serait aux alentours de 10 000 contre 7 000 avant la loi ELAN. Le dispositif monte donc en puissance, mais reste à un niveau limité par rapport aux craintes que certains avaient exprimées lors des débats sur la loi ELAN.

Aucune obligation de vente n'est imposée à aucun organisme – je l'ai toujours dit. Si des ventes sont très utiles à certains endroits, elles ne font pas sens dans d'autres. Là encore, une approche territoriale est pertinente.

Pour faciliter les opérations, comme nous en étions convenus avec Action Logement, nous avons créé un Opérateur national des ventes auquel les bailleurs sociaux qui le souhaitent peuvent s'adresser pour gérer les ventes pour leur compte. Cet organisme a été financé, en partie, par le plan d'investissement volontaire qui a fait l'objet d'une convention d'application signée en avril 2019.

Troisième élément, et pas des moindres, comme le prévoit la loi ELAN, lorsqu'un bailleur social vend un logement à un occupant ou à une personne éligible au parc social, il est contraint de reprendre le bien si problème il y a pendant une durée de dix ans.

Le décret d'application de la disposition permettant à un quelqu'un d'acquérir le logement sans acheter la partie commune dans un premier temps a été signé. Ce dispositif permet de consolider la copropriété en laissant à chacun le temps d'assumer ses nouvelles fonctions, notamment de copropriétaires. Il rencontre un franc succès.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Panot.

Mme Mathilde Panot. Grâce au Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, la France atteint des records, comme celui du nombre d'ultra-riches : quarante et un milliardaires, alors que notre pays compte 9,3 millions de pauvres.

Vous avez d'autres sources de fierté. Le vingt-cinquième rapport de la Fondation Abbé-Pierre note ainsi que 2 millions de familles sont en attente d'un logement social, lesquelles devront malheureusement attendre encore longtemps, car en raison des coupes budgétaires le nombre de HLM financés a baissé de 13 % au cours des deux dernières années. Les bailleurs sociaux sont contraints de rechercher d'autres sources de financement, notamment en vendant des logements, ce qui constitue une hérésie.

La France atteint également un record de familles expulsées avec le recours de la police. 16 000 familles ont ainsi été jetées hors de leur logement, parfois sans solution de relogement digne. Or votre Gouvernement, plutôt que de donner les moyens aux familles de vivre et de payer leur loyer, les appauvrit. Vous baissez l'APL de 5 euros par mois et, au total, de 3,9 milliards d'euros par an, ce qui pénalise directement deux tiers des familles allocataires. Et alors que le coût de la vie augmente, vous décidez du quasi-gel des aides au logement pour l'année 2020. Souhaitez-vous battre votre propre record du nombre de familles expulsées et de pauvres ? L'accès au logement, qui est un droit, devient un privilège avec les politiques que vous menez.

S'en prendre aux locataires ne vous suffisait pas ; vous faites également perdre des ressources importantes aux offices HLM, à hauteur de 1,5 milliard d'euros. Or 1,5 milliard d'euros perdus, cela empêche des bailleurs sociaux d'entretenir, de rénover et de construire des logements et empêche des locataires de vivre dans des conditions dignes. Certains sont parfois contraints de mettre du scotch à leur fenêtre pour éviter que le froid ne rentre. D'autres ne chauffent qu'une pièce de leur appartement. Des familles n'osent plus organiser des goûters d'anniversaire pour leurs enfants, quand d'autres subissent, par exemple, l'invasion de punaises de lit.

Quand allez-vous donc lancer un véritable investissement massif pour permettre la construction de 150 000 logements sociaux par an ? Quand allez-vous instaurer une obligation de rénover les logements pour que ces derniers respectent les normes de basse consommation et la dignité des locataires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pierre Cordier. Restez zen, monsieur le ministre !

M. Julien Denormandie, ministre. Ce qui me gêne, madame la députée, c'est que vous adossez votre question au malheur, réel, de beaucoup de nos concitoyens. Je peux vous assurer que j'y suis confronté tous les jours et que je me lève tous les matins avec la responsabilité, entre autres, de toutes celles et de tous ceux qui dorment dans la rue.

Vous assénez, dans votre question, plusieurs chiffres constituant des records. Vous auriez, bien sûr, pu en choisir d'autres, comme le fait que la Caisse des dépôts et consignations, depuis que je suis ministre en charge du logement, a investi 15 milliards d'euros en faveur du logement social. Il s'agit d'un record ; cela n'avait jamais été réalisé auparavant.

Vous auriez pu évoquer le fait qu'Action logement a investi 24 milliards d'euros depuis que je suis ministre en charge du logement – c'est un autre record.

Vous auriez également pu dire que l'ANAH – Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat – a multiplié par deux son activité en deux ans. Dans le domaine économique, on appelle ce type de performance une licorne, mais comme nous sommes dans le domaine administratif, elle ne sera pas mise en avant. Cela n'en constitue pas moins un record.

Il en va de même du plan Copropriétés dégradées, lequel concerne des dizaines de milliers de logements. Je salue à cet égard de nombreux députés ici présents – siégeant sur les bancs de groupes différents – qui nous ont énormément aidés à développer ce dispositif. Ce dernier est aujourd'hui au logement privé ce que l'ANRU a représenté pour le logement social au début des années 2000.

Je pourrais d'ailleurs aussi évoquer l'ANRU qui, en un an, a investi 9 milliards d'euros en faveur des quartiers prioritaires de la ville. Record, à nouveau.

Tout comme je pourrais parler du plan pour le logement d'abord grâce auquel, en deux ans, nous avons sorti 150 000 personnes de la rue. Je n'ose cependant utiliser à nouveau le terme que j'ai employé jusqu'ici ; la gravité du sujet est telle que ce serait totalement indécent.

Ce qui m'intéresse, madame la députée, ce n'est pas la litanie des chiffres, mais les moyens d'encore améliorer la situation. Depuis deux ans et demi, je ne suis pas dans les chiffres mais dans l'action. Et je peux vous assurer que je mouille ma chemise, avec la majorité présidentielle, pour que ces records se traduisent surtout par une amélioration du quotidien des personnes qui nous entourent, c'est-à-dire des Français.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Il y a un an, en février 2019, le Président de la République offrait à la presse quelques images de sa participation à une maraude du Samu social à Paris auprès des SDF. La mine grave, accroupi, c'est, en quelque sorte, un roi thaumaturge qui nous était présenté pour marquer la volonté présidentielle de faire de la lutte contre le mal-logement une priorité du quinquennat.

Pourtant, derrière cette communication se trouvent des chiffres – que nous ne pouvons malheureusement pas réfuter – et derrière eux se trouvent des réalités humaines, évoquées précédemment par ma collègue Mathilde Panot. Oui, ce sont encore 4 millions de nos concitoyens qui sont aujourd'hui mal-logés, dont près de 143 000 sans domicile auxquels s'ajoutent encore les 208 000 personnes vivant en habitat mobile dans une précarité indigne. Cette situation ne date, bien sûr, pas d'hier et long sera le chemin pour enfin rendre effectif le droit au logement, une disposition pourtant constitutionnelle. Mais est-ce vraiment en rabotant presque 4 milliards d'euros sur l'APL que nous pourrons espérer une amélioration significative de la situation ?

Selon le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre, dont je salue la rigueur et la détermination, les causes sont d'abord structurelles. Nous sommes en effet passés, entre 1962 à 2020, de 3 personnes par ménage en moyenne à 2,2 personnes. Cette évolution implique la construction de 7 millions de logements supplémentaires alors que, dans le même temps, la construction de logements sociaux est en baisse. Comment se fait-il donc que malgré les investissements records, dont vous venez de nous faire part, la situation reste encore dramatique ? Et que comptez-vous faire d'ici 2022 afin de tenir les engagements du Président de la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Je vous remercie, madame Rubin, pour le ton de votre question et les propos que vous avez tenus au sujet de la Fondation Abbé-Pierre ; nous étions tous deux à la présentation de ce rapport vendredi dernier, tout comme Stéphane Peu et d'autres députés.

Vous évoquez notamment la question de l'hébergement d'urgence, en faisant référence aux propos du Président de la République et à la maraude à laquelle j'avais d'ailleurs participé avec lui. L'hébergement d'urgence, dont j'ai la responsabilité, pose un problème très compliqué – je le dis avec autant de détermination que d'humilité. À l'heure où nous parlons, environ 156 000 places sont financées par l'État et ouvertes en collaboration avec les collectivités locales et les associations. Cela représente l'équivalent de la ville de Brest, et ce chiffre ne tient même pas compte de l'autre dispositif, géré par le ministre de l'intérieur, relatif aux demandeurs d'asile, lequel comprend une centaine de milliers de places.

Ainsi, ce qui est très compliqué, c'est que nous n'avons jamais pérennisé autant de places. Depuis le 1er novembre, j'ai ouvert 13 000 places supplémentaires, dont à peu près la moitié sont destinées aux femmes et aux familles. Pourtant, des centaines de personnes demeurent à la rue, ce qui entraîne deux conséquences. Cela impose de poursuivre l'effort, avec humilité et détermination, en ouvrant de nouvelles places d'hébergement d'urgence ; cette mise à l'abri, à l'instant T, est essentielle. Et cela impose également de mener la politique que j'évoquais plus tôt, que la Fondation Abbé-Pierre a toujours soutenue, et qui est celle du logement d'abord.

Cette politique revient à se demander comment mettre fin à la spirale infernale que constitue l'alternance entre l'hébergement d'urgence et la rue et proposer un véritable logement. De nombreuses actions sont menées en ce sens : vingt-trois villes se trouvent actuellement au sein d'un territoire sélectionné pour l'application accélérée du programme pour le logement d'abord, lequel nous a permis de sortir 150 000 personnes de la précarité en deux ans. Il nous faut néanmoins poursuivre notre action avec beaucoup de force et de détermination, car la situation demeure compliquée.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Je reviens, monsieur le ministre, sur une question que nous avons déjà évoquée ensemble, celle de l'aide personnalisée au logement. Depuis l'entrée en fonction du Gouvernement, en raison de la baisse de 5 euros par mois, de la désindexation puis du gel de l'APL, son montant total a été réduit de 2,6 milliards d'euros, pour moitié au détriment des bailleurs et pour l'autre moitié, des allocataires. En outre, la mesure de « contemporanéisation » de l'APL, qui figure dans la loi de finances, va entraîner une nouvelle baisse d'environ 1 milliard d'euros.

Chaque fois que je vous interroge sur le sujet, vous me répondez que ce sont la reprise économique, la meilleure santé de notre pays et la baisse du chômage qui permettront, avec la contemporanéisation des allocations, un moindre recours à l'APL. Or les études de l'INSEE, de l'OFCE – Observatoire français des conjonctures économiques – ou de la Fondation Abbé-Pierre démontrent que si le chômage baisse, la pauvreté augmente dans notre pays, atteignant même des records avec 400 000 pauvres de plus en 2018, soit autant d'allocataires potentiels. Il n'existe donc plus de corrélation entre baisse du chômage et baisse de la pauvreté ; bien au contraire, c'est l'inverse qui se produit.

Ma question, qui s'inscrit dans le cadre de la semaine de contrôle de l'Assemblée nationale, sera donc simple : le Gouvernement dispose-t-il d'une étude d'impact sur la contemporanéisation de l'APL ? Si la réponse est oui, pouvez-vous la communiquer à la représentation nationale, qui ne l'a pas eue au moment du vote du budget ? En l'absence d'étude d'impact ou de mesure objective des conséquences de cette mesure, cela signifierait que des considérations budgétaires, plutôt que des considérations sociales, ont présidé à cette décision.

Détenez-vous donc d'éléments pouvant être communiqués à la représentation nationale ? Je ne dispose pour ma part que d'informations partielles issues de la Caisse nationale des allocations familiales, mais elles sont très inquiétantes. Certes, vous avez repoussé à avril prochain l'application de la réforme. Mais le mois d'avril, c'est demain, monsieur le ministre. Nous avons donc des raisons d'être inquiets, d'autant qu'il est anormal que nous ne disposions pas d'éléments objectifs sur les conséquences de cette réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Le versement de l'APL en temps réel est une réforme qui répond d'abord à un choix politique. Je crois que nous sommes tous d'accord pour juger aberrant le fait que le calcul du montant de l'aide soit effectué en fonction de qui vous étiez il y a deux ans.

Il existe certes des facteurs de correction, mais ils sont imparfaits. Pour prendre l'exemple concret d'un jeune retraité qui était encore actif deux ans auparavant, la Caisse nationale des allocations familiales va considérer qu'il touche désormais 70 % du montant de son dernier salaire – dont elle a connaissance. Or de nombreux retraités ne bénéficient pas d'un tel taux de remplacement ; ces personnes ne touchent donc pas un montant d'APL équivalent à ce à quoi ils pourraient prétendre. De la même manière, les indépendants n'ont aujourd'hui pas droit à l'APL pendant deux ans, car le forfait évaluatif les en exclut. Il en va de même de certains jeunes actifs qui ne touchaient pas l'APL lorsqu'ils étaient étudiants. Il existe, en définitive, de nombreux cas de cette nature.

Il s'agit donc d'une véritable réforme politique, et non pas d'une réforme budgétaire, même si elle sera source d'économies car – nous en avons déjà discuté – nous comptons effectivement 500 000 chômeurs en moins et 300 000 emplois ont été créés.

S'agissant de l'étude d'impact, je vous répondrai deux choses. Vous me connaissez suffisamment, monsieur le député, pour admettre que j'ai l'habitude de travailler à livre ouvert. La transparence est extrêmement importante à mes yeux, et c'est pourquoi nous avons présenté les éléments dont vous parlez devant des instances telles que le CNH – Conseil national de l'habitat – ou des parlementaires. Par exemple, les jeunes actifs dits travailleurs pauvres de moins de 25 ans, touchant entre 0,3 et 1 SMIC, feront l'objet d'un dispositif particulier ; nous savons que c'est nécessaire.

Enfin, j'entends souvent que cette réforme de l'APL va entraîner une évolution, positive ou négative, du montant des allocations pour des millions de personnes. Mais c'est déjà le cas : j'estime qu'au mois de janvier, entre 1 et 2 millions de personnes ont vu le montant de leur aide augmenter ou diminuer. Cette évolution était toutefois fonction de ce qu'ils étaient il y a deux ans. Elle dépendra désormais de ce qu'ils sont aujourd'hui ; je crois que tout le monde peut le comprendre.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. Plus que jamais, l'accès à un logement décent doit être une priorité. L'attractivité de nos territoires ruraux se joue sur l'accès aux services publics, aux commerces et à l'emploi, mais aussi sur l'accès au logement.

Les grandes politiques nationales d'urbanisme des vingt dernières années ont malheureusement eu des effets pervers pour les territoires ruraux. Je pense notamment à la loi MAPTAM – loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles – de 2014, à la loi NOTRe – portant nouvelle organisation territoriale de la République – de 2015, à loi SRU – relative à la solidarité et au renouvellement urbains – de 2000, à la loi Grenelle II – portant engagement national pour l'environnement – de 2010, ou encore à la loi ALUR – pour l'accès au logement et un urbanisme rénové – de 2014.

Toutes ces lois, soyons-en sûrs, poursuivent un objectif louable : la lutte contre l'artificialisation des sols et pour la solidarité est un combat que nous devons tous mener. Cependant, les moyens prévus ne sont pas applicables à tous les territoires de France, lesquels ne se ressemblent pas. La loi ALUR, par exemple, a restreint la prise en considération des dents creuses et des parcelles en continuité du bâti au seul périmètre défini comme urbanisé. Cette disposition contraint les possibilités de construction et de réhabilitation de bâtis anciens au coeur des hameaux et incitera, à terme, les potentiels acquéreurs à se rabattre sur les zones périurbaines, créant ainsi une nouvelle pression. Nous sommes donc loin des objectifs initiaux.

Je rappellerai qu'avec le président Chassaigne nous avions déposé, en juillet dernier, une proposition de loi visant à adapter les contraintes réglementaires de la politique d'urbanisme en milieu rural. Ne pourrions-nous pas, monsieur le ministre, tenter d'assouplir les politiques de peuplement ? À cet égard, je vous propose volontiers le territoire dont je suis élu pour mener une expérimentation visant à mieux les adapter aux réalités des milieux ruraux.

En effet, même si les politiques doivent encourager la rénovation des logements vacants – dont je suis un fervent défenseur –, on ne peut empêcher ces territoires d'accueillir de nouvelles constructions, au risque de les marginaliser et d'accentuer le déclin démographique que connaissent certains d'entre eux – comme mon département, l'Allier. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Je partage en tout point vos propos, monsieur le député.

M. Jean-Paul Dufrègne. Eh bien voilà ! Avançons, alors !

M. Julien Denormandie, ministre. J'irai même plus loin : c'est pour cette raison que ma collègue Jacqueline Gourault et moi-même souhaitons, conformément à l'engagement du Président de la République et sous réserve des modifications constitutionnelles requises, créer une possibilité d'expérimentation et de différenciation de toutes les politiques – et notamment des politiques d'urbanisme – en fonction des territoires.

Votre question m'inspire deux remarques.

Vous évoquez tout d'abord les dents creuses. Souvenez-vous : nous en avons débattu lors de l'adoption de la loi ELAN, et je crois pouvoir dire que nous avons trouvé le système le plus intelligent possible pour permettre la construction dans les dents creuses, en respectant certaines limites – notamment celles imposées par la loi relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite loi Littoral –, mais en apportant de véritables avancées. Or la difficulté réside dans le fait que les règles qui avaient cours par le passé, par exemple pour savoir si un hameau, au regard du nombre d'habitats qui le compose, peut être considéré comme faisant partie d'une zone urbaine dense – désolé d'être technique, mais vous connaissez ces sujets par coeur –, restent appliquées localement, malgré les instructions qui ont été données depuis.

Ainsi, pour l'État, s'assurer que les outils que les parlementaires décident de donner aux territoires s'appliquent ensuite réellement constitue une véritable nécessité. C'est pourquoi je me trouvais avant-hier à Pontivy, avec Jacqueline Gourault et nos services respectifs, pour rencontrer tous les élus locaux. C'est très important.

Ma deuxième remarque rejoint la discussion que nous aurons à propos de l'artificialisation des sols – je vous remercie de l'avoir évoquée, car il s'agit à mon sens d'un vrai sujet de société. On dit aujourd'hui que, dans beaucoup d'endroits, il faut faire la ville sur la ville ; j'en suis moi aussi un fervent défenseur et j'ai d'ailleurs annoncé aujourd'hui le lancement d'un plan pour une ville durable. Mais il faut également veiller à ce que les communes comportant aujourd'hui des zones économiques denses ne soient pas les seules à pouvoir continuer de se développer à l'avenir, au détriment de celles qui auraient de l'espace mais ne pourraient pas construire. Il convient de trouver un équilibre et de placer le curseur au bon endroit. J'en suis le garant.

Mme la présidente. La parole est à Mme Stéphanie Do.

Mme Stéphanie Do. La loi de finances pour 2018 avait inauguré une réforme en profondeur du modèle économique du secteur du logement social. La loi ELAN a ensuite créé de nouveaux outils pour faciliter la construction, protéger les plus fragiles et inciter les organismes sociaux à se moderniser. Au 1er janvier 2021, tout organisme de logement social gérant moins de 12 000 logements devra avoir rejoint un groupe d'organismes de logement social gérant, en consolidé, un nombre de logements supérieur à ce seuil.

De plus, les conditions d'activité des organismes sociaux ont été assouplies, grâce notamment au transfert automatique de la compétence géographique en cas de fusion ou élargissement de leur champ de compétence. Cette mesure vise à permettre aux organismes de répondre aux objectifs ambitieux du logement social et des politiques territoriales de l'habitat traduits dans le pacte constructif passé entre le secteur social et le Gouvernement.

Devant le constat selon lequel seuls 8 000 logements sociaux étaient vendus chaque année aux locataires du parc social, nous avons oeuvré pour favoriser l'accession sociale à la propriété.

M. Thibault Bazin. En supprimant l'APL accession ?

Mme Stéphanie Do. Le Gouvernement a ainsi affiché un objectif annuel de 40 000 ventes de logement social, ce qui nous a donné un but à atteindre dans notre réflexion sur les mesures visant à favoriser les ventes de logement social intégrées dans la loi ELAN.

M. Pierre Cordier. C'est vous qui avez rédigé la question, monsieur le ministre ?

Mme Stéphanie Do. La loi a permis aux bailleurs sociaux de vendre plus facilement une partie de leur patrimoine, en priorité aux occupants du parc social. Nous pouvons nous réjouir des premiers résultats obtenus, mais il reste néanmoins beaucoup à faire. Je souhaiterais disposer d'un état des lieux de la restructuration des organismes de logement social et connaître les axes envisagés par le Gouvernement et Action logement pour atteindre l'objectif de 40 000 ventes de logements sociaux annuelles après la suppression de l'APL accession.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Merci, madame la députée, non seulement pour votre action, mais également pour tout le soutien que vous apportez depuis deux ans et demi aux politiques du logement. Vous posez deux questions : où en sommes-nous dans le regroupement des organismes de logement social, et comment accélérer les ventes de logements sociaux ?

S'agissant d'abord des regroupements d'organismes, si certaines personnes avaient exprimé des doutes, j'étais convaincu qu'ils se feraient, tout simplement parce que des initiatives de ce type avaient déjà été lancées dans de nombreux territoires. Ainsi, sur plus de 300 organismes – entreprises, offices ou autres – concernés par la mesure, plus de 90% ont déjà enclenché un regroupement. Le processus fonctionne donc véritablement sur le terrain, et nous sommes très attentifs à en assurer l'accompagnement.

Nous facilitons par ailleurs les ventes de logements sociaux en faisant savoir que tous les dispositifs adoptés dans le cadre de la loi ELAN sont désormais opérationnels. Je songe à l'Opérateur national de vente HLM créé avec Action logement, aux textes réglementaires qui permettent à un habitant d'être propriétaire de son logement tout en laissant la gestion des parties communes au bailleur social, etc. Cette publicité permettra d'enclencher véritablement la dynamique et de continuer à oeuvrer avec les bailleurs sociaux pour que celles et ceux qui le souhaitent bénéficient de ces nouveaux dispositifs. Tel est, véritablement, le sens de l'action de l'État et de nos partenaires, comme l'USH – l'Union sociale pour l'habitat – ou Action logement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurianne Rossi.

Mme Laurianne Rossi. Voilà moins d'une semaine, dans son vingt-cinquième rapport sur l'état du mal-logement en France, la Fondation Abbé Pierre alertait sur l'isolement et le manque d'accompagnement des personnes sans domicile. Garantir le droit au logement de manière inconditionnelle et pour tous constitue un devoir de solidarité – et pour cause : comme cela a été dit, 4 millions de personnes demeurent mal logées et 900 000 personnes restent privées de logement personnel.

Conscient de cette situation, vous vous êtes pleinement engagé, monsieur le ministre, avec le Gouvernement et la majorité parlementaire, dans la lutte contre le sans-abrisme et le mal-logement, avec une volonté constamment réaffirmée : permettre à tous nos concitoyens de vivre rapidement et durablement dans un logement décent et de qualité.

C'est tout le sens du plan Logement d'abord. Lancé le 11 septembre 2017, il vise à trouver durablement un logement aux sans-abri, au-delà des solutions d'urgence : la construction de HLM aux loyers très bas, l'intermédiation locative ou le renforcement de l'accompagnement social vers et dans le logement constituent autant d'actions majeures de ce plan. Les résultats sont déjà visibles : comme vous l'avez souligné, en deux ans, plus de 150 000 personnes sont sorties de la rue ou d'un centre d'hébergement et ont pu accéder à un logement grâce au plan que nous promouvons. Je le constate moi-même dans mon département des Hauts-de-Seine.

Cependant, malgré nos efforts, les réformes et les moyens inédits mobilisés, beaucoup reste à faire, tant les besoins sont importants. Trouver un « chez-soi d'abord » pérenne et digne est un préalable primordial à toute insertion dans notre société. Il nous faut accompagner les publics fragiles, notamment à travers le retour à l'emploi.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé récemment le lancement d'un service public « de la rue au logement », dit aussi « Samu de la rue ». Je veux saluer cette initiative, mais souhaiterais obtenir des précisions concrètes sur ce dispositif. Pouvez-vous nous en dire plus sur son expérimentation prévue en Île-de-France, ainsi que sur ses objectifs et son financement, estimé, me semble-t-il, à 3 millions d'euros ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Comme je l'indiquais à vos collègues, je suis convaincu que la lutte contre le sans-abrisme impose non seulement une très grande détermination en matière de mise à l'abri et d'hébergement d'urgence, mais aussi l'application de la politique du Logement d'abord adoptée par la majorité présidentielle dans cet hémicycle. Cette politique a bénéficié à 150 000 personnes en deux ans ; l'enjeu consiste désormais à changer d'échelle. C'est l'objet de l'acte 2 du Logement d'abord que nous avons lancé.

Parmi les éléments de réponse, au-delà des augmentations de crédits que vous avez votées et de l'accompagnement supplémentaire que nous assurons, une conviction me conduit aujourd'hui à expérimenter la création d'un « Samu de la rue au logement » : pour accompagner rapidement les personnes accueillies dans un centre d'hébergement d'urgence vers un logement pérenne, il faut que des travailleurs sociaux spécialisés dans l'accompagnement viennent, lorsque cela est nécessaire, appuyer celles et ceux qui travaillent déjà dans ces centres – et qui font d'ailleurs un boulot formidable. Des infrastructures, notamment en Île-de-France possèdent déjà cette compétence et avaient expérimenté des actions d'accompagnement individualisé spécifique pour orienter des personnes vers du Logement d'abord – je songe par exemple au groupement d'intérêt public Habitat et interventions sociales, le GIP HIS.

La création de ce dispositif repose, en quelque sorte, sur la même intuition que celle qui avait conduit, au début des années 1990, les fondateurs du Samu social – que je salue –, à vouloir concilier l'accompagnement de santé et l'hébergement d'urgence : j'estime qu'il faut aujourd'hui concilier l'accompagnement vers le logement avec l'hébergement d'urgence. La structure sera dotée d'un budget de 3 millions d'euros, et trente à quarante personnes seront recrutées pour pouvoir dépêcher, dans tous les centres d'hébergement d'urgence qui le souhaitent, des travailleurs sociaux spécialisés afin d'assurer un accompagnement rapide vers le Logement d'abord. Telle est l'idée qui sous-tend le « Samu de la rue au logement » et l'expérimentation que nous lançons.

Mme la présidente. La parole est à Mme Fadila Khattabi.

Mme Fadila Khattabi. Dans son dernier rapport annuel sur le mal-logement, la Fondation Abbé Pierre indique que près de 16 millions de personnes sont touchées, d'une manière ou d'une autre, par la crise du logement en France – une situation grave et indigne d'un pays comme le nôtre. Il n'en demeure pas moins que nous avons, depuis plus de deux ans maintenant, apporté des solutions concrètes.

M. Pierre Cordier. Bien sûr…

Mme Fadila Khattabi. Aussi mon intervention concerne-t-elle un point précis : la rénovation urbaine. Voilà une politique globale et ambitieuse que vous menez depuis le début de cette législature et que nous soutenons.

M. Pierre Cordier. C'est tout de même Jean-Louis Borloo qui l'avait initiée !

Mme Fadila Khattabi. Vous avez opté pour une stratégie bien plus efficace que l'étalement urbain, avec comme fers de lance la mixité sociale et la lutte contre la pauvreté. Je salue votre démarche, monsieur le ministre.

Je tiens à rappeler ici plusieurs dispositifs majeurs qui ont été déployés : depuis le lancement en 2018 du nouveau programme national de renouvellement urbain, le NPNRU, 371 projets de transformation de quartiers ont pu être validés. Des moyens financiers considérables ont été déployés pour permettre la reconstruction et la réhabilitation de dizaines de milliers de logements sociaux. Je songe également au programme de requalification des quartiers ou encore au programme Action coeur de ville, qui vise à améliorer les conditions de vie des habitants des villes moyennes en confortant leur rôle moteur dans le développement du territoire. Plus de 200 collectivités bénéficient aujourd'hui de ce programme.

Au vu de ces éléments, mes interrogations sont les suivantes : dans quelle mesure la rénovation urbaine engagée permettra-t-elle de renforcer la dynamique vers une plus grande mixité sociale dans les centres-villes, dont on sait que les populations les plus précaires sont souvent repoussées vers les périphéries ? Disposons-nous à l'heure actuelle d'une première évaluation sur ce point, mais également sur le renforcement de l'attractivité des quartiers dits « fragiles », dans lesquels on dénombre près d'un million de logements sociaux ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pierre Cordier. J'espère que vous saluerez le travail mené par Jean-Louis Borloo…

M. Julien Denormandie, ministre. Voilà deux ans et demi, lorsque j'ai été nommé, j'ai annoncé vouloir faire du ministère du logement le ministère de la construction, certes, mais aussi de la rénovation – vous m'avez souvent entendu le répéter depuis. Or la rénovation est longtemps restée, jusqu'à aujourd'hui, le parent pauvre de la politique du logement. J'en veux pour preuve le fait que nous publierons pour la première fois, dans les semaines à venir, un indicateur récurrent du nombre de logements rénovés par l'action publique – qu'elle soit menée par l'État ou localisée. C'est essentiel : je veux être autant le ministre de la rénovation que de la construction.

Pour répondre à votre question, j'évoquerai trois axes. Le premier concerne la rénovation urbaine. Alors que nous nous étions engagés sur un montant de 10 milliards d'euros, l'ANRU a accordé près de 9,5 milliards d'euros de concours financiers en un an, ce qui représente plus de 90 000 rénovations, plus de 60 000 constructions neuves et près de 250 écoles dont la rénovation a débuté. Tous ces projets sont très concrets : ils ont été signés, ils se font.

Le fléau des copropriétés constitue un deuxième point très important à mes yeux : j'y consacrai, trois semaines avant le drame de la rue d'Aubagne à Marseille, un plan de 3 milliards d'euros. Je me suis d'ailleurs, depuis, rendu dix fois à Marseille pour accompagner les Marseillaises et les Marseillais dans cette épreuve. Ce plan de rénovation des copropriétés dégradées était absolument nécessaire. À l'instar du rôle qu'avait joué l'ANRU pour le logement social voilà maintenant quinze ans – et je témoigne ici toute mon amitié à Jean-Louis Borloo –,…

M. Thierry Benoit. Excellent !

M. Pierre Cordier et M. Thibault Bazin. Très bien !

M. Julien Denormandie, ministre. …il permettra de mener une véritable politique de lutte contre l'habitat privé dégradé dans les copropriétés.

Enfin, le troisième axe réside dans l'accompagnement de la rénovation des logements individuels. Je remercie d'ailleurs la majorité présidentielle, qui a voté le dispositif qui porte mon nom permettant aux investisseurs de rénover, notamment dans les coeurs de ville. Faites du Denormandie dans l'ancien, si j'ose dire ! (Sourires.)

M. Thierry Benoit. Jean-Louis Borloo, sors de ce corps !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Hai.

Mme Nadia Hai. Ma question concerne l'habitat indigne, et particulièrement les copropriétés dégradées, un sujet prioritaire et constamment d'actualité : avec 56 000 logements concernés, ce sont autant de familles qui vivent dans des conditions inacceptables.

Vous avez décidé de « déclarer la guerre aux marchands de sommeil » – ce sont vos propres mots, monsieur le ministre.

Cette guerre doit être menée collectivement. Pour cela, la loi ELAN, adoptée voilà maintenant plus d'un an par notre assemblée, prévoit plusieurs mesures, dont le but est notamment d'exercer une importante pression financière sur les marchands de sommeil, de faciliter leur repérage et d'alourdir les sanctions pénales prononcées à leur encontre. Les dernières décisions de justice prises en ce domaine – comme récemment au tribunal de Bobigny – se traduisent d'ailleurs par des sanctions financières alourdies.

Pour lutter contre l'habitat indigne, vous avez également lancé un grand plan inédit mobilisant plus de 2,7 milliards d'euros. Ce plan ne pourra être efficace que si l'ensemble des acteurs concernés sont impliqués. C'est pourquoi vous avez engagé avec eux un partenariat d'une durée de dix ans mettant l'accent sur la prévention, sur les transformations et sur le redressement des situations fragiles.

Dans le même ordre d'idée, le projet de réforme du droit de la copropriété prévoyait, dans les copropriétés de plus de quinze ans, l'obligation d'élaborer un plan chiffré de travaux sur dix ans et de provisionner chaque année, sur un fonds dédié, une partie des sommes nécessaires pour les financer. Or l'ordonnance du 31 octobre dernier a fait l'impasse sur cette mesure essentielle.

Monsieur le ministre, compte tenu des éléments que je viens d'évoquer, pouvez-vous nous donner davantage de précisions sur les avancées de ce plan pluriannuel et dresser un premier bilan du service téléphonique « Info logement indigne » que vous avez lancé très récemment ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Madame la députée, cette lutte contre les marchands de sommeil, je ne suis pas le seul à la mener ; vous-même vous êtes beaucoup investie, ainsi que d'autres députés appartenant à d'autres groupes parlementaires.

La loi ELAN, pour la première fois peut-être, a significativement renforcé le dispositif de lutte contre les marchands de sommeil. Ces derniers sont frappés là où ça fait mal, c'est-à-dire au portefeuille. Et comme vous l'avez relevé, ces nouvelles dispositions produisent des effets : le tribunal de Bobigny a pris des sanctions inédites, et c'est très bien ainsi. En 2019, 300 dossiers très documentés ont d'ailleurs été transmis au parquet. Non seulement les agents immobiliers et les syndics ont désormais l'obligation de dénoncer les marchands de sommeil, mais certaines dispositions visant à l'origine les trafiquants de drogue leur sont désormais applicables, de sorte que les actes qu'ils commettent peuvent être lourdement sanctionnés sur le plan financier. La justice est pleinement saisie et je salue le travail que nous menons en concertation avec la garde des sceaux dans ce domaine.

Mais en plus de frapper violemment les marchands de sommeil, il faut aussi accompagner celles et ceux qui sont sous leur emprise. C'est l'objet du numéro de téléphone et de l'accompagnement que nous avons institués, avec notamment les associations départementales d'information sur le logement, que beaucoup ici connaissent. Le numéro 0 806 706 806 reçoit près de 400 appels par semaine. Je salue au passage le travail réalisé par les ADIL.

Quant au plan pluriannuel de travaux, il est vrai que l'ordonnance présentée en conseil des ministres n'en fait pas mention. Nous proposons donc que cette question puisse être réintroduite lors de sa ratification.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Beaudouin-Hubiere.

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere. La loi du 5 mars 2007 reconnaît le droit, garanti par l'État, à un logement décent et indépendant à toute personne n'étant pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir. Ce droit s'exerce par un recours amiable auprès des commissions départementales de médiation puis, si nécessaire, par un recours contentieux auprès de la juridiction administrative. Mais treize ans après son adoption, l'application administrative du droit au logement opposable s'est heurtée à l'épreuve des faits et – c'est le moins qu'on puisse dire – des écarts significatifs sont observables entre les départements.

Les contingents préfectoraux de logement social, bras armé du droit au logement opposable, sont l'exemple marquant d'un principe qui peine à s'appliquer concrètement. En fonction des territoires, le nombre de logements attribués au titre de ce contingent ne coïncide qu'au tiers, voire seulement à la moitié de l'effectif des logements sur lesquels les préfets sont en mesure de faire jouer leur droit de réservation.

Monsieur le ministre, je voudrais vous interroger sur ces disparités particulièrement incompréhensibles. Plus généralement, pouvez-vous nous préciser la politique que vous menez, au nom du Gouvernement, en matière de peuplement de ces îlots ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Madame la députée, votre question, qui se situe dans la ligne de celles qu'ont posées plusieurs de vos collègues, est incroyablement difficile, car elle porte sur la distinction, que beaucoup ici connaissent bien, entre les droits formels qu'impose la loi et les droits réels. Quatorze types de publics sont prioritaires au titre du DALO, le droit au logement opposable : ils sont tellement nombreux qu'il est, au bout du compte, très difficile de leur octroyer des logements en priorité car, si j'ose dire – et je le dis avec beaucoup de gravité –, tout le monde devient prioritaire.

Nous ne devons jamais perdre de vue l'objectif d'arrêter d'ajouter de la précarité à la précarité. L'État – je le dis avec beaucoup d'humilité – est parfois schizophrénique dans les instructions qu'il donne aux préfets : alors même que je me bats tous les jours pour que l'on cesse d'aggraver la situation des territoires les plus en difficulté, c'est là qu'une majeure partie des personnes mises à l'abri – et qui doivent absolument l'être – sont précisément envoyées. Il n'est pourtant guère plus facile d'y ouvrir un gymnase que dans un territoire mieux doté ! Cela signifie que nous n'avons pas encore atteint l'objectif politique que je me suis fixé.

Nous faisons de véritables progrès, cependant. À cet égard, la loi ELAN – pour la discussion de laquelle vous vous êtes beaucoup investie – contient des améliorations, comme le contingent de personnes disposant d'un travail. Il faut continuer dans cette voie : les ministres, et moi-même en particulier, devons donner aux préfets des instructions très claires en la matière.

Mme la présidente. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs ont imposé aux collectivités la production de logements sociaux. Dans cette logique, la loi SRU impose à la plupart des communes que 25 % du parc résidentiel soit constitué de logements sociaux. L'objectif est parfois difficile à atteindre par manque de terrains disponibles – comme c'est le cas à Villeneuve-les-Béziers, dans ma circonscription –, et parfois par manque d'investisseurs, sans oublier le fait que les finances des offices publics sont très contraintes.

Cet objectif se justifie, nous dit-on, par une pénurie de logements sociaux. Si cela est vrai pour certaines agglomérations, ce n'est pas le cas, par exemple, pour Béziers. Dans ma ville, en effet, le nombre des logements sociaux s'élevait à 6 750 exactement en 2018, et celui des logements attribués cette année-là à 912.

Mais si le nombre de demandes de logements sociaux s'élève à 3 215 – un chiffre élevé–, il faut savoir que pas moins de 50 % des logements proposés sont refusés. Seraient-ils en mauvais état ou construits dans des quartiers ne convenant pas aux demandeurs ? Pas du tout : ces derniers refusent souvent des logements sociaux neufs situés dans des quartiers agréables, et ces logements restent dès lors vacants. Pourquoi ? Parce que les logements sociaux n'ont pas bonne presse…

M. Pierre Cordier. C'est vrai !

Mme Emmanuelle Ménard. …et que les demandeurs préfèrent se loger dans le privé, où les loyers sont souvent les mêmes que dans le logement social,…

M. Pierre Cordier. Tout à fait !

Mme Emmanuelle Ménard. …Béziers ne connaissant pas de tension locative.

Pourquoi, alors que la tendance actuelle est à la prise en compte des spécificités territoriales, la loi SRU impose-t-elle les mêmes normes à des villes et dans des situations totalement différentes ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Madame la députée, je vous apporterai deux éléments de réponse.

Tout d'abord, vous disiez à l'instant, approuvée par d'autres députés, que les logements sociaux n'ont pas bonne presse, mais il faut, au contraire, asséner l'idée que, souvent, le logement social est aussi synonyme d'excellence ou d'innovation. Ainsi, en matière de lutte contre les passoires thermiques, il est bien plus en avance que le logement privé. Aujourd'hui, on trouve dans le logement social des constructions neuves de très grande qualité, et parfois très innovantes. Il convient donc, je le répète, d'en souligner l'excellence dans de nombreux domaines.

Ensuite, votre question renvoie à un débat que nous avons eu avec un grand nombre d'entre vous pour savoir s'il faut, ici ou là, un assouplissement des dispositions de la loi SRU. Pour ma part, je considère que non – alors même que je pense avoir démontré mon attachement à la conduite de politiques territorialisées et à un certain pragmatisme territorial. Je crois en effet que la loi SRU est un signal politique absolument nécessaire pour rappeler à tous l'impérieuse nécessité de continuer à produire du logement social.

J'ai bien conscience, ce faisant, que certaines collectivités qui connaissent des difficultés particulières ou subissent une moindre tension en matière de logement ne comprennent pas pourquoi elles n'ont pas été exemptées de leurs obligations en la matière – de fait, les exemptions auxquelles j'ai procédé cette année sont en nombre limité. Je l'assume, car il est important d'affirmer clairement l'impérieuse nécessité de continuer à produire du logement social partout sur notre territoire, dès lors que 80 % de la population y est aujourd'hui éligible. Cela signifie aussi qu'il faut oeuvrer à améliorer l'image des logements sociaux – je vous renvoie sur ce point au début de ma réponse.

Le pragmatisme dont nous avons essayé à bien des égards de faire preuve impose aussi d'adopter une certaine fermeté dans l'application de la loi SRU. Nous avons déjà eu l'occasion d'en parler à de nombreuses reprises dans cet hémicycle.

Mme la présidente. La parole est à M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Monsieur le ministre, je me permets de vous alerter sur le caractère inadéquat de la politique adoptée en matière de démolition de logements sociaux lorsqu'elle ne s'inscrit pas dans le cadre du nouveau programme national de renouvellement urbain. Pourtant, la démolition est parfois nécessaire au sein d'un parc vieillissant, dont les logements sont souvent mal isolés ou inadaptables aux exigences actuelles.

Un appel à projets, assorti d'un financement intéressant, a été lancé en juin dernier par Action logement. La réponse aux bailleurs candidats, qui devait être apportée en novembre, a d'abord été repoussée à décembre, puis à janvier, et on ne voit toujours rien venir. Les bailleurs candidats s'interrogent légitimement sur les raisons de ce retard, d'autant qu'Action logement, rappelons-le, est un organisme financé par une taxe prélevée sur les employeurs.

Par ailleurs, pour démolir des logements en zone non tendue, l'État annonce des aides d'un montant de 5 000 euros par logement, distribuées par l'intermédiaire des DREAL, les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement, et des DDT, les directions départementales des territoires. Mais la dotation à l'échelle du département est tellement faible – notamment chez moi, en Meurthe-et-Moselle – que le nombre de dossiers pouvant être financés est très réduit, pour ne pas dire ridicule. Concrètement, ces 200 000 ou 300 000 euros permettent de traiter quarante ou soixante logements, ce qui est bien insuffisant au regard des ambitions des bailleurs et des projets qu'ils ont élaborés. À elles seules, les deux tours dont la démolition permettra d'achever la rénovation urbaine du quartier de Niederbronn-Zola, à Lunéville, totalisent soixante-quatre logements !

Il est dommageable que les crédits destinés à la construction et ceux dévolus à la démolition ne soient pas fongibles. Ainsi, en 2019, alors que ma région a, pour la première fois, sous-consommé les crédits prévus pour la construction neuve, elle n'a pu dépenser le reliquat pour financer les démolitions, ce qui aurait été pourtant bienvenu. Or, sans démolition, il n'est parfois pas possible de construire des logements aidés pour ceux qui en ont besoin, ce qui entraîne une moindre activité dans le secteur du bâtiment et pénalise ainsi l'emploi local.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous adapter votre politique à la réalité de nos territoires et aux besoins de nos populations ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Même s'il n'est pas toujours évident de l'assumer politiquement, la démolition est en effet parfois nécessaire. Il est bon que les élus locaux ou les députés le rappellent, et je vous remercie de l'avoir fait.

Les sujets que vous évoquez sont très techniques et les réponses que je vais vous apporter ne pourront atteindre le niveau de précision requis, mais je puis d'ores et déjà vous présenter les axes que j'ai indiqués à toutes mes équipes. Je reste par ailleurs à votre disposition pour en parler – même si je n'ose vous inviter au ministère car, chaque fois que je le fais, vous dites que je ne vous invite pas, ou vous ne venez pas. (Sourires.)

M. Thibault Bazin. Vous n'invitez que vos amis de gauche ! (Rires sur plusieurs bancs du groupe LR.)

M. Julien Denormandie, ministre. Restons sérieux, monsieur Bazin !

Tout d'abord, avec Action logement, nous sommes convenus d'apporter une aide pour environ 40 000 opérations de démolition. Un énorme financement est donc disponible, notamment dans les territoires détendus.

Pour ce qui est de l'appel à projets que vous citez, je ne sais pas précisément quand le résultat sera connu. Je souhaite cependant que les choses aillent très vite. On ne peut pas me reprocher de ne pas mettre beaucoup de pression dans le tube,…

M. Thibault Bazin. Il va péter !

M. Julien Denormandie, ministre. …et je vais donc m'informer pour savoir quand exactement le dentifrice en sortira. (Sourires.)

Pour ce qui est de votre deuxième question, relative au redéploiement des fonds au titre du FNAP, le Fonds national d'aide à la pierre, je n'ai pas non plus la réponse, mais je m'informerai et nous vous répondrons précisément.

M. Thibault Bazin. Vous me le promettez ?

M. Julien Denormandie, ministre. Oui !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Cordier.

M. Pierre Cordier. Monsieur le ministre, je vous remercie tout d'abord d'être présent pour répondre à nos questions sur ce sujet si important. Je voudrais vous interroger à propos de la RLS, la réduction de loyer de solidarité, un dossier assez technique. Ce dispositif prévoit un transfert de charges de la Caisse d'allocations familiales vers les bailleurs sociaux : le loyer et l'APL baissent, la différence étant supportée par les bailleurs.

Dans les Ardennes, le coût de la RLS s'élevait en 2019 à 2,4 millions d'euros et en 2020 à 3,7 millions. Ce dispositif était au départ réservé aux locataires qui bénéficient de l'APL. Pour 2020, la loi de finances prévoit qu'elle pourra également s'appliquer à ceux qui n'en bénéficient pas, ce qui entraîne – passez-moi l'expression – une augmentation de la note pour les bailleurs sociaux.

La note augmente d'autant plus pour les bailleurs que le plafond est très bas pour les locataires. Monsieur le ministre, je voudrais savoir si vous êtes conscient de la situation et s'il est prévu des mécanismes d'aide en direction de ces bailleurs sociaux. Cette politique de réduction de loyer de solidarité conduit en effet tout naturellement à creuser leurs déficits, ce qui a eu pour conséquence, dans le département des Ardennes, une augmentation des loyers.

Cette question est assez précise, et je peux comprendre que vous ne disposiez pas de tous les éléments de réponse. Dans ce cas, je pourrais accompagner mon collègue Thibault Bazin lorsqu'il se rendra au ministère pour participer à une réunion technique…

M. Stéphane Peu. Je veux bien en être !

M. Jean-Louis Bricout. Il va falloir affréter un bus ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. J'adore inviter mes amis députés de droite à des réunions techniques ! (Sourires.)

M. Thibault Bazin. Vous ne m'avez encore jamais invité ! J'attends toujours !

M. Julien Denormandie, ministre. Monsieur Cordier, vous évoquez un problème qui – sauf erreur, mais nous allons vérifier – est déjà traité dans la loi de finances. Souvenez-vous, nous avions alors estimé que l'application de la RLS ne devait absolument pas dépendre du nombre de locataires bénéficiaires de l'APL – auxquels est destiné ce dispositif – dans le parc social. Car sinon, beaucoup de bailleurs pourraient décider de ne pas choisir leurs locataires parmi ces bénéficiaires ! Tous, dans l'hémicycle, avaient évoqué ce risque.

Dans le calcul de la compensation des loyers, une péréquation a donc été prévue entre tous les bailleurs sociaux afin que la RLS soit appliquée au même niveau quel que soit le pourcentage de personnes bénéficiaires de l'APL au sein du parc social. La situation que vous évoquez laisse penser que, dans votre territoire, quelque chose ne tourne pas rond en matière de péréquation. Nous examinerons ce cas particulier. C'est la première fois qu'un tel problème est porté à ma connaissance ; j'ose donc croire que la loi a été appliquée sans difficulté dans la majeure partie du territoire.

Voilà quel était l'esprit de la loi telle que nous en avons discuté ensemble – et j'insiste sur le fait que, sur tous les bancs, les députés étaient d'accord. L'application de la RLS ne dépend pas du pourcentage de bénéficiaires de l'APL dans le parc social car sinon certaines personnes qui ont besoin du dispositif en auraient été privées, et il n'en était pas question.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Pauget.

M. Éric Pauget. On constate aujourd'hui une pénurie de logements qui affecte particulièrement nos concitoyens disposant de faibles revenus ou appartenant aux classes dites moyennes. Ce constat est sans appel. La loi n'encourage pas assez les propriétaires du parc locatif privé à mettre leur bien en location. Des leviers d'action existent pourtant afin de pallier cette situation et de sortir d'une opposition binaire entre logement social et logement privé et d'une politique de zonage qui, hélas, a accentué le déséquilibre entre nos territoires.

Ces leviers peuvent être fiscaux. Je pense par exemple à l'exclusion de l'assiette de l'impôt sur la fortune immobilière des biens immobiliers mis en location pour une résidence principale – avec bien sûr un loyer encadré –, une mesure qui améliorerait l'offre et réduirait la pression fiscale.

Ces leviers peuvent aussi être territoriaux car il me semble qu'une politique de peuplement socialement équilibrée doit passer par une écoute plus attentive de nos maires. Ces élus de proximité, par leur connaissance approfondie de leur territoire, devraient voir leur action replacée au coeur de la politique du logement, en obtenant par exemple une minorité de blocage lors des décisions d'attribution des logements ou la possibilité de surseoir à l'application de la loi SRU, tant celle-ci est uniforme et ne prend pas suffisamment en considération les spécificités de chaque territoire.

Une politique de peuplement socialement équilibré passe par le développement du secteur des logements intermédiaires au sein des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Cette mesure contribuerait à combattre les effets de ghettoïsation et fluidifierait les parcours résidentiels.

Mais, au lieu de mener une politique globale, le Gouvernement procède ponctuellement, par saupoudrage. Il a certes opéré un changement de cap, plutôt bénéfique, en revenant partiellement sur la disparition du prêt à taux zéro lors de l'acquisition d'un logement neuf en zones B2 et C, une mesure qui aurait contraint de nombreux ménages, souvent modestes, à renoncer à leur projet d'habitation. Mais, dans le même temps, il abroge pour l'année 2020 l'APL accession, un dispositif qui avait fait ses preuves en aidant les primo-accédants.

Monsieur le ministre, où est la cohérence ? Où sont les priorités du Gouvernement ? Où est l'offre fiscalement et socialement équilibrée de logement dans notre pays ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Thibault Bazin. Comme dirait Aimé Jacquet, musclez votre jeu, monsieur le ministre ! (Sourires.)

M. Julien Denormandie, ministre. Votre question est très large. Concernant la recherche de cohérence, j'ai déjà répondu, à certains égards, lors de mes interventions précédentes, par exemple en précisant que, depuis ma prise de fonctions il y a presque trois ans, la rénovation figure parmi les priorités de mon ministère, au même niveau que la construction neuve. Cela me semble extrêmement important. Non pas que je sois un ayatollah de la rénovation – quoique… – mais la rénovation constitue un enjeu dans beaucoup de territoires. Comme vous l'avez très bien exprimé dans votre question, les réalités territoriales sont très diverses. Un centre-ville qui périclite, c'est une fatalité que jamais, au grand jamais, je ne laisserai s'installer. Car à chaque fois qu'un coeur de ville dépérit, c'est un peu de l'identité française qui se meurt.

Mon choix de faire de la rénovation une priorité m'a valu de prendre des coups car cela m'a conduit à mettre fin au dispositif Pinel dans les zones B2 et C, une décision que certains n'ont pas appréciée mais que j'assume. Mes efforts se sont portés sur le programme Action coeur de ville, pour lequel 5 milliards d'euros ont été dégagés dans le cadre du dispositif qui porte mon nom. Il y a là une vraie cohérence, qui se retrouve aussi dans notre ambition de faciliter l'accession sociale à la propriété, dans le cadre des programmes de rénovation, pour les ménages dont vous parliez.

Concernant le deuxième point que vous évoquez, nous ne serons sans doute pas d'accord – et c'est très bien ainsi : comme je le disais à l'instant à Mme Ménard, je considère qu'il faut conserver la loi SRU, dans toute son ambition.

Vous avez aussi évoqué l'accès à la propriété. Votre famille politique, et notamment le président Sarkozy, a prôné une « France des propriétaires ». Je considère qu'il faut laisser les personnes choisir, mon rôle étant de les accompagner. Je serais très heureux d'en discuter avec vous.

Mme la présidente. La parole est à Mme Josy Poueyto.

Mme Josy Poueyto. Je vous remercie également d'être présent parmi nous et de prendre le temps de nous répondre de façon si exhaustive.

En dix ans, le coût du foncier a augmenté trois fois plus vite que celui du logement. La loi ELAN visait à développer les offices fonciers solidaires, les OFS, pour lever les freins à l'accession sociale à la propriété en assurant une réduction sensible du prix, celui du foncier étant devenu un obstacle particulièrement important pour les classes populaires et moyennes. C'est d'autant plus vrai dans les zones tendues, où s'exprime de plus en plus un besoin de mixité sociale.

Si les organismes de logement social sont donc désormais encouragés à créer des offices fonciers solidaires, nous estimons, au sein du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, que l'accent doit être mis sur tous les outils de nature à valoriser la mobilité résidentielle, au-delà même du logement social. C'est d'ailleurs un des objectifs de l'excellente proposition de loi de M. Lagleize, qui prévoit notamment la création d'organismes fonciers libres, des OFL, inspirés des OFS, pour ouvrir à tous les Français l'accès à la propriété. Quels sont, monsieur le ministre, les résultats et les axes de développement de ces OFS et avez-vous par ailleurs des éléments à nous communiquer sur le déploiement des OFL ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Je profite de votre question pour saluer tout le travail accompli par votre groupe, et notamment par Jean-Luc Lagleize, sur la question des OFL. Je voudrais revenir sur certains points que vous avez évoqués et qui me semblent importants. On a dit tout et son contraire sur l'objectif de la proposition de loi qui a été votée par l'Assemblée en première lecture. Il ne s'agit en rien de réduire le droit de propriété, mais simplement de se demander si, aujourd'hui, tout a bien été imaginé pour faire en sorte que le logement soit abordable. Une solution est de séparer le foncier, qui resterait une propriété publique – j'insiste sur ce point car tel était le sens de la proposition de loi – et ne pourrait donc pas faire l'objet d'une quelconque spéculation, et le bâti, propriété pleine et entière de l'habitant. Cela permettrait-il de proposer des logements abordables ? La réponse est oui. Dès lors, pourquoi s'en priver ?

En revanche, comme on l'a vu dans le cadre de la discussion sur la proposition de loi, un gros travail technique s'impose pour empêcher toute spéculation ou toute conséquence qui ne serait pas au bénéfice de l'habitant. Nous avons donc décidé de prendre le temps nécessaire, c'est pourquoi notamment nous avons choisi de légiférer par ordonnances.

Enfin, à propos des OFS, j'ai une pensée particulière pour les retraités pauvres. Le drame que connaissent beaucoup d'entre eux est qu'après avoir payé un loyer pendant toute leur vie, ils doivent encore s'en acquitter une fois à la retraite. Une vraie solution à ce problème consisterait à leur offrir la possibilité d'être propriétaires de leur bâti et de ne plus devoir rembourser les prêts.

Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle de Vaucouleurs.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Chaque année, seuls 8 000 logements sociaux sont vendus sur un parc de 4,5 millions de logements.

M. Thibault Bazin. L'objectif était d'en vendre 40 000 !

Mme Michèle de Vaucouleurs. Pour augmenter ce chiffre, jugé beaucoup trop faible, la loi ELAN offre désormais des outils spécialisés pour encourager les organismes HLM à vendre plus facilement des logements, notamment à leurs occupants. Objectif phare de cette loi, le développement des ventes de logements HLM permet à des personnes vivant dans un logement social de l'acquérir et de devenir ainsi propriétaires. Avec l'application de l'ordonnance du 7 mai 2019 relative à la vente de logements appartenant à des organismes d'habitation à loyer modéré à des personnes physiques avec application différée du statut de la copropriété, les sociétés de vente d'habitation à loyer modéré font ainsi leur entrée dans le code de la construction et de l'habitation.

La loi assouplit par ailleurs les conditions de cession. Le bailleur social peut fixer librement le prix de vente, sans l'intervention de France Domaine, en prenant pour référence le prix d'un logement comparable occupé. Un droit de veto est toutefois accordé au maire si la commune n'a pas atteint le taux de logements sociaux prévu par la loi SRU ou si la vente l'a fait passer en dessous. Dans le département des Yvelines, 18,6 % des logements sont des logements sociaux et la part des ménages propriétaires de leur résidence principale s'élève à 58,9%, des chiffres assez proches de la moyenne nationale. Le Gouvernement dispose-t-il de données qu'il pourrait nous communiquer concernant le nombre de personnes devenues propriétaires grâce à ce dispositif ? Dans quelle mesure les bailleurs sociaux s'en sont-ils saisis ? Certains maires ont-ils fait valoir leur droit de veto ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Tout d'abord, la question des ventes ne doit certainement pas s'imposer à tous les territoires. Dans certains d'entre eux, il est important d'avoir la possibilité de vendre, dans d'autres, c'est beaucoup moins pertinent. Encore une fois, la décision appartient à chaque bailleur social. Mes équipes, que je salue au passage, font un travail d'accompagnement des plans de vente élaborés dans le cadre des CUS – les conventions d'utilité sociale.

Pour vous répondre au sujet de la situation actuelle, d'après les chiffres les plus récents dont nous disposons, qui ne sont pas encore consolidés, on compte environ 10 000 ventes par an. Nous pourrons vous indiquer quelle est, sur ces 10 000 ventes, la part des logements qui ont été acquis par les locataires eux-mêmes et celle qui concerne les autres personnes éligibles au parc social.

Deuxième élément, les maires disposent d'un droit de veto depuis la promulgation de la loi ELAN. En revanche, je ne sais pas combien d'entre eux l'ont exercé. Nous avons peu de retours d'expérience mais dès que nous disposerons de données, nous vous les communiquerons.

Enfin, troisième élément, les dispositions législatives ou les stipulations des accords que nous avons conclus avec les bailleurs sociaux – je pense à l'Opérateur national de vente, aux textes réglementaires qui permettent d'accompagner les acquéreurs – sont également opérationnelles et les reportages diffusés ces dernières semaines ont montré des locataires devenus propriétaires satisfaits des dispositions que vous avez votées, ce dont je vous remercie.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Loiseau.

M. Patrick Loiseau. La loi ELAN du 23 novembre 2018 avait un objectif ambitieux, celui de construire plus et de construire mieux. Pour ce faire, de nombreuses mesures étaient prévues, certaines destinées à alléger les procédures existantes, parfois complexes et peu lisibles. Il était également envisagé, par le biais de la création des opérations de revitalisation de territoire – ORT –, d'intervenir de manière concertée et transversale pour redynamiser les centres-villes avec des projets portant sur plusieurs domaines : l'habitat, l'urbanisme, le commerce, l'économie ou encore les politiques sociales. Ainsi, des mesures juridiques et techniques facilitant la transformation de bureaux en logements ont été prises. De même, la hiérarchie des normes, des documents d'urbanisme a été simplifiée.

La loi offre également aux bailleurs des outils spécialisés afin de vendre plus facilement des logements, notamment à leurs occupants. Ils peuvent aussi développer des activités complémentaires pour répondre à des besoins précis sur leur territoire : ingénierie urbaine ou service de gestion. Je me réjouis de la mise en place de ces dispositifs qui permettront, à terme, une meilleure adaptation du secteur du logement social aux besoins de chacun.

Enfin, la loi ELAN a également imposé aux bailleurs sociaux gérant moins de 12 000 logements de se regrouper avant le 1er janvier 2021, c'est-à-dire demain. Cependant, au 1er août 2019, sur les 607 organismes existants, 357 n'avaient pas la taille requise et devaient fusionner dans l'année. Trois cent vingt-neuf organismes étaient engagés dans un projet d'union mais seule une dizaine l'ont réalisé. La logique incite en effet ces organismes à des rapprochements locaux qui sont en réalité souvent freinés par les rivalités au sein des territoires.

Aussi, monsieur le ministre, quel bilan pouvons-nous tirer de l'application de ces différentes dispositions, en particulier concernant la fusion des bailleurs sociaux ? Des ajustements sont-ils prévus, à terme, s'il se trouve que ce système de regroupement ne donne pas les résultats attendus ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Au 1er janvier 2020, sur 613 organismes, 339 étaient soumis à cette obligation. Près de 90%, je l'ai dit, sont déjà engagés dans un projet de réorganisation. Quelque 13% ont achevé leur projet, contre 8% en octobre 2019 – ce qui montre que les projets avancent bien. Et, souvenez-vous, la loi ELAN a créé des sociétés de coordination, les fameuses SAC, dont la spécificité est que ce sont les filles qui possèdent la mère et non la mère qui possède les filles – j'espère que vous me suivez… Or plus d'une trentaine de SAC sont en cours de création pour un total de 120 organismes – donc le dispositif marche et marche même bien, ce qui ne m'étonne pas du tout car la dynamique locale existait déjà.

Ensuite, vous évoquez plusieurs dispositions de la loi ELAN visant à simplifier les procédures. Sachez qu'il y a dix jours, j'ai présenté en conseil des ministres l'ordonnance permettant de récrire la partie législative du code de la construction et de l'habitation. Eh bien figurez-vous que j'ai alors proposé la suppression, de mémoire, de 66 articles sur environ 220, soit l'arrachage d'une page sur quatre. Nous prévoyons la même simplification pour la partie réglementaire. Nous sommes ici au-delà de la simplification, il s'agit bien d'un changement de paradigme : le code fixera désormais les objectifs et non plus les voies pour les atteindre. C'est l'engagement que j'avais pris ; il est aujourd'hui en passe d'être tenu.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Bricout.

M. Jean-Louis Bricout. En matière de logement, adapter l'offre à la demande passe par l'adaptation, en fin de compte, de l'offre à la démographie existante ou à son évolution. Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs ne font qu'observer et accompagner un phénomène de métropolisation qui concentre toujours plus de population aux mêmes endroits. Nos villes grouillent et croulent sous les problèmes causés par la surconcentration : problèmes de circulation, problèmes de sécurité – liés à l'anonymat – et, bien sûr, crise du logement. Alors on légifère pour résoudre ces problèmes, les lois sur le logement se succèdent et s'adaptent pour qu'on construise plus et plus haut. On propose des solutions pour libérer du foncier, pour maîtriser les prix, mais, in fine, on ne fait qu'amplifier ce problème en concentrant toujours plus.

Ce phénomène de métropolisation force même à dépenser quelquefois sans compter. Le projet du Grand Paris en est le parfait exemple : de 19 milliards d'euros en 2013, on est arrivé à 35 milliards de dépenses aujourd'hui ! Or pendant ce temps nos campagnes se vident, nos petites villes meurent et, faute d'usagers, nos services publics disparaissent. Dans ces territoires délaissés, ce n'est pas l'offre qui pose problème mais la demande. Combien de logements vides ? Comme je le disais, l'offre suit et doit s'adapter à la démographie.

Ne pensez-vous pas qu'il est peut-être temps de contrarier voire d'inverser ces mouvements démographiques ? N'est-il pas temps de changer de logiciel ? Vous savez qu'en dehors de l'enracinement familial, c'est l'emploi qui peut retenir, voire attirer des populations dans ces territoires fragilisés. Ne pensez-vous pas que redéployer une partie des dépenses d'aménagement liées à la métropolisation afin d'inciter l'implantation d'activités dans ces territoires serait de nature à résoudre au moins une partie des problèmes de logement et des déséquilibres qu'ils subissent ? Ne pensez-vous pas qu'il faudrait repenser les politiques d'aménagement du territoire pour mieux adapter l'offre de logement, sans forcément construire mais en récupérant tout simplement des logements vides ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Il sera très compliqué de répondre à vos questions en deux minutes. Je suis convaincu que l'évolution de la démographie française est pour nous une énorme chance car notre population, comparée à celle de tous les pays européens – à l'exception, de mémoire, de l'Irlande – augmente partout sur le territoire ou presque. En effet, en Espagne, en Italie, en Allemagne, on constate des flux démographiques d'une partie du pays vers l'autre. Or on ne met pas suffisamment en avant le dynamisme démographique propre à la France.

Il y a quelques années, quand j'enseignais le génie rural, on nous expliquait qu'il y avait Paris et le reste du territoire, qu'il y avait une métropole, Paris, le reste étant la ruralité. Or nous sommes passés d'une métropole à des métropoles et d'une ruralité à des ruralités, ce qui est déjà une vraie avancée. Pourquoi suis-je autant attaché au programme Action coeur de ville ? C'est parce que je suis persuadé que le moment est venu de parler des centralités et des ruralités. Et pour redynamiser ces centralités – qui peuvent être des sous-préfectures –, il convient de mener, et je vous rejoins sur ce point, une action très coordonnée entre une politique puissante non du logement mais de l'habitat et une politique économique.

Parallèlement au plan Action coeur de ville, nous avons lancé l'opération Territoires d'industrie. Or il faut coupler les deux.

M. Jean-Louis Bricout. Je suis d'accord.

M. Julien Denormandie, ministre. C'est ce à quoi je m'applique au jour le jour.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Bricout.

M. Jean-Louis Bricout. Je tiens à poser au ministre une question rédigée par notre collègue Joaquim Pueyo.

Comme l'ont rappelé de nombreux collègues, la question de la mixité sociale ne date pas d'hier. De nombreux gouvernements ont tenté de remédier à la ghettoïsation de certains quartiers. Certains choisissent d'y voir des regroupements ethniques. Pourtant, c'est bien la précarité, voire la pauvreté qui touche la majorité des habitants de ces quartiers. À côté de cela, certaines zones géographiques sont touchées par l'effet de désertification des centres-villes alors même que ces derniers étaient le poumon économique des villes moyennes. Entre ces deux enjeux, il existe un lien qui appelle notre attention.

Pour ce qui est des centres-villes, un des objectifs affichés du plan national Action coeur de ville, lancé en décembre 2017, est de les réhabiliter et de les restructurer afin de développer une offre attractive de l'habitat en centre-ville. En ce qui concerne le besoin de mixité sociale, des mesures ont été prises dans le cadre de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté, votée en 2017, et de la loi ELAN, votée en 2018. La première avait notamment instauré l'attribution de 25% des logements sociaux, hors quartiers prioritaires, à des demandeurs pauvres. D'autres mesures ont été prises afin d'inciter les propriétaires à louer leurs biens aux populations plus précaires.

L'Agence nationale de l'habitat propose notamment un dispositif – Louer mieux – aux termes duquel un propriétaire s'engage à louer son logement à des personnes aux ressources modestes pour un loyer abordable. En échange, il bénéficie d'une fiscalité attractive et d'aides financières pour rénover son bien. Cependant, ces avantages ne concernent pas entièrement la zone C, ce qui peut s'entendre mais limite drastiquement son application dans les villes moyennes et rurales. Il est donc question d'incitation mais également d'attractivité de villes moyennes qui bénéficieraient d'une revitalisation par l'accès au logement, notamment dans les centres-villes.

Monsieur le ministre, quelles mesures peuvent être prises pour répondre à ces deux demandes : d'un côté le besoin des villes moyennes d'attirer des populations afin de redynamiser les centres-villes et, de l'autre, favoriser la mixité sociale ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Comment revitaliser les centres-villes ? C'est un de mes grands combats depuis deux ans et demi. Nous avons lancé le plan Action coeur de ville – 5 milliards d'euros –, mené une politique de l'habitat en revitalisant le logement mais aussi l'activité commerciale. Je prendrai un seul exemple : la loi ELAN prévoit que, en complément du programme Action coeur de ville, tout maire qui signe une ORT peut surseoir à l'installation d'un supermarché XXL en périphérie dont la présence serait de nature à tuer le commerce de proximité. Pour aller plus loin encore, nous avons créé un dispositif fiscal, qui porte mon nom, pour réhabiliter les centres-villes.

Ensuite, je présenterai dans les jours qui viennent une feuille de route sur la manière d'aller encore plus loin dans la lutte contre la vacance de logements. Il sera question d'identifier les propriétaires concernés et de les accompagner – notamment pour les aider à rénover leurs logements quand ils n'en ont pas les moyens. Il est également question de la responsabilité du propriétaire : qu'un propriétaire qui dispose d'un logement vacant en donne au moins les clefs à une association qui le gérera, garantira tout, y compris sa remise en état. Je pense à des dispositifs comme Louer solidaire, au bénéfice de ceux qui ont besoin de se loger.

Mme la présidente. La parole est à M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Je souhaite vous poser, monsieur le ministre, une question de Brigitte Kuster, députée de Paris, sur l'attribution problématique des logements sociaux dans la capitale. La commission d'attribution se compose de représentants du bailleur social, de représentants de la ville de Paris et de représentants de l'État. Dans les faits, le maire d'arrondissement, pourtant au plus près du terrain, et la ville de Paris se partagent l'attribution de peu de logements sociaux, comparé au quota préfectoral, qui concerne un tiers des logements aidés. Dans le XVIIe arrondissement, par exemple, nous parlons d'une centaine de logements par an attribués par cet élu de proximité qu'est le maire d'arrondissement.

Les attributions ne sont pas toujours en cohérence avec l'arrondissement concerné : elles ne sont pas toujours fondées sur des liens géographiques, et certains dossiers ne répondent pas aux attentes en matière de revenus. La conséquence, c'est que le maire d'arrondissement n'est pas suffisamment consulté ni associé à la politique publique de peuplement menée dans son arrondissement. De surcroît, celle-ci manque parfois de cohésion. Nous voyons ainsi émerger des quartiers où la politique de peuplement a dégradé la qualité de vie et la sécurité parce que les attributions sont faites à l'aveugle. Le maire d'arrondissement aurait pourtant pu faire profiter de son expertise et les risques s'en seraient trouvés réduits.

Enfin, sur la part réservée à l'État – 30% –, 5% maximum de ces logements sont attribués aux agents de l'État. Ce plafond, monsieur le ministre, complique l'hébergement des policiers, pompiers et infirmiers à Paris où, pour eux, les loyers hors parc social sont trop élevés. Ces personnes devraient pourtant être logées au plus près de leur lieu de travail, pour des motifs évidents liés à la sécurité des Parisiens.

Aussi, comment comptez-vous favoriser le logement des urgences et rapprocher le maire d'arrondissement de l'attribution du logement social pour permettre une politique cohérente ?

La future loi « 3D » – pour décentralisation, différenciation et déconcentration –, qui promet une plus grande décentralisation de la politique de peuplement, permettra-t-elle de faire davantage confiance aux maires d'arrondissement ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Faut-il déléguer davantage la politique du logement social aux territoires ? Voilà la question que vous venez de formuler.

Je crois avoir montré à quel point j'étais favorable à plus grande territorialisation des politiques de logement, y compris leur volet fiscal. C'est le sens de l'expérimentation que nous menons actuellement en Bretagne. Faut-il aussi décentraliser les politiques du logement social ? Nous ne partirions pas de rien : la délégation des aides à la pierre est par exemple déjà en place. Je suis ouvert à un débat sur le sujet, mais j'insiste sur le fait que si l'on décentralise la politique du logement social, il faut la décentraliser entièrement.

Autrement dit, si, demain, on décentralisait, par exemple, la politique sociale du logement, qui comprend le logement social et l'hébergement d'urgence, cela signifierait qu'il faudrait accepter localement les responsabilités qui découlent de la loi instituant le droit au logement opposable. Je rappelle que, parce qu'il ne respecte pas cette loi, l'État paie tous les ans 50 millions d'euros d'amende au Fonds national des aides à la pierre. La décentralisation totale de la politique de l'hébergement d'urgence poserait aussi des problèmes à certains territoires soumis à davantage de pressions que d'autres.

En clair, je n'ai pas la solution miracle, mais, si je suis très favorable à une politique du logement beaucoup plus décentralisée, j'attends de voir ce qu'en diront les différentes associations d'élus et de maires.

Je le répète, si l'on décentralise la politique du logement social, on ne peut pas le faire à moitié et se contenter de toucher aux aides à la pierre. Cela concernera aussi le pouvoir de construire, si je puis m'exprimer ainsi, et, en conséquence, les obligations qui y sont attachées, qu'elles résultent de la loi DALO, des nécessités de l'hébergement d'urgence, ou d'autres dispositifs qui sont tous très complexes à mettre en oeuvre. Dans le cadre de la préparation de la loi 3D, ces sujets font en ce moment l'objet de débats avec la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Je profite de cette dernière réponse pour vous remercier tous. C'est toujours un plaisir de venir échanger avec vous.

M. Thibault Bazin. Plaisir partagé ! Nous vous remercions, monsieur le ministre !

Mme la présidente. Nous avons terminé les questions sur le logement social et les politiques de peuplement.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 11 février 2020