Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à France inter le 13 mars 2020, sur les mesures prises dans l'éducation nationale pour faire face à l’épidémie de coronavirus.

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Média : France Inter

Texte intégral

LEA SALAME

Bonjour à vous Jean-Michel BLANQUER.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour Léa SALAME.

LEA SALAME
Merci d'être avec nous ce matin. Avec la fermeture des crèches, des écoles des collèges, des lycées, des millions de parents vont se retrouver ce lundi dans une situation totalement inédite. Beaucoup de questions à vous poser ce matin sur la continuité pédagogique, sur les examens, sur les modes de garde mais d'abord, Jean-Michel BLANQUER, hier à la même heure chez nos collègues de France Info, vous disiez : la fermeture totale de toutes les écoles n'a jamais été envisagée. Que s'est-il passé pour que vous changiez d'avis quelques heures plus tard ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Il y a eu une réunion de scientifiques hier, peu de temps d'ailleurs après ce propos que j'ai que j'ai tenu hier autour du président de la République et ils ont estimé qu'il fallait passer à une nouvelle étape et que cette étape supposait qu'on ferme les écoles, les collèges et les lycées, les universités aussi d'ailleurs parce que c'était une façon de mettre fin à la situation qu'ils commençaient à constater, autrement dit une accélération de l'épidémie ; nous savions bien que nous allions étendre très fortement les territoires. Ça, je n'ai pas arrêté de le dire ; en revanche, nous étions sur une doctrine qui avait été élaborée bien avant l'épidémie par les scientifiques aussi qui consistait à cibler les territoires les plus atteints mais comme il y a une accélération assez soudaine de l'épidémie, il y a l'idée de faire un barrage le plus strict possible avec cette mesure.

LEA SALAME
Mais du coup, est-ce que ce n'est pas trop tard, cette décision n'aurait-elle pas dû être prise il y a plusieurs jours maintenant pour être pleinement efficace ? Est-ce que vous avez sous-estimé la gravité du virus ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
A chaque fois nous nous mettons derrière le point de vue des scientifiques et donc derrière d'abord derrière ministère de la Santé bien entendu qui lui-même repose sur les experts sanitaires donc non, vous le savez l'objectif n'est pas de d'empêcher l'épidémie. On sait qu'il y a ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous ; ce qui ne dépend pas de nous, c'est le fait que le virus naturel se répand. Par contre, ce qui dépend en partie de nous, c'est d'être capable de le freiner, non pas de l'arrêter, mais de le freiner et cette stratégie, elle supposait de cibler les territoires les plus atteints ; maintenant, elle suppose de cibler la France entière.

LEA SALAME
Mais justement est-ce qu'on est sûr que l'idée de fermer toutes les écoles, tous les établissements scolaires, ça va permettre de freiner l'épidémie ? Est-ce que les scientifiques sont à peu près sûrs de ça ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui parce que …

LEA SALAME
Est-ce que ce sera efficace parce qu'on dit que les enfants sont porteurs sains mais qu'ils ne sont pas malades ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui les enfants, c'est la seule bonne nouvelle depuis le début de tout cela, c'est ce que vous venez de dire, c'est-à-dire que, en effet, les enfants ne sont pas atteints gravement par cette maladie et donc ça, c'est évidemment ce qui donne de la sérénité s'agissant des enfants et des adolescents. Simplement. on a vu lorsqu'on a fait des fermetures massives dans l'Oise ou dans le Haut-Rhin, en Bretagne qu'en effet, ça avait un impact non pas pour empêcher l'épidémie encore une fois mais pour la freiner Donc l'idée cette fois-ci, c'est de le faire à l'échelle nationale ; il faut bien voir que le virus va passer par un très grand nombre de personnes mais il est bon qu'il ne passe pas par tout le monde en même temps parce que si quand ça arrive, après il y a une difficulté pour soigner tout simplement. C'est toute notre stratégie depuis le début. Donc ça passe par des paliers et nous venons d'entrer dans un nouveau palier.

LEA SALAME
Une telle fermeture totale de tous les établissements scolaires, est-ce que ça s'est déjà vu dans l'histoire de France ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, le seul exemple qui me vient à l'esprit, c'est 1939 et c'est une coïncidence d'une certaine façon parce qu'en 1939, ça a occasionné justement la création du CNED, qui est aujourd'hui une institution très précieuse.

LEA SALAME
C'est-à-dire l'enseignement par correspondance.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Le Centre national d'enseignement à distance qui désormais est très numérique et qui, par son savoir-faire, nous permet d'affronter cette crise aujourd'hui.

LEA SALAME
Justement, on va parler du travail des enfants parce qu'ils ne sont pas en vacances, vous l'avez dit très clairement hier soir mais d'abord, la fermeture des écoles jusqu'à nouvel ordre. Qu'est-ce que ça veut dire concrètement ? Pouvez-vous nous donner des indications sur la durée de cette fermeture ? Est-ce qu'on parle de jours, de semaines ou de mois ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, on parle forcément de semaines et pas de jours qui peuvent devenir des mois bien sûr mais l'expression « jusqu'à nouvel ordre », elle est pratiquement au début de chacune de nos phrases, vous le savez, parce que par définition, on doit avoir un peu d'humilité par rapport à tout cela. Simplement ce qui est assez certain, c'est qu'on va aller au moins jusqu'aux vacances de printemps qui commencent au début du mois d'avril et puis ensuite fonctionnent par zones.

LEA SALAME
Donc minimum trois semaines.

JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est le mois de mars qui va évidemment être, qui va être touché. Après on va évidemment voir en fonction ; de toute façon, je ferai des messages réguliers à destination des parents d'élèves et des professeurs comme j'ai commencé à le faire sur le site du ministère depuis le début de la crise, donc tous les 2 ou 3 jours, je parle à la communauté éducative pour dire où nous en sommes et où nous allons. Simplement ce que je tiens vraiment à dire, c'est que ça ne signifie pas que tout le monde s'arrête de travailler. Ce n'est pas des vacances étendues, au contraire.

LEA SALAME
Vous allez nous expliquer ce qu'il va falloir faire avec les enfants pendant cette durée mais donc pour qu'on se prépare, c'est un minimum de 3 semaines, on est bien d'accord.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Il faut s'attendre à cela mais nous le préciserons en fonction de l'évolution de la maladie.

LEA SALAME
Le bac, les examens de fin d'année sont-ils maintenus ou reportés ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, à ce stade, bien sûr nous travaillons sur tous les scénarios mais le principal scénario c'est quand même de le maintenir parce que nous espérons bien qu'en juin, justement l'épidémie sera plutôt derrière nous que devant nous.

LEA SALAME
Même question pour les concours pour les grandes écoles, sont-elles reportées au mois de septembre ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, tout ce qui est concours et examens, nous l'examinons au cas par cas, ce n'est pas tout à fait le même sujet que celui des enfants et des adolescents à l'école, il s'agit en général de jeunes personnes mais qui ne sont plus des enfants ou des adolescents. Et donc l'idée c'est que c'est tellement important un concours et si on l'organise d'une manière qui permette de mettre tout le monde à distance où on respecte les règles d'hygiène, on doit pouvoir dans un grand nombre de cas les organiser. En tout cas, moi j'ai en tête tout le travail accompli par les uns les autres pour préparer les concours et je ne veux pas, je veux éviter au maximum qu'on puisse gâcher ce travail accompli par les uns et les autres.

LEA SALAME
Donc les écoles ferment mais les enfants ne sont pas en vacances pour autant, qu'est-ce que ça veut dire concrètement ? Qu'est-ce que vous dites ce matin aux parents ? Que doit-on faire avec nos enfants à partir de lundi ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors nous organisons une continuité pédagogique qui implique toute la communauté éducative, c'est-à-dire les professeurs bien entendu, l'ensemble des adultes qui sont autour des élèves et les élèves eux-mêmes selon une modalité qui est à distance. La modalité à distance, elle a une colonne vertébrale, je dirais, qui est « ma classe à la maison », c'est-à-dire le dispositif pour lequel chaque parent d'élève va recevoir une adresse Internet, une adresse URL comme on dit, qui lui permet de se connecte à la classe virtuelle.

LEA SALAME
Donc là, dans les prochaines heures, on va recevoir tous un mail …

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui …

LEA SALAME
Tous les parents, on se connecte à ça et là, on a les indications ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Exactement et là, on a un mode d'emploi, il y a aussi un démonstrateur sur le site de du ministère pour ceux qui veulent mais en tout cas, chacun va recevoir un message personnalisé. Beaucoup recevront un coup de téléphone aussi au cours des prochains jours puisque l'objectif était de s'assurer de ce qui se passe pour chaque élève, je ne veux qu'aucun élève reste au bord du chemin dans cette occasion, qu'aucun retard ne se réalise. Il peut y avoir des progressions pédagogiques, elles ont été conçues justement avec le CNED et puis nos professeurs, c'est encore plus vrai dans le second degré que dans le premier degré mais c'est vrai dans les 2 cas, nos professeurs sont habitués à certaines de ces modalités, notamment je pense aux environnements numériques de travail qui sont assez généralisés maintenant et qui permettent déjà aux professeurs en plus de « ma classe à la maison », de pouvoir envoyer des documents, de pouvoir être en contact direct avec des élèves ou des groupes d'élèves et c'est évidemment cette combinaison du national et du local, c'est-à-dire « ma classe à la maison » qui est le dispositif national plus la communication directe des professeurs via les environnements numériques de travail qui va permettre d'avoir ce contact au quotidien avec les professeurs et des progressions pédagogiques garanties.

LEA SALAME
Donc les professeurs ne sont pas non plus en vacances. Est-ce que vous dites aux 800 000 enseignants de venir dans les établissements lundi ou ils restent chez eux ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Là, c'est le chef d'établissement bien entendu donnera …aujourd'hui d'abord nous avons cette journée de vendredi où chacun vient dans les établissements et c'est l'occasion d'avoir les consignes de la part du chef d'établissement. Dans un instant, j'aurai de nouveau les recteurs en visioconférence, qui sont préparés à cette éventualité ; nous avons évidemment beaucoup travaillé sur cette crise, y compris si elle devait prendre une échelle grande. Donc on a aussi les retours d'expériences déjà des académies d'Amiens, de Bretagne, d'Alsace qui nous permettent de travailler sur les bonnes façons de faire.

LEA SALAME
Donc les enseignants vont recevoir les instructions dans les prochaines heures ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Aujourd'hui, les documents sont prêts, les instructions sont prêtes via les chefs d'établissement et les directeurs d'école, chacun aura l'information nécessaire pour pouvoir travailler dès lundi selon cette nouvelle modalité.

LEA SALAME
Combien d'heures doivent travailler, combien d'heures par jour doivent travailler les enfants à la maison ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors c'est une très bonne question et la réponse varie selon l'âge de l'enfant évidement. Vous savez que je suis assez sensible au fait qu'il n'y ait pas d'addiction aux écrans, donc le but n'est pas être devant un écran trois heures le matin, trois heures l'après-midi. Donc là aussi il y aura des guides, il y aura des conseils qui sont donnés, il y a aussi parfois des choses qui seront données sous forme de papier. A l'école primaire, c'est aussi de cette façon-là que ça va se passer de temps en temps et puis, il y aura des consignes pour faire des choses à certains moments devant l'écran, à d'autres moments en autonomie.

LEA SALAME
Et vous allez mettre des tutoriels. Les parents qui ne savent pas comment faire vraiment travailler les enfants …

JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr !

LEA SALAME
C'est en train d'être préparé tout ça ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, c'est prêt bien sûr, il y aura des recommandations pour les parents. C'est l'occasion d'une nouvelle modalité de travail, il y a toujours dans un événement négatif, c'est un événement négatif, il y a toujours du positif, c'est-à-dire que si nous sommes à la fois solidaires et mobilisés, nous pouvons créer de nouvelles modalités de travail, nouvelles convergences parents / professeurs en particulier autour de l'enfant qui peut, en réalité, se passer très bien et c'est évidemment ce que nous allons accompagner.

LEA SALAME
Oui, alors, ça c'est positif sur le papier et dans votre voix ce matin. Après à l'épreuve des faits et de la réalité, ça devient plus compliqué, évidemment les questions des modes de garde des enfants, tous les parents se disent depuis hier soir « comment on va faire ? » Un service de garde sera mis en place région par région, a dit le président de la République hier. Qu'est-ce que ça veut dire ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors il y a deux réalités derrière ça. La première, c'est que nous allons, nous Éducation nationale, organiser un service minimum pour les personnels indispensables, c'est particulièrement vrai des personnels soignants, c'est évidemment quelque chose qui va se mettre en place pas à pas mais l'objectif est qu'un infirmier ou une infirmière, un médecin, tous les personnels soignants puissent obtenir tout simplement la possibilité d'avoir classe pour son enfant près de l'hôpital. Nous avons commencé à préparer cela pour l'académie de Montpellier. Et nous allons le développer dans les autres académies.

LEA SALAME
Ça, c'est pour les personnels soignants mais pour l'écrasante majorité des Français ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Ça peut aussi valoir pour certaines institutions vitales pour le pays.

LEA SALAME
Comment une famille défavorisée qui ne peut pas faire du télétravail, qui n'a pas le moyen de payer une nounou ou une baby-sitter, comment elle fait ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors bien sûr ça vient s'articuler avec les autres dispositions qui sont prises sous l'impulsion du président de la République sur le plan économique et social pour permettre à des employés de rester chez eux, tout en restant payés, vous le savez, c'est des modalités que qui ont déjà été définies dans les débuts de la crise et puis bien entendu, cela signifie qu'il n'y a pas de pertes financières pour ceux qui restent, qui restent à la maison. Cela s'accompagnera probablement aussi de solidarité entre amis, entre voisins, c'est aussi la résilience de notre société qui va se voir dans un moment comme celui-là.

LEA SALAME
Je sais bien mais la solidarité par exemple, en général ce sont les grands-parents qui gardaient les enfants, qui dépannaient les parents. Là, vous dites clairement aux Français : il ne faut pas que les grands-parents, le grand-père, la grand-mère ne gardent les enfants même s'ils sont en bonne santé ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, je pense qu'il faut être très pragmatique et puis surtout s'appuyer sur ce que peuvent dire les autorités de santé. On peut être grand-père à un âge très jeune, c'est d'ailleurs mon cas !

LEA SALAME
C'est votre cas !

JEAN-MICHEL BLANQUER
Et donc on ne doit pas avoir de comment dire de doctrines toutes faites sur ces questions.

LEA SALAME
Donc vous, vous pouvez garder vos petits-enfants !

JEAN-MICHEL BLANQUER
En revanche, il faut évidemment dire que c'est important aujourd'hui que nous ayons à la fois du pragmatisme et une vision proportionnée de ce qui se passe au cas par cas.

LEA SALAME
Jean-Michel BLANQUER, est-ce qu'on peut emmener ses enfants au square ou dans les jardins ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Ecoutez, les enfants aujourd'hui, plus ils sont à la maison, mieux c'est parce que c'est vrai qu'ils sont vecteurs de virus, encore une fois il faut du pragmatisme. L'important, c'est que, en effet, entre enfants et personnes âgées le contact physique ne soit pas trop, ne soit pas trop nombreux, c'est ce que nous disent les spécialistes de la santé. Donc c'est cela qu'il faut éviter mais le faire encore une fois avec du bon sens.

LEA SALAME
Merci pour ces réponses concrètes parce que c'était évidemment l'enjeu de ce matin. Juste dernière question, il ne l'a pas dit hier, on est au stade 3 ou on n'est pas au stade 3 ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Ecoutez du point de vue de l'Education nationale, on est au stade 3 puisque c'est clairement un nouveau paradigme, on a changé de paradigme et ce paradigme a lui-même d'ailleurs été redéfini sous l'impulsion des scientifiques et donc maintenant, on est dans ce paradigme où tout est fermé. Donc à mes yeux, c'est le stade 3 pour l'Education nationale.

LEA SALAME
Merci à vous Jean-Michel BLANQUER et belle journée à vous !

JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci à vous !


Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 mars 2020