Interview de M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à France Bleu le 23 mars 2020, sur l'alimentation des Français et la situation des agriculteurs pendant l'épidémie de Covid-19.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Bleu

Texte intégral

MELODIE PEPIN
Didier GUILLAUME, bonjour.

DIDIER GUILLAUME
Bonjour.

MELODIE PEPIN
Est-ce que, aujourd'hui faire ses courses est risqué ?

DIDIER GUILLAUME
Non, faire ses courses n'est pas risqué à condition que l'on respecte, que l'on respecte les règles, que l'on respecte les gestes barrières, que l'on respecte le mètre de distance, qu'on ne touche pas les choses, je crois que ce n'est pas risqué, faire ses courses c'est plutôt indispensable pour la santé, il faut que nos concitoyens mangent de façon équilibrée et continuent à s'alimenter et pas uniquement en achetant des kilos de pâtes ou de riz, mais en achetant des produits frais.

MELODIE PEPIN
Eh bien vous nous expliquez tout ça dans 1 minute, on vous retrouve Didier GUILLAUME, ministre de l'Agriculture sur France Bleu Paris. (…) infos.

MELODIE PEPIN
Didier GUILLAUME, vous nous dites que faire ses courses aujourd'hui n'est pas risqué, vous assumez l'ouverture des marchés en plein air, vous appelez les Français à manger des produits frais, pour soutenir les agriculteurs, c'est entendable, mais comment voulez-vous qu'on s'y retrouve ? On nous dit qu'il faut rester à la maison et en même temps vous nous dites allez au marché tous les jours acheter des produits frais. Pardonnez-moi, mais ça ne rime à rien tout ça.

DIDIER GUILLAUME
Non, excusez-moi, votre question ne rime pas à grand-chose, si je peux m'exprimer ainsi, puisque vous me dites que ma réponse ne rime à rien, moi je ne dis pas de faire n'importe quoi, je dis de prendre toutes les précautions. Mais enfin, rester chez soi c'est indispensable pour gagner la guerre face au coronavirus, mais on ne reste pas chez soi sans manger, on ne reste pas chez soi qu'en mangeant des boîtes de conserves. Après, je ne sais pas ce que dira le comité scientifique, je ne sais pas ce qui sera décidé, mais en l'état actuel des choses, dans le travail que nous menons, avec des scientifiques, dans la commission interministérielle qui se réunit tous les jours, nous assumons le fait qu'il faut aller faire ses courses. Je veux d'ailleurs saluer à la fois les patrons des GMS (phon) pour leur organisation et surtout les sans grade, les femmes et les hommes, les hôtesses d'accueil, souvent des caissières, qui viennent là et qui se disent je prends des risques, mais j'ai besoin de faire ce travail. Nous avons mis des règles en place, ces règles sont très claires, on ne touche pas les gens, on ne s'approche pas à moins d'un mètre, les clients ne sont pas les uns sur les autres agglutinés, mais à au moins un mètre, si on respecte les gestes-barrières on a la possibilité de s'alimenter. Aujourd'hui les grandes surfaces ont mis des plexiglas pour protéger les caissières, tout est fait…

MELODIE PEPIN
C'est un peu plus difficile quand même dans les marchés.

DIDIER GUILLAUME
Imaginez que ça dure plusieurs mois, il faudra bien continuer à faire ses courses, il faudra bien que les paysans continuent à produire. Si aujourd'hui les céréaliers ne font plus leur travail, eh bien on n'aura plus de céréales pour faire justement des pâtes, ou faire des gâteaux, s'il n'y a pas de prélèvements de lait on n'aura plus de yaourts, on n'aura plus tous ces produits-là

MELODIE PEPIN
Didier GUILLAUME, justement, parlons un petit peu des agriculteurs, de la filière agricole. Si les marchés devaient fermer, puisque le Conseil d'Etat a quand même émis une réserve à ce sujet, quel serait l'impact pour la filière agricole ?

DIDIER GUILLAUME
Il y a un double impact si les marchés devaient fermer. Il y a d'abord un impact très important pour les agriculteurs qui font les circuits courts, qui vont amener leurs salades, leurs poireaux, leurs tomates, que sais-je encore, et là ça serait un vrai vrai problème. Alors il pourrait y avoir d'autres solutions, peut-être par Internet, peut-être l'approvisionnement en drives, il faudra inventer des choses si les choses doivent durer, mais surtout…

MELODIE PEPIN
Est-ce qu'on peut envisager des livraisons, des livraisons pour la population ?

DIDIER GUILLAUME
J'ai travaillé sur le sujet ce week-end, nous sommes en train de réfléchir à cela, partant du principe que si le confinement devait, je n'en sais fichtre rien, le confinement devait augmenter encore, comme il faudra bien s'alimenter, il faudra trouver des systèmes. Alors, est-ce que c'est des livraisons, est-ce que c'est un drive, est-ce que c'est des paniers, que sais-je encore, nous sommes en train de réfléchir là-dessus. Vous savez, ça va tellement vite et ça bouge tous les jours, mais si on devait fermer les marchés ou si on devait fermer certains étals de proximité, moi il y a un sujet qui m'inquiète beaucoup, ce sont les personnes âgées, c'est-à-dire que les personnes âgées, souvent, descendent de leur immeuble, de leur petite maison, dans nos centres bourgs de province., pour aller au marché chercher leurs légumes et ils remontent immédiatement…

MELODIE PEPIN
Alors, pour ces personnes âgées est-ce qu'il faudrait envisager justement en priorité des livraisons, des plateaux-repas ?

DIDIER GUILLAUME
Mais peut-être. Vous savez, il y a beaucoup de communes qui le font déjà, qui livrent des plateaux-repas. De toute façon moi je pense que, en fonction de ce qui va être dit aujourd'hui et dans les heures qui viennent, il faudra que nous pensions totalement différemment notre organisation et notamment notre organisation alimentaire. Nous aurons besoin de continuer à ce que nos concitoyens s'alimentent, si on doit rester confinés plusieurs jours encore ou semaines, il faudra faire de l'activité, il faudra bien…

MELODIE PEPIN
Vous êtes optimiste.

DIDIER GUILLAUME
Mais il faut rester chez soi, rester chez soi c'est le gage de la non propagation de ce virus et de gagner cette guerre… il y a des gens qui doivent travailler.

MELODIE PEPIN
Vous vous préparez au confinement total ?

DIDIER GUILLAUME
Non, je ne me prépare pas à ça parce que je n'ai aucune information, le propre de l'Etat, et d'un gouvernement, et d'un ministre, c'est d'envisager toutes les solutions, et j'ai travaillé tout le week-end avec mes équipes par visioconférence et par conférence téléphonique, parce que moi je suis confiné dans le ministère, depuis une semaine…

MELODIE PEPIN
Comme nous tous.

DIDIER GUILLAUME
Il faut tout envisager, comment pourrions-nous faire, et envisager évidemment s'il devait y avoir une rupture de la chaîne d'approvisionnement, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, la chaîne alimentaire est là.

MELODIE PEPIN
Autre problème pour les agriculteurs, c'est le manque de main-d'oeuvre, on l'a entendu dans le journal à 8h00, il n'y a plus de travailleurs saisonniers avec les frontières qui ont fermé, qui va les remplacer ?

DIDIER GUILLAUME
Alors on a ce vrai sujet-là, nous y travaillons beaucoup. Alors il faut continuer à regarder avec les travailleurs saisonniers parce que, les frontières sont fermées, mais dans l'espace européen, donc les travailleurs qui peuvent venir des pays de l'Est de l'Europe, comme c'est le cas beaucoup pour travailler à la main de saisonnière, au ramassage de fruits et légumes. Etc., peuvent continuer à venir. Et puis, moi je vais vous dire aussi, les nouvelles solidarités que nous devons appliquer c'est aussi que, aujourd'hui, il y a des gens qui sont très courageux, qui sont au chômage, les serveurs des restaurants qui travaillent dans les hôtels, les coiffeurs…

MELODIE PEPIN
Qui pourraient être réquisitionnés pour aider les agriculteurs ?

DIDIER GUILLAUME
Réquisitionnés, non madame, je ne crois pas qu'il en soit ainsi encore aujourd'hui, en tout cas, mais je ne pense pas qu'ils soient réquisitionnés, mais peut-être inciter. Je regarde, avec Muriel PENICAUD, la ministre du Travail, la possibilité qu'il y aurait. Là je vous prends l'exemple d'un coiffeur, moi je pense à ça particulièrement, un coiffeur qui n'a plus aucune activité, ne peut-il pas aller faire du travail dans les champs, ne peut-il pas aller ramasser des fruits, des fraises, ne peut-il pas aller dans entreprise agroalimentaire mettre des yaourts dans des boîtes, voyez ce que je veux dire, il faut envisager de nouvelles solidarités afin que nos concitoyens puissent continuer à s'approvisionner et à s'alimenter.

MELODIE PEPIN
Quand est-ce que vous poserez les choses sur la table ?

DIDIER GUILLAUME
Dès que si les choses doivent aller plus loin et dès qu'on voit vraiment la pénurie, nous sommes en conférence téléphonique encore dans moins d'1 heure…

MELODIE PEPIN
Donc la pénurie est possible ?

DIDIER GUILLAUME
Non je vous dis que la pénurie n'est pas possible, aujourd'hui les choses fonctionnent, mais ce qu'il faut comprendre c'est que si les agriculteurs aujourd'hui ne font pas le travail dans leurs champs, alors dans 6 mois, dans 8 mois, dans 1 an, après les moissons, après que le blé soit moissonné et transformé, enfin voyez, on aura des problèmes. Si ce matin, demain, après-demain, le lait n'est pas prélevé chez les producteurs, chez les éleveurs, eh bien demain on pourrait manquer de yaourts, ou d'autres choses, de beurre ou je ne sais trop, c'est tout cela ce sur quoi nous travaillons. Il faut sécuriser la chaîne alimentaire, et ce que je peux vous dire ce matin, à vous madame, à France Bleu, c'est que la chaîne alimentaire elle est sécurisée, ce n'est pas de la propagande, c'est de la réalité, c'est vraiment de la réalité.

MELODIE PEPIN
Didier GUILLAUME, merci, le ministre de l'Agriculture avec nous ce matin, merci pour toutes ces précisions et toutes ces annonces. Donc le gouvernement réfléchit à des solutions pour éviter qu'on manque de nourriture, de main-d'oeuvre dans les champs, et pas pourquoi pas des collectes, des livraisons de paniers légumes, enfin tout ça, toutes les options sont sur la table, on l'a bien compris, on se prépare un confinement qui va durer, merci bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 mars 2020