Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, à Europe 1 le 5 mars 2020, sur le droit de retrait au travail en raison de l'épidémie du coronavirus et le chômage partiel.

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Média : Europe 1

Texte intégral

MATTHIEU BELLIARD

Votre invitée, Sonia MABROUK, c'est Muriel PENICAUD, la ministre du Travail.

SONIA MABROUK
Merci d'être avec nous ce matin sur Europe 1, Muriel PENICAUD. Un chauffeur Uber est un salarié et non un travailleur indépendant, décision coup de tonnerre de la Cour de cassation, plus haute juridiction française. Est-ce que ça va dans le bon sens, selon vous ?

MURIEL PENICAUD
Alors, la Cour de cassation, elle juge en droit, et ce qu'elle dit, et qui est très vrai, c'est qu'aujourd'hui, dans le droit du travail, soit on est un salarié, soit on est un travailleur indépendant. Evidemment, quand ces règles ont été fixées, les plateformes numériques ça n'existait pas, les nouvelles technologies actuelles n'existaient pas, et aujourd'hui, on a une zone un peu de gris, un peu de flou, puisque les travailleurs des plateformes, la grande majorité, veulent être indépendants, ils veulent la liberté, mais ils veulent, à juste titre aussi, avoir des protections. Et donc, je pense que la Cour de cassation, elle montre bien, ce qui est ma conviction, c'est qu'il faut inventer des règles, qui permettent la liberté et la protection, pour protéger les travailleurs, et pour ceux qui veulent être indépendants, qu'ils puissent rester indépendants, en étant protégés, tout en donnant un cadre qui est clair pour les plateformes, parce qu'on ne peut pas non plus gérer des activités si ce n'est pas clair. Donc, ce qu'on va faire concrètement, c'est qu'avec Bruno LE MAIRE on lance une mission pour que d'ici l'été on ait des propositions sur ce sujet, on en a déjà discuté d'ailleurs avec les organisations syndicales, et avec les plateformes, parce qu'il faut trouver un cadre qui permet aux salariés... aux travailleurs pardon, d'être protégés, qu'ils veuillent ou non être salariés, parce que beaucoup voudraient l'être.

SONIA MABROUK
Mais d'ici là, Muriel PENICAUD, est-ce que ça peut faire jurisprudence, concerner tous les opérateurs de plateformes VTC ?

MURIEL PENICAUD
Alors, si des travailleurs vont... oui, en attendant ça fait jurisprudence. Mais nous, quand on discute, puisqu'on a beaucoup discuté sur ce sujet, une grande majorité veulent être indépendants, avoir une liberté, mais ils ne veulent pas non plus être soumis à n'importe quel prix, n'importe quelle obligation.

SONIA MABROUK
Donc ce n'est pas la fin d'un modèle, pour vous, ce n'est pas la fin de l'Ubérisation.

MURIEL PENICAUD
Non, en fait, le modèle aujourd'hui en vrai n'existe pas. On est dans une zone de flou qui ne protège pas assez les travailleurs, et je crois que c'est bien, il faut inventer le modèle qui protège.

SONIA MABROUK
Sur le front du coronavirus, Muriel PENICAUD, est-ce que vous avez connaissance ce matin d'un cas, un agent de la RATP qui a été, qui aurait été testé positif, qui est contaminé ou qui serait contaminé au coronavirus, agent de la RATP ?

MURIEL PENICAUD
Je l'ai appris par les médias, juste en arrivant. Après, qu'il y ait des personnes dans le pays, dans différentes situations de travail, qui soient contaminées, il y en a, il y en aura. Donc…

SONIA MABROUK
Situation de travail particulière, agent de la RATP, donc sur une ligne, peut-être dit-on la ligne 6. Dans ce cas-là, quelles conséquences ? Il y a évidemment une désinfection à faire de la rame. Cette femme ou cet homme, cette femme apparemment, aurait été en contact avec d'autres opérateurs aussi, c'est des conséquences en chaîne à suivre.

MURIEL PENICAUD
Alors, d'abord, toutes les personnes contaminées, qu'on soit salarié ou n'importe quel citoyen, dès qu'il y a une contamination c'est l'Agence régionale de santé qui fait une enquête avec toutes les personnes qui ont été en contact, et qui deviennent à ce moment-là des personnes contact. Ces personnes du coup restent chez elles, pour celles qui ont des hauts risques, le temps de, pour éviter la propagation et sont soignées, mais à domicile, ou si quelqu'un devient malade, dans certains cas à l'hôpital. Donc ça de toute façon cette mesure va être prise par l'ARS, pour voir quelles personnes étaient en contact. Mais ce qu'on appelle contact, c'est un contact prolongé, rapproché, pendant longtemps, qui peut amener, comme disent les autorités de santé, à ce qu'il y ait des émissions de gouttelettes infectieuses, qui se transmettent.

SONIA MABROUK
Oui, mais c'est peut-être le cas des collègues justement de cet agent, est-ce que…

MURIEL PENICAUD
L'Agence régionale de santé va faire tout de suite l'enquête, et va dire qui doit rester chez soi, en clair.

SONIA MABROUK
Très bien. Voilà pour l'enquête, mais vous savez que parfois il y a des peurs qui sont irrationnelles, et une inquiétude. Est-ce que, plus largement, ceux qui n'ont pas forcément côtoyé de près cet agent, peuvent aussi revendiquer ce que l'on voit un petit peu partout aujourd'hui, un droit de retrait, est-ce que vous estimez, vous, Muriel PENICAUD, que ce droit de retrait est légitime.

MURIEL PENICAUD
Non, alors, ce n'est pas moi personnellement, c'est moi ministre du Travail, donc qui applique le Code du travail. Que dit le Code du travail ? Le droit de retrait, ce n'est jamais collectif…

SONIA MABROUK
« Si un salarié... », on peut le citer ?

MURIEL PENICAUD
Oui, je vais le citer. D'abord ce n'est jamais collectif, un droit de retrait, c'est individuel, et c'est s'il y a un danger grave ou imminent pour votre vie ou pour votre santé. Il y a très peu de situations de travail de ce type-là. Il y en a, quand il y a une explosion ou si vous êtes sur un bâtiment en hauteur, que vous n'avez pas de protection. Il y a des situations…

SONIA MABROUK
Mais si vous êtes un contact direct avec des populations, que vous êtes par exemple agent de LA POSTE ou vous êtes conducteur de train ou de bus ?

MURIEL PENICAUD
Alors, ça non, parce que, ce que disent les autorités de santé, c'est qu'il faut un contact très rapproché, très long, être très proche pendant longtemps, pour que ce risque de transmission existe.

SONIA MABROUK
Donc clairement, vous nous dites que ce droit de retrait n'est pas légitime dans ce cas-là.

MURIEL PENICAUD
Dans ce cas-là, c'est l'Agence régionale de santé qui va dire le nombre de personnes qui, elles, sont concernées, mais ce n'est même pas un droit de retrait, elles vont être autorisées à être chez elles, indemnisées. Je dirais, c'est vraiment un sujet médical.

SONIA MABROUK
Oui mais je vous prends un exemple…

MURIEL PENICAUD
... en général, la RATP ne s'arrête pas complètement, parce que si la RATP s'arrêtait parce qu'il y a un agent qui est contaminé, là on n'est pas dans le respect du droit de retrait.

SONIA MABROUK
On n'est pas dans le respect du droit de retrait.

MURIEL PENICAUD
Le droit de retrait c'est individuel.

SONIA MABROUK
Y compris, madame PENICAUD, par exemple pour les professeurs dans l'Essonne, pour les chauffeurs de bus, là vous dites, dans l'Oise ou... vous dites : non, ce droit de retrait n'est pas légitime.

MURIEL PENICAUD
Ça dépend, encore une fois, il faut un contact prolongé et très rapproché, comme par exemple un soignant peut avoir avec quelqu'un qui est tout près. Il ne fait pas 3 m le virus, il ne saute pas. C'est vraiment par les voies respiratoires, et donc…

SONIA MABROUK
Oui, mais par rapport à ça, ce que je vous répète, il y a des peurs irrationnelles. Quand une entreprise se trouve face à un salarié qui invoque ce droit de retrait, qui pour vous dans certaines circonstances ne doit pas être appliqué, que faut-il faire ?

MURIEL PENICAUD
Alors, ce qu'il faut, c'est aller sur le site du gouvernement coronavirus et du ministère du Travail, où c'est la même information, on dit exactement aux salariés et aux entreprises ce qu'il faut faire. Dans la plupart des cas, le plus important c'est les mesures, c'est les gestes barrières, ça c'est quand même la meilleure des protections. Il y a quelques cas, par exemple quand il y a un cas où il faut désinfecter, mais toutes ces règles sont sur le site. Et vous savez, on le pilote en temps fin, en temps réel, c'est mis à jour tout le temps, en fonction de l'évolution de la situation.

SONIA MABROUK
Même s'il y a... -Brouhaha- ... qui ne savent pas quoi faire et qui disent : est-ce qu'il ne faut pas adapter notre droit du travail, face à des situations inédites aujourd'hui ?

MURIEL PENICAUD
Non, allez sur le site du travail, vous avez toutes les réponses. C'est un questions-réponses, et vous allez trouver la réponse à toutes ces questions. Je crois qu'il ne faut pas paniquer, mais il faut prendre les mesures qu'il faut.

SONIA MABROUK
Un parent d'élève, un parent d'élève avec un élève dont l'école a été fermée, qui se trouve ou à proximité ou dans un foyer épidémique, il y a un décret qui a été appliqué, donc il peut se mettre en arrêt de travail, sans décote, sans jours de carence. C'est garanti, c'est appliqué ?

MURIEL PENICAUD
Oui, on a pris un décret le 31 janvier, qui là, effectivement, celui-là est assez exceptionnel, qui dit quoi ? Que si l'école de votre enfant est fermée pour des raisons de coronavirus, que vous n'avez pas de mode de garde, à ce moment-là, un des parents peut être en arrêt maladie sans délai de carence, avoir ses indemnités journalières, être chez lui pour s'occuper de son enfant.

SONIA MABROUK
Jusqu'à quand ? Une vingtaine de jours ?

MURIEL PENICAUD
Jusqu'à une vingtaine de jours, enfin, en fonction de... si l'école est fermée…

SONIA MABROUK
Ça peut aller au-delà ?

MURIEL PENICAUD
En fait, on le fera le temps que l'école est fermée.

SONIA MABROUK
Ah, vous le ferez, le temps que l'école est fermée. C'est important.

MURIEL PENICAUD
Si les parents ne peuvent pas garder leur enfant, on ne va pas laisser les enfants tout seul, là c'est du bon sens et de la solidarité nationale.

SONIA MABROUK
Il y a aussi les conséquences, Muriel PENICAUD, sur l'emploi. Il y a les conséquences sociales. Est-ce que vous avez eu connaissance d'entreprises, de grands groupes, qui prévoient malheureusement des plans de licenciements du fait de cette crise ?

MURIEL PENICAUD
Non, mais on a déjà des demandes de ce qu'on appelle parfois le chômage technique, qui s'appelle en vrai l'activité partielle, c'est le ministère du Travail qui le gère, et donc j'ai donné des instructions à mes équipes, dans toutes les directions régionales, ils reçoivent déjà des demandes, on a déjà 400 entreprises qui ont demandé pour 6 000 salariés, le chômage partiel. Ça veut dire quoi le chômage partiel ? C'est que le salarié garde son salaire, mais comme il ne peut pas aller travailler, parce que l'activité tombe à cause du coronavirus, à ce moment-là le ministère du Travail rembourse à l'entreprise une partie importante du salaire.

SONIA MABROUK
Ça concerne surtout des entreprises dans le secteur touristique, pour le moment ?

MURIEL PENICAUD
Alors, pour l'instant c'est beaucoup tourisme et restauration.

SONIA MABROUK
Il y a eu des annonces de soutien aux entreprises, Muriel PENICAUD, mais certains vous demandent, dans ces situations inédites, d'aller plus loin. Je vais vous prendre un exemple d'une demande, en particulier de l'hôtellerie, de la restauration, qui souffrent énormément. Ils demandent la suspension immédiate de la taxe de 10 € sur les fameux CDDU, ce sont les contrats d'extras. Est-ce que vous leur dites oui pour les rassurer ce matin ?

MURIEL PENICAUD
Avec Bruno LE MAIRE, on a réuni déjà les partenaires sociaux sur ce sujet, et on revoit les fédérations professionnelles les plus concernées en début de semaine. On va regarder tous les sujets. On a déjà, ça c'est du côté de Bruno LE MAIRE, on a déjà reporté toutes les cotisations sociales et fiscales, on a déjà déclaré…

SONIA MABROUK
Ça veut dire que c'est un oui potentiel.

MURIEL PENICAUD
Ça veut dire que moi je... On regarde les choses…

SONIA MABROUK
La suspension immédiate de la taxe de 10 €.

MURIEL PENICAUD
Non, non non, je dis juste que je n'ai pas eu le demande encore, donc moi ils ne me l'ont pas demandé…

SONIA MABROUK
Oh, vous savez qu'elle est demandée, qu'elle est sur la table.

MURIEL PENICAUD
Oui, non mais il n'y a pas tellement de lien avec le coronavirus, donc pour moi ils ne me l'ont pas demandé. Donc moi je regarde les choses pratiquement. Qu'est-ce qui est empêché par le coronavirus ? C'est sûr que l'activité, si elle est empêchée, là il faut l'aider, et c'est l'activité.

SONIA MABROUK
D'autres mesures, peut-être à venir. Je vais conclure rapidement, Muriel PENICAUD, mais c'est important. On va rester en entreprise. La réduction des écarts de rémunération et des situations professionnelles entre les femmes et les hommes, ça se mesure avec un index, c'est l'index de l'égalité salariale mis en place depuis un an, et ça a été publié il y a quelques jours, est-ce qu'on peut voir l'évolution sur un an, et surtout quelle tendance ?

MURIEL PENICAUD
C'est publié aujourd'hui, et la tendance c'est que ça change déjà très concrètement la vie des femmes en entreprise. Il y a 40 000 entreprises, 4 millions et demi de femmes concernées, et déjà, par exemple sur le congé de maternité, vous savez que souvent au retour du congé de maternité, on disait : oh lala, on ne lui donne pas l'augmentation, parce qu'elle n'a pas été là pendant 3 mois. On a constaté que c'était le moment du décrochage de salaire et de carrière, eh bien là, avant l'index, c'était une entreprise sur trois qui ne rend, qui ne donnait pas d'augmentation à la sortie des congés de maternité, et là en un an, c'est 9/10…

SONIA MABROUK
Un bon élève, citez moi un bon élève et un bonnet d'âne.

MURIEL PENICAUD
Alors, un bon... Et je veux dire, maintenant c'est 90 % des entreprises qui paient toutes les femmes à la sortie, qui donnent une…

SONIA MABROUK
Ça avance doucement, mais ça avance, c'est le plus important.

MURIEL PENICAUD
Et les bons élèves, eh bien la MAIF ou les Compagnons du Devoir, qui sont à l'égalité. Et puis ceux qui n'y étaient pas…

SONIA MABROUK
Les mauvais.

MURIEL PENICAUD
Mais qui ont fait des grands progrès, je pense à ORANGE, la FRANÇAISE DES JEUX, NOCIBE, qui ont pris le problème à bras le corps…

SONIA MABROUK
On ira voir Europe 1 aussi alors.

MURIEL PENICAUD
Et dans ce... oui, Europe 1, j'attends, tous les médias, et puis dans les mauvais élèves, eh bien il y a DERICHEBOURG, il y a GO SPORT, mais tout ça sera public, car j'ai décidé de publier la liste des 1 200 grandes entreprises, demain sur le site du ministère du Travail, avec leur note.

SONIA MABROUK
Ça sera fait, et ça sera public. Merci Muriel PENICAUD, invitée ce matin sur Europe 1.


source : Service d'information du Gouvernement, le 12 mars 2020