Texte intégral
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jean-Michel BLANQUER, bonjour.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ministre de l'Education nationale, on a besoin d'explications, on a besoin de savoir en cette période troublée de coronavirus, l'Italie fermera à partir de demain toutes les écoles et les universités jusqu'à mi-mars, est-ce qu'on peut penser que ça risque d'arriver en France prochainement et rapidement ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, ce n'est pas ce que nous avons prévu, nous serions capables de le faire si…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Nous serions capables.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Nous en serions capables mais ce n'est pas du tout prévu de faire ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour l'instant ce n'est pas prévu.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Pour l'instant mais même dans tous les scénarios que nous avons, ça n'est pas prévu.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah bon même si le coronavirus s'étend à toute la France, il n'est pas question un jour prochain de fermer les écoles et les universités ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non parce que nous pensons que ça n'est pas la stratégie adéquate dans le cas de la France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais alors pourquoi l'Italie le fait ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je pense que ça a un rapport aussi avec l'organisation de leur système de santé, nous en avons parlé quand nous sommes allés en Italie avec le président de la République et quelques ministres, il y a une semaine et nous avons donc parlé avec les autorités, elles ont leur stratégie, elles se sont trouvées dans une situation différente de la nôtre puisque l'épidémie est arrivée plus vite chez eux. C'est leur stratégie, mais si vous regardez la nôtre elle ressemble plus à celle que vous voyez par exemple en Allemagne actuellement ou même dans certains autres pays européens, c'est-à-dire c'est une stratégie qui a consisté d'abord dans un premier temps à empêcher autant que possible l'arrivée de la maladie, tout en sachant que ça arriverait bien sûr, mais en freinant son arrivée. Ensuite il s'agissait de freiner sa propagation, c'est le stade dans lequel nous sommes actuellement avec cette fameuse stratégie des clusters, donc d'avoir des territoires définis dans lesquels là oui nous fermons beaucoup de choses et notamment les écoles, les collèges et les lycées. Et puis si nous devions passer au stade 3, ce qui va sans doute arriver dans un futur proche alors la logique ne serait plus justement de fermer dans des territoires ainsi circonscrits, mais d'avoir vraiment une règle générale pour l'ensemble de la France où on confine les personnes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire si nous passons en stade 3, ce qui va arriver dans les jours qui viennent, les écoles, les collèges, les universités et les lycées ne seront pas fermés.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non et la logique elle est plus… Alors il pourrait y en avoir certain.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Même en stade 3.
JEAN-MICHEL BLANQUER
En stade 3 au cas par cas, certains pourraient être fermés, mais la logique est plutôt de demander à ceux qui sont malades de rester chez eux, c'est vraiment cela la logique plutôt que de fermer globalement. Vous savez quand vous fermez globalement vous avez toute une série de problèmes qui vont avec, par exemple si vous êtes une infirmière avec des enfants, vous êtes obligés de rester chez vous pour vous occuper des enfants qui ne vont pas à l'école, du coup vous n'êtes pas à l'hôpital pour soigner ceux qui en ont besoin. Il faut avoir cette vision globale et systémique de l'ensemble des choses et c'est ce que nous nous efforçons de faire entre les différents ministres. Et bien entendu à chaque fois derrière le ministre de la Santé puisque c'est les autorités de santé qui définissent les règles du jeu.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui mais en allant à l'école les enfants peuvent véhiculer le virus.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui bien sûr. Mais dans le stade 3, par définition le virus, ça y est circule de manière générale.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le virus est installé.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il est installé, c'est cela.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Aujourd'hui combien d'école, de collège, de lycée sont ferlés en France ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Vous en avez maintenant autour de 150.
JEAN-JACQUES BOURDIN
150 établissements.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Quand vous additionnez écoles, collèges et lycées oui. Cela fait environ 35, ça évolue tous les jours mais c'est entre 35.000 et 40.000 élèves qui sont concernés au moment où je vous parle. Une grosse part est dans le cluster de l'Oise, vous avez déjà plus de 25.000 élèves qui sont concernés, ensuite vous savez le Morbihan qui s'est un peu élargi d'ailleurs entre hier et aujourd'hui puisque ces clusters sont évolutifs, donc là vous avez environ 10.000 élèves. Et puis vous avez en Haute-Savoie, le premier lieu qui s'est déclaré d'ailleurs mais ils sont encore en vacances les enfants, donc pour l'instant il n'y a rien de fermer par définition, mais on se prépare pour lundi prochain.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Lundi prochain dans la région le cluster en Haute-Savoie sera fermé.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce sera fermé tout-à-fait, c'est déjà prévu, c'est déjà organisé avec l'enseignement à distance qui est programmé, l'ensemble des mesures travaillées par la rectrice. Et puis vous avez des endroits où nous commençons à voir la maladie se développer, c'est le cas par exemple autour de Mulhouse, c'est le cas dans la Manche depuis hier.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans la Manche ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui nous avons vu dans la Manche un développement dans un village, donc dans ces cas-là …
JEAN-JACQUES BOURDIN
Lequel ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je n'ai plus son nom en tête et dans cette partie là nous sommes capables de prendre des mesures ciblées, c'est-à-dire ça peut être une école, un collège, donc nous sommes aussi capables d'aller au cas par cas et ne pas globaliser sur l'ensemble d'un territoire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Combien d'enseignants aujourd'hui ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors vous avez autour de 2.000 enseignants qui sont touchés par la mesure dont je vous parle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
De confinement.
JEAN-MICHEL BLANQUER
De confinement et puis c'est évidemment un chiffre qui va grandir.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Combien d'enseignants sont infectés par la maladie, on le sait ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, ça on ne le sait pas, par contre on a le chiffre des enseignants dans un territoire où le virus circule fortement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon les enseignants pour certains qui demandent à exercer leur droit de retrait, vous comprenez ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Le sujet du droit de retrait est un sujet pour tout le monde, pas spécifiquement pour les professeurs, il y a eu les… toutes les études juridiques ont été très claires sur ce point, le droit de retrait ne s'applique pas dans des circonstances comme celles-ci, la définition du droit de retrait ne correspond pas à ce que nous sommes en train de vivre. Donc il n'y a pas de droit de retrait. Par contre certaines personnes peuvent avoir des problèmes de santé et dans ces cas-là leur médecin traitant peut considérer qu'il n'est pas… ce n'est pas une bonne chose pour eux de venir à l'école.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jean-Michel BLANQUER, il y a des enseignants par exemple dans l'Oise qui travaillent dans des établissements qui sont proches de zones touchées et qui disent attendez à 2 ou 3 kilomètres, nous, nous allons exercer notre droit de retrait parce qu'il y a un risque.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Elles sont dans le même cas de figure que l'ensemble des Français par rapport à ça et voilà il n'y a pas…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il n'est pas de question qu'ils exercent leur droit de retrait.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, vraiment la notion même de droit de retrait, d'un point de vue juridique n'est pas adaptée à la situation, après qu'une personne ayant des fragilités immunodéficitaires particulières n'y aille pas pour des raisons établies par son médecin, ça oui c'est tout à fait possible.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc nous ne sommes pas aujourd'hui dans la situation italienne, je dis ça parce qu'on regarde beaucoup évidemment ce qui se passe en Italie, je ne sais pas si vous avez vu l'émotion qui a traversé toute l'Italie lorsqu'un professeur, un proviseur de lycée, je ne sais pas si vous avez vu ça, un proviseur de lycée qui est aussi prof d'Italien et de littérature, de 64 ans, a écrit, ça a traversé l'Italie sur les réseaux sociaux, il a cité un auteur italien qui s'appelait, qui s'appelle ou qui s'appelait puisque c'est un auteur du 19ème Alessandro MANZONI, je ne sais pas si vous connaissez Alessandro MANZONI et qui a écrit une oeuvre qui s'appelait Les fiancée où il décrit les ravages de la peste de 1630 à Milan. Il parait que ce livre fait un tabac partout en Italie et il dit attention, attention, calmons-nous, attention aux rumeurs incontrôlables, attention, c'est ce que vous dites aussi ce matin.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui bien entendu, d'ailleurs c'est dans ces moments-là qu'on voit que la littérature est très utile, parce que la littérature est pleine d'histoires d'épidémies. On parle beaucoup de la Peste d'Albert CAMUS en ce moment, mais oui si vous relisez les Mémoires d'outre-tombe de CHATEAUBRIAND, il y a descriptions…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est l'occasion ou jamais d'apprendre aux enfants…
JEAN-MICHEL BLANQUER.
Tout-à-fait surtout que dans ces époques-là, c'était des chiffres beaucoup plus impressionnants évidemment, l'épidémie de choléra dans les années 1830, c'était des dizaines de milliers de morts et les habitants avaient des réflexes par rapport à ce type de choses. C'est pour ça que nous sommes en ce moment en train de retrouver des réflexes de civisme par rapport à une maladie dont on ne doit ni minimiser, ni exagérer les conséquences, c'est évidemment un phénomène grave et en même temps ce n'est pas non plus le choléra ou Ebola, c'est simplement une catégorie de coronavirus assez grave. Et donc dans ces moments-là, c'est le civisme qui est évidemment la qualité majeure dont notre pays doit faire preuve, c'est le cas, je crois, aujourd'hui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jean-Michel BLANQUER, est-ce que vous avez prévu des mesures de précaution pour protéger les personnes les plus fragiles parmi le personnel de l'Education nationale ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, au travers de ce que je vous disais tout à l'heure, c'est-à-dire le fait que quand une personne a une fragilité de santé avérée et attestée par son médecin, il est tout-à-fait normal de la protéger davantage.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors l'enseignement à distance est en place.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est bien d'accord, comment ça fonctionne, ça s'appelle « ma classe à la maison », je crois.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce sont des cours en ligne, des exercices en ligne, je ne sais pas des visioconférences possibles.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors d'abord là aussi c'est une particularité française, vous savez, vous avez le CNED qui a été créé à la fin des années 30, qui s'est beaucoup modernisé ces toutes dernières années, qui est notamment adapté aux grands enjeux du numérique et ce Centre national d'enseignement à distance qui est bien connu des familles dont les enfants sont malades, eh bien on a pu préparer, nous l'avions anticipé, ce système que nous mettons aujourd'hui en place. Donc c'est « ma classe à la maison », on a commencé à l'expérimenter dès qu'il y a eu le début du coronavirus en Chine puisqu'on avait des élèves français là-bas à suivre de cette façon-là et donc on a un système qui est techniquement au point et qui permet en effet de faire ce que vous venez de dire, c'est-à-dire à la fois d'avoir un suivi des cours à la maison et aussi…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On ne peut pas trio savoir si les élèves travaillent quand même.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Si parce qu'il est connecté avec son professeur.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce n'est pas un système purement automatique, si vous voulez. Vous avez même un système de classes virtuelles, c'est-à-dire le professeur avec ses élèves au travers de « ma classe à la maison » qui peut… Ils peuvent se voir, on peut lever la main, on peut interagir tout simplement, ça a commencé, alors on voit là par exemple les premières pratiques dans l'Oise et dans le Morbihan, là pour l'instant il y a déjà plus d'un quart des élèves qui ont commencé à travailler dans ce cadre-là.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Un quart des élèves qui sont confinés chez eux.
JEAN-MICHEL BLANQUER
De ceux qui sont confinés chez eux et ce chiffre va évidemment augmenter puisqu'on est au tout début d'une nouvelle pratique et c'est intéressant parce qu'on voit des pratiques pédagogiques intéressantes de ce point de vue-là.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors j'ai des questions concrètes, est-ce qu'on est autorisé à se présenter avec un masque à l'école ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Vous avez le masque, c'est un petit peu, si j'ose dire, ce qui masque des choses plus importantes, c'est-à-dire on l'a beaucoup dit le savon est beaucoup plus important que le masque.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Encore faut-il le trouver.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ça c'est un autre sujet aussi effectivement, mais se laver les mains, ne pas se serrer la main, toutes ces choses que nous répétons tous beaucoup ces derniers temps à juste titre, c'est le sujet important, le masque aujourd'hui doit être réservé à certains usages et non on ne doit pas aller avec un masque à l'école.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors problème dans de nombreux établissement scolaire, que ce soit les écoles, les collèges, ou les lycées, parfois il n'y a pas de savon, parfois il n'y a pas d'essuie main, parfois les toilettes, il n'y a pas de papier toilette, or je rappelle, qui est responsable ? C'est l'Etat, non. Ce sont les, si j'ai bien compris, ce sont les municipalités qui avant tout sont responsables des écoles élémentaires et primaires, à la fois le personnel et en même temps tout ce qui est effectivement savon…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Depuis le début des années 80 avec la décentralisation pour les écoles, c'est les communes, pour les collèges, c'est les départements et pour les lycées, c'est les régions.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui mais que pouvez-vous faire là ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors nous travaillons évidemment ensemble sur ce sujet comme sur d'autres nous sommes liés. Ce point-là est un point faible français, c'est-à-dire et de toutes les façons c'est un sujet que je soulevais tous ces derniers temps parce que notre équipement, du côté de notre équipement ça c'est surtout vrai pour certaines écoles primaires ou parfois tout simplement du fait du fonctionnement de l'établissement et là c'est plutôt une responsabilité Education nationale. C'est-à-dire par exemple vous avez des enjeux de sécurité dans certaines toilettes, ce qui fait que par exemple pour que les élèves ne se battent pas avec du savon, la coutume a été de ne plus mettre de savon, des choses comme ça. Donc tous ces problèmes très pratiques, très concrets du quotidien qui font que parfois vous avez des élèves, je dirais indépendamment de cette de la maladie d'aujourd'hui, vous avez des élèves qui ne vont jamais aux toilettes de la journée parce qu'ils ont peur d'y aller ou parce que c'est sale… Donc c'est un vrai sujet dont on parle trop peu en général parce que ce n'est pas un sujet très noble mais en réalité, c'est un sujet très important et très concret, très pratique. Donc c'est un sujet, évidemment nous comprenons…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais dites-moi en Corée par exemple, il y a alors chaque classe une bouteille de gel hydro-alcoolique.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors ce type de mesures sont tout à fait possibles.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est possible ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr. C'est le genre de travail que nous avons. Alors j'ai parlé évidemment d'abord avec les associations d'élus. J'ai parlé avec François BAROIN pour l'Association des maires de France. Nous nous voyons cet après-midi chez Jacqueline GOURAULT avec les différentes associations d'élus pour voir l'avancée de cela. Chaque recteur a travaillé avec les collectivités locales.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Que pourrait-on faire ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
S'assurer qu'il y a du savon dans chaque toilette de chaque école, chaque collège, chaque lycée. C'est ce qui se passe en ce moment et la situation n'est pas totalement parfaite. Et donc avec volontarisme, nous allons nous assurer que ce savon soit présent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'on peut envisager un jour une bouteille de gel hydro-alcoolique dans chaque classe ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ça fait partie des choses dont on va parler cet après-midi pour voir ce qui est faisable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous pourriez envisager cela ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, en étant attentifs aussi aux enjeux de pénurie si vous laissez. C'est-à-dire qu'il faut faire attention à prendre les bonnes mesures au bon endroit. Vous savez, on est dans des logiques qui doivent être profondément collectives et solidaires actuellement. Donc il faut utiliser les ressources que l'on a de la bonne façon, de la façon ciblée, pertinente pour l'intérêt général. Donc si c'est ça l'évaluation que nous faisons avec les autorités de santé, c'est le type de mesure qu'on prendra avec les collectivités locales.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que tous les voyages scolaires vers l'étranger sont annulés ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ils sont suspendus.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Suspendus.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Parce qu'il ne s'agit pas d'annuler ad vitam æternam, c'est juste d'avoir pris là une mesure de précaution qui nous était demandée par les établissements parce que certains ne se sentaient plus de voyager dans de telles circonstances, même dans certains pays qui ne sont pas encore définis comme à risque.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc tout est suspendu.
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est suspendu, ce qui doit normalement permettre de déclencher des assurances ou des réorganisations de voyage plus tard. Je dois là aussi avoir des entretiens et des échanges avec les professionnels de ces sujets de façon à ce qu'il n'y ait pas un trop gros impact pour eux, mais c'est très important dans un premier temps que nous suspendions les voyages à l'étranger et puis les voyages dans les zones à risque françaises, dans les clusters.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans les zones à risque. Sinon les classes vertes ne sont pas suspendues ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non. Après, vous savez, il faut beaucoup de pragmatisme et de bon sens.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et les sorties scolaires ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Après, vous savez, nous faisons une appréciation aussi… Nous savons faire de l'appréciation au cas par cas, donc là les recteurs ont eu les consignes nécessaires. Mais on a souhaité que lorsque sur le terrain une école ou un collège ou un lycée souhaitait annuler, qu'il puisse le faire avec l'approbation de l'institution. C'est pour ça que nous avons pris cette mesure.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Le bac, le contrôle continu. 2 % des lycées n'ont pas réussi à organiser l'examen. C'est le chiffre, 2 %. Qu'allez-vous faire ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
D'abord ce 2 % va devenir progressivement 1 % puis 0,5 %. Si on raisonne en copies, si vous voulez, on attendait un million sept cent quarante mille copies et aujourd'hui c'est un peu moins de trente mille copies qui manquent donc c'est un tout petit pourcentage. On a fait beaucoup de bruit autour de ça parce que notamment c'est certains établissements parisiens qui sont concernées, et donc ça attire l'attention médiatique. Mais il faut savoir qu'en plus 95 % des copies au moment où je vous parle non seulement existent, ça c'est même 98, 99 %, mais 95 % des copies sont corrigées. Et je rappelle qu'elles sont corrigées de manière dématérialisée, c'est-à-dire sur écran, et ça va permettre aux élèves peu après les commissions d'harmonisation qui ont lieu d'ici une quinzaine de jours, de pouvoir regarder leurs copies sur écran, donc voir leurs corrections, ce qui est une innovation importante de le faire dans des temps aussi rapides. Et donc en réalité la session d'E3C aura été réalisée, parfois avec des difficultés dans certains endroits, sans difficulté dans la majorité des endroits et ce qui est…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il n'y aura pas de délocalisation ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Si, il y en aura dans les d'ultimes cas où parce que des gens créent des troubles autour des établissements et empêchent les élèves de composer…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y aura des délocalisations.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Dans les cas comme ceux-là, qui sont ultra-minoritaires…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas de zéro.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Quand on ne peut pas faire autrement, le seul cas où il y a 0 c'est quand un élève dit qu'il ne veut pas venir, ce qui me paraît évidemment quelque chose d'incroyable. Mais quand ça arrive, chacun prend ses responsabilités bien entendu.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y aura des changements pour les épreuves du printemps ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, certainement, puisque vous savez, on est pragmatique et ouvert. C'est-à-dire d'une part ferme sur les grands principes parce qu'il y a des choses qui ne se font pas. Quand vous avez des gens qui déclenchent un signal d'alarme pendant que des élèves composent, c'est purement scandaleux. Ça mérite des sanctions disciplinaires, éventuellement des poursuites pénales. Donc il y a des choses qui ne se font pas et qu'on ne peut pas accepter. En revanche sur le fond, c'est-à-dire la nature même de ces E3C, ça se discute bien entendu comme nous l'avons dit depuis le début. Vous avez un comité de suivi du baccalauréat avec notamment les organisations syndicales qui sera réuni le 11 mars et avec lequel nous allons voir comment nous faisons évoluer les règles pour tenir compte de ce qu'il y a de positif et de négatif dans les expériences vécues avec ouverture et pragmatisme.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jean-Michel BLANQUER, vous avez regardé les César ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, je n'ai pas pu.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'avez pas regardé. POLANSKI primé, vous auriez quitté la salle ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors vous savez, il y a des domaines… Il y a le ministre de la Santé pour les sujets de santé, le ministre de la Culture pour les sujets de culture. Je me suis exprimé sur ce point.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, d'accord. Mais je m'adresse au ministre de l'Education nationale tout de même.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Vous savez, tout à l'heure je vous ai parlé des oeuvres littéraires.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.
JEAN-MICHEL BLANQUER
J'ai parlé de CHATEAUBRIAND qui, par ailleurs, a eu une vie très intéressante. Mais on peut penser ce qu'on veut de CHATEAUBRIAND, on peut découvrir demain qu'il a des vices, ça ne m'empêchera pas de lire les « Mémoires d'outre-tombe » même s'il a des vices graves. Il y a l'oeuvre : c'est une chose ; il y a l'auteur : c'est autre chose. Il y a s'agissant des choses mauvaises, des crimes éventuels qu'a pu commettre quelqu'un, la justice, des tribunaux dont on doit évidemment respecter ceux qui le font et condamner dans ce cadre-là. Mais je ne suis pas très favorable aux…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors j'ai une question complémentaire. Aimer le cinéma de POLANSKI fait-il de celles et ceux qui aiment les complices de crimes ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr que non, bien sûr que non. Sinon vous êtes complice de toutes les oeuvres accomplies depuis les débuts de l'humanité par des gens qu'on considère comme criminels et ça existe. Donc si vous voulez, on met la main dans un engrenage terrible quand on est dans ce genre de logique. La main sur la censure, la main sur le jugement. De toute façon, moi je ne cautionne en rien Roman POLANSKI. Je ne le connais pas, ce n'est pas mon sujet. Je comprends bien qu'il y ait des choses très graves qui peuvent lui être reprochées, c'est un sujet en soi qui nécessite d'être traité en tant que tel. Ensuite un film ou un livre, c'est autre chose et il a sa propre logique. Vous savez, une fois que vous avez écrit quelque chose ou filmé quelque chose, cette chose ne vous appartient plus. Elle va rentrer dans une logique d'interprétation par le public, chacun va en penser ce qu'il veut et c'est ça qui est beau dans l'oeuvre d'art. C'est qu'elle n'est justement pas la propriété de son auteur une fois qu'elle a été accomplie. Donc il faut aller jusqu'au bout de cette logique-là qui est aussi profondément une logique qui préserve nos libertés. Si on rentre trop dans une société où on est sans arrêt en train de se faire des procès les uns aux autres, bien sûr que quand un cas est grave comme lui, des gens sont tout à fait en droit d'avoir un jugement extrêmement négatif sur cette personne et dans le registre de l'attaque de cette personne, le faire. Mais on ne doit pas confondre ce qui est du domaine de l'oeuvre et ce qui est du domaine de la personne. C'est un vieux débat qui a opposé PROUST à Sainte-Beuve en son temps. Le fameux « Contre Sainte-Beuve » de PROUST disait déjà beaucoup mieux d'ailleurs que moi ce que je viens de vous dire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Franck RIESTER a regretté l'attribution du César à Roman POLANSKI. Est-ce qu'il avait à donner son avis franchement ? Le ministre de la Culture.
JEAN-MICHEL BLANQUER
En tout cas c'est certainement au ministre de la Culture de s'exprimer sur un tel sujet.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord, mais d'accord Jean-Michel BLANQUER, oui. Vous n'êtes pas sur la même ligne quoi. Ça peut arriver entre deux ministres.
JEAN-MICHEL BLANQUER
On a le droit d'avoir des nuances et j'aime beaucoup Franck RIESTER et on en a parlé évidemment.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous en avez parlé ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez échangé ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Comme sans doute beaucoup de familles françaises.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et vous n'étiez pas d'accord. Vous n'étiez pas d'accord.
JEAN-MICHEL BLANQUER
On avait une nuance.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Merci, merci Jean-Michel BLANQUER.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 mars 2020