Texte intégral
SONIA MABROUK
Merci d'être avec nous ce matin sur Europe 1. Amélie de MONTCHALIN, au moins neuf morts près de Francfort en Allemagne, le mobile du ou des tueurs pas encore connu, donc la plus grande prudence, des bars à chicha visés, règlements de comptes ou attentats, une chose est sûr il y a un climat particulièrement tendu en Allemagne, et d'ailleurs partout en Europe depuis un certain temps.
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui est sûr c'est d'abord la grande solidarité qu'on peut avoir envers les victimes, et on voit cette violence aveugle, ces vagues de violence aveugle dans beaucoup de pays, dans beaucoup trop de pays, dans beaucoup trop de circonstances, et ça nous montre qu'il faut fasse absolument des efforts contre toutes les formes de terrorisme, de menaces, l'Europe qui protège c'est aussi ça. Et dans notre discussion d'aujourd'hui, avec le président de la République, on part donc discuter du budget, mais derrière le budget c'est la souveraineté européenne, c'est notre capacité à protéger les Européens, les protéger des menaces, internes, externes, et donc je crois qu'on est là au coeur, on voit, d'un enjeu de protection des citoyens quels qu'ils soient, où qu'ils soient, parce que la violence aveugle c'est toujours, je crois, le pire drame qui peut arriver dans une société.
SONIA MABROUK
La protection et donc le budget européen, c'est quand même le principal élément qui sera discuté tout à l'heure, vous serez d'ailleurs avec le président pour ce sommet européen extraordinaire. Enfin, ce qui est extraordinaire, ce sont surtout nos divisions ! Quelle est la probabilité, Amélie de MONTCHALIN, d'un accord aujourd'hui ?
AMELIE DE MONTCHALIN
C'est un moment de vérité. Vous savez, depuis des mois on a construit…
SONIA MABROUK
C'est ce qu'on dit pour tout sommet.
AMELIE DE MONTCHALIN
Non mais, on a construit un agenda, on s'est mis d'accord ensemble sur ce qu'on voulait faire, on a dit voilà, on veut protéger les citoyens, on veut créer de la souveraineté, on veut une Europe qui soit neutre en carbone, on veut une Europe plus sociale et on veut une vraie politique industrielle, eh bien à un moment il faut mettre les moyens. Et nous, ce qu'on dit, c'est qu'on ne veut pas d'une Europe au rabais, on ne veut pas écouter ceux qui nous disent "voilà, on va faire des petits chèques entre nous", comme c'était la mode, vous savez, quand Madame THATCHER organisait les choses, pour que chacun contribue, mais pas trop. Moi je ne veux pas d'une petite Europe, avec des petits moyens, des petites ambitions.
SONIA MABROUK
Mais qui n'en veut pas ? Parce que la France, on va le préciser à nos auditeurs, c'est le deuxième plus gros contributeur au budget européen, on a versé environ 22 milliards d'euros, on donne beaucoup, et qu'est-ce qu'on reçoit ?
AMELIE DE MONTCHALIN
On reçoit d'abord beaucoup, pour nos agriculteurs, la Politique Agricole Commune…
SONIA MABROUK
Mais c'est la vraie question, est-ce que le budget va être maintenu ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Nous ne pouvons pas demander à nos agriculteurs de faire plus en leur donnant moins, et donc ça c'est un sujet majeur. On reçoit aussi beaucoup, les élus locaux, partout en France, les projets de développement économique dans toutes nos régions, dans les Outre-mer, sont largement soutenus, par l'Europe. On reçoit aussi beaucoup parce que, cette protection contre la Chine, contre les Etats-Unis, ça n'a pas de prix, c'est ce qui permet à nos entreprises de se développer. Mais ce que je vais vous dire c'est qu'il y a effectivement, et c'est pour ça que ce sera difficile, et c'est pour ça que je ne sais pas si nous aurons un accord, mais nous allons le chercher…
SONIA MABROUK
Vous ne savez pas s'il y aura un accord sur le budget européen ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Je ne peux pas le savoir, nous sommes 27 autour de la table, et, il y a une façon simple, de faire des accords en Europe, c'est vous prenez le plus petit dénominateur commun, vous allez au plus petit niveau d'ambition, et vous vous mettez d'accord, ce n'est pas ce que nous voulons.
SONIA MABROUK
Prenons un cas concret, nos agriculteurs, Amélie de MONTCHALIN. Certains pays comme le Danemark, les Pays-Bas, l'Autriche, jugent la PAC comme étant passéiste, ils ne veulent pas justement donner, ou qu'il y ait plus d'argent…
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais…
SONIA MABROUK
Est-ce que vous pouvez nous confirmer ce matin que le budget de la Politique Agricole Commune ne baissera pas ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que je peux vous dire c'est que notre objectif c'est effectivement de s'assurer que les agriculteurs ont le même budget, ou plus, ou plus.
SONIA MABROUK
Une revalorisation est encore possible ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais bien sûr, on se bat pour ça. Pourquoi ? Parce que la PAC ce n'est pas has been, ce n'est pas du tout un truc qui, sous prétexte que ça existe depuis longtemps, il faudrait couper dedans, c'est une politique qui est clé pour notre souveraineté, pour notre indépendance. Aucune puissance au monde, la Chine, les Etats-Unis ou d'autres, n'imaginent importer leur nourriture, un pays qui importe sa nourriture c'est un pays qui dépend de quelqu'un d'autre, et que donc on peut manipuler, qu'on peut tenir.
SONIA MABROUK
C'est le discours que vous allez tenir pour convaincre les autres pays.
AMELIE DE MONTCHALIN
C'est le discours que nous tenons, bien sûr avec Didier GUILLAUME, avec le président de la République, avec tout le gouvernement, mais on n'est pas tout seul. Vous avez 20 pays, en Europe, qui veulent une PAC forte, 20 pays, donc on n'est pas du tout dans une situation où ce serait la France contre le reste de ses partenaires. Après il y a des enjeux majeurs, la défense européenne, on l'a dit, les Outre-mer, le développement de toutes les régions, pour tous les Européens, qu'ils soient ruraux, urbains, qu'ils habitent proches d'une métropole ou plus loin. Et puis derrière il y a aussi cette question des ressources propres, c'est-à-dire…
SONIA MABROUK
Bien sûr, et vous allez en parler…
AMELIE DE MONTCHALIN
Parce que nous ne voulons pas, je tiens à le dire très clairement, on veut une Europe forte, on veut qu'elle ait des moyens, mais nous ne voulons pas augmenter les impôts…
SONIA MABROUK
On veut, on veut, est-ce que vous allez frapper sur la table surtout, pas la table du studio d'Europe 1, mais surtout au sommet européen ce soir ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Vous savez, on y va dans une optique de dire il y a des choses importantes, on ne va pas avoir un accord à n'importe quel prix, mais il faut effectivement qu'on ait la bonne volonté. Mais moi je veux de la bonne volonté à la hausse, je veux une bonne volonté, voyez, qui permette d'avancer, qui permette de renforcer l'Europe, pas une bonne volonté qui nous dise à la fin "bon, eh bien comme il faut qu'on mette un accord, on va faire un petit accord."
SONIA MABROUK
C'est à voir. Amélie de MONTCHALIN, est-ce que l'atteinte à la vie privée d'un responsable politique est une attaque contre la démocratie ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Bien sûr c'est une attaque contre la démocratie.
SONIA MABROUK
Donc vous condamnez les propos de Christophe CASTANER qui a jeté dans le débat public la vie privée d'Olivier FAURE ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que j'entends c'est que nous avons, avec les réseaux sociaux, et c'est surtout là que je pense qu'il y a un sujet, nous avons avec les réseaux sociaux brouillé une frontière majeure, la frontière entre ce qui relève de la transparence des hommes politiques, ce qu'ils doivent construire comme confiance avec leurs électeurs, et la protection absolue de leur privée, familiale, intime. Ça c'est une crise démocratique majeure.
SONIA MABROUK
Je ne comprends pas le rapport entre réseaux sociaux et les propos du ministre de l'Intérieur qui depuis le début de l'affaire Griveaux ne cesse de répéter que c'est une terrible atteinte à la vie privée et qui se livre lui-même à un procédé qu'il dénonce !
AMELIE DE MONTCHALIN
Je laisserai Christophe CASTANER sur ce sujet…
SONIA MABROUK
Ah non, c'est important, vous vous êtes exprimée, vous nous dites que c'est une atteinte dans l'affaire Griveaux, est-ce que pour Olivier FAURE, quand un ministre de l'Intérieur dit ça, est-ce qu'il est encore crédible ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Je pense qu'il faut, sur ce sujet-là, aussi sortir de la manipulation et il faut arrêter de monter le sujet en épingle, je pense qu'il y a des sujets qui relèvent effectivement de ce qu'a dit Christophe CASTANER et il aura, je pense, l'occasion…
SONIA MABROUK
Vous les condamnez ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Moi ce que je condamne c'est l'histoire qu'on mette en danger des élections, qu'on mette en danger des électeurs qui doivent prendre des choix personnels, qui doivent faire des choix éclairés, en leur livrant en pâture des éléments qui ne sont pas de l'ordre électoral. Ce qui s'est passé, et si on prend un peu de distance, je crois que ça arrivera encore, on voit des manipulations dans énormément de pays.
SONIA MABROUK
Mais quelles manipulations ? S'il n'y avait pas eu de vidéo, il n'y aurait pas eu de scandale.
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais bien sûr.
SONIA MABROUK
Et donc ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Eh bien ce que je vous dis c'est que, quand il y a des vidéos, il y a derrière… ce n'est pas une crise politique ce qui est arrivé, c'est une crise démocratique.
SONIA MABROUK
Démocratique, vraiment ? La démocratie a vacillé parce que Benjamin GRIVEAUX est sorti de l'élection municipale à Paris ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais, qui pensez-vous, qui ira se présenter à des élections, demain, si nous sommes dans une circonstance où votre vie intime, votre vie privée, est mise en pâture ?
SONIA MABROUK
Peut-être des gens, pardonnez-moi, qui mettent en avant le principe de prudence et ne font pas ce genre de vidéos.
AMELIE DE MONTCHALIN
Il y a deux choses. Il y a, dans votre vie personnelle, la prudence, l'exemplarité, et bien sûr qu'on y est tous appelés, maintenant il y a une barrière, il y a une barrière parce que, sinon, il n'y a plus de démocratie. Une élection c'est quoi ? C'est la rencontre entre des électeurs qui doivent faire un choix éclairé, informé, personnel, et si on vous met devant vous des éléments qui n'ont rien à voir avec l'élection, si, dans d'autres pays, dans d'autres circonstances, vous avez des Fake news, vous avez des ingérences étrangères…
SONIA MABROUK
Vous avez raison, mais les accusations… ingérences étrangères ? De la part de qui ? Est-ce qu'on a des preuves quand on dit cela ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Attendez, je ne parle pas de Benjamin GRIVEAUX spécifiquement.
SONIA MABROUK
Oui, mais vous parlez d'ingérences étrangères, vous êtes secrétaire d'Etat en charge des Affaires européennes, mais d'où viennent-elles ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Bien sûr, mais bien sûr, parce que je vous dis que, depuis des années, on voit que nous avons, partout en Europe, des mécanismes différents, que je ne relis pas ici, mais des mécanismes différents…
SONIA MABROUK
D'où viennent-ils, quels pays, quelles menaces ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Vous avez, le président l'a dit, la Russie par exemple.
SONIA MABROUK
La Russie, mais quelles preuves ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais, quand vous avez les "MacronLeaks" il y a 3 ans, quand vous avez, dans un certain nombre de pays, des financements étrangers, qui s'ingèrent dans les élections locales, nationales…
SONIA MABROUK
Quelles preuves ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que je vous dis c'est que, il y a 1 an, le président avait proposé qu'on fasse une agence européenne pour la démocratie, tout le monde avait dit "ouais, c'est sympa, c'est un machin", ce n'est pas du tout un machin. Si on croit qu'on veut un continent avec de l'Etat de droit, qu'on veut un continent qui protège les fondements de ceux qui ont fait l'Europe, de paix, et de compréhension mutuelle, qui respecte des valeurs, eh bien il faut nous protéger.
SONIA MABROUK
Qu'est-ce que vous mettez dans cette agence de démocratie ? Est-ce que par exemple il faut, puisque je vous entends beaucoup parler des réseaux sociaux, réguler Internet selon des règles européennes ?
AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord il faut lutter contre les cyberattaques, les cyber-menaces, et là je peux vous dire que l'Europe ça compte parce que si on fait 27 fois des petites choses avec nos petits moyens chacun, c'est quand même beaucoup moins efficace que si on se met ensemble. Ensuite, il faut qu'on puisse notamment suivre les financements des partis politiques, parce que quand ça vient de l'étranger c'est compliqué. Ensuite, effectivement, et on y travaille, on cherche à retirer un certain nombre de contenus, s'ils sont haineux, s'ils sont…
SONIA MABROUK
Où vous mettez le curseur de la censure ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Quand la loi Avia…
SONIA MABROUK
J'ai dit la censure.
AMELIE DE MONTCHALIN
Je ne pense pas…
SONIA MABROUK
Je pensais que vous alliez relever.
AMELIE DE MONTCHALIN
La loi Avia ce n'est pas une loi de censure, c'est une loi qui dit, quand on a des propos haineux, quand on a des propos déplacés, c'est un combat qu'on mène en France, c'est aussi un combat qu'on mène au niveau européen, on se bat en ce moment déjà pour retirer les contenus terroristes, ça fait d'ailleurs un lien avec beaucoup de violences qu'on voit sur notre continent, et donc cette initiative européenne, ça fait donc maintenant un certain temps qu'on l'a, parce que dans nos têtes, voyez ma génération, le mouvement dont je viens, on n'est pas naïf sur ce sujet.
SONIA MABROUK
Justement, je parle de votre génération, et pour conclure, vous ne m'avez pas répondu à la question sur les propos de Christophe CASTANER, j'y reviens, parce que c'est important, parce que lui-même a appelé justement à un devoir d'exemplarité, a donné des leçons de morale. Est-ce que vous les condamnez ? Un responsable politique qui parle de la vie privée d'un autre, est-ce que vous dites non, stop ?
AMELIE DE MONTCHALIN
En tout cas ce n'est pas mes pratiques, ce n'est pas comme ça que je vous parle, ce n'est pas ce que je vous dis ce matin…
SONIA MABROUK
C'est clair.
AMELIE DE MONTCHALIN
Et ce que je vous dis surtout c'est qu'il faut une action commune, parce que, ce n'est pas ni un homme politique, ni une femme politique, ni un parti politique, qui va y arriver, c'est on voit bien quelque chose qui est beaucoup plus profond, c'est les institutions qui sont fragilisées, c'est des libertés individuelles qui sont attaquées, et face à ça, eh bien je crois que l'Europe est un bon échelon d'action.
SONIA MABROUK
Merci Amélie de MONTCHALIN, invitée ce matin sur Europe 1.
source : Service d'information du Gouvernement, le 21 février 2020