Interview de M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à BFM Business le 30 mars 2020, sur l'agriculture et l'agroalimentaire pendant l'épidémie de Covid-19.

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Média : BFM

Texte intégral

JAKUBYSZYN
Mon invité est le ministre de l'Agriculture et de l'alimentation. Bonjour Didier GUILLAUME. Merci d'être avec nous ce matin.

DIDIER GUILLAUME
Bonjour.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Une première question. Est-ce que les Français ont répondu à votre appel et à celui de la présidente de la FNSEA, Christiane LAMBERT, d'aller aider les producteurs, puisque c'est la saison des récoltes qui bat son plein et qu'on manque de bras ?

DIDIER GUILLAUME
Oui, ils ont répondu fortement, la solidarité est là, mais d'abord, permettez-moi de dire que cette deuxième ligne après la première ligne annoncée par le président de la République, sur les soignants, les médecins, cette deuxième ligne, elle est indispensable, mais pour aller travailler, il faut respecter les gestes barrières, il faut respecter le confinement, il faut que nos concitoyens restent chez eux le plus possible, et que, parallèlement, quelques-uns, en respectant les distanciations sociales, les gestes barrières, en respectant les règles pour lutter contre le coronavirus, puissent aller travailler, puisque vous l'avez fort justement dit, aujourd'hui, la campagne française, donne, elle produit, c'est le printemps qui arrive, qui est là, c'est la saison. Et donc, il manque des bras, et il faut qu'il y ait des Françaises et des Français qui puissent y aller, avec le gouvernement, avec Bruno LE MAIRE et Muriel PENICAUD, nous avons lancé un appel, nous avons pris toutes les conditions sociales pour permettre aux gens, non pas d'aller faire du bénévolat, mais d'être salariés chez nos agriculteurs pour les aider à récolter des asperges, des fraises, des légumes, des fruits. Aujourd'hui, c'est plus de 150.000 Français qui ont répondu, évidemment, tous ne seront pas pris. On ne traverse pas la France pour y aller, c'est uniquement de la proximité, c'est pour les habitants, soit, de nos villages, soit, de notre centres-bourgs, qui sont à quelques centaines ou quelques kilomètres de nos agriculteurs qui doivent y aller, évidemment, il faut, là encore, respecter les règles sanitaires demandées par le chef de l'Etat et par le comité scientifique, mais oui, l'appel a marché, c'est ce qui montre que nos concitoyens sont solidaires et pensent que cette guerre que nous devons gagner, nous devons la gagner, certes, au niveau sanitaire, c'est indispensable, nos soignants, les médecins, celles et ceux qui vont faire que nous allons franchir cette étape dramatique, et puis, l'alimentation, parce que, pour être en bonne santé, il faut manger, il faut manger équilibré, pour cela, il faut qu'il y ait des produits de l'agriculture, il faut qu'il y ait des PME, des entreprises agroalimentaires, il faut qu'il y ait des coopératives agricoles qui transforment les produits, il faut qu'il y ait des grandes surfaces ou des marchés ou des marchés de producteurs qui les vendent.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On va parler de tout ça, Didier GUILLAUME, 150.000 Français se sont portés volontaires, et je rappelle qu'on peut cumuler, par exemple, le chômage partiel, et la rémunération qui est logique quand on va aider aussi les producteurs. Il va y avoir un deuxième problème auquel il va falloir répondre dans les prochains jours, c'est la chaîne de production, la chaîne logistique, parce que, malheureusement, on n'en est pas encore au pic de l'épidémie, de nombreux salariés vont être atteints par le coronavirus, il va falloir les remplacer, dans les transports, dans la logistique. Comment allez-vous faire ?

DIDIER GUILLAUME
Alors, l'appel que nous avons lancé, la plateforme gouvernementale, qui est mise en place, nous travaillons évidemment aux côtés des syndicats agricoles qui, eux, sont purement sur la partie agricole, mais nous, nous sommes sur la partie agricole, logistique, transport, et entreprises agroalimentaires. Les personnes qui s'inscrivent, qui veulent venir travailler, peuvent très bien aller dans une PME de l'agroalimentaire s'il manque des salariés pour mettre, je ne sais pas, des yaourts en boîtes, pour mettre des oeufs dans une boîte, pour aider à la transformation. Il faut aider toute la chaîne logistique, vous avez entièrement raison. Aujourd'hui, nous pouvons affirmer qu'il n'y aura pas de pénurie alimentaire dans notre pays, c'est la raison pour laquelle je veux vraiment appeler encore nos concitoyens, qui sont formidables, à ne pas se ruer dans les magasins, dans les hypers, dans les supers, pour faire des stocks de pâtes, de riz, de sucres ou de je ne sais quoi, il n'y aura pas de problème. Par contre, la petite difficulté que nous pouvons avoir, c'est, s'il y a trop d'absentéisme, d'absentéisme, vous le disiez tout à l'heure, lié à la maladie, lié au droit de retrait, et tout cela. Et c'est la raison pour laquelle, la chaîne, ce que j'avais appelé l'armée de l'ombre, la chaîne des Françaises et des Français qui sont chez eux, qui sont au chômage partiel, les indépendants qui ne travaillent pas, qui veulent donner un peu d'eux, donner du civisme, c'est comme une sorte d'engagement civique, eh bien, sous certaines conditions que j'évoquais tout à l'heure, évidemment sanitaires, de contrôle, à condition que l'on n'ait pas la fièvre, que l'on ne soit pas atteint de la maladie, que l'on respecte toutes les règles, on peut le faire en agriculture dans les entreprises agroalimentaires. Et je les appelle à se mobiliser, évidemment, là encore, en petit nombre, 100.000, 150.000, 160 millions, ce n'est rien, mais c'est ce qui peut nous permettre de passer ce cap et que chacun de nos concitoyens, les personnes âgées comme les familles puissent s'alimenter autant que de besoin.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et je rappelle que vous pouvez aller sur le site de Pôle emploi qui organise cette mobilisation citoyenne et qui, à partir de mercredi notamment, fera un effort sur la partie logistique et transport. Quand même, vous avez vu que les syndicats de transport routier, FO, CFDT, CFTC, s'inquiètent des conditions sanitaires dans lesquelles on livre les produits, et ils envisagent d'autoriser, si je puis dire, ou d'inciter les salariés du transport à opposer leur droit de retrait. Qu'est-ce que vous avez à leur dire ce matin ?

DIDIER GUILLAUME
Oui, alors là, franchement, lorsque nous sommes en période de guerre, il faut que tout le monde fasse la guerre, il ne faut pas que certains disent : moi, je m'en vais pour ceci, pour cela, par contre, parallèlement, il faut mettre en place toutes les conditions, aucune réserve, il faut faire en sorte que tout soit respecté afin que les salariés des entreprises de logistique, que les transporteurs routiers, comme tous les salariés de France qui, aujourd'hui, travaillent, puissent le faire dans de bonnes conditions. Vous savez, il ne faudrait pas qu'il y ait la coupure entre ceux qui, entre guillemets, seraient en haut de l'échelle, et qui feraient du télétravail sur leur ordinateur à la maison, qui seraient confinés et qui ne craindraient rien, et puis, ceux d'en bas, si je puis dire, les salariés, les ouvriers, les travailleurs, les femmes et les hommes de l'ombre qui eux, pourraient être soumis à un problème…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais c'est leur crainte justement, c'est leur crainte, Didier GUILLAUME…

DIDIER GUILLAUME
Non, le gouvernement fait tout, donne toutes les consignes, mais bien sûr, je comprends leur crainte, il faut lever leur crainte, il n'y aurait rien de pire aujourd'hui que des organisations syndicales appellent à la grève, appellent au droit de retrait, ce ne serait pas à la hauteur des morts que nous voyons tous les jours et qui peuvent accentuer cette semaine. Ce ne serait pas à la hauteur de nos concitoyens qui sont malades, et je pense que la solidarité doit être forte, mais par contre, et là où je peux les comprendre, c'est qu'avant d'en arriver à la grève ou au droit de retrait, donnons-nous les moyens d'accueil en toute sécurité, transparente sécurité sanitaire et faisons en sorte que ces travailleurs, que ces salariés puissent aller – ceux de la deuxième ligne – aller approvisionner nos étals, puissent permettre à nos enfants, à nos parents, à nos grands-parents de manger en toute tranquillité, et qu'eux-mêmes ne soient pas, lorsqu'ils font ce travail, en risque de prendre cette maladie.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Je voudrais qu'on parle aussi des producteurs locaux qui ont parfois du mal à écouler leurs productions. La grande distribution a fait d'énormes gestes au cours de ces derniers jours, d'abord, accueillir le public, et ensuite, elle s'engage à vendre les produits locaux, et puis, les marchés aussi, une question sur les marchés, Didier GUILLAUME, parce que ce week-end, certains marchés ont rouvert à la demande des maires, est-ce que ça concerne beaucoup de villes, et est-ce que les conditions, là encore, de sécurité sont remplies ?

DIDIER GUILLAUME
Alors, d'abord, vous savez, je voudrais, vous avez eu raison de le signaler, saluer la grande distribution, les hypers, les supers, la GMS, les grandes et moyennes surfaces, saluer les patrons de ces entreprises qui ont eu une réaction, une réactivité remarquable et qui font beaucoup d'engagements avec les produits français....

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et leurs salariés, Didier GUILLAUME…

DIDIER GUILLAUME
Mais j'y viens, qui appellent à acheter français. Mais quand je parle de la grande distribution, je parle évidemment des salariés, sans lesquels rien ne serait possible. Et moi, je pense à eux, je pense à elles, je pense à ces femmes et ces hommes, ces caissiers, ces caissières qui, la première semaine, n'avaient pas de protection et qui ont travaillé quand même parce qu'ils ont le sens du devoir, le sens du travail, le sens de l'honneur de la France et le sens de dire : il faut nourrir nos concitoyens. Et je voulais vraiment saluer à la fois les responsables de ces grandes surfaces, qui ont pris les mesures nécessaires avec les vitres en plexiglas, avec les masques, et les salariés qui sont venus et qui ont été présents. Et merci à deux. La deuxième ligne, elle est là. Et puis, évidemment, il y a celui des marchés locaux, le Premier ministre a eu raison d'interdire par principe les marchés qu'il y avait dans nos communes, dans nos villes, dans nos villages, pourquoi, parce que la distanciation sociale, les gestes barrières, les règles sanitaires n'étaient pas assez respectées. Et nous avons une course contre la montre pour gagner la guerre contre le coronavirus, il faut aller vite, il ne faut pas dire : c'est demain, c'est après-demain, ça ne me concerne pas, ça concerne tout le monde ; un citoyen, un homme, une femme qui ne respecte pas les gestes barrières, il est coupable de propager le virus, ça nous a très bien été expliqué par les professeurs de médecine samedi, lors de la conférence de presse du Premier ministre. Aussi, le Premier ministre a donné l'autorisation aux maires, sous le contrôle des préfets, de rouvrir ces marchés. Et ces marchés vont rouvrir à nouveau, avec des règles, avec des barrières, on passe d'un côté, on va de l'autre, on ne s'agglutine pas. Vous savez, pour rentrer dans un supermarché, eh bien, il y a un contrôle à l'entrée, il faut faire attention, et puis, on ne s'approche pas les uns des autres à moins d'un mètre ou d'un mètre cinquante. Il en est de même pour les marchés, il faut mettre des barrières, il faut mettre de la rubalise, des cordes, des marques par terre, et dans ces conditions-là, ces marchés pourront rouvrir et ont un rôle social bien souvent, le papi, la mamie, la personne âgée vient, descend de son appart au marché pour acheter un poireau, deux tomates, acheter une salade et remonte chez lui. Et ça joue un rôle essentiel pour eux, et puis aussi, pour nos producteurs, au moment où la campagne française donne, produit, il faut que nos producteurs de fruits et légumes, puissent les vendre directement chez eux, peut-être avec des drives, il y a beaucoup d'intelligence qui se met en place sur des marchés lorsqu'ils ouvrent à nouveau. Moi, je pense que c'est une bonne chose, mais là encore, dans le cadre des règles sanitaires, il ne s'agit pas de faire n'importe quoi. Mais aujourd'hui, vous savez, il faut manger équilibré, manger équilibré, ça veut dire, il faut manger des protéines, que ce soit de la viande, que ce soit du poisson, il faut manger des oeufs, il faut manger des fruits et légumes, il faut manger frais, il faut manger des produits lactés…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors justement, Didier GUILLAUME, sur le poisson, il y a aussi une tragédie pour nos pêcheurs, parce que 50 % de leurs débouchés, habituellement, ce sont les restaurants, or, tous les restaurants sont fermés, qu'est-ce qu'on peut faire pour soutenir cette filière de la pêche ?

DIDIER GUILLAUME
La pêche vit un drame absolu, vous avez raison de le souligner, un drame absolu, parce que les navires ne partent quasiment plus en mer, d'abord, parce que les restaurants n'achètent plus de poisson, c'est là où globalement on mange du poisson, et les gens n'en achètent plus, donc ils ont perdu beaucoup de leur chiffre, et puis aujourd'hui, dans les grandes surfaces notamment ou dans les marchés parce qu'ils ont fermé, les gens ne vendent plus de poisson, et donc on n'en achète plus, c'est le cercle vicieux, si je puis m'exprimer ainsi, le Français achète moins de poisson, la grande surface en commande moins, donc, le pêcheur en pêche moins, nous sommes en train de travailler…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc qu'est-ce qu'on fait alors ?

DIDIER GUILLAUME
Je suis en contact avec eux régulièrement, moi, je souhaite que les pêcheurs puissent repartir en mer, qu'on puisse leur fournir des masques, dans la deuxième ligne, les pêcheurs doivent avoir des masques, vous savez, lorsqu'on passe quinze jours ou trois semaines dans un bateau, il faut avoir des masques, peut-être il faut essayer de faire en sorte qu'il y ait des tests au départ des bateaux, nous travaillons là-dessus, il y a encore une réunion demain avec la direction des pêches, des affaires maritimes de mon ministère avec l'ensemble de la filière pêche. Je souhaite qu'ils repartent, et puis, il faut trouver des solutions, et je remercie certaines enseignes qui ont mis sur leurs étales marées encore ce week-end les produits français, qu'ils soient fruits et légumes et qu'ils soient des poissons, merci à eux. Il faut que les gens mangent du poisson, achètent du poisson. Et puis, à nous de faire en sorte qu'au niveau européen, j'étais en Conseil des ministres de l'Europe, virtuel bien sûr, il y a deux jours, j'ai demandé la possibilité qu'on puisse faire du chômage partiel, nous allons utiliser toutes les mesures possibles, mais un pêcheur, excusez-moi, il est là pour pêcher, il est là pour aller en mer, et je souhaite être le garant de celui qui va leur permettre de partir en mer en toute tranquillité, en toute sécurité.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est tout le débat, Didier GUILLAUME, effectivement, de la reprise de l'activité dans les conditions sanitaires évidemment les plus sûres possibles, il faudra bien redémarrer la machine. Il faudra bien sortir de ce confinement. Merci Didier GUILLAUME, ministre de l'Agriculture et de l'alimentation d'avoir été notre invité


source : Service d'information du Gouvernement, le 31 mars 2020