Texte intégral
CARINE BECARD
Bonjour Cédric O.
CEDRIC O
Bonjour.
CARINE BECARD
Merci d'avoir accepté de répondre aux questions de France Inter ce matin. Alors, vous avez rendez-vous aujourd'hui devant la commission des lois à l'Assemblée pour y être auditionné, auditionné sur la possibilité de mettre en place en France un traçage numérique via nos téléphones portables pour lutter contre la maladie, pour lutter contre le coronavirus. Très simplement, pour commencer Cédric O, expliquez-nous comment ça pourrait fonctionner.
CEDRIC O
Alors, c'est extrêmement simple, c'est une application, si nous arrivons à la développer, qui serait une application de protection individuelle, et qui remplirait une seule fonction, c'est de vous prévenir si vous avez été en contact, dans les jours précédents, avec une personne qui s'est ensuite déclarée Covid+, c'est-à-dire testée positif au coronavirus, de telle manière que vous puissiez vous-même prendre des dispositions, c'est-à-dire aller vous faire tester et, le cas échéant, vous confiner.
CARINE BECARD
Alors, cette application "Stop Covid", parce qu'elle porte un nom d'ores et déjà, est-ce qu'elle est prête, est-ce qu'elle existe déjà, et où est-ce que vous en êtes précisément ?
CEDRIC O
Non, cette application n'est pas prête, il y a beaucoup de difficultés techniques pour la développer, et nous estimons qu'il faudra a minima plusieurs semaines pour ce faire, c'est pour ça que nous avons lancé le développement, mais nous n'avons pas décidé encore de la déployer, mais nous estimons que cela peut être utile, en tout cas les épidémiologistes estiment que ça peut être utile, dans le cadre d'une stratégie de déconfinement, avec beaucoup d'autres mesures, et donc c'est pour ça que nous avons déjà lancé le développement. Je précise que c'est un développement qui se fait en commun avec d'autres pays, l'Allemagne et la Suisse notamment, de telle manière à avoir une solution qui est une solution européenne et qui est respectueuse des valeurs européennes.
CARINE BECARD
Alors, quand vous dites plusieurs semaines, on se dit si c'est deux, trois semaines, ma foi effectivement on va peut-être pouvoir l'utiliser, si c'est dans, je ne sais pas, 10, 12 ,15 semaines, ce sera trop tard non ?
CEDRIC O
Non, mais c'est pour vous donner un ordre de grandeur, je ne sais pas vous dire si c'est trois ou six semaines, mais, voilà, c'est de cet ordre de grandeur-là, c'est pour ça qu'il était important que nous commencions à développer, parce qu'il y a d'abord la phase de développement, et le cas échéant, si cela s'avère utile, et si cela marche, il y aura évidemment une question de déploiement, qui elle aussi posera un certain nombre de questions, et c'est pour ça que nous avons choisi d'anticiper, tout comme nous anticipons sur beaucoup d'autres technologies pour mieux combattre le virus, mais il était de notre responsabilité de, voilà, de tout étudier, pour faire en sorte que le moment venu, si on en a besoin, si les médecins jugent que c'est utile, on ait sur la table cette option-là, puisque c'est aussi une option qui est regardée par l'ensemble des pays européens.
CARINE BECARD
Alors, je voudrais aborder deux points, deux détails techniques, enfin des détails qui n'en sont pas tout à fait. Premier détails, combien de Français utilisent aujourd'hui un Smartphone, et est-ce que vous songez éventuellement à en doter ceux qui n'en auraient pas et qui aimeraient participer à ce traçage numérique, et puis est-ce que la technologie Bluetooth, puisque c'est cette technologie sur laquelle vous allez vous appuyer, passe partout de la même façon, très bien, très facilement, sur tout le territoire français ?
CEDRIC O
Alors, combien de Français possèdent aujourd'hui un Smartphone ? Environ 80 %, donc ça fait 20 % de personnes qui n'en n'ont pas…
CARINE BECARD
Ça fait combien de millions ça ?
CEDRIC O
80 % des Français, c'est facile, de l'ordre…
CARINE BECARD
40 millions.
CEDRIC O
De 50 millions, oui, voilà, sur les 70 millions de Français, le taux de pénétration est inégal dans les différentes catégories de la population, notamment chez les personnes âgées, c'est environ 40 %. Et donc, c'est un des principaux points qui nous préoccupe, à la fois les gens qui n'ont pas de Smartphone, et puis ceux aussi qui ont du mal avec le numérique, parce qu'on sait qu'il y a une fracture numérique en France, et donc nous travaillons, d'abord nous faisons en sorte que l'application soit très simple, accessible aux personnes en situation de handicap, et nous réfléchissons, soit effectivement à déployer plus de Smartphones, à aider les gens à en acquérir, voire à avoir une solution qui ne passe pas par les Smartphones, mais qui reste très hypothétique technologiquement, et qui prendra, elle, encore plus de temps pour être développée. C'est effectivement, vous l'avez dit, sur la technologie du Bluetooth, qui permet, et on y reviendra peut-être, que ce soit totalement anonyme, que ça ne géolocalise pas, et de bien mesurer les distances, ça reste encore problématique pour bien mesurer les distances, mais c'est quelque chose qui est disponible sur quasiment tous les téléphones portables, et qui encore une fois, je pense que c'est important, ne géolocalise pas les personnes, c'est-à-dire que ça retracera les personnes avec lesquelles vous avez été en contact, mais ça ne retracera pas vos déplacements.
CARINE BECARD
Mais ces deux détails techniques posent quand même la question de l'efficacité en fait du dispositif que vous voulez mettre en place. On se rend bien compte que pourrait très efficace, il faut être très intrusif, or vous nous dites ce matin, on ne sera pas trop intrusifs, donc du coup vous ne serez pas trop efficaces ?
CEDRIC O
La question que vous posez est au centre du débat effectivement. Ce que nous avons fait, comme choix, c'est d'être totalement cohérent avec les valeurs françaises et européennes, c'est-à-dire que ce sont des données anonymisées, qui sont effacées au bout d'un certain temps, que l'application sera installée de manière volontaire, et que personne ne pourra retracer, ni qui a été infecté, ni qui a infecté qui. Et donc, nous avons effectivement une question qui se pose, qui est une question de déploiement, que j'évoquais tout à l'heure, mais à ce stade, un, notre principal problème c'est de réussir à développer techniquement l'application, et puis par ailleurs cette application, nous assumons parfaitement que ce ne sera pas la solution magique, elle viendra au milieu d'un cocktail de solutions, au milieu d'une stratégie de déconfinement, au milieu d'un cocktail de solutions qui inclura notamment la question des tests massifs, ce que nous voulons faire c'est qu'elle soit sur la table, le moment venu, si nous estimons que c'est utile.
CARINE BECARD
Et c'est le seul modèle sur lequel vous travaillez ?
CEDRIC O
C'est le seul modèle sur lequel nous travaillons.
CARINE BECARD
Lors, malgré les précautions technologiques, et même les précautions langagières qu'on entend ce matin clairement à notre antenne, Cédric O, les députés de La République en marche, très largement, cette majorité à laquelle vous appartenez, n'y est quand même pas très favorable à ce traçage numérique, une partie s'en inquiète, une autre partie s'y oppose, je dirais même très clairement, comment vous l'expliquez ?
CEDRIC O
Je comprends, et c'est d'ailleurs de tradition française, qu'il y ait une vigilance extrêmement forte sur la question des données personnelles et de libertés publiques, et c'est normal…
CARINE BECARD
Oui, mais c'est votre majorité.
CEDRIC O
C'est normal. mon rôle, il est double, il est, un, de faire en sorte qu'il y ait sur la table les solutions technologiques qui peuvent aider à la sortie du confinement, et qui feront l'objet d'une décision ultérieure, mais comment on soit prêt le cas échéant, et la deuxième chose c'est d'expliquer cette application, qui, je pense, est encore mal comprise, et le fait, notamment, qu'elle ne pose aucun problème en termes de libertés publiques, et qu'elle, d'ailleurs, ne nécessiterait, le cas échéant, aucune modification de notre cadre juridique, et aucun changement dans le cadre de protection de la vie privée, assurée par la Commission nationale informatique et libertés, qui est tenue très au courant de ce que nous faisons, qui protège aujourd'hui les Français.
CARINE BECARD
Vous dites les choses sont peut-être encore un peu mal comprises, en fait ces députés ils disent deux choses, d'abord que l'on est probablement en train de jouer avec la vulnérabilité des Français, et ensuite que des lobbies, des banques, et des assurances en particulier, seraient prêts à payer très cher, très très cher, pour récupérer toutes ces données. Qu'est-ce que vous leur répondez ?
CEDRIC O
Mais d'abord l'application elle est temporaire, c'est-à-dire qu'elle ne durera pas au-delà de la crise, et la deuxième chose c'est que je ne sais pas de quelles données ces gens parlent, dans la mesure où il n'y a pas de données. Personne n'aura accès à qui est contaminé, et personne ne sera capable de retracer qui a contaminé qui, le seul bénéfice il est individuel, vous saurez qui vous avez croisé dans les jours précédents, qui a depuis été testé positif au coronavirus.
CARINE BECARD
Mais Cédric O, à partir du moment où des données existent, elles sont forcément stockées et temporairement, vous êtes d'accord avec moi ?
CEDRIC O
Elles sont, il y a effectivement nécessité de les stocker, mais elles sont …anonymisées, inaccessibles pour qui que ce soit, y compris pour le gouvernement, et par ailleurs nous travaillons à faire en sorte qu'elles soient stockées de la manière la plus décentralisée possible, c'est-à-dire plutôt sur votre téléphone, que sur un serveur central, il y a des questions technologiques qui se posent, mais toutes les précautions techniques sont faites pour faire en sorte que personne n'ait accès à ces données.
CARINE BECARD
Cédric O, comment sera prise la décision d'un traçage numérique ou pas en France, est-ce qu'il y aura forcément un débat parlementaire avant ?
CEDRIC O
D'abord, je répète, parce qu'il ne faut pas croire à la solution magique, nous ne sommes pas certains que nous aurons une solution sur la table, la deuxième chose c'est que ça prendra du temps, et la troisième chose c'est que ce sera au milieu d'une stratégie globale de sortie de confinement, qui sera bien plus large, et qui inclura par ailleurs du retraçage de contacts, manuel, comme on l'a fait depuis le début de la crise, notamment aux Contamines-Montjoie, mais ce dont nous avons assuré à la fois les parlementaires et la société civile, c'est que, avant même de déployer l'application, nous consulterons toutes les parties prenantes, et notamment le Parlement.
CARINE BECARD
Merci beaucoup Cédric O, secrétaire d'Etat au Numérique, d'avoir été notre invité ce matin, passez une bonne journée.
CEDRIC O
Merci beaucoup.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 avril 2020