Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à France 2 le 6 avril 2020, sur la production de masques en France, la réponse européenne à la crise sanitaire et la politique économique du gouvernement.

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Média : France 2

Texte intégral

SAMUEL ETIENNE
Heureux de vous retrouver ce matin. Vous recevez ce lundi le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno LE MAIRE.

GILLES BORNSTEIN
Absolument. Bonjour Bruno LE MAIRE. Vous êtes dans votre ministère de Bercy, merci beaucoup de nous accorder cette interview. Alors, la France a changé de doctrine en matière de masques, ça, ça ne dépend pas de vous, mais la fabrication c'est de l'économie, est-ce que nous serons autosuffisants à la fin de l'année, comme l'a réclamé le président de la République ? Je rappelle que rien que pour les soignants ça fait 2 milliard de masques par an, rien que pour les soignants.

BRUNO LE MAIRE
Nous avons accéléré la cadence de production de masques en France, comme l'a souhaité le président de la République et le Premier ministre. Et nous tiendrons les objectifs qui ont été fixés par le président de la République, c'est-à-dire devenir autonomes en matière de production de masques. Je crois que nous le devons d'abord au personnel soignant, et puis nous le devons à l'ensemble de nos concitoyens, puisque nous voyons bien aujourd'hui les conclusions qui ont été rendues par les autorités sanitaires, aussi bien au niveau national qu'au niveau de l'Organisation mondiale de la santé. Donc je peux vous dire que nous y travaillons d'arrache-pied, avec la secrétaire d'Etat Agnès PANNIER-RUNACHER qui est en charge spécifiquement de ce sujet, ici au ministère de l'Economie et des Finances.

GILLES BORNSTEIN
Mais est-ce qu'il faudra réquisitionner, voire nationaliser des entreprises ou des usines comme le demandent un certain nombre de personnes, comme dont Jean-Luc MELENCHON par exemple ?

BRUNO LE MAIRE
Vous savez, la seule chose qui compte, c'est à voir le nombre de masques suffisant pour protéger les Français. Et nous y travaillons ici, avec tout le secteur industriel qui joue parfaitement le jeu, avec toute l'énergie nécessaire, toute la mobilisation nécessaire, pour parvenir au résultat que nous nous sommes fixé, c'est-à-dire l'indépendance dans ce domaine.

GILLES BORNSTEIN
Alors, avant de parler d'Europe, une autre petite question d'actualité. Le patron de l'Agence régionale de santé de Grand Est, a dit hier qu'il n'y avait pas de raison d'interrompre le plan de fermeture de lits. Qu'est-ce que vous pensez de cette déclaration, que beaucoup ont semblé, ont trouvé étonnante ?

BRUNO LE MAIRE
Là encore, je ne suis pas en charge de la santé, donc j'ai vu ce qu'avait dit et le ministre de la Santé Olivier VERAN, qui me semble plein de sagesse, c'est-à-dire que ce n'est pas lorsqu'on affronte une crise sanitaire, que l'on engage des plans de restructuration de ce type. Donc tout cela doit être reporté à tard, c'est ce qu'a dit Olivier VERAN, et c'est vraiment à mes yeux…

GILLES BORNSTEIN
Reporté ou annulé ?

BRUNO LE MAIRE
C'est vraiment mes yeux, la voie de la sagesse.

GILLES BORNSTEIN
Reporté ou annulé ?

BRUNO LE MAIRE
Une fois encore, je ne suis pas en charge la restructuration des hôpitaux. Le président de la République…

GILLES BORNSTEIN
Non, mais l'argent c'est vous.

BRUNO LE MAIRE
Le président de la République a annoncé… Mais, vous savez, ce qui va compter pour les hôpitaux, c'est surtout les moyens financiers qu'on va mettre à leur disposition, comme l'a souhaité le président de la République, comme le souhaitent tous les Français, pour qu'on ait un hôpital qui fonctionne mieux, qui fonctionne plus facilement, avec des soignants, des infirmières, des urgentistes, qui soient mieux rémunérés qu'ils ne le sont aujourd'hui. C'est ça l'enjeu de long terme. Ne nous focalisons pas sur un cas spécifique sur lequel le ministre de la Santé a déjà eu l'occasion de s'exprimer.

GILLES BORNSTEIN
Alors, parlons d'Europe si vous le voulez bien, Bruno LE MAIRE. Vous voulez un fonds de solidarité qui permette d'emprunter tous ensemble, tous les pays européens, et donc d'être mutuellement solidaires. Est-ce que vous avez convaincu les Pays-Bas et l'Allemagne, qui sont réticents ? Est-ce que vous les avez convaincus ?

BRUNO LE MAIRE
Pas encore, mais nous sommes en discussion, et la discussion aujourd'hui avance bien. Quels sont les enjeux ? Les enjeux ils sont assez simples. Il faut d'abord nous permettre de faire face tous ensemble à la crise telle qu'elle existe aujourd'hui, qui est d'une violence terrible pour l'ensemble de notre économie, pour des secteurs industriels entiers, pour des commerçants, des artisans, pour tous les entrepreneurs. Pour tout ça on a mis un certain nombre d'instruments à la disposition des entreprises, à la disposition des Etats membres de l'Union européenne, et qui vont marcher. C'est l'intervention de la Banque centrale européenne, et c'est ce que nous discutons pour la réunion des ministres des Finances de demain, utiliser les crédits de la Banque européenne d'investissement, utiliser ce qu'on appelle le mécanisme européen de stabilité, et utiliser également l'argent de la Commission pour financer les mesures de chômage partiel. Ça c'est trois instruments qui aujourd'hui font quasiment l'objet d'un accord entre nous. Et puis il y a un dernier instrument, qui nous parait absolument essentiel, à nous le gouvernement français, le président de la République, c'est d'être capable de mettre plusieurs centaines de milliards d'euros sur la relance de l'investissement, après la crise. Cette crise va faire des dégâts considérables, donc il faut que nous puissions tous redémarrer au même rythme. Rien ne serait pire pour l'Europe que certains Etats, parce qu'ils sont plus riches, puissent redémarrer rapidement, et puis d'autres, parce qu'ils n'ont pas les moyens, redémarrent lentement. Il faut que nous redémarrions tous à la même vitesse, pour garantir la cohésion, la solidarité, l'unité de la zone euro et de notre monnaie commune. Ce fonds d'investissement, ce fonds de solidarité, permettrait de financer quoi ? Eh bien par exemple l'argent dont je viens de vous parler pour les hôpitaux. Il faut que tous les Etats puissent avoir les moyens nécessaires pour moderniser leurs hôpitaux. Ça permettra d'accompagner des filières qui sont particulièrement en difficulté, je pense à l'aéronautique, je pense à l'industrie automobile, je pense évidemment au tourisme qui aujourd'hui est sinistré. Ça permettrait enfin de financer des investissements qui sont vitaux, pour nous permettre de tenir la concurrence face aux Etats-Unis et face à la Chine, par exemple des investissements dans les nouvelles technologies, dans la fibre optique ou dans la recherche. Donc pour nous, les choses sont extrêmement claires : demain, à l'occasion de la réunion des ministres des Finances européens, il doit y avoir un paquet global, qui comprend à la fois des mesures immédiates et également ce fonds de solidarité, ce fonds d'investissement de long terme, qui marquera à la fois la solidarité des pays européens et notre capacité à relancer l'économie après la crise.

GILLES BORNSTEIN
Mais, vous l'avez dit vous-même, pour l'instant les pays du Nord de l'Europe ne sont pas convaincus. Donc, qu'allez-vous faire ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien je vais leur expliquer que c'est tout simplement le bon sens. D'abord ça n'est pas une mutualisation des dettes, tel que ça a existé, donc c'est un instrument nouveau, ça n'est pas un instrument ancien comme on nous le reproche parfois, puisque nous ne mutualisons pas les dettes passées, nous faisons simplement un emprunt au niveau de la Commission européenne, qui va financer les dépenses futures. Nous le faisons pour un temps limité, 5 à 10 ans, c'est vraiment le temps de la relance économique. Et nous le faisons uniquement pour des dépenses d'investissements, des dépenses qui seront utiles à tous. Je pense que ces trois arguments devraient nous permettre de faire bouger les lignes, en tout cas, pour nous les choses sont extrêmement claires, si nous voulons que demain le projet de relance et de soutien à l'économie de l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne, soit crédible, soit efficace, il doit comporter, cet instrument, un fonds de solidarité, un fonds d'investissement, en plus des autres instruments qui font déjà l'objet quasiment d'un consensus entre nous.

GILLES BORNSTEIN
Et si vous ne l'obtenez pas ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien il faudra poursuivre la négociation. Mais demain je vais être très clair, si nous n'avons pas la possibilité de mettre sur la table ce fonds de solidarité, pour que nous travaillions dessus, que nous définissions un calendrier, la France demandera à ce que la discussion se poursuive, la négociation se poursuive. Parce que ce qui est en jeu derrière tout cela, c'est bien l'unité de l'Union européenne et la survie du projet européen. Imaginez demain, qu'après une crise d'une violence qui est comparable à celle de 1929, vous ayez des Etats qui redémarrent très vite, parce qu'ils en ont les moyens, et d'autres qui redémarrent très lentement, voire qui continuent à souffrir, qui n'ont pas des hôpitaux en bon état parce qu'ils n'ont pas les moyens de les financer, qu'ils ne peuvent plus financer leurs investissements, plus se moderniser, pas soutenir certains pans de leur industrie, mais l'Europe ne résistera pas à cela. Elle explosera si elle ne fait pas preuve de solidarité. Si à l'inverse nous sommes capables de définir ce grand plan d'investissement et de solidarité entre pays européens, eh bien nous sortirons plus forts de la crise. Et ma conviction profonde, c'est que l'Europe peut sortir plus forte de cette crise.

GILLES BORNSTEIN
Compris. Pas d'augmentation des impôts avez-vous dit hier dans le JDD, mais est-ce qu'on pourra les baisser, ces impôts ? Est-ce que vous confirmez que la suppression de la taxe d'habitation pour les 20 % de ménages les plus aisés, aura bien lieu oui ou non ?

BRUNO LE MAIRE
Je vous confirme que ce n'est pas une bonne idée de vouloir relancer la machine économique en augmentant les impôts. Donc nous avons défini une politique fiscale, je pense que c'est la bonne politique fiscale. Nous aurons l'occasion évidemment d'en redébattre lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, ça aura lieu à l'automne de cette année. Donc attendons l'automne de cette année. Mais le principe que j'ai posé, que le Premier ministre a posé la semaine dernière, il est très clair : nous ne pensons pas qu'une augmentation d'impôts soit le meilleur moyen de relancer la croissance économique.

GILLES BORNSTEIN
On avait compris, mais donc vous confirmez que la suppression de la taxe d'habitation aura lieu totalement.

BRUNO LE MAIRE
Je vous confirme que les politiques fiscales que nous avons définies depuis le début du quinquennat…

GILLES BORNSTEIN
Sont maintenues.

BRUNO LE MAIRE
…sont celles auxquelles nous restons attachés. Elles sont maintenues.

GILLES BORNSTEIN
Très bien. Vous avez demandé aux patrons, d'abord de limiter les dividendes, et aussi aux grands patrons de modérer leurs salaires. Je voudrais comprendre, Bruno LE MAIRE, c'est une demande gentillette ou c'est une demande ferme, pour ne pas dire une injonction ?

BRUNO LE MAIRE
On n'est pas là ici, vous savez, pour faire des demandes gentillettes. Nous sommes là pour nous assurer que l'économie redémarre, que chacun respecte un certain nombre de règles, et surtout que l'effort collectif est équitablement partagé entre tous les Français. Nous, nous faisons un effort, et quand je dis « nous », c'est d'Etat, donc c'est le contribuable. C'est de garantir les prêts d'un certain nombre d'entreprises, grâce à une garantie de l'Etat. Nous faisons un deuxième effort, c'est de reporter les charges fiscales et de reporter les charges sociales. Nous faisons ça pourquoi ? Pour soutenir la trésorerie des entreprises qui aujourd'hui sont dans une situation extraordinairement difficile. La contrepartie de ça, c'est que les grandes entreprises, je ne parle pas là des PME et des TPE, je ne parle que de grandes entreprises, qui utilisent ces facilités de trésorerie de l'Etat, elles ne peuvent pas verser de dividendes. Elles n'ont pas le droit de verser de dividendes.

GILLES BORNSTEIN
Et les salaires ?

BRUNO LE MAIRE
Ce qui veut dire très concrètement, que si elles réclament un prêt garanti par l'Etat, comme c'est moi qui signe l'arrêté, je ne le signerai pas, si une grande entreprise a bénéficié d'un soutien de l'Etat pour sa trésorerie. Ça n'est qu'une question de justice, d'équité et de bonne répartition des efforts. Je constate d'ailleurs, j'ai demandé à ce qu'il y ait une réduction globale de 30 % au minimum des dividendes pour les grandes entreprises, qu'aujourd'hui beaucoup de grandes entreprises ont commencé à le faire, qu'elles soient dans le secteur public comme EDF, ou dans le secteur privé comme ACCOR ou comme HERMES. Donc le mouvement est enclenché. Nous verrons à la fin de l'année les résultats, mais je suis convaincu que lorsqu'on regardera le bilan global des dividendes, à la fin de l'année 2020, nous serons bien effectivement en dessous de 30% par rapport à 2019, tout simplement parce que les entreprises ont besoin de leur trésorerie pour financer leur relance économique.

GILLES BORNSTEIN
Autre question de politique intérieure, si je puis dire. Est-ce qu'il faut, Bruno LE MAIRE, renoncer à la réforme des retraites ? C'est très clivant, et on sait que pour la reprise vous aurez besoin d'unité. Est-ce qu'il faut relancer une réforme qui, hystérise, disons-le ?

BRUNO LE MAIRE
Je vais vous dire, Gilles BORNSTEIN, on a défini un certain nombre de principes. Le président de la République a dit très clairement : la réforme des retraites est suspendue. Aujourd'hui…

GILLES BORNSTEIN
Suspendue.

BRUNO LE MAIRE
… 7 jours sur 7, de 06h00 du matin jusque tard le soir, je ne m'occupe que d'une chose : c'est faire en sorte que chacun trouve une solution face à la crise actuelle. C'est que les hôteliers, les restaurateurs, puissent arriver à passer ce cap extraordinairement difficile pour eux, que les producteurs de chocolat artisanaux, qui aujourd'hui s'inquiètent parce qu'il y a Pâques qui arrive et qui se disent « On ne pas pouvoir vendre notre marchandise », puissent le faire. Que des producteurs d'agneaux qui se disent : il n'y a personne pour acheter notre agneau, aujourd'hui, en grande surface, puissent quand même le vendre. Que le tourisme puisse faire face, que l'industrie automobile, qu'AIRBUS ne soient pas trop fragilisés par cette crise. Qu'AIR FRANCE puisse être soutenue. Voyez, c'est ça qui m'occupe. Le reste nous l'avons laissé de côté. Donc laissons-le de côté, ne prenons pas de décision définitive, ça n'est pas le moment, le moment est à l'urgence économique, et à la préparation de la relance.

GILLES BORNSTEIN
Bruno LE MAIRE, qui n'est pas là pour faire des demandes gentillettes, nous a-t-il dit, invité des 4 Vérités sur France 2 et sur France Info. Merci beaucoup Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Merci Gilles BORNSTEIN.

SAMUEL ETIENNE
Merci Gilles, merci à votre invité, le ministre de l'Economie Bruno LE MAIRE, qui sur la question de la production de masques en France, a assuré que les objectifs fixés par le gouvernement seraient tenus. Et puis Gilles vous avez évoqué également avec le ministre de l'Economie la question des impôts, pas d'augmentation d'impôts a assuré, a promis de Bruno LE MAIRE. La suppression de la taxe d'habitation, notamment, ira à son terme a-t-il notamment déclaré.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 avril 2020