Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à France Inter le 19 mars 2020, sur les salariés et les commerces pendant l'épidémie de Covid-19.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME nous recevons ce matin dans Le grand entretien » le ministre de l'Economie et des Finances. Vous êtes déjà extraordinairement nombreux au standard amis auditeurs, continuez à vous appeler, 01.45.24.7000, passez aussi par l'application mobile de France Inter et par les réseaux sociaux. Bruno LE MAIRE, bonjour.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Nicolas DEMORAND.

NICOLAS DEMORAND
Beaucoup d'auditeurs, je le dis, c'est un déluge de questions ce matin que les auditeurs d'Inter veulent vous poser, donc, s'il vous plaît, Bruno LE MAIRE, vous n'êtes pas en studio mais par téléphone, faites des réponses courtes pour qu'on puisse donner au maximum…

BRUNO LE MAIRE
Message reçu.

NICOLAS DEMORAND
Merci beaucoup. On va commencer par des points extrêmement pratiques auxquels les salariés et les Français sont confrontés aujourd'hui. Hier, à ce micro, Laurent BERGER nous disait qu'il avait des tonnes de remontées de salariés pas ou peu protégés, pas de gel, pas de moyens d'aseptiser le poste de travail, des patrons qui parfois n'organisent pas les règles élémentaires d'hygiène. Est-ce que vous avez des remontées de même nature, nos auditeurs nous en font part, que dites-vous ce matin aux patrons et aux salariés ?

BRUNO LE MAIRE
J'ai effectivement des remontées de même nature, je pense que c'est normal qu'il y ait un temps de calage, mais ce temps doit être le plus bref possible. Il faut protéger les salariés, garantir la sécurité sanitaire totale des salariés, ça c'est l'urgence absolue, et pour ça je préfère que chacun, dans son entreprise, dans son usine, dans son magasin, prenne le temps nécessaire pour dialoguer avec les salariés. S'il faut prendre une demi-journée, une journée entière, pour dialoguer avec les salariés et voir comment est-ce qu'on organise le travail au sein de l'entreprise, au sein de l'usine, ce sera du temps bien employé, qu'on redéfinisse les règles de circulation, les règles d'arrivée, le comportement des salariés, des ouvriers, les protections qu'on met à leur disposition, les gels hydroalcooliques, la manière dont on désinfecte les postes de travail, tout ça doit être défini et il faut prendre le temps, dans chaque usine, dans chaque entreprise, dans chaque magasin, d'ouvrir ce dialogue social entre le chef d'entreprise et les salariés, pour qu'on redéfinisse les règles. Par ailleurs, nous, avec les partenaires sociaux, nous en avons discuté hier autour du Premier ministre, nous souhaitons qu'il y ait un guide de bonnes pratiques qui soit adopté par les partenaires sociaux le plus rapidement possible et qui serve de référence pour chaque chef d'entreprise qui a besoin bien entendu d'avoir des indications et d'avoir…

LEA SALAME
Oui, oui, allez-y, pardon.

BRUNO LE MAIRE
Donc tout cela doit nous permettre, je l'espère, de retrouver dans les prochaines heures une vie économique, qui, évidemment va tourner au ralenti, mais va permettre de faire fonctionner les activités économiques essentielles du pays.

LEA SALAME
Laurent BERGER parlait de certains centres LECLERC, Bruno LE MAIRE, dans la grande distribution des caissières sont à moins d'un mètre des clients, elles ne sont pas protégées, pas de masque, pas de gants que dites-vous aux patrons de la grande distribution ? Première question. Deuxième question, à LA POSTE des facteurs font valoir leur droit de retrait, eux aussi ne s'estiment pas assez protégés dans l'exercice de leur métier, est-ce qu'ils peuvent et doivent faire valoir leur droit de retrait ?

BRUNO LE MAIRE
S'agissant de la grande distribution, inspirez-vous des bonnes pratiques, voilà le message que j'ai à passer. je vois par exemple que chez CARREFOUR il y a eu la multiplication de bulles en plexiglas autour des caissiers et des caissières, c'est une excellente protection, puisqu'on sait que la meilleure protection c'est la barrière physique, la barrière de distanciation entre deux personnes, donc entre la caissière, le caissier ou le client, c'est la meilleure protection possible, donc moi je dis à tous les grands distributeurs inspirez-vous de ces bonnes pratiques, si CARREFOUR a été capable de le faire, les autres grands magasins doivent être capables de le faire, et on a besoin, vraiment je rends un hommage très appuyé à tous les salariés qui vont aujourd'hui sur le lieu de travail, que ce soit les caissières ou les caissiers de supermarché, les metteurs en rayons, les transporteurs, les agents RATP ou de la SNCF, les commerçants, les boulangers, les agents des télécoms, le traitement des déchets, tous, tous ceux qui sont aujourd'hui à leur poste de travail, ils nous permettent, et je veux vraiment que chaque auditeur on ait conscience, ils nous permettent d'aller acheter notre brique de lait, d'aller acheter nos fruits, nos légumes, de nous nourrir correctement dans cette période qui est une période difficile pour tout le monde…

NICOLAS DEMORAND
Et sur le droit de retrait ?

BRUNO LE MAIRE
Inspirez-vous des bonnes pratiques, et j'aurai à nouveau les distributeurs au téléphone, comme je les ai tous les jours au téléphone, pour m'assurer d'une part de la protection des salariés, et d'autres part de la bonne alimentation, de la bonne distribution des produits alimentaires pour les Français… s'agissant des postiers, il n'y a pas de raison d'exercer le droit de retrait dès lors que LA POSTE garantit les bonnes pratiques et garantit les règles de sécurité sanitaire. J'ai eu hier au téléphone le président de LA POSTE, Philippe WAHL, je lui ai demandé de veiller à ce que les postiers aient toutes les garanties de sécurité sanitaire qui soient mises à leur disposition, parce que c'est vital aussi, enfin je rappelle que les postiers ne font pas que distribuer les lettres et les colis, ils apportent aussi des plateaux-repas à des personnes qui sont isolées dans des villages ou dans des communes qui sont reculés, on a besoin d'eux. Je rappelle que c'est dans les bureaux de Poste que vont être distribuées les prestations sociales début avril, il y a des millions de Français qui vont aller chercher leurs prestations sociales dans le bureau de Poste, à la BANQUE POSTALE, début avril, donc nous avons besoin des postiers. Et je profite de votre antenne pour lancer un appel à toutes les postières et à tous les postiers, qui sont des gens exceptionnels, je le dis depuis des années, depuis que je suis en fonction, nous avons besoin de vous, vous êtes absolument vitaux pour assurer la vie dans notre pays, notamment dans les communes les plus reculées.

LEA SALAME
Sur le droit de retrait Bruno LE MAIRE, il y a beaucoup de questions qui se posent sur le droit de retrait, est-ce qu'il y a des conditions pour exercer son droit de retrait en temps d'épidémie ou est-il souverain ?

BRUNO LE MAIRE
Mais il y a un droit de retrait qui est défini par la loi et qui est clair, il faut qu'il y ait un danger grave et imminent, c'est le texte de la loi, danger grave et imminent, tant que les règles de sécurité sanitaire sont garanties au sein de l'entreprise il n'y a pas de danger grave et imminent. mais je comprends parfaitement l'inquiétude des salariés qui se rendent sur le lieu de travail, je comprends parfaitement, et je les soutiens, leur demande d'avoir des règles qui soient claires, et des règles qui soient strictes, ils ont raison, et nous n'arriverons à surmonter cette épidémie et les conséquences économiques qu'elles ont, que si nous sommes tous capables de dialoguer davantage, de faire preuve de solidarité, et de définir des règles strictes, claires, respectées par tous.

NICOLAS DEMORAND
Il est déjà 8h29 Bruno LE MAIRE, donc on va accélérer un tout petit peu le rythme. Les salariés d'AMAZON se disent sous pression de leur employeur qui a édicté la règle suivante, un jour non travaillé sera un jour non payé, certains d'entre eux disent précisément que les conditions d'hygiène et de sécurité ne sont pas réunies là où ils travaillent, le comportement qui consiste à dire un jour non travaillé, un jour non payé, est-il normal ?

BRUNO LE MAIRE
Ces pressions sont inacceptables et nous le ferons savoir à AMAZON. Vous me demandez d'être court, je suis court et lapidaire.

LEA SALAME
Alors justement, puisqu'on parle d'AMAZON. AMAZON est-il un commerce de première nécessité, Bruno LE MAIRE ? Son activité livraisons alimentaires est loin, en France, d'être son coeur de métier, et en même temps on a les libraires, les librairies indépendantes, qui parlent d'un drame pour elles. « Si Amazon récupère notre chiffre d'affaires en quelques semaines ce sera une catastrophe » disent les libraires. Est-ce qu'une librairie n'est pas, au sens fort, un commerce de première nécessité quand vous estimez que les tabacs et les kiosques à journaux le sont ?

BRUNO LE MAIRE
Moi j'estime que les libraires sont effectivement un commerce de première nécessité, c'est ma conviction, je suis prêt à regarder cette question, je suis prêt à le regarder. Amazon, effectivement, distribue les livres, vous savez l'attachement que j'ai au livre et à la lecture, je comprends très bien l'inquiétude des libraires, elle m'a été relayée, je suis prêt à rouvrir cette question, à regarder avec le reste du gouvernement, avec le ministre de Culture, avec le Premier ministre, si quelque chose peut être fait sur les librairies.

LEA SALAME
C'est le cas en Belgique, je précise qu'en Belgique, qui sont en situation de confinement, ils ont laissé les librairies ouvertes.

BRUNO LE MAIRE
Oui, mais je veux une fois encore rappeler que le principe clé c'est la sécurité sanitaire. Dans une librairie, par définition, il y a des échanges, il y a des produits qui vont passer d'un client au commerçant, il faut s'assurer que nous pouvons garantir les règles de sécurité sanitaire, mais moi je suis prêt à ouvrir ce dialogue, regarder si nous pouvons garantir les règles de sécurité sanitaire, la librairie ne peut pas être, je le dis très clairement, un lieu de rassemblement, or dans une librairie il peut y avoir 20, 30 personnes qui circulent, mais si nous sommes capables…

NICOLAS DEMORAND
Ça peut s'organiser comme dans un supermarché, Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Dans un supermarché nous avons édicté des règles, j'ai rappelé qu'il fallait une seule personne par caddy, et les règles de distance à l'entrée des supermarchés, mais si nous sommes capables sur les librairies, qui sont effectivement à mes yeux un point important, parce que c'est un lieu culturel et que les gens ont besoin aujourd'hui de pouvoir avoir accès aux livres, et que je ne vois pas pourquoi ce serait uniquement AMAZON qui récupérait le marché, au risque effectivement de fragiliser les libraires. je propose que, avec le ministère de la Culture, sous l'autorité du Premier ministre, nous regardions cette question spécifique des librairies, et nous regardions s'il est possible de définir des règles strictes qui permettraient aux librairies de continuer à ouvrir sous réserve, une fois encore, que les clients viennent un par un, qu'ils ne soient pas nombreux dans la librairie, qu'ils se contentent d'acheter le livre et de ressortir immédiatement, et que ce ne soit pas ce que c'est très souvent, c'est d'ailleurs tout le plaisir de la librairie, un lieu où on flâne et où on reste longtemps. Je pose ces conditions, j'ouvre ce débat, et je suis prêt à ce que nous regardions ça ensemble.

NICOLAS DEMORAND
La crise du monde hospitalier, Bruno LE MAIRE, dure depuis un an maintenant, à une aide-soignante du CHU de Rouen qui lui disait que les hospitaliers n'avaient plus les moyens de faire leur métier, le président de la République avait répondu en avril 2018 la chose suivante, « il n'y a pas d'argent magique » avait dit Emmanuel MACRON. Fallait-il en arriver là, c'est-à-dire à une crise sanitaire absolument inédite, pour que l'hôpital ait enfin les moyens de travailler ?

BRUNO LE MAIRE
Mais je rappelle que nous avons augmenté les moyens pour les hôpitaux et que c'est de l'argent bien employé. J'ai dit sur votre antenne il y a quelques mois que s'il y a bien un secteur d'activité, un service public, pour lequel, comme ministre des Finances, j'étais prêt à ce que nous fassions davantage, même si à l'époque les finances publiques étaient extrêmement tendues, que c'était difficile, c'était l'hôpital. Et je veux vraiment en profiter là aussi, parce que je crois que c'est très important, dans ces moments, qu'on se rende compte de cette solidarité qui naît entre les Français, rendre un hommage vibrant, un hommage sincère, à tous les personnels des hôpitaux, que ce soit les aides-soignantes, les infirmières, les urgentistes, les médecins, qui aujourd'hui nous sauvent, ils nous sauvent tout simplement, donc s'il faut de l'argent pour l'hôpital, s'il faut plus de moyens, s'il faut qu'on regarde comment est-ce qu'on peut mieux les équiper, bien sûr que nous allons regarder cela…

LEA SALAME
Bruno LE MAIRE, il y a les salaires et les primes, ils sont au front, ils ne comptent pas leurs heures, les infirmiers, les infirmières, les aides-soignantes, les hospitaliers, vous leur rendez hommage tous les matins, est-ce que ce n'est pas le moment de donner une prime, d'augmenter leurs salaires, est-ce que vous avez prévu quelque chose en ce sens, pour cette période en tout cas de l'épidémie ?

BRUNO LE MAIRE
Nous allons présenter un projet de loi de finances rectificative, avec le ministre des Comptes publics Gérald DARMANIN, dans quelques instants à l'Assemblée nationale, il y a des moyens supplémentaires qui ont été prévus dans ce projet de loi de finances rectificative pour l'hôpital…

LEA SALAME Mais spécifiquement…

BRUNO LE MAIRE
Ils peuvent prendre la forme de soutien financier pour les personnels soignants, et croyez-moi, c'est largement mérité.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 mars 2020