Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les défis et priorités de la politique étrangère de la France, au Sénat le 15 avril 2020.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Audition (en téléconférence)devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

Texte intégral

Je suis très heureux d'avoir cette occasion de converser avec vous. Dans cette période difficile, il est important de garder ce lien de compréhension mutuelle.

Je veux évoquer la situation des Français à l'étranger, puis celle des Français de l'étranger - la distinction est importante.

Il nous a fallu en premier lieu permettre à nos compatriotes en déplacement personnel ou professionnel de rejoindre le territoire national alors même que le trafic aérien international était de plus en plus limité et que les frontières et les aéroports de bien des pays fermaient. En dépit de situations difficiles, nous avons fait en sorte que 166.000 personnes rentrent de 140 pays différents. Il a fallu pour ce faire affréter des vols, téléphoner à des ministres, voire à des chefs d'Etat, mais nous sommes presque parvenus à la fin de cette étape, même si quelques complications sont encore possibles. Je pense notamment aux jeunes qui se trouvent en Australie ou en Nouvelle-Zélande dans le cadre d'un programme vacances-travail ; du fait du confinement, ils se retrouvent parfois sans activité et sans ressources. Nous les avons invités à se manifester auprès de nos consulats et nous avons mis en place des vols à tarifs attractifs pour leur permettre de rentrer en France ; ceux qui veulent rentrer pourront le faire.

Ce rapatriement global a pu se dérouler grâce à notre bonne relation avec Air France, mais aussi à la coopération d'autres compagnies aériennes, notamment Qatar Airways et Ethiopian Airlines. Dès la semaine prochaine, ce sera une nouvelle donne. Les compagnies aériennes ont réduit considérablement leurs liaisons et se sont repliées sur un réseau squelette ; nos ressortissants encore présents à l'étranger devront donc prendre d'autres dispositions. J'apprécie en tout cas vos remerciements : notre centre de crise et les postes diplomatiques ont su faire face et accomplir leur devoir.

Concernant les Français résidant à l'étranger, nous leur avons généralement conseillé de rester sur place et de respecter les mesures de confinement prises par les autorités locales. Environ 3,5 millions de personnes sont concernées ; la crise actuelle est d'ailleurs pour elles une bonne occasion de s'inscrire au registre des Français de l'étranger tenu dans chaque consulat. Nous leur conseillons aussi de nous faire connaître leurs éventuelles vulnérabilités sanitaires. À la demande du président de la République, nous travaillons à la mise au point d'un dispositif de soutien médical et, éventuellement, d'évacuation sanitaire, afin de les rassurer. Ce dispositif sera différent selon les pays. Dans chaque pays vulnérable, nos ambassadeurs feront connaître aux expatriés toutes les mesures susceptibles d'assurer leur protection.

Il importe que nous puissions garder notre influence dans ces pays. La sécurisation de nos concitoyens qui y résident doit par conséquent être non seulement sanitaire, mais aussi éducative et sociale. L'enseignement doit être maintenu, notamment au sein des établissements de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Nous apprécions la continuité pédagogique assurée par tous leurs enseignants restés sur place, qui ont fait montre de professionnalisme et de loyauté envers la communauté française et les autres enfants placés sous leur responsabilité. Cela aussi fait partie de l'influence de la France.

Nous nous soucions particulièrement de trois aspects de notre système éducatif à l'étranger : les bourses existantes, l'aide sociale apportée à certaines familles rencontrant aujourd'hui des difficultés, mais aussi les problèmes financiers qui touchent certains établissements. Nous allons mettre en place dans les jours qui viennent, à la demande du président de la République, un plan d'urgence visant à apporter un soutien massif à tout le réseau et à garantir ainsi sa continuité. Nous le rendrons public dans les plus brefs délais, de même que le dispositif sanitaire ; certaines mesures requerront des traductions législatives et budgétaires.

J'en viens à la réponse européenne à la crise.

La machine a connu un léger retard à l'allumage, comme Mme von der Leyen l'a reconnu elle-même. Il y a eu du retard dans la solidarité, parce que l'ampleur de l'épidémie a surpris et désarçonné tout le monde, mais aussi parce que la santé ne fait pas partie des compétences ordinaires de l'Union européenne. Devant l'urgence, les Etats ont d'abord réagi en ordre dispersé. Néanmoins, ce retard a été largement rattrapé. Des actes de solidarité concrète ont vite eu lieu : nous remercions nos voisins allemands, suisses, autrichiens ou encore luxembourgeois d'avoir pris en charge des malades français. Nous avons pu collaborer pour les rapatriements, par le biais d'un mécanisme européen de protection civile qui s'est avéré efficace. Nos instruments conjoints d'appui humanitaire et d'aide au développement ont été mobilisés.

Surtout, toutes les institutions européennes ont été au rendez-vous de la réponse économique à la crise, de la Commission à la Banque centrale européenne (BCE) et à la Banque européenne d'investissement (BEI). La BCE a très tôt procédé au rachat de 750 milliards d'euros d'actifs ; des commandes groupées d'équipements de protection ont été passées très vite. L'UE a levé des tabous et pris des décisions qui, auparavant, auraient été jugées impossibles ou irresponsables : les règles du pacte de solidarité et celles relatives aux aides d'Etat ont été assouplies. L'Eurogroupe de la semaine dernière a acté l'engagement de 540 milliards d'euros supplémentaires au travers de la BEI et de la mobilisation du mécanisme européen de stabilité ; l'initiative Sure aidera en outre les Etats à financer le chômage partiel. Cela sera complété par la mise en place du fonds de relance souhaité par la France, qui avait suscité des oppositions. Ce fonds, d'un montant d'environ 500 milliards d'euros, permettra d'engager ensemble les investissements nécessaires pour sortir de la crise économique une fois la pandémie jugulée.

Je suis convaincu que ce plan de réponse global sera validé au Conseil européen du 23 avril prochain et que cet épisode amènera l'Europe à se montrer plus pragmatique, plus réactive, plus solidaire, mais aussi plus souveraine dans ses décisions. La crise peut être un accélérateur de refondation ; elle permet en tout cas des actes que l'Union n'avait jamais osé entreprendre.

Concernant l'Afrique, je tiens d'abord à condamner avec la plus grande fermeté, comme le président de la République ce matin, les propos humainement et moralement scandaleux que j'ai entendus sur de prétendues expérimentations qui pourraient se mener sur ce continent.

Nous considérons la situation sanitaire en Afrique sans catastrophisme, mais avec une extrême vigilance. La pandémie y est plus tardive qu'en Europe - on ne compte encore que 816 morts -, mais la vague monte et la quasi-totalité des pays est désormais touchée. On connaît la fragilité des systèmes de santé africains, les difficultés d'acheminement des médicaments, le manque de ressources et de personnel médical. Par ailleurs, les mesures de confinement peuvent avoir un effet dévastateur sur la part importante de la population qui tire ses ressources de l'économie informelle. Il est de notre devoir, en tant que bons voisins et amis, d'agir pour aider l'Afrique à faire face, mais c'est aussi dans notre intérêt. C'est un impératif sanitaire : nous devons écarter la menace d'un effet boomerang dans les prochains mois. C'est aussi un impératif sécuritaire : les terroristes ne sont pas confinés, ils continuent à frapper. Il importe donc que nous continuions à aider l'Afrique de manière très vigoureuse.

Je suis impressionné par la prise de conscience de l'enjeu par les autorités africaines, qui ont pris des mesures précoces de grande ampleur. J'ai également été frappé par la qualité de l'appel lancé par le président de la République et relayé par de nombreux chefs d'Etat ou de gouvernement européens et africains : les actions proposées sont extrêmement fortes, ce doit être un grand sursaut.

Il faut soutenir et accompagner les efforts des Etats africains dans le domaine sanitaire. C'est pourquoi j'ai décidé de réorienter immédiatement 1,2 milliard d'euros de l'aide française au développement vers les enjeux sanitaires et alimentaires, afin de renforcer les systèmes de soins et les capacités de détection. L'Europe a également pris des initiatives ; Mme von der Leyen a annoncé la mobilisation de 15 milliards d'euros pour les pays en difficulté. Le compte n'y est pas tout à fait pour l'Afrique, mais nous allons continuer de travailler. Nous agissons enfin en collaboration avec l'OMS et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, pour que le multilatéralisme soit présent et efficace sur le terrain. Nous avons négocié un accord particulier avec le Fonds mondial pour que 5 % des sommes qui lui ont été remises puissent aller à l'assistance technique aux Etats, qui pourraient alors bénéficier de son important réseau.

Le secteur scientifique africain ne doit pas non plus être négligé ; il permettra, en relation avec les antennes de l'Institut Pasteur, d'accélérer la recherche sur les vaccins, en lien avec l'Alliance globale pour les vaccins et l'immunisation (GAVI) et l'OMS. Ces collaborations seront essentielles pour garantir qu'un vaccin soit disponible en Afrique, mais aussi aider à l'innovation.

La troisième priorité de notre action pour l'Afrique est l'urgence humanitaire. La restriction des transports et les fermetures de frontières engendrent des difficultés de ce point de vue. Nous allons donc mettre en place, à l'échelle européenne, un pont aérien humanitaire pour répondre à l'appel à la mobilisation lancé par le secrétaire général des Nations unies.

Enfin, le quatrième pilier de cette action est économique. Vous avez entendu l'appel relatif à la dette qu'a lancé le président de la République en réponse aux initiatives des ministres des finances africains. Hier soir, une première étape a été franchie : les créanciers publics et privés bilatéraux se sont mis d'accord pour un premier moratoire de 20 milliards de dollars au sein du club de Paris ; le G20 a aussi validé cet accord. La Chine, devenue ces dernières années l'un des principaux créanciers des pays africains, a pris part à cet accord, ce qui représente un acte historique de sa part. Il faudra que les institutions multilatérales répondent à la même logique de manière à élargir ce dispositif ; parallèlement, conformément aux engagements du président de la République, nous nous organiserons pour une annulation nette de la dette des pays pour lesquels cela s'avérera nécessaire. Ce qui paraissait récemment impossible se met en place ! Mentionnons aussi la mobilisation des droits de tirage spéciaux par le Fonds monétaire international.

Je veux à présent faire un tour d'horizon des crises internationales en cours. Le 23 mars, le secrétaire général des Nations unies a lancé un appel au cessez-le-feu mondial, auquel le pape François a fait écho le jour de Pâques. Malheureusement, malgré les efforts diplomatiques, les crises se poursuivent dans la violence.

Dans la région d'Idlib, au nord-ouest de la Syrie, l'accord conclu le 5 mars entre la Russie et la Turquie est toujours en vigueur, mais ni le régime de Bachar Al-Assad ni la Russie n'ont renoncé à l'ambition de reprendre leur offensive le moment voulu. Comme rien n'avance à Genève, Idlib reste une poudrière sanitaire : les personnes déplacées en particulier courront un risque énorme quand l'épidémie les atteindra. Nous travaillons à obtenir des dérogations pour que l'aide médicale et humanitaire parvienne dans cette zone.

En Libye, pendant la crise sanitaire, les combats continuent. La trêve conclue il y a trois semaines est restée lettre morte, le processus de Berlin est encalminé. Des offensives ont été lancées sur la bande côtière par le gouvernement dit "d'entente nationale", avec le soutien de la Turquie ; des villes, notamment Sabratha, ont été reprises à l'Armée nationale libyenne du maréchal Haftar. Celle-ci a riposté, les combats se poursuivent. Il faut que les causes profondes du conflit fassent enfin l'objet de négociations : un remplaçant doit être trouvé à M. Ghassan Salamé ; on doit désarmer les milices et faire partir les mercenaires ; les ressources pétrolières doivent être justement réparties. L'embargo sur les armes doit être respecté ; c'est l'objet de l'opération Irini, qui va bientôt se mettre en oeuvre et dont la France sera le plus grand contributeur.

Au Yémen, un cessez-le-feu de deux semaines a été annoncé par la coalition menée par l'Arabie saoudite, mais on relève de nombreuses violations de part et d'autre. Il est d'autant plus urgent de le faire respecter que les premiers cas de Covid-19 viennent s'ajouter au choléra dans un pays dont le système de santé est déjà dévasté. Nous soutenons les efforts de M. Martin Griffiths en la matière.

L'Irak, pour sa part, fait face à une accumulation de défis majeurs : une crise sanitaire - l'épidémie y a commencé -, une crise économique, du fait de l'effondrement des prix du pétrole, dont ce pays est très dépendant, une crise sécuritaire, liée aux tensions croissantes entre l'Iran et les Etats-Unis, enfin une crise politique interne, qui voit la poursuite de manifestations et une vacance institutionnelle : M. Al-Kadhimi a été chargé de former un gouvernement, mais nul ne sait s'il y parviendra. La lutte contre Daech demeure notre priorité, mais elle est entravée par la situation politique interne régionale. Il faut faire preuve d'une grande vigilance, l'organisation terroriste se réorganisant et demeurant très active, du moins dans sa propagande.

Au Liban, enfin, la crise économique et politique qui sévit depuis octobre se voit désormais aggravée par la crise sanitaire. J'ai des discussions régulières avec mon homologue libanais. Je lui transmets un message clair : au-delà des annonces du nouveau gouvernement, il faut que les actes soient au rendez-vous ; c'est indispensable pour restaurer la confiance dans les autorités politiques libanaises. Toutefois, le statu quo domine, les réformes urgentes ne sont pas engagées, la moitié de la population est maintenant sous le seuil de pauvreté et l'évolution économique est très préoccupante. L'arrivée du Covid-19 ne peut qu'aggraver encore la situation.

Les situations conflictuelles se poursuivent donc, ce qui rend urgente l'adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies d'une résolution robuste qui fixerait le cadre d'une trêve humanitaire générale pour la durée de la pandémie. Nous travaillons à cette fin depuis quelques semaines avec les membres permanents du Conseil de sécurité. Une réunion des chefs d'Etat de ces pays pourrait se tenir bientôt.

(Interventions des parlementaires)

Monsieur Allizard, nous avons été informés de l'épidémie en Chine par notre consul général à Wuhan au mois de janvier. Nous nous sommes alors organisés pour rapatrier nos compatriotes dans de bonnes conditions. Je souligne d'ailleurs que notre consul général et son équipe sont les seuls à être restés sur place, avec un entourage médical. Je tenais à leur rendre hommage.

Vous avez pris connaissance de mon communiqué. J'ai considéré que, dans le récit de l'ambassadeur de Chine en France, certains mots étaient inacceptables, et je le lui ai fait savoir. J'ai lu avec intérêt ce matin la réaction du ministère chinois des affaires étrangères, qui a longuement répondu en indiquant que la Chine ne fera pas de commentaires sur l'inadaptation de la réponse française à l'épidémie, qu'elle se tient aux côtés de la France face à ce défi, qu'elle a remarqué que, sous la direction du président Macron, le Gouvernement a promu des gestes barrières largement soutenus par le peuple et qui aboutissent à des résultats positifs. Il ajoute : "Nous faisons sincèrement l'éloge de cette action, nous soutenons la France dans la mise en oeuvre de mesures fortes en fonction de sa propre situation, et nous avons la conviction que la France vaincra sans aucun doute l'épidémie prochainement." Je prends acte de cette déclaration, et je n'ai pas de commentaire à faire.

Au-delà de cela, nous avons avec la Chine une relation de clarté et de fermeté. Ce pays veut établir un nouveau multilatéralisme - c'est un concept que nous partageons -, mais il a tendance à ne l'envisager que dans un seul sens. C'est un interlocuteur incontournable avec lequel nous entretenons un dialogue franc et constructif sur trois séries de sujets, liés à l'établissement de ce nouveau multilatéralisme, sur lesquels nous sommes parfois en accord et parfois en désaccord : la réciprocité économique et commerciale, le climat et la biodiversité et, enfin, la convergence entre l'initiative des nouvelles routes de la soie et la stratégie européenne de connectivité. Nous respectons la souveraineté de la Chine, celle-ci doit également respecter notre souveraineté, notre unité et notre présence européenne collective. Comme vous l'avez constaté, nous disons ce que nous pensons. En outre, nous avons des discussions très étroites sur la crise du coronavirus - je parle moi-même régulièrement avec mon homologue M. Wang Yi pour résoudre diverses questions, s'agissant, notamment, des capacités en masques.

Je n'ai pas d'information sur l'évolution de la situation à Tchernobyl et sur les incendies dans les environs du site, mais, à ma connaissance, l'aide publique au développement n'a pas servi à la construction de la centrale.

Le président de la République a indiqué que l'effacement de la dette concernerait les pays les plus en difficulté. Nous ne les avons pas encore identifiés, mais nous avons pu très vite accélérer sur les moratoires, c'est un bon signe. La tribune publiée par les chefs d'Etat ou de gouvernement d'Afrique et de l'Union européenne ainsi que par les présidents de l'Union africaine et de la Commission européenne fait sens dans la perspective de l'établissement d'un nouveau type de relation entre l'Europe et l'Afrique, notamment s'agissant des dispositifs financiers et fiscaux. Il existe également des initiatives du Fonds monétaire international en faveur des droits de tirage spéciaux. Monsieur Laurent, je suis preneur de vos propositions pour permettre à ces pays de retrouver des marges fiscales.

Nous regrettons la position américaine sur l'OMS. Il est dommage que, en période de pandémie, le seul outil de coopération mondiale soit ainsi mis en difficulté. L'OMS a un rôle normatif : elle doit dire le droit international sur la santé à partir des dispositions du règlement sanitaire international (RSI), qui n'est pas contraignant. Elle a aussi un rôle d'alerte, d'information et de coordination à travers les 150 bureaux dont elle dispose dans le monde, ainsi que de formation. Sur ce plan, une académie de santé doit d'ailleurs ouvrir à Lyon. Enfin, elle est chargée de la détection et de l'assistance technique. Son fonctionnement peut être discuté : elle manque parfois de réactivité comme d'autonomie par rapport aux Etats, ainsi que de moyens d'alerte et de capacités normatives, mais cette situation ne relève pas de sa responsabilité, qui est limitée. La crise actuelle devrait nous conduire à revoir le rôle des grands outils existants, car il faut conforter l'OMS. La France sera au rendez-vous sur cette question. Au-delà, il faut réfléchir à une meilleure articulation entre l'OMS, cadre général reconnu par l'ONU, et des outils comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, le GAVI pour les vaccins ou Unitaid pour les brevets, de sorte que chacune de ces organisations ait sa place et joue son rôle et que l'OMS puisse elle-même être mature dans l'exercice de ses fonctions.

Avec mon homologue allemand M. Heiko Maas, nous avons lancé l'année dernière une initiative en faveur du multilatéralisme afin de retrouver une nouvelle dynamique. Nous avons été suivis par soixante-dix ministres présents à l'assemblée générale de l'ONU. Demain, nous prendrons ensemble des initiatives afin que l'Alliance pour le multilatéralisme avance des propositions de réforme du système sanitaire international pour le rendre plus cohérent et dynamique. Plusieurs pays vont nous rejoindre. Nous ambitionnons ainsi de refonder un multilatéralisme en tirant les leçons de cette crise. Nous allons donc lancer ensemble cet appel avec le relais de l'Union européenne.

Monsieur Boutant, vous m'interrogez sur le rôle que la Chine aurait pu jouer en endettant certains pays africains. Aujourd'hui, Pékin contribue au moratoire, pour la première fois ; c'est un signe positif.

S'agissant de la conditionnalité du plan de relance, en matière d'accès au mécanisme européen de stabilité, mobilisé la semaine dernière par l'Eurogroupe, les normes de conditionnalité précédentes ont été supprimées. La seule condition qui subsiste est que les financements soient affectés à la crise sanitaire. Le futur plan de relance n'est pas la resucée d'un dispositif antérieur, mais découle d'une volonté d'emprunter collectivement des fonds permettant la relance de l'investissement, chacun à égalité pour assumer l'emprunt collectif et chacun faisant ses propres choix nationaux. J'espère que cette nouvelle donne ira jusqu'au bout et sera l'objet d'une décision le 23 avril, lors du prochain Conseil européen.

S'agissant de l'AEFE, nous sommes face à une triple difficulté : la première concerne les écoles, qui ne fonctionnent plus et perdent donc des recettes, ce qui est en particulier un problème pour les petits établissements qui ne sont pas à gestion directe et qui voient leur avenir remis en cause, car ils ont aussi des élèves qui ne sont pas français et qui subissent des conditions économiques difficiles ; la deuxième touche les familles de Français et inclut la question des droits de scolarité et des bourses ; la troisième, enfin, concerne l'AEFE elle-même. Tout cela fait l'objet du plan de relance. Sur les bourses, comme sur le programme 185, il y aura donc sans doute des modifications, mais je ne suis pas encore en mesure d'en parler. M. Lemoyne gère ce dossier, et le plan sera rapidement mis sur la table. Pour les familles étrangères, des aides seront prévues, car il s'agit d'un outil indispensable d'influence.

Sur les VIE jeunes actifs, je vais regarder, je n'ai pas de réponse technique à vous donner.

Monsieur Yung, depuis l'appel du 23 mars du secrétaire général de l'ONU à une trêve humanitaire, beaucoup de discussions ont été engagées par la France, parmi lesquelles des relations directes avec le président chinois comme avec MM. Trump et Poutine. Nous espérons que le P5 porte ce point de vue au plus loin, sa réunion en vidéoconférence sera un événement politique de grande ampleur, dont nous espérons qu'il intervienne rapidement. Je me suis entretenu à ce sujet avec mon homologue chinois, M. Wang Yi.

S'agissant de la Haute Autorité mondiale de la santé, j'ai indiqué la semaine dernière combien une instance indépendante composée des meilleurs scientifiques pour identifier les menaces sur la santé humaine et animale me semblait utile. Comme le GIEC en matière de climat, elle agirait comme un interpellateur. Après la crise actuelle, nous nous interrogerons sur l'ensemble de la stratégie de santé dans le monde et nous reviendrons peut-être sur certains engagements pris juste après la Seconde Guerre mondiale. L'Alliance pour le multilatéralisme vise à aborder cette problématique. Lorsque le GIEC prend position, cela fait bouger les lignes, il faudrait qu'il en aille de même en matière de santé.

Les frontières européennes de l'espace Schengen, de l'Union et du Royaume-Uni ont été fermées. Cette décision a été prise en commun, c'est en commun que la décision de rouvrir sera prise. Ce n'est pas pour demain, l'espace européen restera fermé pendant quelque temps.

S'agissant des camping-caristes au Maroc, nous avons affrété deux bateaux pour ramener 400 véhicules. Malheureusement, il restait des places sur le second. Certaines personnes concernées qui se trouvaient à Agadir pensaient y rester, puis ont finalement considéré qu'il fallait rentrer. Il faut savoir si l'on veut rentrer ou non, car la frontière est fermée et, à chaque fois, cela requiert des autorisations. Les intéressés ne se rendent pas compte du temps que l'on passe à cela ! Je veux bien organiser un troisième voyage en bateau, mais alors il faut que ceux-ci soient présents au rendez-vous. Si vous les connaissez, monsieur Laurent, je vous remercie de le leur dire !

Avec mes homologues néo-zélandais et australien, nous sommes mobilisés sur les conséquences du cyclone Harold, qui sont notre priorité, et nous coopérons dans le cadre de l'accord Franz, ce qui ne fait l'objet d'aucune critique. S'agissant de l'assistance sanitaire, nous avons des accords avec certains pays qui permettent, si nécessaire, d'opérer des évacuations sanitaires. Un envoi de fret sanitaire est par ailleurs en cours ; il sera acheminé par Nouméa pour traiter la crise au Vanuatu.

(Interventions des parlementaires)

Faute de temps, je vais tenter de répondre aux points qui me paraissent les plus centraux et sur lesquels je ne suis pas déjà intervenu.

M. del Picchia et Mme Conway-Mouret, entre autres intervenants, ont fait part de leur inquiétude pour l'AEFE si aucune initiative forte n'était prise. Je ne peux qu'adresser un message politique fort de notre volonté d'agir pour permettre à l'AEFE de tenir le coup durant cette période, d'être au service des enfants de nos ressortissants ou de parents étrangers désireux d'inscrire leurs enfants dans une école française. Nous maintiendrons l'AEFE dans ses vocations. Il ne s'agit pas du message du seul ministre des affaires étrangères, mais aussi du message du président de la République, qui a dit les choses avec une très grande fermeté hier, sur RFI. Je tiens à vous rassurer sur notre détermination à agir.

Madame Conway-Mouret, je souhaite aider les pays africains à combattre cette pandémie, mais sur leur territoire. Nous pouvons apporter l'aide nécessaire, avec la mobilisation financière que j'ai évoquée dans mon propos introductif, pour assurer la détection, les soins et la protection. Telle est la mission de l'AFD et de l'ensemble des acteurs qui sont aujourd'hui au rendez-vous.

Monsieur Vial, la situation politique en Syrie ne bouge pas. Le comité constitutionnel syrien mis en place à Genève ne répond pas à sa vocation. Par ailleurs, la situation dans la partie nord-ouest et nord-est du pays est très difficile pour les populations de réfugiés, de déplacés, voire de prisonniers. Nous souhaitons qu'un accès humanitaire à ces zones soit possible. La France est au rendez-vous, puisque nous avons mobilisé 50 millions d'euros pour l'aide humanitaire, qui est aussi aujourd'hui l'aide sanitaire, en particulier au nord-ouest. L'évolution politique laisse entrevoir peu de perspectives positives. Encore faut-il que nous puissions aider à éviter qu'il y ait trop de drames dans les zones où se trouvent le plus de réfugiés et de déplacés.

Monsieur Bockel, le dispositif mis en place à Pau continue de fonctionner. La crise du coronavirus n'a pas empêché la tenue d'élections au Mali. Le deuxième tour aura lieu dimanche prochain. Les grands engagements du sommet de Pau, que j'avais qualifié de sommet de la gravité, de l'unité, de la clarification et de la remobilisation, continuent d'être suivis, en dépit des difficultés que rencontre le Tchad dans sa lutte contre Boko Haram. La force conjointe du G5, les actions de Barkhane, la mise en oeuvre de la force Takuba et de l'action humanitaire se poursuivent. Vous faites bien de le rappeler tant on pourrait l'oublier en cette période.

Monsieur Roger, vous dire à quel moment les hôtels et restaurants pourront rouvrir n'est pas de ma compétence. Le président de la République s'est prononcé lundi sur un agenda qui dépend aussi de l'évolution des conditions sanitaires. Nous allons mettre en place, avec Jean-Baptiste Lemoyne, un dispositif de soutien et de sauvetage pour toutes les entreprises liées au tourisme. C'est une profession qui souffre beaucoup et qu'il importe d'accompagner à travers un plan spécifique qu'annoncera le Premier ministre.

Monsieur Devinaz, l'AFD va reprogrammer des crédits pour déterminer des priorités intégrant la dimension Covid-19 et le combat contre la pandémie. Nous allons réorienter les financements.

Monsieur Saury, je ne suis pas prophète, mais il est certain que les habitudes de déplacement vont changer. J'espère qu'il n'y aura pas d'autre pandémie et que nous parviendrons à endiguer rapidement celle qui nous frappe.

Madame Perol-Dumont, je voudrais vous assurer de notre volonté majeure de voir émerger à l'échelle africaine un mécanisme de coordination scientifique de haut niveau. Il est nécessaire de s'appuyer sur les antennes de l'Institut Pasteur, mais aussi sur tous les outils scientifiques existant en Afrique pour créer ce réseau. C'est indispensable.

En France, la première victime médicale de la pandémie a été un médecin venu de Madagascar pour nous aider. Il s'agissait d'un épidémiologiste de grande qualité. Ce drame montre que les scientifiques africains peuvent aussi venir aider les médecins français dans une telle situation.

Monsieur Todeschini, j'essaierai de reparler avec mon homologue allemand de la question des travailleurs frontaliers et de la coopération avec l'Allemagne. Je sais que la situation est difficile. Je suis déjà intervenu à plusieurs reprises pour tenter d'alléger ces contraintes. J'ai bien entendu votre message, et j'essayerai de faire au mieux.

Heureusement, monsieur Poniatowski, que je me montre plus optimiste que vous. Je suis conscient des handicaps et des contraintes qui affectent l'ONU, notamment du blocage que peut entraîner le droit de veto. C'est la raison pour laquelle nous avons créé l'Alliance pour le multilatéralisme, dont j'espère qu'elle pourra aider à modifier certains comportements au sein des Nations unies.

Après la dernière guerre mondiale, la communauté internationale s'est dotée d'outils majeurs qui ont tenu, au moins jusqu'à maintenant, avec divers succès. Le travail mené entre les Etats s'est avéré très positif dans différents domaines. Sans doute passerons-nous à une nouvelle étape après cette autre crise, dont on dit qu'elle a autant d'ampleur que celles qui ont suivi les guerres mondiales. Peut-être nous permettra-t-elle de tirer les leçons de nos échecs et de recomposer notre multilatéralisme. J'ai cet optimisme. Il en faut toujours pour essayer de renverser les contraintes et l'immobilisme.

Madame Garriaud-Maylam, je vous remercie d'avoir évoqué Haïti. Vous m'avez déjà parlé de cette situation très douloureuse que nous allons essayer de régler. Malheureusement, nous avons dû suspendre les adoptions en cours en raison de conditions de sécurité dégradées.

Monsieur Guerriau, la situation au Liban nous inquiète, mais nous ne pouvons-nous substituer aux autorités libanaises. Un gouvernement a été constitué sur la base d'un programme de réformes. Il s'agit du point de passage obligé pour redonner confiance aux acteurs internationaux. Le Liban doit se prendre en main et poursuivre ces réformes, en particulier dans le domaine de l'électricité, de la gouvernance, de la régulation des secteurs clés, du fonctionnement de la banque centrale... Tout cela suppose de la transparence et une lutte extrêmement vigilante contre la corruption.

Par ailleurs, le Liban a fait défaut sur sa dette voilà un mois, sur décision de son gouvernement. Il est urgent que ce pays assure sa reprise en main. Je n'ignore pas la crise sanitaire liée au Covid-19. Elle est jusqu'à présent limitée, avec seulement 632 cas. Elle pèse toutefois sur l'économie et sur le système de santé libanais. Faisons tous en sorte que les Libanais prennent les décisions qu'il convient pour leur permettre de retrouver la confiance des acteurs que nous avions réunis à Paris dans le cadre du Groupe international de soutien au Liban, en décembre dernier. Nous étions tous prêts à agir pour aider le Liban à retrouver une dynamique positive. À lui de donner le signal de départ en prenant les mesures nécessaires. La période peut être opportune. Nous sommes tous très attachés, les uns et les autres, au Liban.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2020