Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, à RTL le 24 février 2020, sur la construction de trois nouvelles prisons, la libération prochaine de détenus condamnés pour terrorisme et la grève des avocats contre la réforme des retraites.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

ALBA VENTURA
Bonjour Nicole BELLOUBET.

NICOLE BELLOUBET
Bonjour.

ALBA VENTURA
Vous lancez donc la construction de trois nouvelles prisons, prisons expérimentales, prisons à taille humaine, pour former et faire travailler les détenus. Comment ça marche ?

NICOLE BELLOUBET
Eh bien notre idée principale c'est que nous devons reconstruire une politique pénale pour éviter la récidive, donc la politique pénale c'est à la fois des peines mieux adaptées, je ne reviens pas sur ce sujet-là, mais c'est aussi des établissements qui répondent à différentes étapes du parcours de peine. Parmi ces établissements nous souhaitons mettre en place les prisons dites "inSERRE", donc insertion par le travail notamment, ça signifie que ce seront des établissements d'environ 180 personnes, 180 détenus, donc à taille humaine, et qui devront tous, soit être en formation, soit travailler, avec l'idée que ce travail-là, par les compétences qu'il permet d'acquérir, évite, en sortie, la récidive. Et c'est donc la raison pour laquelle nous travaillons avec des entreprises partenaires, nous sommes appuyés par la Fondation M6, donc nous sommes vraiment dans un lien très étroit sur l'idée travail/réinsertion.

ALBA VENTURA
Alors, la première, où sera-t-elle construite ?

NICOLE BELLOUBET
Alors à Arras, nous avons trois lieux…

ALBA VENTURA
Arras, dans le Pas-de-Calais.

NICOLE BELLOUBET
Arras, Toul et Charleville-Mézières, la première sera construite à Arras. C'est vraiment un projet qui est très innovant…

ALBA VENTURA
Quand est-ce qu'elle sortira de terre ?

NICOLE BELLOUBET
La première pierre sera avant 2021, donc je dirais 1 an de travaux, 1,5 an de travaux, et donc, vraiment, ce côté nécessité de se former, de travailler, d'acquérir des compétences, pour nous c'est primordial parce que c'est ça qui vraiment permet d'éviter la récidive.

ALBA VENTURA
Alors, ils vont se former à quoi, et d'abord quel type de profil de détenu est concerné ?

NICOLE BELLOUBET
Alors il faut d'abord des… nous sommes sur des détenus qui ont des peines, on va dire moyenne, environ 5 ans, pour pouvoir avoir un travail de fond avec eux. Nous souhaitons les former à des métiers plutôt à haute valeur ajoutée, liés au numérique, liés au service à la personne, donc des sujets qui sont vraiment importants et qui peuvent permettre de trouver de l'emploi à la sortie, et c'est vraiment ce mixte compétences/travail qui nous permettra de les réinsérer socialement.

ALBA VENTURA
Ils vont travailler, donc ils seront payés….

NICOLE BELLOUBET
Bien sûr.

ALBA VENTURA
Qui va les payer, combien ? Le droit du travail ne s'applique pas en prison.

NICOLE BELLOUBET
Pas stricto sensu, il n'y a pas de droit du travail, mais il va de soit que les personnes détenues, qui seront engagées dans ce processus, auront un contrat de travail aménagé, bénéficieront évidemment d'un salaire, c'est tout à fait normal.

ALBA VENTURA
Est-ce qu'il y a déjà des entreprises qui se sont portées candidates ?

NICOLE BELLOUBET
Nous travaillons évidemment, dans chacun des différents sites, avec des entreprises qui se montrent mobilisées sur ce projet-là, qui est un projet vraiment, à la fois très humain, et un projet qui vise aussi à assurer la sécurité de la société, c'est tout un ensemble finalement…

ALBA VENTURA
Mais ce matin vous lancez un appel, vous interpellez les entreprises ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, nous travaillons, je vous l'ai dit, avec des entreprises, qui se sont déjà déclarées partenaires, qui diffèrent selon les sites…

ALBA VENTURA
Des entreprises spécialisées dans le numérique donc.

NICOLE BELLOUBET
Pas que dans le numérique.

ALBA VENTURA
Pas que, mais dans quoi par exemple ?

NICOLE BELLOUBET
Ça peut être par exemple des entreprises de grande distribution, des entreprises du numérique, ce sont des entreprises extrêmement variées, mais ce qui est important, vraiment, c'est cette idée de partenariat. Et je dois ajouter également que les personnes qui seront détenues, seront également préparées à leur sortie, parce que c'est vraiment un ensemble. Au moment où elles devront sortir, il faudra qu'elles aient un logement, si possible qu'elles aient un contrat de travail, qui pourrait se prolonger avec l'entreprise qui les aura embauchées en détention, et donc c'est vraiment cet ensemble-là qui est important.

ALBA VENTURA
Nicole BELLOUBET, évidemment cette expérimentation ne concerne pas les détenus pour terrorisme.

NICOLE BELLOUBET
Non.

ALBA VENTURA
On sait que 300 d'entre eux seront libérés dans les trois prochaines années, qu'est-ce qui est prévu, parce qu'ils sont encore dangereux à la sortie ?

NICOLE BELLOUBET
Alors il y a, par exemple en 2020, nous aurons 43 personnes qui sortiront, 43, il faut dire les choses telles qu'elles sont, il y en aura une soixantaine en 2021. Aujourd'hui, au moment où nous parlons, ces détenus, lorsqu'ils sortent, font l'objet d'une double mesure, un contrôle judiciaire, ce peut être un contrôle judiciaire qui fait que, ils sont pris en charge, pendant quelque temps, à leur sortie, et puis également des mesures administratives de surveillance, où là ils ont des obligations, de pointage et davantage encore, et les services de renseignement les suivent de manière très précise. C'est-à-dire que, en détention, je me permets juste ça, en détention nous avons un service de renseignement pénitentiaire, quand un détenu, qui a été condamné pour faits de terrorisme, sort, eh bien ces informations-là passent aux services de renseignements territoriaux, ou nationaux d'ailleurs, tout dépend, et donc ils sont suivis.

ALBA VENTURA
La droite dit que ce n'est pas suffisant et qu'il faudrait étendre la rétention de sûreté aux terroristes, vous en pensez quoi ?

NICOLE BELLOUBET
D'abord, la rétention de sûreté elle existe pour les détenus terroristes qui ont été condamnés pour assassinat, et qui sont dangereux, c'est donc un nombre limité de personnes. Je dis que, nous pouvons sans doute progresser pour garantir la sécurité des Français, que nous devons en même temps veiller aux équilibres prévus par notre Constitution.

ALBA VENTURA
Lorsque vous étiez venue en octobre dernier, vous nous aviez indiqué que 35 cas de radicalisation étaient connus au ministère de la Justice, est-ce qu'ils ont été traités ?

NICOLE BELLOUBET
Tous ces cas sont suivis, sont traités, par une procédure qui est adaptée.

ALBA VENTURA
Nicole BELLOUBET, les avocats entrent dans leur huitième semaine de grève contre la réforme de leur régime autonome de retraite, une grève qui a des conséquences tous les jours, on va peut-être le voir aujourd'hui avec le procès Fillon qui pourrait être reporté, vous le déplorez ?

NICOLE BELLOUBET
Je déplore que la grève des avocats se prolonge à partir du moment où nous avons fait des propositions et encore…

ALBA VENTURA
Ils disent que non, il n'y a pas de concertation, pas de négociation.

NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, pour dialoguer il faut être deux, pour le moment, lorsque nous avons fait venir les avocats à la table des discussions, ça a toujours été très difficile d'obtenir de leur part un positionnement puisqu'ils refusent l'entrée dans le système universel, or comprenez bien qu'il ne peut pas y avoir un système universel pour 70 millions de Français, sauf pour 70.000 avocats. Donc je voudrais juste dire que nous avons fait de très nombreuses propositions, dont une dernière qui se traduit dans un amendement, qui a été déposé vendredi soir à l'Assemblée nationale.

ALBA VENTURA
Un amendement sur leurs cotisations, baisse de 30% de leurs cotisations sociales pour compenser l'augmentation de leurs cotisations retraite, ils disent que ce serait inconstitutionnel, en fait c'est une fausse promesse.

NICOLE BELLOUBET
Non, c'est faux. Alors, je dirais que nous avons fait trois promesses importantes. La première, ils conservent la Caisse nationale des Barreaux, qui sera l'interlocuteur unique des avocats. La deuxième, les pensions de retraite augmenteront pour tous les avocats. La troisième, qui découle entre autres de cet amendement, c'est qu'il n'y aura pas de doublement des cotisations, comme cela est dit, et il n'y a rien d'inconstitutionnel dans ce que nous avons proposé.

ALBA VENTURA
C'est ce qu'ils disent.

NICOLE BELLOUBET
Oui, mais ils se trompent.

ALBA VENTURA
Vous n'avez pas mis de l'huile sur le feu avec ce courrier que vous avez adressé aux juges, procureurs et greffiers, face au mouvement des avocats, vous dites, en gros, on comprend que les avocats pénalisent votre travail, atteinte au fonctionnement de l'institution judiciaire, c'était utile ce courrier, franchement ?

NICOLE BELLOUBET
Je ne crois pas avoir mis de l'huile sur le feu, je m'adresse aussi aux magistrats et aux greffiers, qui voient le fonctionnement de la justice rendu extrêmement complexe par la grève des avocats, c'est tout ce que j'ai voulu dire et je serai attentive…

ALBA VENTURA
Mais vous avez que maintenant les magistrats les soutiennent.

NICOLE BELLOUBET
Je serai attentive à ce qui se passe dans les juridictions. J'ai lu des choses qui sont en sens inverse, c'est-à-dire que les chefs de cour, les chefs de juridiction, disent qu'il y a évidemment une difficulté de fonctionnement dans les juridictions, il faut aussi ne pas le nier. Mais il n'empêche…

ALBA VENTURA
C'est dur la politique, non ?

NICOLE BELLOUBET
Non, c'est la vie politique, je redis simplement que, pour les avocats, je le redis aujourd'hui, l'amendement que nous avons déposé fait qu'il n'y aura pas de hausse de cotisations pour les avocats qui gagnent jusqu'à 80.000 euros de revenus par an, c'est très important.

ALBA VENTURA
Nicole BELLOUBET, je vous disais, c'est dur la politique, parce qu'on parle de vous à la Cour des comptes, le président aurait l'idée de vous y nommer après les municipales, ça vous tente ?

NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, j'avoue que je suis assez imperméable à ce type de rumeur…

ALBA VENTURA
C'est une rumeur ?

NICOLE BELLOUBET
J'ai un travail important, j'ai des dossiers très lourds, et je suis vraiment pleinement à ma tâche de ministre.

ALBA VENTURA
Mais quel regard vous portez sur les 2,5 ans que vous venez de passer au ministère de la Justice ?

NICOLE BELLOUBET
D'abord, c'est en cours, et je porte le regard d'une volonté de réforme importante, pour améliorer le fonctionnement de la justice.

ALBA VENTURA
Vous ne regrettez pas d'y être allé ? Il n'y a que des coups à prendre en politique.

NICOLE BELLOUBET
En aucun cas, j'y suis, j'y suis très bien, et c'est un métier formidable, c'est une fonction formidable, ce n'est pas un métier.

ALBA VENTURA
Vous pensez que le président va remanier après les municipales ?

NICOLE BELLOUBET
C'est à sa main, vraiment, il a un choix à faire, et tout dépendra des, j'imagine, des circonstances, des résultats, de la volonté politique qu'il voudra traduire. Ce qui est important c'est que le président soit dans cette démarche de réforme, je crois que c'est extrêmement important, parce que ça montre que la France est un pays qui peut bouger, qui s'adapte à des circonstances nouvelles, et les premiers résultats sont là, regardez le taux de chômage, regardez les investissements en France, il y a des résultats positifs, et donc il me semble qu'il faut continuer dans cette voie.

ALBA VENTURA
Et vous pensez que vous serez là après les municipales pour porter les réformes de la justice ?

NICOLE BELLOUBET
Je ne pense pas, je travaille.

ALBA VENTURA
Merci Nicole BELLOUBET.

NICOLE BELLOUBET
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 février 2020