Entretien de M. Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement, dans "Les Cahiers de l'ANAH" de janvier 2020, sur la politique du logement.

Prononcé le 1er janvier 2020

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Texte intégral

Q - La question des fractures territoriales et environnementales a été au coeur de l'actualité cette année. En quoi les actions envers le parc de logements privés ont-elles un impact sur le cadre de vie et l'équilibre des territoires ?

J. D. Alors que beaucoup de centres-villes sont confrontés à une perte de dynamisme, intervenir sur ces centres-villes est devenu un impératif. L'amélioration du parc privé est un puissant facteur de revitalisation des territoires et d'attractivité. Nous portons une démarche d'ensemble à travers le programme Action Coeur de Ville. Nous élargissons ce programme à d'autres territoires, en créant des Opérations de revitalisation des territoires qui donnent les outils opérationnels, techniques et juridiques aux collectivités pour mettre en oeuvre ces projets et dont les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah) constituent le volet habitat privé.

Q - L'une des clés de la réussite est de conjuguer l'action des différentes politiques publiques et de tous les acteurs. Comment se joue cette synergie ?

J. D. Il faut partir des besoins des territoires et du projet, avant même de s'intéresser aux outils. L'accompagnement des collectivités par l'État est important. Jouer sur ces différents liens, c'est aussi permettre aux collectivités par exemple de financer directement des opérations conformes aux attentes de leurs territoires. Enfin, l'accompagnement est trop souvent encore le parent pauvre de ces politiques. L'un des axes forts de l'intervention de l'Anah, c'est le financement de chefs de projet locaux, plus d'une centaine à ce jour, qui accompagnent les collectivités dans leur définition et leur mise en oeuvre de leur politique locale de l'habitat.

Q - Comment donner confiance aux ménages pour les inciter à réaliser des travaux d'amélioration de leur logement ?

J. D. Nous devons avoir une approche usager. Il n'y a pas d'un côté des travaux de rénovation énergétique, de l'autre des travaux de mise aux normes, ou encore des travaux d'accessibilité. On peut faire tout cela à la fois si cela répond au besoin. À titre d'exemple dans l'habitat collectif, c'est souvent quand on a besoin de faire un ravalement de façade qu'on se pose la question de l'isolation. Les Français ne séparent pas ces différents volets de la rénovation, nous ne devons pas le faire non plus. C'est à cette condition que nous pourrons rénover davantage et donner confiance.

Q - Avec la mise en place de MaPrimeRénov' en janvier 2020, le Gouvernement accélère-t-il sa politique de rénovation énergétique ?

J. D. La rénovation est au coeur de mon action depuis plus de deux ans maintenant et, en particulier, la rénovation énergétique. L'enjeu, c'est d'abord d'apporter des solutions pour que les habitants vivent confortablement dans leur logement. Avec ces travaux, ils augmentent aussi la valeur de leur bien, tout en participant fortement à la transition écologique : les bâtiments représentent un quart des émissions de CO2 et 45 % de la consommation d'énergie en France. Notre objectif, c'est donc bien de massifier la rénovation énergétique en simplifiant les démarches et les contraintes. Tous programmes confondus, l'Anah a ainsi doublé son activité depuis 2017 en passant de 80 000 rénovations à plus de 155 000, c'est considérable. En 2020, on vise près de 200 000 primes versées et 500 000 en 2021.

Q - De quelle façon cela va-t-il aider de nombreux ménages à sortir de difficultés quotidiennes et à améliorer leur qualité de vie ? En quoi la nouvelle prime sera-t-elle plus incitative et juste ?

J. D. Le bénéfice principal de MaPrimeRénov, c'est surtout celui de la simplification pour nos concitoyens : une seule aide, un site unique où faire sa demande (MaPrimeRenov. gouv.fr) et un délai de versement réduit. L'aide sera versée dans les 15 jours qui suivent les travaux. Actuellement, il faut attendre 18 mois pour le CITE (crédit d'impôt pour la transition énergétique) en moyenne ! Dès mai 2020, une avance de frais pourra même être accordée. L'aide est également plus juste parce qu'elle s'adapte aux revenus des ménages pour aider davantage ceux qui en ont le plus besoin. Le montant de la prime pourra couvrir jusqu'à 90% de la dépense pour les travaux les plus vertueux et pour les ménages les plus modestes.

Q - Comment atteindre l'objectif fixé de 200 000 rénovations thermiques en 2020 puis 500 000 dès 2021 ?

J. D. Pour atteindre ces objectifs, l'engagement des agents et des équipes de l'Anah et de ses partenaires du réseau FAIRE, qui font un très grand travail au niveau national et dans les territoires, est clé. C'est également en faisant connaître la prime que nous pourrons convaincre nos concitoyens de sauter le pas des travaux. En ce sens, les collectivités territoriales vont aussi jouer un rôle primordial. Dans le parc privé, nous sommes en train de réaliser un grand travail pour la rénovation des copropriétés, avec le plan Initiative Copropriétés. C'est l'occasion d'y inclure un volet de rénovation thermique.

Q - Les événements de la rue d'Aubagne à Marseille en 2018 ont mis en avant la situation compliquée des copropriétés dégradées en France. Le Gouvernement a annoncé un certain nombre de solutions. Où en est-on ?

J. D. Quelques semaines avant le drame de Marseille, j'avais lancé le plan Initiative Copropriétés pour aider à rénover ces copropriétés fortement dégradées du parc privé. Le drame de la rue d'Aubagne en a souligné tragiquement toute la nécessité. Cette question était jusqu'à présent un chaînon manquant dans la politique de rénovation. Ce plan Initiative Copropriétés met en place une politique inédite de 3 milliards d'euros, dont le succès tient au fait qu'elle est menée en étroite collaboration avec les élus et les acteurs du terrain, qui connaissent le mieux les problèmes du quotidien auxquels sont confrontés les habitants de ces copropriétés dégradées.

Q - La loi de finances pour 2020 a été adoptée avec plusieurs dispositions concernant l'habitat. Lesquelles retenez-vous ?

J. D. La loi de finances pour 2020 a prolongé jusque fin 2022 et simplifié le dispositif fiscal « Denormandie dans l'ancien », qui aide les investisseurs à rénover des logements dégradés situés dans les villes moyennes. Nous avons élargi la liste des travaux éligibles et simplifié le périmètre des zones éligibles en y incluant l'intégralité de la commune et non plus son seul centre-ville.

"Louer abordable", qui permet à un propriétaire bailleur de louer son logement à un niveau de loyer abordable pour des ménages modestes a également été prolongé jusqu'à 2022.

Enfin, l'expérimentation du "Pinel Breton" est le symbole d'une politique du logement plus territorialisée : les territoires déconcentrés vont adapter le zonage du dispositif Pinel aux réalités locales. Cela permettra une meilleure adéquation de l'aide aux enjeux d'aménagement du territoire.

Q - Nous serons bientôt à l'heure du bilan à mi-mandat. Quels sont les grands enjeux sur l'habitat pour la fin du quinquennat ?

J. D. Les mois prochains seront une période charnière pour l'habitat : je pense évidemment aux élections municipales. Mon rôle est d'accompagner les élus locaux pour construire plus là où c'est nécessaire et de rénover plus là où nous en avons besoin. Ma méthode est de travailler conjointement avec les exécutifs locaux, afin de créer de réels projets de territoires qui répondent aux enjeux de l'aménagement et des villes de demain, plus durables, en particulier la redynamisation des centres-villes, ou encore la lutte contre l'étalement urbain. L'amélioration du parc privé y a évidemment une place essentielle car il s'agit de reconquérir les logements vacants et de rénover les immeubles déjà construits : un enjeu d'aménagement du territoire porteur de nombreuses innovations.


Source https://www.anah.fr, le 26 février 2020